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L'histoire des États-Unis
La nouvelle démocratie américaine
I - Le changement des règles du jeu
Histoire des Etats-Unis d'Amérique
A partir des années 1820 et pendant près de quatre décennies, les États-Unis se sont principalement occupés de leur consolidation. Cela est passé par des transformations dans les règles du jeu politique et plus spécialement à une modification du mode d'élection présidentielle, évoluant ainsi vers le régime présidentiel actuel. La forte personnalité d'Andrew Jackson, président entre et 1829 et 1836, contribuera amplement à cette évolution des moeurs politiques. Un autre point crucial aura été pendant cette période la croissance démographique exceptionnelle du pays, devenu une terre d'immigrants (près de cinq millions d'Européens viennent s'installer aux États-Unis entre 1830 et 1860). 

Le territoire a été investi peu à peu sous la poussée de cette affluence de populations nouvelles. La Frontière a progressivement reculé, en même temps que se perpétrait le génocide des Indiens, qui ne sont plus seulement spoliés de leurs territoires, mais aussi exterminés physiquement. Les États-Unis s'agrandiront par ailleurs au détriment du Mexique, auxquels ils enlèvent le Texas, le Nouveau-Mexique, et la Californie (1845-1848), destination, au cours de la décennie suivante de la "ruée vers l'or". En même temps de nombreux problèmes doivent être surmontés. La crise économique a frappé le pays à la fin des années 1830, et si elle est surmonté, la question de l'esclavage, elle, devient de plus en plus aiguë, surtout après l'admission de la Californie comme État libre (sans esclaves).

Et, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer aujourd'hui, le débat  revêt alors moins un caractère moral qu'économique. Les États du Nord ont bâti leur économie sur l'industrie et sont riches; ceux du Sud, sur l'agriculture et sont nettement plus pauvres. Sans leurs esclaves, ils le seraient encore davantage. Ce constat, cynique, allait conduire à un compromis, en 1850,  selon lequel les deux grands partis, whig et démocrate, s'entendirent  pour faire passer leur réticences sur la question de l'esclavage après ce qu'ils considéraient comme l'intérêt supérieur de l'Union.

Dates-clés :
1824 - Nouveau mode d'élection de l'exécutif.

1825 -1828 - présidence de John Adams.

1829- 1836 - Présidence ("règne") d'Andrew Jackson.

1836 - Indépendance du Texas.

1837 -1840 - Van Buren président.

1845-48 - Guerre du Mexique (époque de la présidence de J. Polk).

1850 - Compromis Clay sur l'esclavage entre le Nord et le Sud.

L'élection présidentielle de 1824 fut l'occasion d'une modification importante dans le mode de présentation des candidatures à la première charge de la République. Jusqu'alors avait dominé le système du caucus, c.-à-d. des réunions de membres du même parti appartenant à la Chambre des représentants ou au Sénat. Le premier caucus républicain du Congrès se tint à Philadelphie et choisit pour candidats Jefferson et Aaron Burr. Un autre caucus républicain décida en 1808 entre Madison et Monroe, tous deux favoris, et donna la préférence à Madison, qui fut en effet élu. C'est encore un caucus qui, en 1812, proposa Madison pour une réélection, et le parti se soumit à la même procédure en 1816 en acceptant du caucus du Congrès la candidature de Monroe. Il n'en fut plus de même en 1894 lorsqu'une minorité républicaine du Congrès présenta comme candidat à la présidence Crawford, secrétaire du Trésor sous Monroe. L'opinion publique dans tout le pays se prononça contre ce vote, et trois autres candidatures surgirent, celle de John Quincy Adams (secrétaire d'État sous Monroe), dans les États de la Nouvelle-Angleterre; celle de Henry Clay dans l'Ouest; celle du général Andrew Jackson, proposée par la législature du Tennessee. Le résultat de ce steeple chase républicain pour la présidence fut qu'aucun des candidats n'obtint le nombre de voix nécessaire. Jackson eut 99 suffrages, Adams 84, Crawford 41, Clay 37. Les antirépublicains n'avaient pas osé produire une candidature; le nom même de fédéraliste n'était plus usité dans le langage politique.

