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L'époque
à laquelle vivait Cléomède, écrivain
astronome, est fort incertaine. D'un passage où il est dit que les
étoiles
les plus brillantes du Scorpionet
du Taureau
(Antarès et Aldébaran), diamétralement opposées
l'une à l'autre (à 180° d'intervalle), occupent toutes
deux le quinzième degré (Antarès le quinzième
degré de l'hémisphère austral, et Aldébaran
le quinzième degré de l'hémisphère boréal),
Letronne a cru pouvoir conclure, par suite du
mouvement de la précession
des équinoxes, que Cléomède est moins ancien que Ptolémée.
Mais les données sur lesquelles il s'appuie manquent d'exactitude.
Il est plus probable que Cléomède vivait peu de temps après
Posidonius, dont il était peut-être
le disciple.
Nous avons de Cléomède un
ouvrage intitulé : Théorie circulaire des corps sublimes
(Kuklikh qewria metewrwn),
en deux livres. Il parut d'abord en latin, à Venise,
1498, in-fol. (rare), dans un recueil d'ouvrages astronomiques. La meilleure
édition (texte grec, avec la traduction latine de Balfour) a été
donnée par F. Bake (Leyde, 1820, in-8°). Voici ce que nous y
avons trouvé de plus saillant.
Le monde se compose du ciel, de la Terre
et des créatures (juseis)
qui s'y trouvent; il contient tous les corps, et il n'y a rien en dehors
du monde. Il n'est pas infini, mais fini. Si toute la matière
était réduite en vapeur par le feu, elle occuperait un espace
dix mille fois plus grand; si ensuite cette vapeur venait à être
condensée, elle prendrait un volume beaucoup moindre, en produisant
un vide, qu'un autre corps viendrait aussitôt remplir. Il ne peut
donc pas y avoir de vide dans le monde; dans le vide nos sens ne fonctionneraient
pas (enepodizointo an ai aisqhseis)…
La sphère céleste
est divisée en cinq zones correspondant à celle de la sphère
terrestre : 1° la zone arctique; 2° la zone intermédiaire
entre le tropique d'été et le cercle arctique; 3° la
zone du milieu, comprise entre les deux tropiques (d'été
et d'hiver), et divisée en deux parties égales par la ligne
équinoxiale; 4° la zone intermédiaire entre le tropique
d'hiver et le cercle antarctique; 5° la zone antarctique. Les deux
zones extrêmes (arctique et antarctique) sont inhabitables à
cause de l'extrême froid, et la zone du milieu est inhabitée
à cause de l'extrême chaleur. Les deux zones intermédiaires,
ou tempérées, sont seules habitées; elles se divisent
chacune en deux parties, dont l'une comprend les Périèques
(perioikoi),
ou habitants opposés par les épaules, et l'autre les Antipodes,
ou habitants opposés par les pieds… Quant à la sphéricité
de la Terre, elle est appuyée sur d'excellents arguments, qu'on
fait encore aujourd'hui valoir.
Les planètes
se distinguent, suivant Cléomède, des étoiles
fixes proprement dites en ce que, outre le mouvement général
du ciel, elles ont un mouvement propre,
comparable à celui d'un passager qui va de la poupe à la
proue pendant que le navire sur lequel il se trouve, marche :
" Les astres
fixes, non errants (aplanh),
peuvent être comparés aux passagers qui se tiendraient immobiles
sur le même navire… Les fixes sont innombrables. Quant aux planètes,
il n'en est parvenu à notre connaissance que sept, et il y en a
probablement un plus grand nombre. Le plus élevé (le plus
éloigné du Soleil)
des astres errants (planètes) s'appellent l'Apparent, Fainwn;
c'est l'astre de Saturne,
qui met trente ans à faire sa révolution. Au-dessous de lui
vient le Brillant, Faeqwn,
l'astre de Jupiter,
qui met douze ans à faire le tour du ciel. Au-dessous de lui est
l'Ignée, Puroeis,
l'astre de Mars,
moins régulier dans son mouvement, et qui paraît faire sa
révolution en deux ans cinq mois. Puis vient le Soleil qui, occupant
le milieu, met un an à faire sa révolution à travers
le zodiaque
en produisant les saisons
et le nyctémère en tournant avec le monde. Au-dessous du
Soleil vient l'astre de Vénus,
qui se nomme Hesperus
quand il suit le coucher du Soleil, et Lucifer quand il précède
le lever. Au-dessous de Vénus est l'astre de Mercure,
nommé le Scintillant, Stildwn.
