| Les Journées de Vendémiaire sont un insurrection des sections de Paris contre la Convention, réprimée par Barras et Bonaparte (5 octobre 1795). La Constitution de l'an III avait été acceptée par 1.107.368 votants, contre 49.978. Mais les décrets des 5 et 13 fructidor, en vertu desquels les assemblées primaires devaient d'abord élire des conventionnels dans la proportion des deux tiers, ne réunirent que 205.498 voix contre 108.784 : le chiffre énorme des abstentions montre avec évidence qu'ils furent désapprouvés. A Paris, sur 48 sections, ils n'eurent en leur faveur que celle des Quinze-Vingts, et furent presque partout « refusés à l'unanimité » (sans chiffre de votants). Il y eut à cette occasion quelques timides essais de manifestations royalistes. Quant aux élections législatives, la date en avait d'abord été fixée au 20 fructidor an III, mais il fallut les retarder jusqu'à la proclamation au moins partielle des résultats du plébiscite, et la Convention décréta qu'elles auraient lieu du 20 an 29 vendémiaire an IV. La section Lepeletier protesta par un manifeste daté du 10, auquel adhérèrent 32 autres sections, entre autres celles du Théâtre-Français, de Brutus, de la Halle-aux-Blés, de la Butte-des-Moulins. Trois à quatre cents sectionnaires armés se réunirent au Théâtre-Français (Odéon), malgré le rapport énergique de Daunou (14 vendémiaire). Ouvertement menacée, la Convention fit distribuer des fusils, sur la terrasse des Feuillants, aux patriotes dits de 89, munis d'une carte de sûreté, et donna le commandement de ces défenseurs improvisés au général Berruyer. Le 12, par une pluie torrentielle, les sections poursuivirent leur mouvement, firent battre la générale, répandirent le bruit que la Terreur allait recommencer. Le général Menou, à son corps défendant, alla investir la section Lepeletier sur trois colonnes par les rues Vivienne, Notre-Dame-des-Victoires et des Filles-Saint-Thomas : le représentant Laporte, qui l'accompagnait, lui ordonna de charger 800 sectionnaires rangés devant le siège de la section (place de la Bourse actuelle). Menou s'y refusa, et, de part et d'autres tout se passa en discours. D'après Barras, Merlin (de Douai), Réal, Beaulieu, le général faisait le jeu des sectionnaires; d'après le Mémorial de Sainte-Hélène, sa position était fortement compromise dans la rue Vivienne, dont les sectionnaires armés occupaient toutes les fenêtres. Quoi qu'il en soit, il fut remplacé par Barras, acclamé général en chef le 13 vendémiaire, à minuit un quart. Barras se donna un second, pour le commandement de l'artillerie, dans la personne de Napoléon Bonaparte alors sans emploi, et qui ne paraît pas avoir hésité le moins du monde - quoi qu'il en ait écrit, à Sainte-Hélène - à saisir cette occasion inespérée de figurer au premier plan de la scène politique. Les sectionnaires se vantaient d'avoir vaincu sans combattre; ils n'en nommèrent pas moins un conseil de direction formé de « modérantistes », royalistes masqués ou futurs royalistes pour la plupart dans le nombre, on ne voit toutefois que le journaliste Richer de Serizy qui se soit expressément déclaré contre la République dans son pamphlet l'Accusateur public. Les autres meneurs, les Bertin, Dupont (de Nemours), Fiévée, Lacretelle, Lezay-Marnésia, Michaud, Vaublanc, s'insurgent au nom de la souveraineté du peuple contre la Terreur. Ils mettent hors la loi la majorité des représentants, interceptent les correspondances, font fermer les barrières, s'emparent des subsistances, arment 20.000 gardes nationaux. La Convention ne pouvait compter que sur 5000 défenseurs, y compris les 1500 « patriotes ». L'artillerie, sans troupe de garde pour ainsi dire, était aux Sablons : déjà une colonne à pied de la section Lepeletier allait se saisir des canons lorsque Murat, avec 300 cavaliers, dégagea le pare; à 6 heures du matin, 40 pièces étaient mises en batterie aux Tuileries; 4, place du Carrousel; 1 ou 2 au débouché du Pont-National (Royal), rue Saint-Honoré près l'hôtel Longueville, place du Petit-Carrousel, rue de l'Echelle, etc. En cas de défaite, la retraite était assurée sur Saint-Cloud. Les faubourgs se désintéressaient de la lutte : à peine put-on recruter 200 « patriotes » au faubourg Saint-Antoine. Les sectionnaires avaient pris comme chef Auguste Danican, royaliste masqué, qui, bien qu'il dût toute sa fortune à la République, avait protesté contre les décrets de fructidor, tenté un soulèvement militaire à Rouen, et donné sa démission. Danican fit occuper fortement Saint-Roch, l'hôtel de Noailles, le Théâtre-Français. Mais dans l'action, il montra peu de vigueur près du Pont-Neuf, où il arrivait en forces par les rues de la Monnaie, de Lille, et le quai de la Ferraille : il parlemente avec Carteaux qui peut se retirer indemne; il envoie un émissaire, les yeux bandés, à la Convention, qui, malgré les motions trop conciliantes de Bailleul et de Boissy, décide simplement de déléguer vingt-quatre de ses membres pour éclairer les citoyens sur leur devoir (4 heures après midi). Tout à coup des cris : Aux armes! retentissent; une ambulance est improvisée aux Tuileries. L'action venait de s'engager par des coups de feu partis d'une fenêtre du restaurateur Venua; Barras apprenait qu'un chef de sectionnaires, Lafond, débouchait par le quai Voltaire pour s'emparer du Pont-National. Alors, dit Bonaparte « on donna l'ordre de tirer ». Les assaillants furent refoulés dans l'église Saint-Roch par une pièce de quatre et par un double feu de file : ils tentèrent d'inutiles sorties, et furent massacrés. Rue Saint-Nicaise, Barras tenait tête aux insurgés. Le général Brune, manoeuvrant par cette rue et celle de Rohan, resta maître du Théâtre de la République. Sur les quais, les 3.000 hommes des sections de l'Unité, du Théâtre-Français, de Fontaine-Grenelle, du Bon-Conseil n'arrivèrent pas à faire leur jonction avec les sections du centre : Lafond se fit tuer à leur tête. Les sectionnaires ne perdirent pas d'autre chef : la section Lepeletier, qui avait mis le feu aux poudres, délibérait pendant le combat. Il y eut au total environ 200 victimes. Il y eut encore, pendant la nuit, à démolir quelques mauvaises barricades, et, le lendemain, à disperser quelques rassemblements; le 14 vendémiaire au soir, les spectacles étaient pleins comme à l'ordinaire. Les royalistes qui s'étaient mêlés à l'insurrection ou qui comptaient en tirer parti n'eurent, les uns, pas le courage, les autres, pas le temps de se démasquer, tant la victoire de la Convention - sans intervention populaire, - avait été entière et facile. Mais cette force républicaine, l'armée, allait par une pente fatale aboutir à la destruction de la République. (H. Monin). | |