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Cortez
à la Conquête du Mexique
Depuis quelques années,
les Espagnols établis à Cuba
et dans les autres Antilles avaient déjà eu quelques échos
de l'existence de grandes constructions sur le continent, à l'Ouest.
Juan
de Grijalva avait abordé les côte du Yucatan
en 1518.
Cela décida, Diego Velazquez, le gouverneur de Cuba à monter
une nouvelle expédition à destination des côtes mexicaines.
C'est ainsi que Hernan Cortez fut mis en 1519
à la tête de onze embarcations ayant un équipage de
cent dix hommes, portaient plus de cinq cents soldats, trente-deux artilleurs
avec dix pièces de bronze, deux cent cinquante Indiens, dix-sept
chevaux et quantité de munitions. Il aborda au cap Cotoche situé
à 200 kilomètres de là, sur le littoral opposé
du Yucatan.
Comme témoignage
de ses sentiments religieux qui lui concilièrent l'affection du
clergé,Cortez avait fait broder sur le pavillon de sa capitane une
croix rouge pour indiquer que sa tâche consistait autant à
évangéliser qu'à soumettre les Indiens. La flotte
dispersée par une tempête se rallia devant l'île de
Cozumel où se présenta Géronimo de Aguilar qui, étant
depuis longtemps captif dans le Yucatan, en parlait la langue. Il put servir
d'interprète, non seulement dans les relations avec les Mayas,
mais encore dans celles avec les peuples Nahuas, par l'intermédiaire
de Malintzin (la célèbre Marina). Celle-ci, que les Espagnols
eurent la bonne fortune de rencontrer dans le Tabasco, s'attacha à
leur cause et put les renseigner exactement sur tout ce qui concernait
les indigènes, d'autant plus qu'à sa connaissance du maya
et du nahua elle joignit bientôt celle du castillan; elle joua un
grand rôle dans la conquête, à tel point que son son
nom transformé en Malinche, servit chez les Mexicains à désigner
Cortez dont elle eut un fils. Après avoir côtoyé le
Yucatan, les explorateurs, débarqués sur le littoral du Tabasco,
furent assaillis par des milliers d'indigènes et ils ne l'emportèrent
qu'à cause de la terreur inspirée par leurs chevaux alors
inconnus des Indiens. Arrivé à San Juan de Ulua (pour Culua)
le jeudi saint, 21 avril 1519,
Cortez reçut des présents de Montezuma II, roi de Mexico
(Tenochtichtlan) et empereur de la confédération culua; on
le prenait pour un avatar
de Quetzalcoatl ,
à la fois dieu
et évangélisateur du IXe
siècle, venu d'au delà de
l'océan Atlantique et qui avait annoncé aux Mexicains l'arrivée
de dominateurs blancs et barbus. Cortez se garda bien de redresser cette
erreur qui lui donna un prestige dont il avait bien besoin, n'ayant que
quelques centaines d'hommes à opposer à toutes les forces
d'un grand empire.
Sur la route de
Mexico.
Pour s'affranchir
de toute subordination à l'égard de Diego Velasquez, il se
démit de tous les emplois qu'il avait reçus et se fit élire
capitaine général et grand juge de la Villa Rica, fondée
près Puerto de Bernal, à 84 kilomètres au Nord de
l'emplacement actuel de la Vera Cruz. En envoyant à Charles-Quint
tout l'or qu'il avait recueilli, il lui demanda la confirmation de ses
titres. Les partisans de Velasquez eurent beau protester, il poussa jusqu'à
la cruauté l'énergie qu'il mit à les réprimer;
il tenta de s'emparer des navires de Francisco de Garay, qui venait lui
disputer ses conquêtes, et il fit échouer ses propres embarcations
tant pour ôter aux mécontents les moyens de retourner à
Cuba ,
que pour rendre l'équipage disponible et pouvoir l'employer à
terre. II ne montra pas moins d'habileté et de vigueur dans sa politique
étrangère: il se concilia les Totonaques en promettant de
les délivrer du joug des Mexicains, mais quoiqu'il eût besoin
de leur concours, il ne craignit pas de renverser leurs idoles et de les
remplacer par des emblèmes chrétiens. Après avoir
laissé une garnison à la Villa Rica pour assurer ses communications
avec le littoral qui était sa base d'opération, où
il recevait de temps à autre quelques petits renforts, il se mit
en route pour México (16 août 1519),
malgré la défense de Montezuma. Grâce à la supériorité
de ses armes, il mit en déroute les belliqueux Tlaxcaltèques
qui voulaient l'empêcher de passer par leur territoire, et il finit
par s'allier avec eux contre les Culuas, leurs ennemis communs (22 septembre
1519).
