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Le commerce à l'époque moderne
Le commerce des Anglais
Le développement industriel et commercial de l'Angleterre est un fait moderne. A la fin du Moyen âge le commerce était aux mains d'étrangers privilégiés, Hanséates, Italiens; les premiers dominaient le pays qui craignait de compromettre ses ventes de laine. Cependant on assista à la création de sociétés privées qui s'appliquèrent avec ténacité à étendre la sphère de leurs affaires. Ces associations sont les premiers auteurs de la puissance anglaise. Celle des aventuriers marchands (merchant adventurers), autorisée par Henri IV en 1406, s'occupa de vendre les draps en échange de vins, d'étoffes italiennes, de fruits et d'épices; elle eut un comptoir à Anvers, à côté de celui de la Hanse. Mais les progrès furent lents. La navigation était peu développée; Henri VII, qui conclut un traité de commerce pour la libre navigation avec les Pays-Bas, ne sut pas profiter des découvertes des Cabot. Henri VIII gêna le commerce en défendant l'exportation de l'argent et de l'or, mais créa une marine de guerre permanente dont la protection développa la marine marchande; les hardis navigateur anglais parcoururent tout l'océan Atlantique; les traités de navigation d'Henri VIII avec la France, l'Espagne, les Pays-Bas, ne renferment pas encore de stipulations commerciales; il n'y avait pas lieu; mais un grand coup fut frappé par la reine Elisabeth Ire; elle délivra les Anglais du joug de la Hanse.

Les privilèges de cette association s'étaient maintenus intacts jusqu'au milieu du XVIe siècle, mais en refusant d'affranchir le commerce anglais dans ses ports, malgré les promesses de la convention d'Utrecht de 1473, elle provoqua une crise. Les famines comme celle de 1526, où le blé monta de 6 schellings à 40 schellings le quarter, exaspérèrent les Anglais qu'on empêchait de s'approvisionner à Danzig (Ddansk); un long réquisitoire adressé à Edouard VI contre les marchands étrangers décida le roi à porter de 1 à 20% le droit sur les importations et exportations de la Hanse (1552); elle rentra alors dans les termes de son privilège et fit des concessions; la reine catholique Marie révoqua à la demande de l'empereur le statut d'Edouard VI (1553). Mais Elisabeth reprit la politique protestante. Elle développa l'industrie et le commerce anglais, persécutant la Hanse, restreignant les exportations de draps écrus (qu'on teignait à l'étranger), n'autorisant l'importation au régime de faveur que si les trois quarts étaient des produits hanséates, de manière à enlever aux Allemands le commerce intermédiaire; la Hanse fut abandonnée par Hambourg qui accueillit les commerçants anglais en 1569; quand on les chassa en 1578, les aventuriers marchands s'établirent à Stade, et une guerre de tarifs commença : Elisabeth abolit les privilèges de la Hanse; celle-ci frappa les importations anglaise d'une surtaxe de 7,5%; Elisabeth en fit autant pour les siennes, puis s'opposa à ce que les Hanséates fournissent de céréales et de munitions les Espagnols, et fit saisir à Lisbonne soixante de leurs navires (1589); en 1597, les marchands anglais furent expulsés d'Allemagne; en 1598, le comptoir hanséate de la Cour d'Acier à Londres fut fermé. On le rouvrit bien en 1611, mais il avait perdu toute importance; le retour des aventuriers marchands la même année à Hambourg fit de ce port le marché anglais en Allemagne.

Outre la suppression de la concurrence hanséate et le développement de l'industrie drapière, Elisabeth développa la richesse nationale en prohibant l'importation de tous les produits qu'on pouvait fabriquer en Angleterre, armes, sellerie, aiguilles, dentelles, ouvrages de cuir; elle eut la sagesse de renoncer aux monopoles dont se plaignaient ses sujets (1601). La décadence d'Anvers profita beaucoup à Londres; l'accroissement de la richesse intérieure se manifesta par l'accroissement du prix des denrées agricoles. Enfin, Elisabeth autorisa le commerce de l'argent (défendu par l'Eglise), et força à 10% l'intérêt légal; on l'abaissa sous la république à 6%. La défaite de l'Invincible Armada exalta le sentiment national et la considération pour la marine. Le commerce direct avec la Russie par Arkhangelsk et avec la mer Baltique fournit tous les matériaux pour l'organisation des assurances, les constructions navales. La compagnie de l'Est fit le commerce de la Baltique (1579), celle du Levant celui de la mer Méditerranée et de la Syrie par le marché d'Alep; la compagnie Africaine celui de la Guinée; les premières entreprises coloniales échouèrent, mais en 1600 fut fondée la société des marchands de Londres trafiquant avec les Indes orientales.

