.
-

La guerre franco-allemande de 1870-1871
Le Traité de Francfort
La cession de l'Alsace-Lorraine et ses conséquences juridiques
Aperçu Origines de la guerre Fin du Second Empire Débuts de la IIIe République Traité de Francfort
On désigne sous le nom de traité de Francfort le traité de paix définitif conclu entre la France et l'Allemagne à la suite de la guerre de 1870-1871, traité signé à Francfort le 10 mai 1871, approuvé par l'Assemblée nationale le 18 du même mois et devenu exécutoire par l'échange des ratifications le 20 mai 1871. Dès le 26 février précédent, les préliminaires de paix avaient été signés à Versailles par les plénipotentiaires des deux nations : Thiers, chef du pouvoir exécutif de la République française, et Jules Favre, ministre des affaires étrangères, pour la France, et, pour l'Allemagne, Bismarck, chancelier de l'empire germanique et les représentants de la Bavière, du Württemberg et du grand-duché de Bade. Le 3 mai suivant, l'Assemblée nationale, « subissant les conséquences de faits dont elle n'était pas responsable », ratifiait les préliminaires de paix arrêtés entre les deux belligérants. 

Aux termes de ces préliminaires, la France renonçait en faveur de l'empire allemand à tous ses droits sur les territoires situés à l'Est d'une ligne de démarcation minutieusement décrite et partant de la frontière Nord-Ouest du canton de Cattenom vers le grand-duché de Luxembourg pour se diriger vers le canton de Belfort, cette dernière place forte et un rayon à déterminer ultérieurement autour de ladite ville devant rester à la France. La France s'engageait à payer à l'empire d'Allemagne une indemnité de guerre de 5 milliards de francs payable à des époques déterminées, l'évacuation du territoire français par les troupes allemandes devant aussi se produire à des dates prévues par la convention. L'article 7 des préliminaires portait que l'ouverture des négociations pour le traité de paix définitif à conclure sur la base des préliminaires aurait lieu à Bruxelles immédiatement après la ratification de ces derniers. En exécution de cet article 7, les négociations s'ouvrirent entre les représentants des deux puissances et aboutirent après de longues et laborieuses discussions au traité de Francfort qui porte les signatures de Jules Favre, Pouyer-Quertier et de Goulard pour la France, et du prince de Bismarck et du comte Harry d'Arnim pour l'Allemagne.

Le texte du traité de Francfort différait sur certains points importants des préliminaires arrêtés entre les deux nations comme base de la paix définitive. Dans leur article 3, les préliminaires déterminaient avec précision les dates successives de l'évacuation du territoire. Les événements de la Commune avaient rendu l'Allemagne plus exigeante dans les garanties par elle réclamées pour l'exécution du traité de paix, et l'article 7 du traité de Francfort laissait à l'appréciation du gouvernement allemand le pouvoir de déterminer le moment de l'évacuation des départements de l'Oise, Seine-et-Marne, Seine et des forts de Paris, stipulant que cette évacuation aurait lieu « quand le gouvernement allemand jugerait le rétablissement de l'ordre tant en France que dans Paris suffisant pour assurer l'exécution des engagements contractés par la France », l'évacuation devant cependant, dans tous les cas, avoir lieu lors du payement du troisième demi-milliard de l'indemnité de guerre. 
-


L'Alsace, devenue un boulet de l'Allemagne. 
(Dessin de Cham).

Différant encore sur ce point du texte des préliminaires, le traité de Francfort accordait dans son article 1 l'option au gouvernement français entre une augmentation de territoire autour de Belfort et la cession de territoires le long des limites occidentales de Cattenom et de Thionville. Dans la discussion relative à l'approbation du traité de paix, l'Assemblée nationale, sur l'insistance de Thiers et touchée des considérations d'intérêt stratégique qui lui étaient soumises par le chef du pouvoir exécutif, se décida à profiter de cette option.