Avec un renfort de six mille de leurs meilleurs guerriers, il marcha contre
la ville de Cholula ,
république théocratique soumise à l'empire. Malgré
le brillant accueil qui lui fut fait dans cette grande et splendide cité,
il la mit à sac et fit massacrer trois mille de ses habitants, soit
pour les punir d'un complot, soit pour terroriser ses ennemis. Montezuma
ne s'opposa plus à sa marche et le reçut pacifiquement dans
sa capitale le 8 novembre 1519.
Sept jours après, Cortez le fit arrêter sous le futile prétexte
que la garnison de la Villa Rica avait été attaquée
par Quauhpopoca, fonctionnaire de l'empire, et, tout en le traitant honorablement,
il lui fit verser une somme énorme en reconnaissance de la suzeraineté
de Charles-Quint.
Une nouvelle alarmante
lui parvint au milieu de ces succès inespérés : Panfilo
de Narvaez, chargé par Velasquez de gouverner la Nouvelle-Espagne,
comme on appelait la partie soumise du Mexique, était arrivé
devant San Juan de Ulua avec dix-huit navires portant mille quatre cents
Espagnols, mille indigènes de Cuba ,
quatre-vingts chevaux (23 avril 1520).
Hernan
Cortez avec des forces moitié moins nombreuses (si toutefois
l'on n'y comprend pas les auxiliaires Totonaques, Tlaxcaltèques
et Cholultèques), avait à faire face à ce nouvel ennemi,
tout en tenant en respect les Mexicains indignés de la destruction
de leurs idoles et exaspérés de la tyrannie de quelques centaines
d'étrangers. Il conjura le péril avec une résolution
et une habileté merveilleuses : laissant Mexico à la garde
du gros de ses troupes sous le commandement de Pedro
de Alvarado, il parut avec un détachement de quatre-vingts fantassins
qu'il quadrupla en route, gagna par des présents les gens qui étaient
chargés de l'arrêter, déploya toutes les ressources
d'un juriste consommé pour infirmer les documents qu'on lui opposait
et, par une nuit obscure, il surprit à Cempoallan Narvaez qui perdit
un oeil dans la lutte et fut fait prisonnier (29 mai). II prit à
son service les troupes du vaincu, fit désarmer sa flotte et rentra,
le 24 juin, à México dont les habitants s'étaient
soulevés à la suite du massacre de six cents prêtres
et nobles dans une grande fête (10 mai). Les vivres manquant aux
Espagnols dans la citadelle où ils étaient enfermés
avec Montezuma, il fallut rendre la liberté au prince Cuitlahuac
qui, au lieu de pourvoir à l'approvisionnement des assiégés,
se mit à la tête des insurgés. Le roi, qui jusqu'alors,
malgré sa captivité, avait été respecté
de ses sujets, ne put plus se faire obéir; son cousin Cuauhtemoc
lui lança des projectiles; ce fut un arrêt de mort : le trop
faible et malheureux monarque fut étranglé (30 juin 1520)
par les Espagnols qui ne pouvaient plus se couvrir de son autorité
et qui ne voulaient pas s'embarrasser de lui dans leur fuite. Ils opérèrent
leur sortie par une nuit pluvieuse (la noche triste) du 30 juin
au 1er juillet; l'obscurité leur
fut plus nuisible qu'utile : elle les mit dans l'impossibilité d'utiliser
les armes à feu et les chevaux; ils perdirent non seulement les
trésors dont ils étaient chargés, mais encore six
cents Européens et quatre mille auxiliaires indiens, tués
par les Mexicains ou noyés dans les coupures de la chaussée
de Tacuba, sans parler de deux à trois cents chrétiens restés
dans la ville où ils furent immolés dans les temples.
L'ennemi ne poursuivit
pas vigoureusement les fugitifs et ne leur livra bataille qu'à Otumba.
Cortez donna de sa personne, fut grièvement blessé à
la tête, mais remporta une brillante victoire (7 juillet 1520)
et put gagner Tlaxcala qui lui resta fidèle dans l'adversité.
