| L'histoire des Latins (c'est-à-dire des anciens habitants du Latium) ne nous est guère connue que dans leur rapport avec Rome. On les regarde comme un mélange d'une population préexistante, les Sicules, avec des envahisseurs venus de l'Apennin central ; le nom d'Aborigines est appliqué tantôt aux conquérants, tantôt au peuple conquis. Il ne subsiste à l'époque historique aucune trace certaine de cette dualité. Les légendes helléniques du cycle troyen font aborder dans le pays des colons troyens commandés par Enée; on ne peut leur reconnaître aucun fondement historique, bien qu'on ait tenté de rapprocher le culte des Pénates de Lavinium de celui des Cabires, si répandu parmi les populations pré-helléniques. Il faut seulement retenir de ces récits le fait que Lavinium exerçait une vieille primauté religieuse. D'autre part, à l'époque où l'on plaçait la fondation de Rome, toutes les traditions s'accordent à représenter Albe comme la métropole du Latium; sa suprématie se traduisait par cette assertion que les trente cités latines étaient ses colonies, tandis que d'autres traditions présentent Ardée, Praeneste, Tusculum comme de fondation antérieure à celle d'Albe. On a proposé d'admettre qu'Albe était la cité du peuple conquérant qui aurait graduellement soumis le reste du Latium. On remarque que, dans la liste donnée par Pline des trente populi Albenses ayant leur centre religieux au mont Albain, ne figure qu'une partie des cités latines parmi lesquelles Bola, Pedum, Toleria, Vitellia au Nord du massif, Corioli, Longula, Pollusca au Sud, tandis que d'autres plus voisines du mont Albain et plus considérables n'y sont pas nommées, Aricie, Lanuvium, Tusculum, etc. Or Caton (ap. Priscian., IV, p. 629) raconte que le temple de la Diane d'Aricie fut fondé en commun par les cités de Tusculum, Aricie, Lanuvium, Laurentum, Cora, Tibur, Pometia, Ardée et les Rutules. Il semble bien en résulter l'existence d'une ligue latine opposée à la ligue albaine et contemporaine. Peut-être seraitce à celle-là que s'appliquerait le nom de Prisci Latini que nous voyons employer au temps des guerres d'Anus Martius et de Tarquin l'Ancien, c.-à-d. après la destruction d'Albe. Quoi qu'il en soit, le nombre de trente paraît avoir été liturgique pour la composition des diverses confédérations latines et peut-être introduit sous l'influence d'Albe, car dans la liste des cités qui traitèrent avec Rome en 493 on retrouve ce nombre. Après la fondation de Rome par la fusion de communautés latines et sabines, la cité nouvelle entra en conflit avec Albe et la détruisit, transplantant sa population sur les rives du Tibre. Les Romains revendiquèrent la suprématie exercée par Albe sur le Latium, mais les autres peuplades la rejetèrent, et c'est alors que paraît la ligue des Prisci Latini des Vieux Latins. Cependant, au temps de Tarquin le Superbe, la suzeraineté romaine était reconnue. Dans le fameux traité de 509 avec Carthage, Rome stipule pour les gens d'Ardée, Antium, Laurentum, Circeii, Terracine et autres cités dépendantes du Latium. Mais bientôt après l'établissement de la république, et peut-être à l'occasion de l'invasion étrusque de Porsenna, les Latins s'affranchirent. Une guerre s'ensuivit, dont le principal événement fut la bataille du lac Régille (496 , représentée par les Romains comme une victoire, et, en 493 Spurius Cassius conclut avec les Latins un traité qui régla leurs relations avec Rome pour plus d'un siècle. La confédération latine (avec ses trente cités), contractait avec Rome sur le pied d'égalité un pacte d'alliance offensive et défensive; il semble que le commandement militaire dût alterner. Cette alliance visait la lutte contre les Eques et les Volsques; on y admit en 486 les Herniques. L'invasion gauloise disloqua cette union; l'anarchie fut un moment complète; non seulement les Latins et les Herniques se séparent des Romains pour s'allier parfois aux Volsques, mais la ligue latine semble dissoute. En 383, Tusculum, Gabies, Labicun tiennent pour Rome, Lanuvium et Praeneste contre elle pour les Volsques. En 380, Praeneste fait isolément la guerre à Rome; de même Tibur en 360. Cependant, la ligue subsistait nominalement, et, en 358, son alliance avec Rome fut renouvelée dans les ternes anciens. Les ennemis séculaires des Latins étaient à peu près épuisés; les Volsques ont reperdu le pays Pantin, d'Antium à Terracine; après le sac de Privernum (329), leur nom disparaît. La victoire ne profitait qu'aux Romains. Après la guerre faite en commun contre les Samnites pour le protectorat de la Campanie, les Latins protestèrent. Ils demandèrent aux Romains ce qu'elle venait d'accorder aux plébéiens, la fusion complète des deux peuples, l'égalité politique et le partage des magistratures. C'était la fin du dualisme romano-latin. Mais il ne pouvait plus se terminer par une transaction tenant la balance égale. La cité du Tibre l'emportait de beaucoup sur