En même temps qu'il réglait la cession de certains territoires et les dates de l'évacuation et du payement de l'indemnité de guerre, le traité déterminait la situation à venir des habitants des territoires cédés par la France. D'après l'article 5 des préliminaires, les intérêts de ces habitants devaient, en ce qui concernait leur commerce et leur droit civil, être réglés aussi favorablement que possible dans le traité définitif. Le gouvernement allemand s'engageait en outre à n'apporter aucun obstacle à leur libre émigration et à ne prendre aucune mesure atteignant leurs personnes ou leurs propriétés. Fidèle à cet engagement, le traité de Francfort contenait dans son article 2 la disposition suivante : 

« Les sujets français, originaires des territoires cédés, domiciliés actuellement sur ce territoire, qui entendront conserver la nationalité française, jouiront jusqu'au 1er octobre 1872, et moyennant une déclaration préalable faite à l'autorité compétente, de la faculté de transporter leur domicile en France et de s'y fixer sans que ce droit puisse être altéré par les lois sur le service militaire auquel cas la qualité de citoyen français leur sera maintenue [...]. » 
En outre, l'article 11, aux termes duquel les deux gouvernements devaient prendre pour base de leurs relations commerciales le régime du traitement réciproque sur le pied de la nation la plus favorisée, déclarait que « sont compris dans cette règle l'admission et le traitement des sujets des deux nations ainsi que de leurs agents ».

Il semblait que la clarté de ces textes ne dût laisser aucune place au doute, et que seuls devaient être atteints par la dénationalisation les sujets français à la fois originaires des provinces démembrées et domiciliés dans ces provinces au moment de leur annexion à l'Allemagne. C'est ainsi que, dans un rapport fait à l'Assemblée nationale le 19 juin 1871, était interprété l'article 2 du traité franco-allemand. Mais, à la suite d'observations présentées par les plénipotentiaires allemands, une convention additionnelle du 11 décembre 1871, étendant les termes du traité, considéra comme dénationalisés tous les sujets français « originaires » des provinces cédées, que ces derniers fussent ou non « domiciliés » dans lesdites provinces. L'Allemagne alla plus loin encore dans ses prétentions. 

Dès les premiers jours qui avaient suivi la convention additionnelle du 11 décembre 1871, le comte d'Arnim, ministre des affaires étrangères de l'empire germanique, avait reconnu que par ce mot, « originaires des territoires cédés », il fallait entendre seulement les individus « nés sur ces territoires » et non ceux qui sont issus de parents nés en Alsace-Lorraine ni ceux qui résident simplement dans ce pays ; mais cette interprétation libérale du traité de Francfort ne tarda pas à être abandonnée. Le gouvernement allemand considéra, et n'a cessé de considérer depuis cette époque, comme devenus sujets allemands, et les Français nés de parents alsaciens-lorrains en dehors des provinces annexées, et les Français qui, nés en dehors de l'Alsace-Lorraine, y résidaient au moment de l'invasion.

La jurisprudence des tribunaux français, et l'opinion unanime de nos jurisconsultes, ont protesté contre les prétentions de la chancellerie allemande et, depuis vingt ans, elles ont invariablement admis comme étant restés Français, et sans condition d'option, les individus non originaires d'Alsace-Lorraine, simplement domiciliés dans les provinces cédées au moment de l'invasion, et de même ceux qui, n'étant pas nés en Alsace-Lorraine, étaient simplement issus de parents nés dans ce pays.

C'est avant le 1er octobre 1872 que les divers intéressés devaient, suivant l'article 2 du traité de Francfort, faire la déclaration exigée pour être maintenus dans la nationalité française, mais la convention additionnelle du 11 décembre 1871 prorogea jusqu'au 1er octobre 1873 le délai imparti pour l'option en faveur des intéressés résidant hors d'Europe. Les Alsaciens-Lorrains domiciliés dans les provinces annexées devaient faire leurs déclarations d'option devant les autorités allemandes du lieu de leur domicile (directeur de la police à Strasbourg et à Metz et directeur d'arrondissement dans les autres localités). Les intéressés résidant en dehors du territoire allemand devaient faire leur option en France à la mairie de leur domicile, ou à l'étranger devant la chancellerie diplomatique ou consulaire française, cette dernière déclaration pouvant être remplacée par l'immatriculation à une de ces chancelleries. Tous les trois mois le gouvernement français devait notifier au gouvernement allemand, par la voie diplomatique, la liste nominative des optants. 