L'élection par le collège présidentiel étant sans résultat, le choix revenait, aux termes de la Constitution, à la Chambre des représentants qui eut à voter, par États, pour l'un des trois candidats ayant obtenu le plus de voix. Adams obtint les suffrages de 13 États, 7 se prononcèrent pour Jackson et 4 pour Crawford. Cet incident fut la fin du «-roi Caucus ». Bientôt allait s'établir le système, en vigueur aujourd'hui, des conventions nationales de parti pour la désignation des candidatures. D'après le relevé des votes populaires qui avaient choisi les électeurs présidentiels dans tous les États sauf quatre (Delaware, Géorgie, Caroline du Sud et Vermont, où ces électeurs avaient été encore désignés par les législatures), Jackson avait obtenu 156 000 voix, Adams 105 000, Crawford 44 000, Clay 46 000. La Chambre des représentants, en élisant Adams, usa d'un droit qui ne lui pouvait être contesté, mais sa décision était visiblement contraire au voeu de l'opinion publique qui avait vu dans Jackson le véritable élu. La législature du Tennessee décida, en 1825, de le porter de nouveau candidat pour la présidence, et Jackson, pour affirmer le sens de cette protestation, donna sa démission de sénateur au Congrès. Le général était surtout connu par sa victoire de la Nouvelle-Orléans et par ses succès contre les Indiens. Avocat distingué, juge de la cour suprême dans le Tennessee, politicien habile, il était surtout l'homme des masses; il représentait le peuple en face de l'aristocratie du Sud, fondée sur l'esclavage, et de la bourgeoisie riche et éclairée du Nord, fondée sur le commerce, l'industrie et la culture des arts libéraux. 

C'est une poussée populaire qui portait Jackson au pouvoir, et la force de cette impulsion s'accrut encore de l'obstacle constitutionnel que lui opposa en 1824, pour quatre années, la résistance de la Chambre des représentants. La présidence de John Quincy Adams, malgré les mérites personnels du fils du célèbre John Adams, ne fut ainsi qu'une sorte de période d'attente de la présidence de Jackson, qui, en 1828, fut élu par 178 voix contre 83 données à Adams (vote populaire, 647 000 pour Jackson et 509 000 pour Adams). Calboun avait été élu vice-président en 1824 et fut réélu en 1828. La double élection de 1824 et 1828 ne fut pas seulement la fin du «-roi Caucus-», elle marqua la fin de la dynastie des présidents virginiens (Jefferson, Madison, Monroe, après Washington), et celle de la première manière de la démocratie américaine. C'est une nouvelle démocratie qui arrive au pouvoir; l'Ouest entre en scène avec ses hommes d'État favoris, ses passions, ses besoins spéciaux, ses moeurs politiques, ses tendances sociales.

Adams président

John Quincy Adams était un excellent président; il était désigné plus que tout autre pour la première magistrature de l'État, aux yeux de ceux qui veulent au pouvoir la capacité et l'honnêteté. Après 1800, il s'était franchement rallié à Jefferson et appartint dès lors au parti républicain ou démocrate. Madison renvoya en 1809 représenter les États-Unis à Saint-Pétersbourg, et il fut, en 1814, un des négociateurs de la paix de Gand. Secrétaire d'État de Mortroc de 1817 à 1825, il fut, dans toutes les questions concernant les rapports de l'Union avec le dehors, le membre le plus actif du gouvernement, et c'est à son crédit que doivent être portées les grandes mesures de cette époque (reconnaissance des républiques de l'Amérique espagnole, acquisition de la Floride, énonciation de la doctrine de Monroe). Dans la question du Missouri, son influence s'exerça en faveur du compromis, bien qu'il fût en principe opposé à l'esclavage. Lorsqu'il fut installé à la présidence, il laissa dans l'administration le plus grand nombre de ses adversaires politiques et ne pratiqua à aucun degré le spoils system. Il prit pour secrétaire d'État Henry Clay, et se heurta dès les premiers jours d'exercice de son pouvoir à l'opposition systématique des amis de Jackson et de Crawford. Aux élections de 1826, pour le vingtième Congrès, la majorité dans les deux Chambres fut assurée aux partisans de Jackson. Lorsque vint l'élection de 1828, Adams n'eut qu'une voix de moins qu'en 1824, mais Jackson eut une voix de plus que lui-même, Crawford et Clay, réunis, n'en avaient eu en 1824. Dès que l'homme du Tennessee eut prononcé au Capitole sa harangue d'inauguration (mars 1829), Washington présenta pour la première fois le spectacle de la curée des places, application en grand du principe to the Victors the Spoils. Les fonctionnaires de la précédente administration furent renvoyés en masse et les postes fédéraux appartinrent aux amis de tous les degrés qui depuis quatre années, avaient rendu de bons services électoraux.