Les progrès commencés sous Elisabeth s'arrêtèrent au temps des Stuarts; la concurrence hollandaise et la mauvaise politique des rois, qui multiplièrent les droits de douane et les monopoles, en furent cause; mais l'industrie du coton apparaît à Manchester en 1641, et l'exploitation des mines de houille se fait en grand, d'abord autour de Newcastle; l'industrie irlandaise est opprimée et paralysée au profit de l'Angleterre; l'avenir était assuré. Les pêcheries de la mer du Nord amenèrent des conflits avec les Hollandais; en 1650 le Long Parlement interdit aux navires étrangers tout commerce avec les colonies; le 9 octobre 1651 fut promulgué le célèbre acte de navigation que Charles II confirma et compléta (26 mai 1660).

Voici quelles étaient les dispositions essentielles. Aucun produit du sol ou de l'industrie de l'Asie, de l'Afrique ou de l'Amérique ne pouvait être importé en Angleterre que par des navires construits en Angleterre ou dans ses colonies, de propriété anglaise et dont l'équipage fût anglais pour les trois quarts. Nul autre qu'un Anglais ne pouvait sous peine de confiscation exercer la profession de négociant on de facteur dans les colonies anglaises. Les marchandises même d'Europe ne pouvaient être importées en Angleterre que par des navires anglais ou par des navires du pays de production ou des ports où elles étaient ordinairement embarquées. Cette mesure visait les Hollandais dont on voulait frapper le commerce intermédiaire; Charles II la restreignit aux produits russes et ottomans et à dix-neuf articles énumérés, les plus encombrants; en outre, les poissons salés ou fumés, importés par navire étranger, étaient frappés d'une taxe double, et les produits précieux des colonies anglaises réservés à la métropole. Sur ces autres articles énumérés furent faits dans la suite quelques modifications. La seule concession faite aux Hollandais (en 1667) fut d'assimiler à leurs produits nationaux ceux qui venaient par la voie du Rhin s'embarquer dans leurs ports.

L'acte de navigation fit la fortune de l'Angleterre. Son premier effet fut de développer beaucoup son trafic avec les colonies américaines ou le système colonial fut appliqué avec la même rigueur que dans les colonies espagnoles. La liberté commerciale dont elles avaient joui primitivement fut abolie. Les plantations de Virginie et des petites Antilles approvisionnèrent de tabac et de sucre l'Angleterre qui put en réexporter une forte quantité, ainsi que des bois de teinture de la baie de Campêche. Malgré la concurrence française, la compagnie de la baie d'Hudson fit sur les pelleteries et les fourrures des gains considérables. Expulsés des îles de la Sonde par les Hollandais, d'abord leurs associés, les Anglais prirent leur revanche en Perse. Ils s'y entendirent avec les Arméniens, maîtres du commerce de terre de l'Asie, et avec Shah-Abbas ; ils ruinèrent ensemble le comptoir portugais d'Ormuz (1662) et acquirent en Perse des privilèges commerciaux en échange du concours de leurs vaisseaux de guerre. Ce commerce, centralisé à Bender-Abassi, fut lucratif; on tirait de Perse de la soie, de la laine, les poils de chèvre, des perles, des turquoises, des tapis, du maroquin, des chevaux, de l'eau de rose, etc. on lui portait le coton et les cotonnades indiennes, le sucre, le poivre, les épices, et d'Europe, du fer, du plomb, des draps. Dans l'Inde, la concurrence hollandaise ralentit les progrès, et plus encore la mauvaise foi des Anglais qui volèrent leurs créanciers indiens puis saisirent leurs navires et s'attirèrent une guerre désastreuse avec Aureng Zeyb (1688). La compagnie du Levant, très prospère au XVIIe siècle, déclina à cause de la concurrence française. La compagnie de Russie conserva plus longtemps sa prépondérance. Enfin celle des aventuriers marchands, société ouverte, conservait le privilège de l'exportation des laines vers l'Allemagne et les Pays-Bas. A la fin du XVIIe siècle Londres, sans avoir l'importance financière d'Amsterdam, était déjà la ville la plus peuplée d'Europe.

