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L'accroissement
prodigieux de l'autorité monarchique est le grand fait politique
de l'histoire de France pendant le XIIIe
siècle ou, pour mieux dire, pendant la période qui s'étend
depuis les conquêtes de Philippe-Auguste
jusqu'au commencement de la guerre
de Cent ans. Voyons d'abord comment s'accrut le domaine royal.
L'accroissement du domaine
royal
A Richard
Coeur de Lion avait succédé Jean
sans Terre, type de despote insolent, cruel et vicieux; l'affaire de
l'enlèvement d'Isabelle Taillefer brouilla le roi
d'Angleterre avec les barons poitevins, qui en appelèrent à
Philippe-Auguste. Celui-ci fit condamner son vassal par sa cour, et en
exécution du jugement s'empara de la Normandie,
de l'Anjou et de la Touraine
(1202-1206). La lutte entre les rois de
France et les rois d'Angleterre dura jusqu'en 1259, coupée par
des trêves éphémères. En 1213 et en 1216, Jean
sans Terre faillit même être chassé de son trône.
Finalement, par le traité de Paris
de 1259, le roi d'Angleterre Henri III
abandonna pour toujours la Normandie, l'Anjou, le Maine et le Poitou
et garda le Limousin, le Quercy
et le Périgord, qui formèrent
la partie septentrionale du duché de Guyenne.
L'empire angevin
était ruiné; la royauté capétienne avait en
sa puissance les embouchures de la Seine
et de la Loire.
A ses conquêtes sur Jean sans Terre, l'actif Philippe-Auguste avait
ajouté l'Artois, l'Amiénois,
le Valois, le Vermandois,
une partie du Berry, les comtés de Clermont,
de Beaumont et d'Alençon, l'Auvergne
et avait placé sous son contrôle direct la Flandre
et le Ponthieu. Son continuateur Louis
VIII, qui ne régna que trois ans, annexa au domaine royal une
partie du Perche et du Ponthieu et quelques
seigneuries. De plus, c'est pendant ce petit règne que les domaines
du comte de Toulouse furent donnés
au roi de France par la papauté;
Philippe-Auguste, absorbé par sa lutte contre l'Angleterre, avait
laissé la noblesse du Nord se partager les dépouilles des
hérétiques albigeois, mais le
fils de Simon de Montfort, le faible Amauri,
avait dû renoncer aux conquêtes faites par son père;
sur l'invitation d'Honorius III, Louis VIII
prit la direction de la croisade (1226).
Sous la régence
de Blanche de Castille, en 1229, un traité
assura l'héritage du comte de Toulouse à Alphonse,
frère de Louis IX. Alphonse eut aussi
le Poitou et l'Auvergne, car Louis VIII avait renouvelé la coutume
des apanages; ses autres fils, Robert et
Charles, eurent le premier l'Artois, et
le second l'Anjou et le Maine, auxquels un mariage joignit la Provence;
à l'extinction de la descendance masculine des apanagés,
ces domaines devaient donc provisoirement diminué sous le règne
de saint Louis, malgré l'annexion des comtés de Blois,
de Chartres et de Sancerre; notons en passant
que saint Louis renonça à sa suzeraineté sur le Roussillon
et la Catalogne, qui appartinrent dès
lors en toute souveraineté au roi d'Aragon. Philippe
le Hardi recueillit l'héritage immense d'Alphonse de Poitiers
et acquit le comté de Nemours. Ses successeurs annexèrent
la Champagne, la Brie,
le royaume de Navarre, les comtés
de la Marche et d'Angoulême;
Philippe le Bel tourna aussi ses regards
vers l'Est; après une lutte acharnée contre les Flamands,
il s'empara de la Flandre wallonne, entre
Lys et Escaut
; enfin il acquit Tournai et Lyon.
Le pouvoir des rois
Quant au pouvoir et
au prestige de la royauté, ils ne cessèrent de croître
pendant cette période. Tâchons de nous représenter
ce qu'est le roi de France dans le premier quart du XIIIe
siècle. Il vit de préférence à Paris,
au Louvre; Paris est maintenant pavé,
a des halles, et la cathédrale
dédiée à Notre-Dame s'achève lentement.
Mais le roi fréquente aussi ses châteaux de Mantes,
d'Anet, de Vincennes,
de Fontainebleau, de Saint-Germain.
Il vit entouré de sa famille, de ses grands officiers, de quelques
amis intimes comme Enguerrand de Coucy et Bouchard
de Marly, et enfin de ces familiers, clercs,
chevaliers, bourgeois même, qui le conseillent et expédient
ses affaires, entourage permanent auquel s'adjoignent de nombreux hôtes
de passage et les baillis en congé.
A l'époque
où les organes divers du gouvernement anglais vivent déjà
d'une vie distincte, l'institution embryonnaire de la curia regis
et des assemblées capétiennes existe encore en France. L'institution
des baillis elle-même n'a pas un fonctionnement régulier.