Il ne serait pas tout à fait exact de dire qu'il y eut de Monroe à Jackson une fusion des partis. Il se produisit plutôt une sorte de licenciement, chacun retournant à ses affaires privées. Le grand parti républicain, fondé par Jefferson; avait accompli sa mission qui était d'apprendre au peuple à avoir confiance en ses propres capacités et de rompre les derniers liens de l'ancien assujettissement colonial aux méthodes politiques européennes. Devenu pendant la guerre le parti de l'Union, il avait absorbé ce que l'ancien fédéralisme avait de plus vivant. Toutefois, si le fédéralisme disparut comme parti, il subsistait comme tradition dans la Nouvelle-Angleterre. Pour l'instant, les politiciens se distinguaient surtout en jacksoniens et antijacksoniens. Ces nouvelles délinéations, encore indécises, devaient se fixer plus tard, en embrassant d'autres questions que celle de la personnalité du général, sous les dénominations de démocrates et de whigs.

Questions nationales

Les questions économiques, sous Adams et pendant la première présidence de Jackson, jouèrent un rôle prépondérant dans les mouvements d'opinion qui contribuèrent à cette réorganisation des partis. Les idées étaient très indécises touchant l'exécution des grands Travaux publics d'intérêt national ou fédéral. Madison, dans son message de décembre 1816, recommandait au Congrès de recourir au mode prescrit par la constitution pour obtenir l'élargissement de ses pouvoirs existants, afin d'assurer l'exécution d'un système général de routes et de canaux. Le 3 mars 1817, il opposa cependant son veto, motivé sur des scrupules constitutionnels, à un crédit voté pour la route de Cumberland. Le 14 mars 1818, le Congrès adopta une résolution affirmant son droit de voter des crédits pour travaux destinés à améliorer le bien-être de la nation. Monroe et, après lui Adams et Jackson, tout en faisant des réservés sur la question constitutionnelle, signèrent de nombreux bills de travaux publics (Adams pour 2 083 000 dollars, Jackson pour 2 500 000 pendant les deux premières années de sa présidence). Les hommes d'État les plus éminents du Sud furent d'abord favorables au système des « améliorations » nationales. Calhoun y voulait appliquer les bénéfices que le gouvernement retirerait de la Banque nationale. Lowndes pensait comme Calhoun. Un peu plus tard, l'extrême Sud se montra hostile à cette extension de l'activité fédérale, craignant que le Nord, avec sa population dense, son commerce, son industrie, n'eût la part du lion dans l'emploi des sommes consacrées à ces travaux. Dès 1817, une voix s'écria dans le Congrès :

 « Nous n'avons pas besoin de routes en Louisiane. »
Les conditions économiques de la société sudiste, le système des grandes plantations rendaient en effet moins sensible à cette région la besoin d'un réseau serré de voies de communication. C'est surtout dans l'Ouest que les travaux de viabilité et la création de moyens de transports étaient nécessaires pour l'immigration. La construction du canal Érié, réalisée par l'initiative éclairée et l'énergie tenace dont fit preuve de Witt Clinton, appela sur la question l'attention du peuple, et les nouveaux États, dont les ressources étaient limitées, ne cessèrent de réclamer le concours fédéral pour la transformation de leurs déserts en centres de civilisation.

Le Congrès ne répondit jamais à l'invitation que lui avaient faite plusieurs présidents de résoudre la question par un amendement constitutionnel. La procédure de l'amendement avait été appliquée pour douze clauses nouvelles pendant les quinze premières années de la République. Puis ce fut fini de 1804 à la fin de la guerre civile. Pendant ces soixante années, les partis préférèrent user du système, commode mais insidieux, de l'interprétation élastique du texte de la constitution. Un grand nombre de républicains s'étaient ralliés au principe de l'interprétation libérale sur la faculté d'extension des pouvoirs du gouvernement central, principe pour lequel avaient lutté Hamilton et le fédéralisme. D'autres restaient fidèles à la règle d'interprétation étroite et limitée des pouvoirs délégués à l'Union par les États ou par le peuple, système de Jefferson et de école virginienne. Mais au cours de la période de 1800 à 1820, les partis et leurs chefs modifièrent étonnamment leurs vues sur plusieurs questions. Le système financier de Gallatin, sous Jefferson, n'avait été que la continuation du système d'Hamilton; après avoir longtemps proclamé que le Congrès n'avait pas le pouvoir constitutionnel de créer des corporations, on vit les républicains-démocrates reconstituer en 1816 la Banque nationale des États-Unis. Quelle que fût la question en jeu, elle entraînait entre les partis une divergence sur le mode d'interprétation de la loi fondamentale, avec l'opinion publique pour unique arbitre, et les décisions de la cour suprême de temps en temps comme sanction.