La révolution de 1688 assura la grandeur de l'Angleterre; elle conquit la domination des mers et par là la suprématie commerciale. Elle étendit sans relâche son domaine colonial et appliqua résolument le système mercantile, augmentant la quantité et la qualité des objets d'échange eu développant l'industrie manufacturière dans la métropole, la production agricole dans les colonies. La fabrication de la laine restait sa grande industrie, celle des toiles de lin fut propagée en Irlande et en Ecosse; les prohibitions ne purent triompher des soieries françaises; l'industrie du coton ne se développa qu'après les découvertes d'Arkwright, mais alors l'oppression des manufactures indiennes lui donna un immense essor; les industries métallurgiques n'ont aussi pris leur importance qu'au XIXe siècle, En somme, le développement industriel ne fit que commencer au XVIIIe siècle.

La balance du commerce était certainement en faveur de l'Angleterre et que cependant le change entre Londres et Amsterdam était au désavantage de Londres, en raison simplement de la supériorité financière d'Amsterdam, ou se payaient les arrérages des fonds publics anglais. La contrebande avec l'Espagne et ses colonies était aussi très considérable.

Les progrès de la marine britannique marchèrent parallèlement avec ceux du commerce, surtout lorsque l'exploitation des salines fournit le sel nécessaire pour conserver les poissons et que la pêche de la morue prit son importance. 

L'importance politique de la classe commerciale servit ce développement autant qu'elle en profita, d'autant que l'absurde préjugé du continent qui regardait le commerce comme une besogne inférieure et une dérogation pour la noblesse fut étranger aux Anglais. Le commerce de détail était peu libre, mais le commerce en gros et la banque l'étaient pour tous, Anglais, étrangers ou Juifs. Les agences anglaises établies dans les principaux ports dépassèrent en activité et en audace celles des Hollandais. La création du Board of trade, par Guillaume III, mit au service du pays une administration commerciale permanente qui lui rendit les plus grands services, ne fût-ce que par ses enquêtes, rapports et statistiques. 

L'esprit d'association, très grand chez les Anglais, fut favorisé par le régime de liberté politique, et leurs fortes institutions purent résister aux crises les plus graves. Londres devint, au XVIIIe siècle, le plus grand marché du monde et demeura le contre du commerce anglais; la traite des noirs commença la fortune de Liverpool; le tabac celle de Glasgow; la houille celle de Newcastle. La Banque d'Angleterre fut, dès son origine, la plus considérable du monde; en Ecosse il s'en fonda, à son exemple, un grand nombre, surtout cousacrées au prêt. La facilité des émissions et la trop grande circulation de papier-monnaie eurent des inconvénients et provoquèrent parfois des crises, mais rien ne fat plus favorable au développement du commerce et de l'industrie. La plus célèbre de ces crises, comparable à celle qu'occasionna en France le système de Law, fut occasionnée par la compagnie de la mer du Sud privilégiée en 1711 pour l'exploitation des colonies espagnoles; la contrebande par le navire de l'Asiento ne suffit pas; elle s'engagea dans des spéculations, prit à son compte la dette de l'État, éleva son capital à 37,802,883 livres sterling; les actions avaient haussé de 100 à 900 livres; le krach survint en 1750. Mais ce ne fut qu'un incident.

Le commerce des grains dont l'exportation fut favorisée par des primes, enrichit beaucoup les propriétaires fonciers dans la première moitié du XVIIIe siècle.

Quelle que fut l'importance de la production anglaise, la principale source de sa richesse commerciale vint de ses colonies. Elle les exploita méthodiquement, l'Amérique comme l'Inde, et prohiba aussi rigoureusement que l'Espagne tout établissement industriel qui eût pu diminuer les profits qu'elle en tirait. On sait que cette exploitation fut la cause principale de la scission des Etats-Unis, et elle a laissé des souvenirs profonds dont Carey s'est fait l'interprète en flétrissant passionnément le « Système anglais ».  (A.-M. B).

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