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L'histoire de la Polynésie Française

Les origines et la période pré-européenne

Les premiers habitants de la Polynésie française sont arrivés au terme de longues migrations à travers l'océan Pacifique. Ces migrations, qui se sont faites par vagues successives pendant plusieurs siècles, ont débuté il y a environ 3000 ans, à partir de l'Asie du Sud-Est. Les Polynésiens sont des navigateurs experts, utilisant des pirogues à double coque et des techniques de navigation reposant sur l'observation des étoiles, des courants marins et des vents.

Les sociétés polynésiennes étaient organisées autour de chefferies (appelées ariki) qui détenaient le pouvoir politique, religieux et économique. Ces chefs étaient généralement des figures héréditaires issues de lignées prestigieuses, considérées comme ayant un lien direct avec les ancêtres et les dieux. La hiérarchie sociale était rigide, avec des classes bien définies : les ariki (nobles), les ra’atira (chefs locaux ou dirigeants intermédiaires), et les manahune (le peuple, souvent constitué de cultivateurs, pêcheurs et artisans).

Les sociétés polynésiennes étaient également très structurées autour de la parenté, avec des clans (mataeina’a) formant les unités sociales de base. Le système religieux était centré sur le culte des ancêtres et des dieux liés aux forces de la nature. Des marae, des temples à ciel ouvert faits de pierres et de coraux, servaient de lieux de culte et de cérémonies importantes.

Les Polynésiens développaient des systèmes agricoles sophistiqués. Ils cultivant le taro, l'igname, la patate douce et d'autres plantes alimentaires adaptées aux conditions locales. Ils maîtrisaient aussi l'élevage de porcs, de poules et de chiens. La pêche et la collecte des ressources marines étaient des activités essentielles, renforcées par des techniques avancées de navigation.

Sur le plan culturel, la musique, la danse, l'oralité et l'art occupaient une place centrale. Les légendes, chants et récits historiques (transmis oralement) servaient à enseigner les valeurs, les histoires des clans, ainsi que les exploits des ancêtres et des dieux. Les tatouages avaient également une signification profonde, marquant le statut social et les étapes importantes de la vie.

Bien que partageant une origine culturelle commune, chaque archipel développa ses spécificités. Par exemple :

• L'archipel de la Société (Tahiti, Moorea, etc.) était l'un des plus densément peuplés. Tahiti, en particulier, était un centre culturel et politique important avec une forte structure hiérarchique dirigée par de puissants chefs.

• Les Marquises, plus isolées, étaient caractérisées par une société divisée en nombreuses chefferies indépendantes, souvent en conflit les unes avec les autres.

• Les Tuamotu, un ensemble d'atolls coralliens, développaient des techniques spécialisées pour s'adapter à l'environnement peu fertile, en se concentrant sur la pêche et la navigation.

• Les Gambier et les Australes, plus éloignées, avaient des structures sociales similaires, mais à plus petite échelle, en raison de leur population moins dense.

Les sociétés polynésiennes entretenaient des relations d'échange, mais aussi de conflit. Des alliances se nouaient entre différentes îles et chefferies, facilitant le commerce de biens comme les plumes rares, les coquillages précieux, ou les outils en pierre. Les guerres étaient également fréquentes, souvent déclenchées par des rivalités pour le contrôle des terres ou des ressources, ou par des querelles dynastiques.

Avant l'arrivée des Européens, les Polynésiens vivaient dans un relatif isolement, bien qu'ils maintenaient des contacts entre les îles grâce à leurs prouesses en navigation. Cet isolement contribua à l'émergence de cultures et de langues distinctes, mais interreliées au sein de la grande famille austronésienne.

La période coloniale

Au cours de la fin du XVIIIe siècle, la Polynésie française devient un point de rencontre pour les explorateurs européens. Tahiti, en particulier, attire l'attention des Européens à partir de l'arrivée des navigateurs britanniques et français. En 1767, le navigateur Samuel Wallis découvre Tahiti, suivi en 1768 par Louis-Antoine de Bougainville, qui baptise l'île Nouvelle Cythère en raison de l'hospitalité et de la beauté de ses habitants. James Cook explore ensuite la région lors de plusieurs voyages entre 1769 et 1777.

À cette époque, Tahiti et les îles environnantes sont gouvernées par des chefferies puissantes. Le roi Pomare I unifie Tahiti sous son autorité au début du XIXe siècle, aidé par les armes et les conseils des Européens. Les missionnaires protestants de la London Missionary Society arrivent en 1797 et commencent à convertir la population au christianisme, entraînant une transformation culturelle profonde avec l'abandon de nombreuses traditions locales et l'éradication de certains cultes.