Il y passa le reste de l'année à se remettre et à
reformer son armée, en y incorporant ceux même que Velasquez
et Garay envoyèrent à plusieurs reprises pour l'attaquer,
et en y joignant cent cinquante mille auxiliaires indiens. Les combats
d'Acatzinco, Tepeyacac, Quecholac, Tecamachalco, Tecalco, Quauhquechollan,
Itzocan, qu'il gagna personnellement ou par ses lieutenants, le rendirent
maître de tout le territoire situé au Sud de la république
de Tlaxcala et assurèrent les communications de Mexico àVera
Cruz par Orizaba. Après avoir loyalement partagé le butin
avec ses alliés et donné congé aux Espagnols désireux
de regagner Cuba ,
il partit à la fin de décembre 1520,
de la ville de Segura de la Frontera, fondée par lui à Tepeyacac,
pour aller assiéger Mexico avec cinq cent cinquante soldats espagnols,
neuf pièces d'artillerie, quarante chevaux et plus de cent mille
auxiliaires Tlaxcaltèques et autres, qui mirent à sac la
magnifique ville de Tezcuco dont le roi et les principaux habitants s'étaient
réfugiés à Mexico. Pendant que l'on construisait à
Tlaxcala et que l'on transportait par pièces treize brigantins pour
les lancer sur le lac de Tezcuco, il soutint les Chalques ses alliés,
opprimés de langue date par les Mexicains, il s'empara de Xaltocan,
de Tlacopan, une des trois capitales de la confédération,
de Cuernavaca, de Xochimilco, où il aurait été tué
si l'ennemi n'eût pas plutôt cherché à le prendre
vivant pour le sacrifier selon les rites. En rentrant à Tezcuco
il découvrit une conspiration formée par Antonio de Villafaña
et de nombreux partisans de Velasquez qui furent pendus. Quelques arrivages
des Antilles avaient notablement augmenté l'effectif espagnol, et
le nombre des auxiliaires indigènes avait été triplé;
tous les alentours des lacs étaient soumis; Tezcuco ayant
fait défection, ainsi que les autres villes et tribus culuas du
voisinage, l'autorité de Cuauhtemoc,
second successeur de Montezuma, ne s'étendait plus au delà
des limites de sa capitale et des têtes de chaussées. Herna
Cortez aurait pu réduire Mexico par la famine, mais il tenait à
s'en emparer le plus tôt possible, de peur d'être devancé
par quelque compétiteur et surtout pour ne pas laisser débander
ses troupes et ses auxiliaires que l'appât du butin seul retenait
sous ses drapeaux.
Les préparatifs
achevés, le premier combat aux avant-postes eut lieu le 31 mai 1521.
Pendant des semaines on continua de s'attaquer par eau ou sur les chaussées,
dont les Espagnols s'emparaient pendant le jour, pénétrant
jusqu'aux murs de la cité, mais qu'ils devaient abandonner la nuit
pour prendre un peu de repos; ils perdirent beaucoup des leurs et éprouvèrent
parfois de si grands échecs que les alliés les abandonnèrent
pour quelque temps. Mais la longueur du siège tint moins aux prodiges
de valeur faits par les Mexicains qu'au désir de Cortez de sauver
les richesses renfermées dans la ville; pour éviter que ses
auxiliaires ne la missent à sac comme Tezcuco, il eût mieux
aimé qu'elle se rendit; aussi fit-il plusieurs fois des propositions
de paix à Cuauhtemoc qui les repoussa
imperturbablement, même lorsque toute la ville eut été
détruite quartier par quartier et que le dernier refuge des assiégés
était un retranchement en bois sur un terrain marécageux
et peu accessible; et après que des centaines de milliers de Culuas
eurent presque tous péri de faim, de misère, par la peste
ou dans les combats, l'empereur tenta de gagner la terre dans une barque
(13 août 1521),
mais il fut reconnu et mené à Hernan
Cortez qui le traita honorablement et qui le maintint sur le trône
sous la suzeraineté de Charles-Quint,
mais le fit vainement torturer quelques jours après pour lui faire
révéler l'endroit où étaient cachés
ses trésors réels ou supposés; car la médiocrité
du butin faisait murmurer les vainqueurs qui soupçonnaient le général
d'en avoir détourné la meilleure part et d'avoir altéré
l'or fondu. Pour les apaiser il les envoya chercher fortune dans les provinces,
qui continuaient d'obéir à Cuauhtemoc, même captif.