Pour conserver la nationalité française, la déclaration d'option n'était pas toujours suffisante. Les originaires d'Alsace-Lorraine qui, lors de l'invasion, avaient leur domicile dans les provinces annexées, devaient transporter leur domicile en dehors de ces provinces. Ce transfert de domicile était impérieusement exigé par l'autorité allemande. Il devait être effectif et réel. Une simple déclaration d'élection de domicile adressée à un maire d'une commune française n'était pas suffisante. Le gouvernement allemand a même exigé, pour considérer une option comme valable, que le transfert du domicile de l'optant ait été effectué avant le 1er octobre 1872, tandis que le gouvernement français avait reconnu la parfaite régularité de l'option, l'optant ayant transféré son domicile en France même après cette date.

De sérieuses difficultés se sont élevées au sujet de l'option des mineurs, des femmes mariées et des autres incapables, et sur ce point encore les deux gouvernements donnent au traité de Francfort et à la convention additionnelle du 11 décembre 1874 une interprétation différente. Aux termes de l'exposé des motifs du projet de loi approuvant cette dernière convention, « l'option de la nationalité est faite, en ce qui concerne les mineurs, avec l'assistance de leurs représentants légaux et dans les délais ordinaires ». 

On pouvait donc penser que le mineur pouvait faire une option personnelle et séparée avec la simple assistance de ses représentants légaux. Mais une fois la convention additionnelle du 11 décembre 1871 approuvée par l'Assemblée nationale, le gouvernement allemand soutint que les mineurs non émancipés, nés ou non nés en Alsace-Lorraine, n'avaient pas le droit d'option, qu'ils ne pouvaient opter ni par eux-mêmes ni par leurs représentants légaux en se séparant de ceux-ci, et que, si leurs parents étaient encore en vie, ils suivaient de droit la nationalité du père, suivant au contraire la nationalité de leur tuteur en cas de décès de leurs parents. Il prétendait, en outre, qu'il devait en être de même du mineur émancipé né en Alsace-Lorraine. Quant aux mineurs émancipés qui ne sont pas nés en Alsace-Lorraine, la chancellerie allemande reconnaissait qu'au point de vue du droit d'option ils devaient être assimilés aux majeurs. 

Malgré l'interprétation inattendue donnée par l'Allemagne à la convention additionnelle du 11 décembre 1871, la jurisprudence des tribunaux français n'a pas cessé d'attribuer aux mineurs émancipés ou non le droit d'option qui leur était contesté de l'autre côté de la frontière, à condition toutefois que ces mineurs soient assistés de leurs représentants légaux. Elle a même ouvert, conformément à la circulaire du garde des sceaux du 30 mars 1872, un double mode d'option en faveur du mineur. D'une part, le mineur pouvait se présenter lui-même et faire sa déclaration d'option, avec l'assistance de son père, tuteur ou curateur. D'autre part, si le père tuteur ou curateur avait lui-même à opter, il pouvait faire une déclaration d'option collective tant en son nom personnel qu'au nom du mineur par lui représenté.

Cependant, comme le gouvernement allemand contestait la validité de l'option personnelle du mineur, même faite avec l'autorisation et l'assistance de ses représentants légaux, si ces représentants légaux du mineur n'avaient pas eux-mêmes réclamé la nationalité française, une circulaire du ministre de la guerre du 7 juillet 1874 porte que les jeunes gens placés dans ces conditions ne devront être inscrits sur les tableaux de recensement dressés pour le recrutement militaire que s'ils en font personnellement la demande, « ces jeunes gens s'exposant, en entrant dans les rangs de notre armée, à être poursuivis comme réfractaires par l'autorité allemande s'ils retournent dans leur pays d'origine ».