Face à la concurrence britannique dans le Pacifique, la France cherche à établir son influence dans la région. En 1842, le contre-amiral Abel Aubert Du Petit-Thouars impose un protectorat sur Tahiti après des tensions avec la reine Pomare IV et les missionnaires protestants britanniques. Ce protectorat est étendu aux îles voisines, y compris les îles Sous-le-Vent.

Pendant cette période, la France exerce un contrôle de plus en plus direct sur Tahiti, malgré l'opposition de la reine Pomare IV et de la population locale. Des tensions éclatent en 1844-1847, lors d'une rébellion tahitienne contre les autorités françaises, réprimée par la force.

En 1880, Pomare V, dernier roi de Tahiti, est contraint d'abdiquer sous la pression française. Tahiti et les îles Sous-le-Vent deviennent officiellement une colonie française. L'administration coloniale française s'étend progressivement aux autres archipels : les Tuamotu, les Marquises, les Gambier et les Australes. Ces îles sont intégrées dans la colonie des Établissements français d'Océanie.

La période coloniale se caractérise par une domination politique, économique et culturelle française. Les Européens s'approprient les meilleures terres agricoles, notamment pour la culture du coprah (issue de la noix de coco). Les missionnaires catholiques, soutenus par les autorités françaises, jouent un rôle central dans la société, notamment en matière d'éducation et de santé.

Cette période est aussi marquée par des bouleversements démographiques. L'introduction de maladies européennes comme la variole, la grippe et la rougeole décime la population polynésienne, qui chute dramatiquement. La culture traditionnelle est fortement affaiblie par l'imposition des normes européennes, même si certaines pratiques résistent.

La Seconde Guerre mondiale marque un tournant dans l'histoire de la Polynésie française. En 1940, après la défaite de la France, le gouverneur local et la population se rallient au général de Gaulle et à la France libre. La Polynésie devient une base stratégique pour les Alliés dans le Pacifique, notamment pour le ravitaillement des troupes américaines. Cette période voit l'arrivée de nombreux soldats étrangers, ce qui dynamise l'économie locale et provoque des changements sociaux.

Les chemins de l'autonomie

En 1946, la Polynésie française acquiert le statut de territoire d'outre-mer (TOM) au sein de la République française. Ce nouveau statut accorde aux Polynésiens la citoyenneté française et le droit de vote. Cette période marque aussi les premiers signes de l'émergence d'une conscience politique locale, avec la création de mouvements politiques revendiquant plus d'autonomie, voire l'indépendance.

Dans les années 1950, la Polynésie française reste principalement rurale et son économie repose sur l'agriculture, la pêche, et l'exportation du coprah. Cependant, des transformations sociales et économiques sont en cours, notamment avec l'urbanisation croissante autour de Papeete à Tahiti et les débuts du tourisme. L'influence française reste très présente, mais la société polynésienne évolue vers un mélange entre modernité et tradition, jetant les bases des débats politiques qui marqueront les décennies suivantes. La vie politique locale s'organise autour de partis prônant davantage d'autonomie. En 1957, une nouvelle loi accorde à la Polynésie française un statut d'autonomie interne limitée, avec la création d'une Assemblée territoriale dotée de compétences restreintes.

L'événement le plus marquant des années 1960 est l'installation des centres d'essais nucléaires français sur les atolls de Mururoa et Fangataufa. Les premiers essais atmosphériques débutent en 1966, provoquant une modernisation économique rapide dans la région. L'arrivée massive de personnel militaire et technique entraîne une croissance de l'emploi, de nouvelles infrastructures et une urbanisation accélérée, en particulier à Tahiti et dans les îles environnantes. Cependant, ces essais nucléaires génèrent des tensions importantes. Les impacts environnementaux et sanitaires suscitent des protestations locales et internationales. De plus, ils entraînent une dépendance économique vis-à-vis de la France, et une militarisation de la région. 
 

Les essais nucléaires de Mururoa et de Fangataufa

À partir de 1960, la France a mené des essais nucléaires en Algérie, mais avec l'indépendance de l'Algérie en 1962, un nouveau site était nécessaire pour continuer ces essais. En 1963, la France choisit les atolls de Mururoa et Fangataufa, situés dans l'archipel des Tuamotu, pour établir son centre d'essai nucléaire. Les essais à Mururoa ont commencé en 1966 et se sont poursuivis jusqu'en 1996, période pendant laquelle la France a effectué un total de 193 essais nucléaires, dont 41 tests atmosphériques avant l'interdiction mondiale. Les essais ont inclus des bombes à fission et à fusion, et les scientifiques français ont utilisé ces sites pour tester de nouvelles technologies nucléaires. Les essais ont  été réalisés dans des conditions de secret élevé, avec un contrôle strict de l'accès aux sites et une surveillance limitée des conséquences environnementales. 