Les revenus du roi sont encore purement domaniaux. Mais tous ces défauts
d'organisation, toutes ces entraves n'empêchent pas le roi de lutter
avec succès contre la féodalité.
Maintenant le régime féodal est fixé et systématisé,
et le roi est assez fort pour tirer tout le parti possible de son titre
de suzerain supérieur; témoin l'arrêt qui a dépossédé
Jean sans Terre de ses fiefs continentaux.
Les rebelles comme
les comtes de Boulogne et de Flandre sont vaincus à Bouvines;
les comtes d'Auvergne sont dépouillés; Thibaud
de Champagne a été élevé à Paris;
le jeune duc de Bourgogne est sous la protection royale, et le comte de
Bretagne est une créature de Philippe-Auguste; enfin la maison de
Toulouse est réduite aux dernières extrémités.
La protection accordée par le roi aux églises et aux villes
les plus lointaines crée partout des centres de propagande monarchique.
Certains actes législatifs, tels que l'ordonnance de Louis VIII
sur les juifs, ont été adoptés par les barons et ont
force de loi dans tout le royaume. L'énorme accroissement de l'autorité
monarchique sous Philippe-Auguste et Louis VIII amena une réaction
violente à l'avènement du jeune Louis IX; mais l'énergique
et habile Blanche de Castille en vint à bout.
De Louis IX à
Charles IV
Alors commença
le règne de saint Louis, époque
unique dans l'histoire de France. Non seulement le gouvernement central
s'organise, non seulement le domaine est administré plus régulièrement
et plus équitablement (ordonnances de 1254 et de 1256 et institution
des enquêteurs), mais encore la royauté apparaît à
tous comme un pouvoir réellement sacré et divin, parce qu'elle
s'incarne en effet dans un saint, auquel on ne
pense pas pouvoir désobéir sans péché. La féodalité
est respectée par le roi, mais elle lui est parfaitement soumise
et la justice royale fait de grands progrès. Les villes renoncent
en masse à leur indépendance et laissent au roi le contrôle
de leur gestion financière; bientôt l'autonomie municipale
ne sera plus qu'un souvenir; même hors des limites du domaine les
anciennes communes deviennent les villes du roi. Ce bel équilibre
entre la monarchie et la féodalité ne dura pas longtemps.
Bientôt la monarchie sera oppressive.
Le règne de
Philippe III le Hardi (1270-1285) est, quoiqu'on
puisse dire, une « période de transition ». Philippe
III n'eut peut-être d'autre idéal moral que son père;
mais lorsqu'il réunit le Languedoc
à la couronne, sa cour se remplit de clercs et de chevaliers méridionaux,
imbus de droit romain, qui lui enseignèrent des maximes nouvelles
et lui firent négliger celles de saint Louis; une ordonnance comme
celle de 1276, qui faisait du roi le souverain amortisseur, portait gravement
atteinte aux privilèges des barons. Le règne des légistes
(juristes) commençait. Les légistes triomphèrent avec
Philippe IV le Bel, qui fut peut-être
leur instrument. Philippe le Bel parle en véritable roi; ses ordonnances
ne mentionnent jamais le consentement des barons. C'est principalement
de ce règne que datent les principaux procédés de
gouvernement qui ruineront le régime féodal.
Les revenus du domaine
ne suffisant plus, Philippe IV fit des emprunts, altéra les monnaies
et leva des impôts généraux (L'organisation
financière de l'Ancien régime).
Comme l'ancienne armée capétienne, composée de contingents
féodaux et communaux et de quelques bandes mercenaires, n'était
pas assez nombreuse, les légistes eurent l'idée d'une armée
nationale; en 1302, pour la guerre de Flandre, on convoqua tous les sujets
du roi qui pouvaient porter les armes. Le conseil du roi, le Parlement
et la chambre des comptes, qui depuis le règne de saint Louis prenaient
une existence distincte et se partageaient les attributions de la curia
regis, devinrent des organes de plus en plus précis de la volonté
monarchique.
Les baillis, les
sénéchaux, les enquêteurs travaillèrent plus
vigoureusement que jamais à détruire les privilèges
politiques de la noblesse. La guerre privée est interdite, ainsi
que le duel judiciaire; la juridiction féodale et ecclésiastique
est violemment attaquée. Enfin les classes se rapprochent dans la
commune obéissance au roi; aux Etats
généraux apparaissent une noblesse de France, un clergé
de France, une bourgeoisie de France; la triple féodalité
des seigneurs, des gens d'Eglise et des communes
fait place aux trois ordres de l'Etat. Philippe le Bel rencontra du reste
une vigoureuse résistance, et les nobles soulevés dès
1314 obtinrent après sa mort la reconnaissance de leurs privilèges.
Cependant les règnes successifs des trois fils de Philippe
IV, de 1314 à 1328, ne furent pas stériles; c'est du
temps de Philippe le Long que date à
proprement parler l'organisation du conseil et de la chambre des comptes.