Cette question de la Banque devint une des plus importantes sous l'administration de Jackson. Après la guerre, l'établissement était redevenu impopulaire; l'opinion l'accusait de tous les maux qui accablèrent l'Ouest pendant une crise nouvelle qui éclata en 1818-1819. Les banques, multipliées indéfiniment dans les nouveaux États, furent emportées pour la plupart dans un krach qui suivit une expansion exagérée de monnaie fiduciaire. On s'en prit à la Banque nationale comme à la cause directe de la crise, ou du moins on lui reprocha de n'avoir rien fait pour l'atténuer. De graves désordres avaient été révélés par une enquête dans l'administration d'une des succursales les plus importantes, celle de Baltimore. Enfin, les démocrates ne cessèrent de dénoncer l'institution comme un foyer de fédéralisme. Lorsque Jackson arriva au pouvoir, il se heurta sur un point à un acte d'indépendance des autorités de la Banque, et il résolut dès lors de briser l'établissement. Ce fut une lutte mémorable. Dans son message de 1832, Jackson recommanda au Congrès le retrait des fonds du gouvernement en dépôt à la Banque. N'obtenant pas satisfaction, le président donna ordre au secrétaire des finances, L. Mac Lane, d'effectuer le retrait. Le secrétaire refusa, fut destitué et remplacé par Duane qui ne se montra pas plus docile, puis par l'attorney général Taney, qui retira tous les fonds du gouvernement et les déposa dans diverses banques d'État. Une panique financière s'ensuivit et une crise commerciale très intense qui dura plusieurs années. Le Sénat vota contre le président une motion de censure à laquelle la Chambre des représentants ne voulut pas s'associer. Le privilège de la Banque, qui expirait en 1836, ne fut pas renouvelé et l'institution nationale redevint une banque particulière placée sous la loi d'un État.

La doctrine des droits souverains réservés aux États par la constitution fut revendiquée par la Géorgie à propos des attributions conférées par la constitution au pouvoir fédéral touchant les affaires indiennes. Les États-Unis avaient conclu avec les Creeks et les Cherokees un traité aux termes duquel ces tribus devaient quitter leurs terres en Géorgie et se retirer vers l'Ouest. La Géorgie prétendit interpréter à son gré ce traité et commença de l'exécuter d'après sa propre interprétation. Des objections étant venues de Washington, le gouverneur Troup n'en tint aucun compte non plus que des ordres formels qui suivirent les objections, et il invita le peuple à s'armer pour la résistance. Adams remit la décision au Congrès qui n'osa se prononcer. Jackson, devenu président, se montra disposé à soutenir les prétentions de la Géorgie, qui en vint à méconnaître la plus haute autorité judiciaire du pays. La cour suprême avant déclaré illégale une condamnation à mort prononcée par un tribunal de l'État, les autorités géorgiennes se hâtèrent de répondre par l'exécution du condamné. Jackson ne dit rien et la Géorgie traita aussi dédaigneusement une nouvelle décision de la cour suprême la concernant. L'opinion publique restait indifférente; il ne s'agissait, dans l'espèce, que d'Indiens, dont le sort intéressait peu le peuple américain.

Mais l'exemple de la Géorgie fut bientôt suivi, à propos d'une question qu'il jugea plus grave, dont les phases successives tenaient depuis dix années les États du Sud dans une perpétuelle et croissante agitation, la question du tarif douanier. Depuis la fin de la guerre contre l'Angleterre, les partis et leurs chefs avaient échangé encore sur cette question du tarif leurs opinions respectives. Le Nord, pays de commercé et d'agriculture, la Nouvelle-Angleterre, où les armateurs et les pêcheurs constituaient un intérêt puissant, avaient été longtemps opposés aux restrictions commerciales, tandis que dans le Sud l'intérêt spécial des producteurs de sucré et d'indigo les portait à soutenir le système de la protection. Mais il se forma bientôt un grand intérêt industriel dans le Nord (Nouvelle-Angleterre, New York et Pennsylvanie). L'industrie se développa vigoureusement de 1812 à 1815 sous l'aiguillon des besoins exceptionnels de la guerre. La paix rétablie, les marchandises anglaises inondèrent le pays, et les industries naissantes de l'Amérique déclarèrent qu'elles allaient périr si on ne les protégeait. Clay, Webster, se mirent à la tête du mouvement, et les intérêts protectionnistes combinés conduisirent à la formation du système américain de la protection. Le tarif de 1824 éleva les droits d'entrée sur la plupart des marchandises que les manufacturiers du Nord commençaient à produire; celui de 1828 les éleva encore. 