Cortez, maître de la confédération culua, reçut
aussi la soumission du royaume de Michoacan, qui jusque-là était
resté indépendant. Il fit occuper la Zapotèque
et la Mixtèque (1521)
par Francisco de Orozco, et il chargea Pedro de
Alvarado de conquérir le littoral de l'océan Pacifique
(1522)
jusqu'au Guatemala (1523).
Ayant ainsi étendu les limites du plus grand empire du nouveau monde,
il put s'attribuer les palais de deux Montezuma, lorsqu'il répartit
l'emplacement de la capitale ruinée entre les conquistadores, avec
charge de reconstruire chacun dans son lot.
Cortez contesté
par les siens.
L'autorité
de Cortez toutefois était bien précaire puisqu'il la tenait
d'un semblant d'élection et non du régent d'Espagne, le cardinal
Adrien, qui au lieu de l'investir avait envoyé au Mexique Cristobal
de Tapia avec le titre de gouverneur. Mais lorsque celui-ci eut débarqué
à San Juan de Ulua (décembre 1521),
les procureurs des trois principales villes fondées par Cortez,
tout dévoués au conquérant le sommèrent de
rester dans son camp, sous prétexte de parer au soulèvement
des indigènes, allèrent trouver le nouveau gouverneur, contestèrent
ses pouvoirs comme n'émanant pas de l'empereur, mais seulement de
S. de Fonseca, président du conseil des Indes, lui achetèrent
des chevaux et un navire au prix qu'il en voulut, lui offrirent des lingots
d'or et le forcèrent de se rembarquer (janvier 1522),
avec des papiers pour sa justification. Les grandes conquêtes que
Cortez avait faites, sans l'appui de ses supérieurs et même
malgré eux, lui procurèrent enfin l'avantage d'être
nommé gouverneur et capitaine général de la Nouvelle-Espagne
(15 octobre 1522);
et affranchi de toute subordination envers Diego Velasquez et même
envers le président Fonseca, son ennemi; enfin de toute compétition
à propos de Panuco, de la part de Francisco de Garay qui, étant
allé le trouver à Mexico, y mourut subitement le 25 décembre
1523.
Mais l'exemple qu'il avait donné fut imité par un de ses
lieutenants, Cr. de Olid, qu'il avait envoyé à la conquête
du Honduras (1523).
A la nouvelle du soulèvement de celui-ci, il chargea A. de Estrada,
Albornoz et Zuazo, de gouverner le Mexique en son absence. Il partit à
la fin d'octobre 1524,
fit un pénible trajet de 500 lieues dans des pays inconnus, traînant
à sa suite Cuauhtemoc et les deux autres
rois de la confédération culua qu'il fit pendre comme conspirateurs
à Acallan dans le Tabasco (1525).
Arrivé au terme de son mémorable voyage, il apprit que le
rebelle avait été mis à mort par ses propres troupes.
Ayant constaté que jusqu'au Honduras il n'y avait pas de communication
entre l'Atlantique et le Pacifique, il songeait à chercher un passage,
lorsqu'il apprit à Truxillo la révolte de Salazar et de Chirinos,
envoyés par lui à Mexico pour prendre la place d'Estrada
et d'Albornoz malade; retardé par des ouragans qui le firent deux
fois rentrer au port, il ne put regagner la Nouvelle-Espagne qu'au bout
d'un an (1526)
et en passant par la Havane. On l'avait cru mort, son retour donna lieu
à de grandes réjouissances. Il redevint tout-puissant jusqu'à
l'arrivée d'un commissaire-enquêteur (1527),
L. Ponce, qui mourut bientôt, désignant pour successeur M.
de Aguilar, qui, peu après, le suivit au tombeau et fut remplacé
par A. de Estrada. Quoique odieusement persécuté par celui-ci,
Hernan Cortez refusa le concours que lui offraient Espagnols et Indiens
pour résister. Il fut pourtant accusé de rébellion,
de désobéissance aux ordres de l'empereur apportés
par Narvaez, Cr. de Tapia, Garay; de fraude au détriment du fisc;
enfin de la mort de sa femme, de Garay, de Ponce et d'Aguilar. Pour se
disculper, il se rendit en Espagne (décembre 1527),
fut reçu triomphalement, comblé d'honneurs, créé
marquis de la vallée d'Oaxaca
(1529),
confirmé dans les fonctions de capitaine général de
la Nouvelle-Espagne, et nommé gouverneur des pays qu'il découvrirait
dans l'océan Pacifique. Il obtint la légitimation des enfants
qu'il avait eus de Malintzin et de plusieurs autres concubines; et il se
remaria avec Juana de Zuñiga, fille du comte de Aguilar.
