| Le 29 juin 1556, un nouveau vice-roi, D. Andres Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete, faisait son entrée à Lima. Il établit solidement son autorité et n'hésita pas à prendre des mesures rigoureuses contre les anciens fauteurs de désordres, qui furent exécutés ou exilés. Il fonda Cuenca, Santa et Cañete, fit occuper le Chili par son fils, et obtint par des voies pacifiques la soumission du successeur de Manco Inca. Sayri Tupac, resté indépendant à Viticos. Le marquis de Cañete mourut à Lima le 30 mars 1561. Ses successeurs n'eurent qu'à continuer l'oeuvre d'organisation et d'exploitation du pays. L'un d'eux, D. Francisco de Toledo, comte d'Oropesa (1564-1581), divisa le Pérou en corregimientos, mit à la tête des villes un alcalde et des regidores formant le cabildo, et édicta sous le nom de Libro de Tasas un corps de règlement. Il réprima par la terreur, notamment par le meurtre juridique de l'Inca Tupac Amaru, les dernières velléités d'indépendance des Indiens; la population indigène, soumises à des caciques, chargés de percevoir les impôts, fut astreinte entre autres dures obligations à la mitta, par laquelle un septième des Indiens mâles se trouva forcé de servir sur les exploitations et dans les manufactures; une autre partie dut travailler aux mines. Les besoins de la métropole croissant, les impôts et les corvées devaient devenir de plus en plus lourds. En échange de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, du chocolat, du tabac, de la quinine (1628) qu'il envoya, le Pérou reçut le blé, l'olivier, l'oranger, la vigne, la canne à sucre, le cheval, l'âne, le gros et le menu bétail. Ce devait être pour lui, dans l'avenir, une maigre compensation aux exactions des conquérants. Après le gouvernement du vice-roi don Francisco de Toledo, pendant près de deux siècles, l'histoire du Pérou n'offre plus guère d'événements notables, et plutôt que de descendre au détail, nous préférons donner ici la liste des vice-rois ses successeurs-: Martin Enriquez de Almanza (1581-1583); interrègne (1583-1586); Fernando Torres y Portugal, comte Villardompardo (1586-1590); Garcia Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete (1590-1596); Luis de Velasco, marquis de Salinas, comte de Santiago (1596-1604); Gaspar de Zuñiga y Acevedo, comte de Monterey (1604-1606); Juan Hurtado de Mendoza y Luna, marquis de Montesclaros (1607-1615); Francisco de Borja y Aragon, prince de Squillace (1615-1621); Diego Fernandez de Cordoba, marquis de Guadalcazar (1622-1629); Luis Geronimo Fernandez de Cabrera Bobadilla y Mendoza, comte de Chinchon (1629-1639); Pedro de Toledo y Leiva, marquis de Mancera (1639-1648); Garcia Sarmiento y Sotomayor, comte de Salvatierra (1648-1655); Luis Enriquez de Guzman, comte d'Alba de Liste (1655-1661); Diego de Benavides y La Cueva, comte de Santisteban del Puerto (1661-1666) ; Pedro Fernandez de Castro Andrade y Portugal, comte de Lemos (1667-1672); Baltasar de la Cueva, comte de Castellar, marquis de Malagon (1674-1678); Melchor de Liñan y Cisneros, archevêque de Lima, vice-roi par intérim (1678-1681); Melchor de Navarra y Rocafull, duc de la Palata, prince de Masa (1681-1689); Melchor Portocarrero Laso de la Vega, comte de Monclova (1689-1706); Manuel Oms y de Santa Pau, olim de Sentmanat y de Lanuza, marquis de Castelldosrius (1707-1710); Diego Ladron de Guevara, évêque de Quito (1710-1716); Carmen Nicolas Caraccioli, prince de Santo Buono (1746-1720); Diego Morcillo Rubio de Auñon, archevêque de Charcas, viceroi par intérim (1720-1724); José de Armendariz, marquis de Castelfuerte (1724-1736); Antonio José de Mendoza, marquis de Villagarcia (1736-1745); José Antonio Manso, comte de Superunda (1745-1761); Manuel Amat (1761-1776); Manuel de Guirior (1776-1780); Agustin de Jauregui (1780-1785). Sous le gouvernement de cette longue série de vice-rois, les faits saillants à mentionner se réduisent à une révolte d'indiens au Sud-Ouest du lac Titicaca en 1632, la mesure d'un arc de méridien près de Quito par La Condamine, Bouguer, Godin, Jorge Juan et Antonio Ulloa (La Harpe, Le Voyage des géomètres en Amérique du Sud, édition en ligne). En 1736, le grand tremblement de terre qui détruisit Lima en 1746, l'expulsion des jésuites en 1767. Au cours du XVIIIe siècle la vice-royauté du Pérou avait subi plusieurs réductions. Primitivement les pouvoirs du vice-roi ne se bornaient pas au Pérou seul, mais s'étendaient en réalité à l'Amérique du Sud entière. Celui qui en était investi était le supérieur des gouverneurs du Chili, de la province de Quito (Equateur), de celle de Chareas (Bolivie), de la Nouvelle-Grenade, de Buenos Aires et du