Le Sud, qui devait tirer du dehors tous les produits industriels dont il avait besoin, devenait par cela même et dans le même temps, de protectionniste qu'il était, libre-échangiste. La culture du coton étant la grande affaire de la région, les États abandonnaient toute idée de faire prospérer l'industrie sur le territoire voué à l'esclavage. Leurs représentants au Congrès, leurs journaux engagèrent dès lors une lutte acharnée contre le système américain du Nord : le Sud ne pouvait consentir à payer pour que le Nord pût produire et écouler à hauts prix des marchandises médiocres; c'était imposer une partie de l'Union en faveur de L'autre, ce qu'interdisait la constitution. La population du Sud, depuis 1824, fondait de grandes espérances, pour la réalisation de ses vieux antiprotectionnistes, sur l'arrivée prévue de Jackson au pouvoir (4 mars 1829). Ces espérances ne se réalisèrent pas; malgré toutes les réclamations du Sud, un nouveau tarif, voté en 1832, n'apporta que très peu d'adoucissement à celui de 1828. Calhoun, qui n'avait pu rester d'accord avec Jackson et était maintenant le chef reconnu de l'aile gauche de la démocratie, pensa que le moment était venu de mettre en pratique la doctrine de nullification qu'il avait empruntée aux Résolutions de la Virginie et du Kentucky de 1798-1799 et développée lui-même à diverses reprises. Il trouva dans un de ses collègues du Sénat de Washington, R. Hayne, et dans le gouverneur de la Caroline du Sud, Hamilton, des alliés résolus. 

Sous l'influence de ces hommes d'État, une convention populaire de la Caroline du Sud se réunit à Columbia le 12 novembre 1832 et déclara que les lois douanières de 1828 et de 1832 étaient nulles en ce qui concernait la Caroline du Sud; elle interdit, à partir du 1er février 1833, la levée d'aucun droit d'entrée dans ses ports conformément à ces mêmes lois. La législature vota ensuite les mesures nécessaires pour la mise à exécution, même par la force, des décisions prises par la convention. Jackson, qui venait d'être réélu pour un deuxième terme présidentiel par 219 voix (contre 49 données à Henry Clay), avec Van Buren comme vice-président, répondit à l'ordonnance de nullification par une proclamation très énergique (10 décembre 1832), affirmant la suprématie des lois fédérales et déclarant que le président les appliquerait à tout hasard. Il dirigea en même temps un navire de guerre sur Charleston et prépara un envoi de troupes. Au Congrès, les partisans de la conciliation intervinrent et proposèrent un compromis qui fut adopté (1833). On vota, pour le principe, un bill donnant au président les moyens de contraindre la Caroline du Sud à l'obéissance, et, pour le compromis, un bill sur le tarif édictant une réduction graduelle des droits en dix années (1833-1843) jusqu'au taux de 20%. La Caroline du Sud rapportait de son côté son ordonnance de nullification. Cet État, avec ses 580 000 habitants, venait de tenir en échec l'Union et ses 13 millions d'habitants.

Au dehors, Jackson obtint de la France, de l'Espagne, de Naples et du Portugal des indemnités pour spoliations commises contre le commerce américain; son gouvernement conclut des traités de commerce avec diverses puissances. A l'intérieur, l'Arkansas (1836) et le Michigan (1837) furent admis dans l'Union. L'opposition des anciens fédéralistes du Nord et des républicains modérés aux prétentions autoritaires de Jackson avait abouti à la formation d'un nouveau parti qui, pour affirmer ses tendances libérales, prit la dénomination de whig. Ce fut d'ailleurs un parti national, c.-à-d. qui eut des adhérents dans le Sud comme dans le Nord, de même que le parti démocrate dont les doctrines, très élastiques, réunissaient sous le même drapeau une grande partie de l'État de New York avec la majorité de la population des États du Sud. C'est l'élément nordiste du parti démocrate qui triompha contre le parti whig dans l'élection présidentielle de 1836, où Van Buren fut élu par 170 voix contre 73 données au candidat whig, W.-H. Harrison, et 51 à divers. L'élection avait été très disputée, car Van Buren n'eut que 761 549 voix du suffrage populaire, contre 736 656 réparties entre ses divers concurrents.
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Van Buren.
Martin Van Buren.