Charles IV, fils de Philippe le Bel, sera le dernier roi de la branche
âinée des Capétien. Après lui la couronne passera
à la ligne cadette, avec Philippe VI
(Valois).
La politique extérieure
de la France
Les rois du XIIIe
siècle eurent une politique extérieure active, souvent très
habile et très relevée. Leurs agents parcouraient incessamment
les chemins de Rome, de l'Allemagne,
de la Flandre et de l'Angleterre.
Philippe-Auguste tint tête plusieurs années à Innocent
III au sujet d'Ingeburge et contribua en Allemagne au triomphe des
Hohenstaufen, en Angleterre à la
révolution chartiste; Louis VIII faillit porter la couronne des
Plantagenets; saint Louis essaya de réconcilier
l'empereur et le pape pour appliquer leurs efforts à la délivrance
de la Terre sainte et réalisa dans
ses croisades l'idéal du roi chrétien;
son frère Charles d'Anjou conquit le royaume
de Naples et Philippe le Hardi porta ses armes au delà des Pyrénées
(L'Espagne
au Moyen âge). Philippe le Bel, hanté par le souvenir
de Charlemagne, rêva la couronne impériale
héréditaire; il aurait sans doute entamé une lutte
sérieuse contre le roi d'Angleterre, si celui-ci ne lui avait abandonné
la Flandre; enfin il brisa les prétentions de la papauté,
l'enferma à Avignon et lui fit abolir
l'ordre des Templiers.
La civilisation au XIIIe
siècle
En même temps
que le pouvoir royal, la civilisation générale de la France
se développa brillamment au XIIIe
siècle et au commencement du XIVe.
Des cultures nouvelles se sont introduites depuis les croisades. Les villes
neuves sortent partout de terre et avec la vie urbaine grandit l'industrie
publique (corporations).
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Les corporations
Les
corporations étaient des associations
de travailleurs unis par des droits et des devoirs réciproques,
ayant des administrateurs et des immunités particulières.
Des corporations d'arts et de métiers existaient dans l'ancienne
Rome, sous le nom de collegia, et faisaient remonter leur origine à
Numa; telles étaient celles des marchands, des serruriers, des bateliers,
des fondeurs, des argentiers ou banquiers, etc.
Au
Moyen âge, les traditions romaines dans le Midi, les gildes d'origine
germanique dans le Nord, la nécessité de s'unir contre la
tyrannie des puisants, la naissance des constitutions municipales, développèrent
de nombreuses cor - porations, qui furent encore favorisées par
les souverains, comme contre-poids aux envahissements des seigneurs. Il
fallut en faire partie pour prendre part aux affaires dans les villes et
obtenir le droit de bourgeoisie.
A Milan,
il existait une corporation, dès le Xe siècle, sous le nom
de Credenza. Les plus anciennes de l'Allemagne sont celles des tailleurs
et des merciers de Hambourg, 1152, et celles des drapiers, 1153, et des
cordonniers, 1 157, de Magdebourg. On vit se former à Bâle
celles des bouchers, 1260, et des jardiniers, 1262. A Londres, les tisserands
étaient constitués en corporation dès le temps de
Henri Ier. Les corporations subsistent encore eu Angleterre, sans apporter
d'ailleurs aucune entrave à la liberté de l'industrie et
du commerce.
En
France, les corporations étaient dans leur plein développement
à l'époque de St Louis, où Étienne Boileau
leur donna des règlements; le Chambrier de France fut chargé
de les surveiller. A la fin du XVIe siècle, on commença de
les envisager comme ressources de finances, et les offices dans les corporations
se vendirent au profit du Trésor. En général, pour
entrer dans une corporation il fallait passer par un apprentissage, à
l'expiration duquel on devenait compagnon, puis maître.
Le
régime des corporations contribua à l'émancipation
des classes populaires; à une époque où chaque ville
avait besoin de vivre de son industrie, il établissait une sorte
de contrôle pour la bonne qualité des produits. Mais il était
contraire à la liberté, favorable à la routine, et,
après l'affranchissement de tous, il fut incompatible avec l'idée
de la libre concurrence. Les corporations supprimées à Paris
par Turgot en 1776, presque aussitôt rétablies, disparurent
en vertu d'une loi du 17 mars 1791. (L.). |
La royauté
protège les marchands; les foires de Troyes,
de Beaucaire, de Saint-Denis
attirent une affluence énorme; en dépit des péages,
des persécutions contre les juifs
et les Lombards, de l'altération des monnaies sous Philippe le Bel,
le commerce prospère et le bien-être se répand partout.
La France est enfin
le centre intellectuel de l'Occident; des étudiants de toutes les
nations viennent étudier à l'université
de Paris; la littérature
et l'art français sont pris pour modèles dans les autres
pays. (Ch. Petit-Dutaillis). |
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