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Pendant
longtemps on ne connut en Europe le Maroc que par la description faite
par un géographe arabe, né à Grenade,
élevé à Fès, et qui, pris par des corsaires
chrétiens, fut emmené à Rome où il se convertit sous le nom de Jean
Léon, dit l'Africain. Il écrivit, vers 1518,
une description de l'Afrique, ouvrage qui souvent fut recopié, par Marmol
notamment. Ensuite les voyages des différents membres d'associations religieuses
pour le rachat des esclaves chrétiens détenus par les sultans aidèrent
à mieux connaître la région du Nord marocain et certaines parties du
royaume de Merrakech (Marrakech). Il convient
de citer à ce sujet les récits des Pères de la Merci, puis les relations
d'esclaves échappés ou rachetés parmi lesquels les plus remarquables
sont celles du sieur Mouette vers 1670
et du sieur de La Martinière, chirurgien à bord d'un vaisseau vers 1674.
En 1666,
un Français, Roland Fréjus, mandataire d'une compagnie commerciale de
Marseille, s'était rendu d'Alhucemas
à Taza, traversant ainsi le Rif dans sa hauteur, voyage qui n'a plus été
effectué pendant plus de deux siècles; enfin les récits d'ambassades,
tels ceux des missions du baron de Saint-Amand en 1683,
et de Pidon de Saint-Olon, en 1694,
envoyés du roi de France, et de Windus, ambassadeur d'Angleterre, en 1725,
résumèrent à la fin du XVIIIe
siècle, avec le bel ouvrage de Louis
Sauveur de Chénier (1785),
consul général de France au Maroc, puis avec le récit du chirurgien
anglais Lemprière, la plus grande somme des connaissances que l'on possédait
alors sur l'empire chérifien.
Dans les premières
années du XIXe
siècle, vers 1803,
l'Espagnol Domingo Badia y Leblich voyagea dans
les royaumes de Fès et du Maroc. Il séjourna
à la cour, à Fès, à Mequinez, à Marrakech, se rendit à Oudjda, puis
revint à Larache
d'où il s'embarqua pour terminer son voyage vers les autres États barbaresques .
Ce personnage, d'origine quelque peu mystérieuse, professait la foi musulmane;
il fut traité avec une grande munificence par la cour chérifienne, et
laissa un ouvrage intéressant qui, à certains égards, donne une excellente
description du pays, des moeurs et coutumes des habitants et en particulier
sur la ville de Fès. En 1825,
A. de Caraman, lieutenant au corps d'état-major, qui accompagnait le consul
de France, Sourdeau, dans un voyage de Tanger
à Fès, leva un excellent itinéraire de la région parcourue; en 1828,
l'illustre René Caillé rentrant de Tombouctou
traversait le Maroc du Tafilalet à Tanger, et, en 1829,
une ambassade anglaise s'étant rendue à Marrakech, l'officier de la marine
britannique qui l'accompagnait fit de même une excellente description
de la route suivie et de la portion de la chaîne de l'Atlas visible de
la ville de Marrakech.
En 1846,
Émilien Renou donna une description géographique de l'empire du Maroc ,
consciencieux ouvrage de compilation qui est une merveille de ce genre;
on y utilisa notamment les renseignements nombreux recueillis par le capitaine
Baudouin, auteur d'une carte du Maroc. Le long séjour que fit dans ce
pays un diplomate éminent, sir John Drummont Hay, lui permit de publier
en Angleterre d'intéressants récits; mais ce fut après la guerre de
Tétouan, après l'expédition espagnole de 1859-60,
que les voyages au Maroc devinrent plus fréquents en embrassant une aire
plus étendue. Nous en citerons les principaux par ordre chronologique.
Gerard
Rohlfs parcourut d'abord la plus grande partie du Maroc septentrional,
grâce à la protection du chérif d'Ouazzan; il se rendit ensuite au Sud
de l'Atlas, puis dans un autre voyage traversa le massif inexploré des
Béni-Meguiled, atteignit le Tafilalet, gagna les oasis de l'extrême Sud
algérien, c.-à -d. le Touât
et le Tidikelt .
Ce fut peu de temps après que le lieutenant-colonel Dastugue publiait
une savante monographie des oasis de l'oued Ziz établie par une série
de renseignements obtenus du Sud oranais.