Les Américains restèrent longtemps divisés sur l'appréciation des mérites de l'administration de Jackson. Ses admirateurs exaltaient les succès de sa diplomatie, le règlement de nombreuses difficultés avec diverses puissances européennes, l'extinction de la dette publique, la lutte contre l'esprit de spéculation, les efforts constants pour la substitution d'une circulation métallique, saine et solide, aux hasards de l'expansion démesurée d'une circulation de papier, la destruction du monopole de la Banque, la sagesse avec laquelle fut contenue dans de justes limites l'application de la politique des crédits fédéraux pour travaux publics d'intérêt général.

Les détracteurs répondaient que si Jackson eut la satisfaction de pouvoir annoncer en 1835 que la dette publique des États-Unis (127 millions de dollars après la guerre de 1812) était complètement amortie, l'honneur de ce résultat revenait, non à Jackson, mais à ses prédécesseurs, Monroe et Adams, et au système, régulièrement appliqué par eux, de l'amortissement annuel. Sans doute l'Union fut en état de répartir, en 1837, sur les excédents du Trésor, une somme de 28 millions de dollars entre tous les États au prorata de leur population, mais les bénéfices de cette répartition allaient disparaître dans la crise financière et économique si grave provoquée par les agissements autoritaires concernant la Banque et le retrait des dépôts. Comme le Congrès avait décidé que les dépôts devaient rester à la Banque où ils étaient en parfaite sécurité, l'acte arbitraire du président était un fâcheux précédent, puisqu'il ne saurait être admis, dans une république, que le sentiment personnel du premier magistrat soit la règle et la mesure de ses actes officiels, quelque patriotiques que puissent être ses visées. Aussi de nombreux historiens ont-ils appelé la période de 1829-1837 le « règne d'Andrew Jackson ». Ils considèrent que, pendant ces huit années, le patriarche du Tennessee a gouverné la démocratie américaine comme un père de famille, bienveillant et animé de bonnes intentions, mais qui entend être obéi, plutôt que comme un président constitutionnel.

Crise économique.

Quoi qu'il en soit, il laissait, en se retirant, un parti démocrate solidement organisé, ayant pour appui une grande majorité des hommes du Sud, en même temps qu'une clientèle nombreuse et active dans le Nord, dirigé par des hommes distingués appartenant pour la plupart (sauf le groupe Calhoun) aux anciens États de l'Est, où sa principale forteresse était l'État de New York. Interprétation étroite de la constitution, gouvernement fédéral économique et limité, respect de tous les droits réservés aux États, maintien de la circulation monétaire sur la base métallique, un tarif réduit au minimum de protection nécessaire, hostilité déclarée contre les monopoles, contre le papier-monnaie et la spéculation, tels étaient les grands traits du programme. La tâche que laissait Jackson à son ami Van Buren semblait aisée; la nouvelle présidence devait être une simple continuation de la précédente. Van Buren déclarait hautement qu'il l'entendait ainsi, et, pour le prouver, il maintint en exercice les ministres de son prédécesseur. Le président, cependant, était à peine en fonction qu'une crise de crédit et de circulation d'une violence extrême éclata aux États-Unis. Trois causes avaient contribué à la provoquer : 

1° la multiplication des banques après l'expiration du privilège de la Banque des États-Unis ; c'est par centaines que les banques s'étaient créées dans l'Ouest, inondant le pays d'un papier-monnaie de valeur purement fictive, encourageant, par d'excessives facilités de crédit, une spéculation effrénée sur les terres publiques; 

2° l'affaire des dépôts de la Banque; 

3° une circulaire du Trésor, datant des derniers mois de la présidence de Jackson et ordonnant le payement exclusif en monnaies d'or ou d'argent du prix d'acquisition des terres publiques.

La crise commença par les établissements de l'Est. Toutes les banques de New York en mai 1837 se déclarèrent incapables de rembourser leurs billets en espèces. La suspension devint bientôt générale, des faillites éclatèrent en grand nombre. Van Buren refusa de prendre aucune mesure spéciale pour alléger les souffrances que causait la crise. Il convoqua le Congrès en session extraordinaire (septembre-octobre 1837), mais ne l'encouragea pas à intervenir par la législation dans les affaires monétaires du peuple, qui ne regardaient pas, selon lui, le gouvernement central. Il se contenta, dans son message, de proposer pour la bonne conduite des finances fédérales, l'établissement d'un système indépendant de trésorerie (Sub-Treasury Scheme), qui fut adopté en 1840, abrogé en 1841, et  rétabli en 1846. En fait, l'administration de Van Buren eut à supporter les conséquences d'une politique financière dont l'initiative et l'application rigoureuse appartenaient à son prédécesseur. La crise se prolongea jusqu'en 1840. La masse électorale, irritée des souffrances qu'elle venait de subir, en punit Van Buren et le parti démocratique. Le candidat du parti whig, le général Harrison, fut élu président en 1840, avec John Tyler comme vice-président, par 234 voix contre 60 données à Van Buren.
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Harrison.
Harrison.