Enfin vient la Lune,
qui est de tous les astres le plus rapproché de la Terre. Elle occupe
les confins de l'air et de l'éther; c'est pourquoi elle paraît
comme un corps opaque, et son hémisphère éclairé
emprunte sa lumière au Soleil; elle fait sa révolution en
vingt-sept jours et demi. Tous ces astres errants ne parcourent pas indifféremment
toutes les parties du ciel; ils se tiennent tous renfermés dans
le zodiaque; c'est là qu'ils décrivent leurs orbites."
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Dans cet exposé
sommaire, on remarque que la durée des mouvements révolutifs
de Saturne et de Jupiter est aussi exacte qu'elle peut l'être quand
on veut l'exprimer en chiffres ronds : 30 ans, au lieu de 29 ans 5 mois
16 jour pour Saturne; et 12 ans, au lieu de 11 ans 10 mois 17 jours pour
Jupiter. Le mouvement révolutif de Mars présente seul un
écart assez considérable : 2 ans 5 mois, au lieu, au lieu
de 1 an 10 mois 11 jours. Le Soleil, compté, comme la Lune, pour
une planète, occupait la place de la Terre, et la Terre la place
du Soleil (au centre du monde).
Les chapitres qui traitent du zodiaque,
de l'écliptique,
de l'inégalité des jours et des nuits, sont écrits
avec la même clarté, à l'exception de certains passages,
évidemment tronqués ou interpolés.
Cléomède s'attache ensuite
à démontrer que la Terre, quelque grande qu'elle nous paraisse
de près, n'est qu'un point comparativement à la grandeur
du monde :
"Si nous
étions, dit-il, placés dans le Soleil, la Terre, ne nous
serait pas visible, à cause de sa petitesse, ou elle nous apparaîtrait
comme une très petite étoile".
Puis il soutient, contre l'opinion des Epicuriens,
que le Soleil est beaucoup plus grand qu'il ne nous paraît à
la simple vue.
Mais le passage le plus remarquable est
relatif à la réfraction
de la lumière. Cléomède a le premier parlé,
en termes explicites, de ce phénomène si important en astronomie
:
"Le rayon
de lumière qui nous arrive à l'oeil quand le Soleil
est à midi ou à son point culminant, ne se réfracte
pas, tandis que le rayon du Soleil à l'horizon se réfracte
en traversant l'air. C'est ainsi que des objets vus sous l'eau nous paraissent
tous différents de ce qu'ils sont réellement. Il y a des
grandeurs ou des distances apparentes, données par des cônes
de rayons réfractés, et qu'il faut distinguer des grandeurs
ou distances vraies. La vue humaine a donc des bornes, qu'il faut prendre
en considération."
En parlant des étoiles fixes, Cléomède
dit que probablement elles sont aussi grandes que le Soleil, que quelques-unes
d'entre elles sont peut-être plus grandes, et que si le Soleil était
plus éloigné de nous, il aurait l'aspect d'une étoile
fixe :
"Quant à
la Lune, elle est aussi, ajoute-t-il, plus grande qu'elle ne nous paraît.
Elle opère dans l'air de grands changements, et tient sous sa dépendance
beaucoup de choses qui se trouvent à la surface de la Terre; c'est
elle notamment qui est la cause permanente du flux et du reflux
de la mer… La Lune tourne autour de son axe en même temps qu'elle
accomplit sa révolution autour de la Terre. Elle ne nous montre
qu'une de ses faces éclairée et toujours la même. Sa
lumière ne vient pas tout entière du Soleil : c'est un mélange
de rayons solaires et de lumière propre."
Cléomède a expliqué avec
une clarté saisissante les éclipses
de Lune et de Soleil. Il est à regretter qu'il n'ait rien dit des
astres chevelus ou comètes.
D'après cette analyse succincte,
il sera difficile, croyons-nous, d'admettre le jugement de Delambre,
auquel adhère Letronne, savoir que "l'ouvrage de Cléomède
est un traité élémentaire, composé par un ignorant
pour le commun des lecteurs [1]".
(Hoefer, 1873). |
[1]
On a attribué à Cléomède un traité De
la Sphère. Les manuscrits grecs, n° 2180 et 2419, de la
Bibliothèque nationale donnent, en effet sous le nom de Cléomède,
un traité de Sphaera (Kleiwmeioous
Metrhsis en tois sjairikois twn ouranwn). Mais
nous nous sommes assuré que c'est tout simplement le second livre
de la Théorie circulaire de Cléomède, auquel
on a donné ce titre spécial. Voilà la cause de toute
l'erreur. |