En 1868,
le botaniste français Balansa se rendait de Mogador à Marrakech, mais
échouait à Imnitanout dans sa tentative d'exploration de la chaîne de
l'Atlas; l'année suivante, Joachim Gatell parcourait le Sous et en laissait
une description succincte, mais fort précieuse. Durant cette même période,
Beaumier, consul de France à Mogador, recueillait d'amples informations
et établissait un itinéraire de Mogador à Marrakech, et de Mogador Ã
Tanger, le long de la côte atlantique. C'est lui qui mit en lumière le
rabbin
Mardochée dont le voyage à Tombouctou
fut remarqué et qui plus tard devait servir de guide à Foucauld. En 1870,
l'expédition du général de Wimpfen à l'oued Guir permit de tracer un
excellent itinéraire de la province d'Oran jusqu'à ces régions alors
peu connues. De 1870
à 1876,
Tissot, ministre de France à Tanger, devait, par une série de recherches
devenues mémorables sur la géographie comparée de la Maurétanie Tingitane,
dresser une carte de Ia partie septentrionale du royaume de Fès.
Ce sera encore à la fin du XIXe
siècle le meilleur document qui existera
de cette région du Maroc. En 1871,
les savants anglais J. Hooker et Ball accomplissaient
un beau voyage; après avoir visité l'extrême Nord du Maroc, ils se rendaient
à Marrakech et, grâce à l'action diplomatique toute-puissante alors
de l'Angleterre à la cour chérifienne, réussissaient à pénétrer dans
certaines parties des contreforts septentrionaux de l'Atlas. Il convient
de citer, en 1878,
les observations astronomiques effectuées entre Tanger et Fès par Desportes
et François, officiers de la marine française, puis le récit pittoresque
de l'écrivain italien de Amicis. Le voyageur Oskar
Lenz, dans sa route vers Tombouctou, traversa entièrement le Maroc
de l'extrême Nord à l'extrême Sud.
En 1880,
le capitaine Colville, de l'armée britannique, accomplit le voyage de
Fès
à Oudjda, route périlleuse que n'avait parcourue aucun Européen depuis
Ali Bey. L'année suivante, le capitaine Trotter, de la même armée, accompagnait
le ministre d'Angleterre dans une mission à Fès et publiait une intéressante
narration. En
1881,
Chavagnac, renouvelait l'exploration du capitaine Colville et, en 1883,
Foucauld, le plus important sans conteste des voyageurs européens au Maroc,
commença son grand voyage qui devait durer près d'un an. Avant lui, les
cartographes avaient à leur disposition 12 208 kilomètres d'itinéraires
jalonnés de bien rares déterminations astronomiques. Ajoutons que la
France laissait déjà apparaître son intérêt spécial pour
le Maroc, et parmi les vingt et un auteurs d'itinéraires au Maroc, susceptibles
d'être à cette époque utilisés pour la confection des cartes, seize
étaient des Français; sur le nombre des kilomètres levés, 9233 l'avaient
été tant par des Français que par deux étrangers patronnés et subventionnés
par le gouvernement français (Ali Bey) ou par la Société de géographie
(le rabbin Mardochée).
Durant son voyage,
Foucauld a doublé pour le moins la longueur des itinéraires déjà levés
au Maroc, il a repris en les perfectionnant 689 kilomètres des travaux
de ses devanciers en y ajoutant 2250 kilomètres nouveaux. Après le courage
et l'héroïsme de ce voyageur, sa science géographique et ses descriptions
géographiques si remarquables, il convient surtout et presque avant tout
d'admirer la série si riche et inépuisable des renseignements statistiques
qu'il donne et qu'il n'a pu se procurer qu'au prix d'une patience inouïe.
Comme contribution précieuse à l'étude du Maroc, il convient aussi d'ajouter
l'ouvrage du capitaine Erkmann, ancien chef de la mission militaire française
détachée auprès du sultan et qui, à ce titre, parcourut certaines parties
inexplorées du pays. Enfin, les voyages du lieutenant Quedenfelt, de l'armée
allemande; en 1886,
celui de Douls dans le Noun, le Draa et le Sous en 1888;
celui de Thomson dans une partie de l'Atlas en
1889; puis les recherches archéologiques et de géographie comparée entreprises
de 1881
à 1891 par La Martinière pour s'efforcer de compléter les travaux de
Tissot, et en dernier lieu le courageux voyage au Tafilalet de l'Anglais
Harris en 1894
permettent de clore la liste des principales explorations au Maroc. Quant
à l'hydrographie marine et à la description nautique des côtes du Maroc,
elles sont dues pour le rivage méditerranéen aux travaux de l'amirauté
française, principalement en 1855,
sous la direction de Vincendon-Dumoulin, et sur la côte atlantique, ce
sont les levers du lieutenant Arlett de la marine britannique qui ont permis
d'établir les cartes. (A19). |