Les États-Unis en 1840

Voici comment Bacourt, représentant de la France à Washington à cette époque, dépeint la situation économique de l'Union dans une lettre du 13 janvier 1842 :

« Il y a huit ans que les États-Unis ont payé jusqu'au dernier sou de leur dette nationale, et le fait a été proclamé en Europe comme étant la plus admirable conséquence de la forme du gouvernement; mais, après ces huit années, les États-Unis ont de nouveau contracté une dette de 1 200 millions (ce chiffre est de pure fantaisie, même en y comprenant toutes les dettes des États); cinq de ces États veulent déclarer qu'ils ne payeront pas leurs dettes; la Banque des États-Unis (banque privée) vient de faire une banqueroute de 150 millions de F, et cinq cents banques dans les autres parties du pays vont en faire autant. Tous les travaux publics, dont on avait fait faut de bruit, avaient été entrepris avec de l'argent d'Europe qu'on refuse de rembourser; il en résulte que la plupart des entreprises qui ne sont qu'ébauchées restent inachevées. Quant au gouvernement fédéral, il est en déficit de 70 millions de F pour l'année 1842. Il essaye inutilement d'emprunter à six du cent, et est obligé d'offrir sept et huit. Les huit années qui ont produit de tels désordres n'ont cependant été marquées par aucune dépense extraordinaire; le seul extra à signaler a été une guerre en Floride contre huit cents Indiens Séminoles qu'on n'a pas pu réduire après huit années de lutte, et cette guerre a conté 450 millions de F par suite des honteuses dilapidations de ceux qui ont été employés à la diriger. »
Le tableau, très poussé au noir, est exact dans ses lignes générales, mais Bacourt, imbu de préjugés aristocratiques, a pris ce n'était qu'un accident passager dans la poussée exhubérante d'une nation jeune, pour la conséquence nécessaire des institutions démocratiques. C'est lui encore qui dépeint ainsi d'un trait les grandes villes d'Amérique en 1840 :
« Boston est trop froid, New York trop bruyant et hanté par des aventuriers venus de tous les points du globe pour y chercher fortune ou asile; Baltimore est triste comme un tombeau, tandis que Philadelphie a un air de grandeur, de propreté, un cachet comme il faut, qui en font une ville à part; on y trouve des ressources matérielles en tous genres et même une espèce de société qui paraît agréable. Quant à Washington, ce n'est ni une ville, ni un village, ni la campagne; c'est un chantier de construction jeté dans un endroit de désolation et dont le séjour est intolérable. »
Le pays, de 1830 à 1840, avait subi cependant une transformation complète. Les immigrants ne cessaient d'affluer, plus nombreux chaque année, depuis 23 000 en 1880 jusqu'à 84 000 en 1840. (Il faut, dit Bacourt, qu'on soit bien malheureux en Europe!) Et ces chiffres sont presque insignifiants à côté de ceux qui allaient caractériser les années suivantes : 100 000 en  1842, 235 000 en 1847, 428 000 en 1850, près de deux millions et demi d'immigrants de 1847 à 1855. Cet afflux se dirigeait uniquement vers les États du Nord et de l'Est, sans la plus légère dérivation au Sud, où l'élément étranger fit défaut jusqu'à la fin du XIXe siècle, sauf en Floride, en Louisiane et en Texas. Aux deux éléments primitifs de la population d'origine européenne, un troisième s'ajoutait, en voie de formation dans l'Ouest : 
« Les Yankees, dit le témoin oculaire déjà cité, sont Anglais dans l'âme, en dépit du mépris que ceux-ci professent pour eux. Ils vont en Angleterre puiser leurs goûts, leurs moeurs, leurs habitudes, leurs modes et jusqu'à leurs antipathies contre la France et les Français [...] Dans les États du Sud, les penchants sont français [...], les sudistes sont vaniteux et jaloux de la civilisation supérieure du Nord, qu'ils désirent écraser par les principes de l'extrême démocratie [...], une troisième race se forme dans l'Ouest, sur les bords de l'Ohio, du Mississippi, du Missouri [...], c'est un composé d'émigrés des États du Nord et du Sud, d'Irlandais et d'Allemands. Elle est appelée, dans mon opinion, à jouer aux États-Unis le rôle principal, à dominer, dans quelques années, les deux autres [...]. Parmi les éléments divers qui peuvent et qui doivent s'y développer, je considère l'élément catholique comme un de ceux qui pourront y exercer l'influence la plus marquée [...] La race anglo-américaine est, à mes yeux, chargée d'une espèce de mission providentielle, celle de peupler et civiliser cet immense continent; elle marche à l'accomplissement de cette tâche sans se préoccuper de tout ce qui peut l'entraver, et c'est ce qui explique les anomalies si faciles à remarquer et à critiquer; mais il est injuste de s'arrêter aux détails; il ne faut voir que l'ensemble, et cet ensemble est grand, majestueux, imposant! »
La prétendue « race nouvelle  », ci-dessus esquissée, se distinguait encore, dans l'extrême Ouest, sur les confins de la colonisation, par les désordres inhérents à la vie du pionnier, du squatter, de l'aventurier qui abandonne la vie régulière pour les hasards et les périls du combat contre la nature. Jeu, ivrognerie, meurtres, nulle action des lois, sauf la loi de Lynch, associations de malfaiteurs, brigandages de toutes sortes, voilà ce qui se voyait à la lisière des établissements; mais en arrière tout cela se régularisait vite par le seul effet du peuplement. Chicago, un fort en 1832, était une ville prospère en 1838. En dix années, la population de l'Ohio avait passé de 900 000 à 1 500,000, celle du Michigan de 30 à 212 000. L'Indiana présentait un accroissement de 343 000 à 685 000, l'Illinois de 157 000 à 476 000, l'Union tout entière de 13 à 17 millions. Des écoles publiques étaient établies partout, servant à fondre dans la masse de la nation les enfants des immigrants; de grands journaux se fondaient : le Sun (1833), le Herald (1835), la Tribune (1841). Le produit des ventes de terres qui n'avait, jusqu'en 1831, jamais dépassé en moyenne 2 millions de dollars par an, atteint 15 millions en 1835, et 25 millions en 1836, chiffres démesurément enflés, il est vrai, par la spéculation.
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Les Indiens