la confédération latine. Les demandes apportées au Sénat par les deux préteurs latins Annius de Sotie et Numisius de Circeii furent dédaigneusement rejetées et la guerre latine éclata (340); d'un côté les Latins et les Campaniens qui avaient continué seuls la guerre contre les Samnites, de l'autre les Romains alliés aux Herniques et aux Samnites; Ostie, Laurentum, Ardée se prononcèrent pour Rome; Fundi, Formies restèrent neutres; en revanche, Signia, Setia, Velitrae, Circeii, malgré la présence de colons romains, embrassèrent le parti latin. Les deux consuls' Decius Mus et Manlius se portèrent en Campanie par la montagne et remportèrent une sanglante victoire sur les pentes du Vésuve, aux bords du Veseris. L'armée latine se rallia à Vescia, chez les Aurunces, et fut battue de nouveau. Mais le dictateur 'Crassus échoua devant Antium, un consul devant Pedum (339). En 338, la victoire du consul C. Maenius sur l'Astura et la prise de Pedum par son collègue Furius Camillus terminèrent la guerre. L'une après l'autre les cités latines se soumirent. La confédération fut dissoute et le Sénat romain prit toutes ses mesures pour en empêcher la reconstitution. Les habitants de chaque cité se virent interdire de faire des assemblées générales, de faire la guerre, d'acquérir des propriétés, de contracter mariage (commercium et conubium) dans une autre cité. Les villes voisines de Rome reçurent le droit de cité romaine : Lanuvium, Aricie, Pedum, Nomentum et peut-être Gabies; Tusculum le reçut, mais sans le droit de suffrage; Velitrae l'obtint un peu plus tard. Tibur et Praeneste gardèrent leur indépendance nominale, mais perdirent une grande partie de leur territoire; Velitrae et Antium perdirent tout, Privernum les trois quarts; des colonies romaines y furent établies. La nation latine disparaît ainsi et graduellement s'achève son absorption dans la nationalité romaine. Tout ce que nous savons des Latins, de leurs moeurs, de leur religion, de leurs institutions, est inséparable de l'étude des moeurs, religion et institutions romaines. Il est remarquable que, sauf dans les légendes albaines, il ne soit jamais question d'un gouvernement monarchique les cités avaient un magistrat suprême électif appelé dictateur. On ignore leur constitution intérieure et l'organisation de leur ligne fédérale. Après la conquête romaine, elles durent conserver leurs lois sous le régime municipal. Le nom latin ne disparut pas avec la nationalité et il continua d'être usité pour désigner des catégories particulières de membres de l'Etat romain; la formule socii et nomen Latinum, alliés et Latins, est constamment employée dans l'histoire romaine ultérieure. Mais il ne faut pas oublier que ce nom de Latins s'appliquait non seulement aux Vieux Latins, mais aussi aux habitants des colonies dites latines. Le nomen Latinium comprend maintenant ce qui restait des anciens peuples latins non encore agrégés à la cité romaine et ceux qui avaient reçu le jus Latii comme les colonies de nom latin; mais, parmi les peuples du nom de latin, il s'établit aussi des différences : les uns conservèrent quelques-uns des privilèges de l'antique alliance conclue par Sp. Cassius; les autres, qui peut-être furent d'abord les habitants des douze colonies latines fondées depuis 268, n'eurent pas le droit de battre monnaie, si ce n'est des pièces de cuivre, et ne gardèrent le jus commercii qu'avec des restrictions. De là une distinction entre le Latium majus et le Latium minus qui se répandit beaucoup sous l'Empire. Ce Latium minus ouvrait la cité romaine à ceux des Latins qui avaient géré une charge municipale ou convaincu un magistrat romain de concussion. Ce fut en effet une des habiletés de la politique romaine de s'assurer l'appui des meilleurs éléments des cités latines en octroyant le droit de cité romaine à quiconque avait exercé une charge dans une des cités latines; on le leur donnait également quand ils émigraient à Rome en laissant dans leur cité natale un descendant mâle. Aussi les Latins furent-ils désormais fidèles auxiliaires des Romains. recrutant la moitié de leurs armées, de leurs colonies; les guerres de Pyrrhus et d'Hannibal attestèrent la fusion des deux peuples. Elle fut consommée quand la loi Julia et la loi Plautia Papiria donnèrent à toute l'Italie le droit de cité romaine; le droit civil distinct qu'avaient conservé certaines villes disparut alors. Mais le droit latin (jus Latii) ne disparut pas alors. Il continua de désigner une condition politique inférieure au droit de cité proprement dit et fut conféré par les empereurs à une quantité de cités des provinces. Même après l'admission de tous les sujets libres dans la cité romaine par Caracalla (212), il y eut encore ce qu'on appela Latini Juniani, descendants d'esclaves que des citoyens romains avaient affranchi sans observer les prescriptions légales. Cette dernière distinction fut abolie par Constantin. (A.-M. B.). | |