Comme le mineur, la femme mariée suit, aux yeux de la chancellerie allemande, le sort de son représentant légal, son mari. Elle est donc française ou allemande, suivant que son mari a ou non opté pour la nationalité française. Au contraire, pour la chancellerie française et suivant la jurisprudence unanime de nos tribunaux, la femme mariée a le droit, avec l'assistance de son mari, de faire une option personnelle, même dans le cas où son mari s'est refusé à faire pour lui-même cette option. Les autres incapables tels que les aliénés, les interdits légaux ou judiciaires, les personnes pourvues d'un conseil judiciaire sont considérés par l'Allemagne comme inhabiles à choisir leur patrie et comme n'ayant pas le droit d'option. En France, la doctrine, à défaut de la jurisprudence qui n'est pas encore formée sur cette question, a une tendance à faire une distinction. Elle reconnaît aux interdits légaux et aux individus pourvus d'un conseil judiciaire le droit d'option qu'elle considère comme un droit attaché à la personne même. Quant aux aliénés et aux interdits judiciaires, elle leur refuse ce droit, les uns et les autres étant dépossédés du droit d'administrer leur personne.

Contrairement à tous les principes du droit civil qui donnent à l'autorité judiciaire le droit exclusif de statuer sur les questions de nationalité, l'Allemagne a accordé à l'autorité administrative le droit de décider sur la validité des options. Elle a laissé cependant aux intéressés une double voie de recours contre les décisions prononçant la nullité d'une option : le recours administratif au moyen d'une pétition adressée au président du district, puis, en cas d'échec, au président supérieur, et, en cas de second insuccès, au chancelier de l'Empire. Les annulations d'option ainsi prononcées ont toujours été considérées en France comme sans autorité et sans portée lorsque les tribunaux français ont eu à statuer sur la validité de ces options en France.

Tout Alsacien-Lorrain qui n'a pas opté dans les délais fixés pour la nationalité française est devenu Allemand à l'expiration de ces délais; mais le droit de recouvrer sa nationalité lui restera largement ouvert par l'article 18 du Code civil  modifié par la loi sur la nationalité des 26-28 juin 1889. S'il veut être réintégré dans sa qualité de Français, il doit transférer son domicile en France et faire à la mairie sa déclaration de domicile qui doit être inscrite sur les registres de l'état civil, puis adresser au garde des sceaux une demande sur papier timbré à l'effet d'obtenir son autorisation de séjour avec réintégration dans la nationalité française. Cette demande doit être accompagnée de l'expédition de l'acte de déclaration de domicile, de l'acte de naissance et de la consignation de la somme nécessaire pour faire les frais de la chancellerie (175 F environ). 

Il est fait remise de ces frais aux indigents. Sur la production de ces pièces à lui transmises par l'intermédiaire du préfet, le garde des sceaux fait procéder aux instructions et enquêtes qu'il juge nécessaires et, sur sa proposition, le président de la République rend un décret qui réintègre l'impétrant dans sa qualité de citoyen français. La qualité de Français peut être accordée par le même décret à la femme et aux enfants majeurs de l'impétrant, s'ils en ont fait la demande. Quant aux enfants mineurs du père ou de la mère réintégrés, ils deviennent Français, à moins que dans l'année qui suit leur majorité ils ne déclinent cette qualité en se conformant aux dispositions de l'art. 8, § 4, de la loi des 26-28 juin 1889. L'Alsacien-Lorrain ainsi réintégré dans sa qualité de Français n'est considéré en Allemagne comme redevenu Français que si son émigration de fait a été suivie d'un séjour de dix ans non interrompu à l'étranger, ou s'il a, obtenu de l'autorité allemande un permis d'émigration et transféré son domicile en France dans le délai de six mois à partir de la date de ce permis.