La partie du continent de l'Amérique du Nord comprise dans les limites actuelles des États-Unis était occupée, avant l'arrivée des Européens, par une population qui fut pendant longtemps désignée sous le nom général d'Indiens ou de Peaux-Rouges. Reléguant à un certain folklore ce dernier terme, on utilise aujourd'hui le terme d'Améridiens, pour désigner ses populations. Celui-d'Indiens, consacré par l'usage, peut être utilisé dans le language courant, lorsqu'il  n'y a pas de confusion à craindre avec les véritables  Indiens, qui sont les habitants de l'Inde.

Les traits physiques, les coutumes, la religion même et les formes sociales connaissaient une certaine diversité, du Mississippi à l'Atlantique et des Grands Lacs au golfe du Mexique. Ces peuples étaients divisé en un grand nombre de tribus ou de nations et parlant des langues très diverses, souvent en guerre les unes contre les autres, vivant surtout de chasse dans les Plaines (bison), de l'agriculture surtout dans les Sud-Ouest (maïs) ou de la pêche le long des côtes.

Dans la région des montagnes Rocheuses et à l'Ouest du Mississippi, vivaient les Pieds Noirs, les Apaches, les Comanches et surtout les Sioux ou Dakotas, confédération puissante et redoutée dont les débris ont encore défié jusqu'à la fin du XIXe siècle la toute-puissance de l'Union américaine. A l'Est du Mississippi, le Nord appartenait aux tribus algonquines et aux Iroquois, le Sud aux Creeks, aux Cherokees, aux Choctaws et aux Ckickasews. Entre les Alleghanies et la côte de, l'océan Atlantique vivaient des rameaux détachés de ces diverses nations et dont les noms sont devenus familiers aux oreilles européennes, Abenakis, Massachusetts, Mohegans, Delawares, etc. 

La progression vers l'Ouest du front de colonisation s'est accompagnée d'un génocide. Les Indiens qui étaient, selon les estimations de l'ordre de trois millions au moment de l'indépendance, à la fin du XVIIIe siècle , ne sont plus, quand la Frontière disparaît, vers 1890, que quelques dizaines de milliers, parqués misérablement dans des réserves. Un renversement démographique et un vigoureux renouveau culturel sont apparus dans la deuxième moitié du XXe siècle. Des îlots de prospérité ont également émergé ça et là (casinos, stations de skis, exploitations de ressources minérales...), mais pour l'essentiel les Indiens restent aujourd'hui aux États-Unis une couche de la population plutôt défavorisée (taux d'analphabétisme, de chômage, d'alcoolisme, etc, plus élevés que la moyenne nationale).

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