A son retour au Mexique
(1530),
il subit toutes sortes de vexations de la part de l'Audience présidée
par Nuño de Guzman, qui exerçait le pouvoir civil, et il
dut tourner son activité d'un autre côté. Dès
1527,
il avait envoyé des vaisseaux dans la direction des Moluques; il
en expédia d'autres en 1532
et 1533,
vers le nord, le long des côtes occidentales du Mexique, et il y
conduisit lui-même une flotte et fonda une colonie en Californie
(1534-35),
dont le golfe fut nommé d'après lui; la famine le força
de revenir et, comme le droit de coloniser au nord du Mexique lui était
contesté par le vice-roi Antonio de Mendoza, il lui fut interdit
d'envoyer des renforts à la flotte de Francisco de Ulloa, qui s'était
avancée jusqu'au 30° degré de latitude Nord. Pour faire
trancher ces difficultés et d'autres qu'il avait à propos
de la manière de compter (par feu ou par tête) les vingt-trois
mille Indiens qui lui avaient été recommandés, il
se rendit à la cour (1540),
mais n'y trouva que froideur et indifférence. L'histoire du Mexique
se poursuivra désormais sans Cortez.
La
Nouvelle-Espagne
D'après les observations de Humboldt
et les estimations de H. Bancroft, il y avait au Mexique en 1803,
6 122 364 habitants. qui se divisaient ainsi : 1 097 918 Espagnols, 3 676
281 Indiens, 1 338 706 métis. Il y avait 4 229 prêtres, 3
112 moines, 2 098 religieuses et environ 6 000 soldats. La population était
concentrée surtout sur le plateau de l'Anahuac. La province de Mexico
avait 269 habitants par lieue carrée (lieue mexicaine), celle de
Puebla, 301; celle de Guanajuato 633. Mais la province de Cohahuila et
celle du Nouveau-Mexique n'avaient que six habitants par lieue carrée.
La moyenne pour toute la Nouvelle-Espagne était de 52 habitants
par lieue carrée. Nous n'avons pas de chiffres pour les Noirs, mais
nous savons qu'il y en avait très peu, car le Mexique n'était
pas un pays de plantation, et plusieurs fois des ordonnances avaient défendu
d'y transporter les Noirs, sans doute dans l'intention de ne pas faire
monter le prix des esclaves dans les colonies à plantations de l'Amérique
du Sud .
Il n'y avait que quelques Noirs affranchis ou esclaves autour des ports
de Veracruz et d'Acapulco. Les Indiens étaient principalement des
Aztèques,
des Zapotèques, des Chichimèques,
des Mayas. Dans le Nord, les Apaches
restaient toujours des pillards indépendants. Le nombre des Indiens
soumis avait diminué considérablement, puisque autrefois
les franciscains seuls prétendaient avoir converti 6 millions d'indigènes
de 1524 à 1540;
et alors la Nouvelle-Espagne n'était pas aussi étendue qu'en
1803. Cette diminution avait été
causée surtout par les massacres faits pendant la conquête
et après les révoltes qui l'avaient, suivies.
Créoles
et Gachupines.
On racontait qu'en 1576,
deux millions d'Indiens avaient été massacrés, et
on rapportait plusieurs circonstances où des districts entiers avaient
été dépeuplés. Le nombre des Indiens à
la fin du XVIIIe
siècle semblait en augmentation. Les indigènes étaient
employés comme domestiques, comme ouvriers des champs ou des mines,
comme porteurs. Il n'y avait pas de petits propriétaires : les conquérants
s'étaient partagé la terre en grands domaines (haciendas);
les Indiens et les métis s'engageaient à leur service pour
garder leurs troupeaux, moyennant la nourriture et le vêtement, Les
gens dans cette condition s'appelait peones. Ils étaient
presque serfs, car le propriétaire les gardait sous prétexte
qu'ils n'avaient pas rempli leur engagement. Les Indiens étaient
assujettis à payer une taxe spéciale qui était comme
la marque de leur infériorité. Ils ne pouvaient occuper aucune
espèce de charges. Ils étaient tous chrétiens, souvent
fanatiques et entièrement dans la main des curés de campagne.