En dehors des questions relatives à la cession de territoires, au paiement d'une indemnité de guerre, aux délais de l'occupation et à la nationalité future des Alsaciens-Lorrains, le traité de Francfort et la convention additionnelle du 11 décembre 1874 réglaient de nombreuses questions relatives aux archives, documents et registres de l'administration civile, militaire et judiciaire des provinces annexées; à la cession de la partie du chemin de fer de l'Est, exploitée sur le territoire cédé; aux casiers judiciaires; aux actes de l'état civil; aux douanes; à la navigation internationale; aux officiers ministériels; aux brevets d'invention; à l'exécution des jugements, etc. De nombreuses et sérieuses difficultés se sont élevées entre les deux gouvernements au sujet du sens à donner à certaines de ces stipulations. Les deux difficultés les plus graves sont celles qui se réfèrent aux compagnies françaises d'assurances fonctionnant en Alsace-Lorraine et au régime des passeports rétabli par l'administration allemande à l'entrée de l'Alsace-Lorraine.

Avant 1881 rien n'avait pu faire croire que les compagnies d'assurances françaises, fonctionnant dans les provinces annexées, pussent être inquiétées. Bien loin de les troubler dans leur exploitation, le gouvernement allemand en reconnaissait hautement la validité. Le 29 juillet 1872, le préfet de Strasbourg avait notamment déclaré dans un arrêté que rien n'entraverait les opérations des compagnies étrangères dans les pays d'Empire, à la charge par elles de remplir certaines conditions auxquelles elles s'étaient d'ailleurs empressées de se soumettre. Mais, le 11 mars 1884, le sous-secrétaire d'Etat à l'intérieur prenait un arrêté aux termes duquel « les sociétés étrangères ne pouvaient être considérées comme personnes juridiques et. ne pouvaient opérer en Alsace-Lorraine que si elles y étaient expressément autorisées, soit par ordonnance du souverain, soit par des conventions internationales avec les pays dont elles sont originaires ». Comme l'arrêté du sous-secrétaire d'Etat ajoutait que cette décision n'était pas applicable aux compagnies d'assurances domiciliées en Autriche, Belgique, Italie, Angleterre et Suisse, il en résultait que l'arrêté visait presque exclusivement les « sociétés d'assurances françaises ». 

C'était là d'ailleurs le but poursuivi et, le 1er mai 1881, 59 sociétés françaises d'assurances cessèrent leurs opérations en Alsace-Lorraine. L'article 11 du traité de Francfort, relatif à la clause « de la nation la plus favorisée », condamne cependant les prétentions de l'autorité allemande, prétentions qu'ont sanctionnées les décisions des tribunaux de l'empire germanique. Suivant cet article 11, l'admission et le traitement des sujets des deux nations, ainsi que de leurs agents, sont compris dans cette règle de la nation la plus favorisée. Or, le traité de commerce conclu le 22 mai 1881 entre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie stipule formellement que « les sociétés par actions, les sociétés en commandite et les compagnies d'assurances de toute sorte, existant légalement dans l'un des Etats contractants, sont admises dans l'autre à exercer leur industrie et à faire valoir leurs droits en justice dans les conditions des lois et des règlements qui y sont en vigueur ». N'était-il pas d'une justice absolue, n'était-il pas conforme à la lettre et à l'esprit du traité de Francfort de laisser les compagnies d'assurances françaises établies en Alsace-Lorraine exercer librement leur industrie dans les provinces annexées? 

La cour suprême de l'empire germanique a semblé le reconnaître dans un arrêt du 14 avril 1882. Elle y admet en principe que l'expression de sujets, insérée à l'article 11 du traité de Francfort, doit s'entendre aussi bien des personnes morales comme les sociétés commerciales et les compagnies d'assurances que des personnes physiques; mais l'arrêt de la cour suprême de Leipzig, tout en faisant cette déclaration, n'a pu casser la décision judiciaire rendue en sens contraire qui lui était soumise, ses attributions ne lui permettant de casser que les décisions ayant violé une loi d'Empire ou bien une loi dont l'application s'étend au delà du ressort d'appel. C'est donc l'interprétation défavorable aux droits des compagnies d'assurances françaises qui a prévalu et qui prévaut encore devant les tribunaux allemands, et sur ce point encore les stipulations favorables du traité de Francfort ont été méconnues.