Paraguay. La Nouvelle-Grenade en 1740, Buenos Aires (Argentine), avec le Paraguay, en 1776, eurent chacun leur vice-roi. Quito et le Chili restèrent seuls rattachés au Pérou. Pendant ces deux siècles, le sort des Indiens avait été en empirant, à mesure que l'Espagne s'épuisait d'argent et le Pérou de travailleurs indigènes. Diminuée des neuf dixièmes, la population indienne, pour satisfaire aux exigences du fisc et des colons, avait été réduite au plus dur esclavage. Des voix s'élevèrent en sa faveur, celle de don Juan de Padilla en 1657, de don Ventura Santalices, de l'Indien Blas Tupac Amaru, du docteur Gurrachategui, évêque de Cuzco (1771-1776). En 1770, le cacique de Tungasuca, José Gabriel Condorcanqui, s'était fait reconnaître par les Espagnols mêmes comme l'héritier du marquisat d'Oropesa, en tant que légitime descendant du dernier Inca Tupac Amaru, mis à mort en 1571. II prit le nom de son ancêtre, puis le 4 novembre 1780, il souleva les Indiens, non pour secouer le joug du roi d'Espagne, mais pour obtenir des conquérants une juste observation des lois édictées à diverses reprises pour la protection des indigènes. Le 17 novembre, il remportait une victoire à Sangarara. Mais il tarda à marcher sur Cuzco, laissa le temps aux Espagnols d'armer des Mulâtres, des Noirs, des Indiens demeurés fidèles. Le 8 janvier, il livra une bataille qui resta indécise, et le 6 avril, après un vain appel à la conciliation, il fut battu à Tinta. Fugitif, livré par trahison avec une partie de sa famille, il fut avec elle condamné aux plus affreux supplices. L'exécution eut lieu à Cuzco le 18 mai 1781. Son cousin Diego Tupac Amaru tint encore quelque temps dans le Sud du Pérou entièrement, soulevé. Il eut la faiblesse de faire sa soumission sur une promesse de pardon général, le 26 janvier 1783. Un an après, les Espagnols lui intentaient un procès sur des prétextes inventés. Le 19 juillet 1783, il fut pendu. La famille des Incas fut exterminée ou alla mourir en prison, dispersée dans diverses colonies et jusqu'en Espagne. 80 000 Indiens payèrent de leur vie cette révolte, mais une fois Tupac Amaru mort, certaines des réformes qu'il avait réclamées s'opérèrent. Le vice-roi Théodore de Croix supprima les corregidors dont les pouvoirs étaient excessifs, divisa le pays en intendencias, subdivisées en partidos, gobernaciones, corregimientos et alcaldias, institua pour les Indiens une cour d'appel à Cuzco. Le vice-roi suivant, D. Francisco Gil de Taboada y Lemos (1789-1796), aussi libéral, permit la publication de la première gazette péruvienne. Mais il était trop tard pour que des adoucissements aussi légers au régime de gouvernement imposé par l'Espagne pussent remédier au mécontentement presque général causé par plus de deux siècles d'application de ce même régime. Les hautes charges du gouvernement étaient, en règle générale, réservées aux seuls Espagnols de la Péninsule. Le commerce, restreint aux échanges entre la colonie et la métropole, ne put se faire pendant longtemps que par les foires de Panama et de Carthagène. Au commencement du XVIIIe siècle, sous le couvert du traité de l'asiento des Noirs et du vaisseau de permission, la contrebande anglaise fit à ces foires une concurrence désastreuse. Les vaisseaux marchands prirent par la voie du cap Horn. Des navires français parurent au Pérou dans les premières années du règne de Philippe V, mais en 1716 des ordres rigoureux interdirent de nouveau dans la colonie tout commerce étranger. A la paix de 1783, un règlement du 12 octobre 1778 fut mis en vigueur, ouvrant librement, mais aux Espagnols seuls, les ports du Callao, de Guayaquil et d'Arica. Il y eut à ce moment un tel afflux d'importations qu'une crise se produisit. L'agriculture était aussi gênée que l'industrie; la culture de la vigne et de l'olivier, la fabrication des draps étaient interdites pour favoriser l'écoulement des produits espagnols. L'instruction, entièrement aux mains des religieux, était à peu près nulle pour les basses classes, très médiocre dans les collèges et les trois Universités de San Marcos à Lima (fondée en 1551), de San Antonio Abad à Cuzco, de San Cristobal à Huamanga (aujourd'hui Ayacucho). Au lieu de favoriser l'immigration, on la gênait par toutes sortes de formalités. Pourtant le chiffre de la population indienne s'abaissait. De 8 millions en 1575, il était tombé en 1794 à 600 000, et les 80 000 Noirs importés d'Afrique ne comblaient pas le vide. En 1796, le recensement indiqua au Pérou 1.076.123 habitants. Les Espagnols d'origine ne comptent pas pour 150.000 dans ce chiffre. On y relève 5496 religieux des deux sexes et 40 336 esclaves. (H. Léonardon). | |