Les métis étaient tenus à l'écart par les blancs,
quelle qu'ont été la situation de leurs ascendants européens;
la plupart d'entre eux étaient aussi misérables que les Indiens
et se confondaient avec eux. Mais un certain nombre étaient entrepreneurs,
commerçants; beaucoup habitaient les villes. Cette minorité,
tenue à l'écart par les Blancs, souffrait impatiemment d'être
reléguée à l'écart des placés et de
la société.
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Les
anciennes fortifications du port de Veracruz, au Mexique. Photo
: © Serge Jodra.
Les Blancs eux-mêmes se divisaient
en deux classes rivales, les Créoles ou Blancs nés au Mexique,
et les Espagnols venus d'Europe qu'on appelait Chapetones ou Gachupines.
C'était une maxime de gouvernement de réserver aux Espagnols
toutes les places importantes. Eux seuls étaient vice-rois, conseillers,
officiers de terre et de mer, évêques, abbés. Ces charges
étaient réservées aux cadets des grandes familles
européennes. Les nobles castillans disaient à leurs fils
:
"Choisis
l'Église, la mer, ou la maison du roi ! »
Les Créoles étaient riches,
ils possédaient les concessions minières ou les territoires
donnés à leurs ancêtres. Ils auraient voulu avoir part
au gouvernement. De là leurs rivalités continuelles avec
les Chapetones. Créoles et Chapetones vivaient noblement, c.-à-d.
sans rien faire, dans les villes agréables de l'Anahuac, entourés
de domestiques et d'esclaves - et au milieu d'un luxe très grand
dans les mines et dans les campagnes, il n'y avait guère que des
Indiens ou des métis. La population ne s'accroissait pas par l'immigration
européenne, car le gouvernement espagnol l'enrayait loin de l'encourager.
Il fallait pour aller dans les colonies donner les raisons de son départ
et recevoir une autorisation. En somme, il ne venait d'Espagne que quelques
grands fonctionnaires. La colonie était faite pour enrichir le roi,
pour donner des places à ses nobles, enfin pour être conquise
à la religion catholique. Les franciscains étaient arrivés
aussitôt après la conquête, et ils avaient converti
les indigènes de l'Anahuac; les dominicains
avaient établi leurs missions au Sud dans la province d'Oaxaca et
les pays voisins. Les augustins
s'étaient installés à côté des franciscains.
Enfin au XVIIe
siècle les jésuites
avaient converti les indigènes de la Californie
: ces derniers venaient d'être expulsés du Mexique comme de
l'Espagne. Ces ordres avaient obtenu de grandes concessions de terrains.
Ils s'étaient disputé les générosités
des conquérants et des rois d'Espagne. De là de longues querelles
entre eux; dans le sein de chaque ordre, il y avait eu des disputes entre
religieux créoles et religieux espagnols, le pape avait essayé
de les accorder en ordonnant aux couvents mi-partie d'élire alternativement
un prieur créole et un prieur européen; les disputes avaient
continué; enfin les Créoles et les Espagnols avaient pris
l'habitude d'entrer dans des couvents composés exclusivement de
leurs compatriotes. Les principales difficultés ecclésiastiques
étaient celles qui s'étaient élevées entre
les religieux et le clergé séculier; ces difficultés
ont influé beaucoup sur les idées de Las
Casas. Enfin le pape et le roi d'Espagne avaient ordonné aux
religieux et religieuses d'obéir aux évêques. Les archevêques
et les évêques étaient richement dotés; c'étaient
aussi de puissants personnages qui ne relevaient que du roi d'Espagne.
Tous étaient des Européens, et en 1808
on citait comme une circonstance extraordinaire le fait qu'un seul évêché
du Mexique, celui de Puebla, était occupé par un Créole,
Manuel Gonzalès del Campillo. Une cédule
de 1792 avait ordonné que la
moitié des canonicats des cathédrales seraient donnés
à des Créoles; mais elle ne fut pas observée; on ne
donnait aux créoles que les bénéfices les moins fructueux,
et on leur faisait occuper le dernier rang parmi les chanoines .
Les curés, en majorité créoles, aimaient peu le haut
clergé. Ils tenaient l'état civil et percevaient la dîme.
Leur influence était grande sur les Indiens,: quoique ceux-ci fussent
très dévots, aucun d'eux n'était jamais devenu ni
prêtre ni moine; c'étaient là des situations réservées
aux Blancs.