Ces stipulations n'ont pas été plus respectées dans la question des passeports. L'admission et le traitement des sujets des deux nations devaient être régis d'après l'article 11 du traité de Francfort par la clause de la nation la plus favorisée. Les nationaux français pouvaient donc croire que, comme les nationaux des autres pays, ils avaient le droit de franchir la frontière allemande d'Alsace-Lorraine sans être assujettis à la formalité des passeports. Il en fut ainsi pendant les premières années, et la circulation comme le séjour des Français en Alsace-Lorraine ne furent pas sensiblement entravés; mais, dès 1882, des mesures prohibitives commencèrent à être prises. Elles s'appliquèrent d'abord et exclusivement aux militaires français qui furent tenus de faire une déclaration de séjour en Alsace-Lorraine quand ils se rendaient, même pour un court séjour, dans les provinces annexées. 

En 1886, ce ne fut plus seulement une déclaration de séjour qui fut exigée d'eux, c'était une autorisation régulière de séjour qu'ils furent obligés de deman der pour pouvoir séjourner en Alsace-Lorraine. En 1887, un arrêté du 29 mars étendit à tous les Français indistinctement, militaires ou non militaires, l'interdiction de séjour sans autorisation de l'autorité allemande. Enfin, un arrêté pris le 22 mai 1888 par le ministre d'Alsace-Lorraine vint inaugurer une ère nouvelle de sévérité. Tous les étrangers arrivant par la frontière française, qu'ils fussent simplement de passage ou qu'ils dussent séjourner dans les provinces annexées, devaient désormais être porteurs d'un passeport portant le visa de l'ambassade d'Allemagne à Paris. Ce visa ne devait pas remonter à plus d'un an. A défaut d'un passeport, ils ne pouvaient continuer leur voyage, et, s'il était nécessaire, ils étaient reconduits à la frontière. 

Seuls, les sujets allemands arrivant par la frontière française étaient dispensés de la formalité du passeport. A la condition d'être porteurs d'un passeport régulier, les Français, dont le séjour dans les provinces annexées ne devait pas durer plus de huit semaines, n'avaient pas besoin d'une autorisation de séjour. Si la durée de leur séjour devait excéder huit semaines, le président de la circonscription pouvait à titre exceptionnel leur délivrer l'autorisation nécessaire. S'il désirait s'arrêter plus de vingt. quatre heures dans une localité, le voyageur français était tenu dès son arrivée d'avertir le maire de la localité (à Metz et Strasbourg, le directeur de la police) et de lui soumettre son passeport. L'autorité allemande avait le droit d'exiger qu'il se présentât en personne.

Les personnes faisant partie de l'armée active, les officiers de réserve ou de l'armée territoriale, les anciens officiers et les élèves des écoles françaises organisées militairement ne devaient pas se borner à produire un passeport, mais se munir en outre d'une autorisation spéciale qui devait leur être accordée par le directeur de l'arrondissement ou le directeur de la police, mais dans des cas exceptionnels, pour affaires urgentes et pour un temps très limité. Exception était faite pour les Français qui, avant le 10 avril 1887, avaient constamment résidé en Alsace-Lorraine et pour ceux qui, y possédant des immeubles, y résidaient une partie de l'année. 

Le visa donné par l'ambassade d'Allemagne à Paris n'était accordé qu'après une enquête faite auprès des autorités locales d'Alsace-Lorraine, à moins que la personne demandant le visa ne fût déjà munie d'un permis de séjour en Alsace-Lorraine délivré par ces autorités. Ces mesures déjà violentes par elles-mêmes, et contraires au traité de Francfort, furent aggravées encore par la rigueur avec laquelle elles furent mises à exécution. Le gouvernement français protesta contre ces exigences, mais de 1888 à 1891 c'est à peine s'il put obtenir quelque adoucissement dans l'application de ces prescriptions si peu en harmonie avec les moeurs de l'époque et les habitudes des relations internationales. Ce n'est que par une décision de septembre 1891 que l'obligation du passeport a été enfin supprimée. (Edouard Serre).

.


[Histoire politique][Biographies][Cartothèque]
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2012. - Reproduction interdite.