Les essais ont suscité de vives protestations, tant au niveau local qu'international. Des manifestations ont eu lieu, en particulier dans les années 1970 et 1980. Au fil des années, des rapports ont émergé concernant des accidents lors des tests, ainsi que des préoccupations sur l'impact sur la santé des travailleurs et des habitants des îles. Des études ont été menées pour évaluer les effets des radiations sur la santé des populations, bien que la France ait toujours minimisé ces risques. Les essais nucléaires ont eu des effets durables sur l'environnement. Les tests ont entraîné des contaminations des sols et des eaux souterraines. Les impacts sur les récifs coralliens et la biodiversité marine ont également été soulevés, bien que les évaluations aient souvent été limitées ou contestées. 

En 1996, la France a annoncé la fin de ses essais nucléaires à Mururoa et Fangataufa. La signature du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) a également marqué la fin de cette période. Après la fin des essais, des initiatives ont été mises en place pour aborder les questions de santé et de compensation pour les personnes affectées. Cependant, les critiques ont souligné le manque de soutien adéquat pour les populations touchées. Aujourd'hui, les essais nucléaires à Mururoa et Fangataufa restent un sujet sensible en Polynésie française. 

À partir des années 1970, les revendications pour plus d'autonomie s'intensifient. En 1977, un statut d'autonomie renforcé est adopté, conférant davantage de pouvoirs à l'Assemblée territoriale. C'est aussi la période où émergent des mouvements indépendantistes, comme le Tavini Huiraatira fondé par Oscar Temaru. Ce parti milite pour l'indépendance de la Polynésie française, en opposition à ceux qui défendent un maintien du lien avec la France.

En 1984, un nouveau statut d'autonomie est adopté, accordant encore plus de pouvoirs aux institutions locales. La Polynésie française devient une collectivité d'outre-mer dotée d'une large autonomie, avec un gouvernement local et un président élu. Le débat sur l'indépendance se polarise autour des élections, avec des alternances fréquentes entre les partisans de l'autonomie et ceux de l'indépendance.

Après l'arrêt des essais nucléaires en 1996, la Polynésie française doit faire face à une transition économique. La fin des financements militaires entraîne une période d'incertitude. La France met en place des compensations économiques à travers le Pacte de Progrès, mais la dépendance financière demeure forte. Les tensions politiques autour de l'indépendance se poursuivent, avec des élections marquées par l'alternance entre les autonomistes et les indépendantistes.

En 2004, la Polynésie française obtient un statut encore plus autonome, devenant une collectivité d'outre-mer avec le titre de pays d'outre-mer au sein de la République française. Ce nouveau statut confère au gouvernement local des compétences élargies, notamment en matière de politique économique et sociale. Cependant, la France conserve la souveraineté sur des domaines clés comme la défense, la justice et les affaires étrangères.

Le début des années 2000 est marqué par une instabilité politique avec des changements fréquents de majorité au sein du gouvernement local. Les tensions entre autonomistes et indépendantistes persistent, mais l'indépendance reste un sujet clivant au sein de la population, avec une majorité qui, à ce jour, semble préférer le maintien du lien avec la France.

Enjeux contemporains

Les années récentes ont vu la Polynésie française confrontée à de nouveaux défis : le développement économique durable, la préservation de l'environnement face aux effets du changement climatique, et la gestion des inégalités sociales. Le tourisme reste une source essentielle de revenus, mais des efforts sont faits pour diversifier l'économie, notamment par le développement de la perliculture et de l'agriculture locale.

En parallèle, la question des réparations pour les conséquences des essais nucléaires reste un sujet sensible. En 2010, la France adopte une loi reconnaissant les conséquences sanitaires des essais et instaurant des indemnisations pour les victimes. Cependant, de nombreuses critiques persistent quant à la lenteur et à l'insuffisance des compensations.

Aujourd'hui, la Polynésie française continue de naviguer entre modernité et tradition. Les débats politiques se concentrent toujours sur l'autonomie, l'identité polynésienne et les relations avec la France. Bien que le mouvement indépendantiste reste actif, les relations avec la France se sont stabilisées.

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