L'Inquisition
avait été établie à Mexico à la fin
du XVIe siècle.
Elle fit brûler un grand nombre de païens, de relaps et de sorciers
ou sorcières. L'inquisiteur général avait souvent
des conflits de juridiction avec le gouverneur et son conseil; de même
les officieux, tribunaux des évêques, avec les fonctionnaires
civils et militaires; par exemple, la contrebande fut longtemps regardée
comme une hérésie, et jugée par l'Inquisition. Le
clergé, surtout les évêques, étaient riches
et puissants en Nouvelle-Espagne. L'ensemble des privilèges du clergé
s'appelait les Fueros ecclesiasticos.
L'administration
et l'économie de la colonie.
L'administration proprement dite était
peu compliquée. Le Mexique, comme les autres possessions américaines
de l'Espagne, relevait du Conseil des Indes, siégeant à Madrid.
Il formait une des quatre vice-royautés, la vice-royauté
de la Nouvelle-Espagne. Le vice-roi assisté d'un Conseil avait au-dessous
de lui des gouverneurs de provinces assistés également d'un
conseil provincial. Tous ces officiers et les conseillers étaient
nommés par le Conseil des Indes. Les gouverneurs choisissaient des
lieutenants. En 1786, les gouverneurs
de provinces furent remplacés par des intendants assistés
chacun d'un assesseur : chaque intendant réunissait en lui les pouvoirs
politiques, judiciaires, financiers et militaires. Il nommait au-dessous
de lui des subdélégués. Les villes avaient un semblant
de municipalité élue; dans ces municipalités le pouvoir
exécutif était exercé par des alcades ou des corregidors,
à la fois administrateurs et juges; mais ces personnages n'avaient
de pouvoir réel que dans les villes où il n'y avait ni intendants
ni subdélégués, c.-à-d. presque nulle part.
Quant aux Indiens des campagnes, ils formaient des communautés où
les gens d'origine européenne n'avaient pas le droit de s'établir.
Chacun de ces villages était gouverné par le cacique qui
recueillait la taxe, jugeait, partageait le travail. Les caciques étaient,
d'après la loi, sous le contrôle des curés, et c'est
à ceux-ci qu'appartenait en réalité l'influence sur
la population indienne. Le principal revenu du Mexique était les
mines. Elles appartenaient au roi d'Espagne qui en faisait exploiter une
partie et louait les autres à des compapagnies privilégiées
moyennant une part des métaux extraits. De 1765
à 1789, les mines du Mexique
rapportèrent à la couronne 43 641 469 piastres. C'étaient
principalement des mines d'argent, et les plus abondantes se trouvaient
dans les États de Guanajuato, San Luis Potosi et Zacatecas
: de là vient que la province de Guanajuato était en 1803
de beaucoup la plus peuplée du Mexique. L'industrie des mines était
la seule pour laquelle le gouvernement eût fait quelques efforts.
On avait créé une École des mines; on avait envoyé
d'Europe des maîtres mineurs allemands. En 1779,
toutes les ordonnances relatives aux mines furent rédigées
en un seul code. Les mineurs étaient des condamnés aux travaux
forcés ou des engagés. Ils étaient régis par
une police et des tribunaux spéciaux.
L'agriculture se bornait à l'élevage
des troupeaux appartenant aux blancs et surveillé par les peones;
la culture de la vigne ,
de l'olivier, des textiles, du safran était interdite. Le commerce
était comme les mines un monopole de l'État qui le louait
à des compagnies. Chaque année, ces colonies faisaient partir
de Séville ou de Cadix
une flotte, la caravane, qui débarquait à le Veracruz. Ce
fut seulement à partir de 1778
que l'on autorisa le libre commerce d'un certain nombre de ports espagnols
avec le Mexique. Les marchands profitaient de leur monopole pour acheter
à bas prix les denrées coloniales, tabac, cacao, bois précieux,
etc., et pour vendre les objets manufacturiers d'Europe avec des bénéfices
qui atteignaient souvent 300 %. Quelques grands négociants, établis
à Mexico, achetaient toutes les cargaisons à la foire de
Jalapa et les revendaient aux détaillants au prix qui leur convenait.
Pour assurer ces gains énormes, il était interdit aux Mexicains
de travailler les métaux usuels, le bois, etc. L'extraction de l'or
et de l'argent était la seule industrie. |
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