|
. |
|
La Révolution américaine I - La rupture avec l'Angleterre |
Après la guerre que s'étaient livrés en Amérique du Nord Français et Anglais (et Anglo-américains), les treize colonies anglaises, délivrées d'un voisinage dangereux, se trouvaient en tête à tête avec leur métropole. Le désaccord éclata presque aussitôt. La faute en fut à la fois aux humains et aux circonstances. Les gouvernants d'Angleterre nourrissaient des projets attestant une médiocre intelligence des conditions nouvelles où la guerre soutenue en commun contre le Canada venait de placer les possessions américaines de la couronne. Le plan d'union de 1754, élaboré par Franklin, n'avait pu les rapprocher les unes des autres, mais la guerre, les efforts qu'elle avait coûtés, les périls partagés avaient opéré ce rapprochement. Elles avaient appris à se connaître, acquis la conscience de leurs forces. Montcalm, dit-on, avait prédit que, si la France perdait le Canada, dix ans plus tard, l'Amérique serait en révolte contre l'Angleterre; la prédiction allait se réaliser. L'indépendance n'était pourtant pas le but premier de ce conflit, que les Américains qualifient de Révolution. Il s'agissait au départ, pour les riches propriétaires coloniaux d'échapper à la pression fiscale de l'Angleterre, l'indépendance, acquise au terme d'une guerre opiniâtre, ne fut pour eux que le moyen qui s'offrit, au terme diverses luttes juridiques, afin de préserver leur prospérité. Après cette guerre qui offrit des chances diverses, la victoire de Saratoga (1777) et la reddition du général Burgoyne donnèrent aux insurgés une supériorité décidée. En 1778, la France, poussée par son hostilité à l'Angleterre, fit un traité d'alliance avec les États-Unis, et les aida tant sur mer que sur terre, à combattre les Anglais : Lafayette, Rochambeau et une foule d'autres officiers français s'illustrèrent dans ces combats. Un traité fut également conclu par les insurgés avec l'Espagne en 1779. Enfin la capitulation de Cornwallis, en 1781, força l'Angleterre à reconnaître l'indépendance des États-Unis, et à accepter la paix, qui fut signée à Paris, le 3 septembre 1783. L'indépendance acquise, la révolution américaine n'en était pas pour autant terminée : une nouvelle entité politique restait à bâtir, et il fallait encore jeter les bases de ce que serait le nouvel État. La constitution des États-Unis, adoptée en 1789, sera le symbole de ce nouvel édifice. Dates-clés : | ||
Luttes juridiques La population s'était beaucoup accrue pendant les huit années de guerre; elle atteignait environ 1 800000 habitants; Boston et Philadelphie en avaient 48 000, New York 42 000, Norfolk 7 000. L'agriculture était la principale occupation. Quelques industries cependant s'étaient fondées dans les provinces du Nord. Les marins de la Nouvelle-Angleterre étaient engagés dans un commerce actif de cabotage et dans de grandes entreprises de pêche. Le riz, l'indigo étaient encore les productions maîtresses des trois colonies du Sud, le tabac et le maïs celles de la Virginie et du Maryland. Le code noir sévissait dans toute sa vigueur dans la Caroline du Sud, avec moins de rudesse dans la Virginie et le Maryland; des voix timides s'élevaient en Pennsylvanie contre l'esclavage. Les provinces septentrionales possédaient un système encore informe d'écoles publiques pour l'enseignement primaire; l'éducation était très négligée au Sud de la Pennsylvanie; elle faisait, au contraire, de grands progrès dans cette province, grâce aux efforts de Benjamin Franklin et de tout un groupe d'esprits éclairés. Les découvertes de Franklin sur l'électricité sont de 1751 et avaient déjà rendu son nom fameux en tous pays. Des centres importants d'éducation supérieure avaient été fondés sur divers points : collège Harvard (1636) à Cambridge (Massachusetts); collège William and Mary (1692) à Williamsburg (Virginie); collège de Yale (1701-1716) à Saybrook d'abord, puis à New -Haven (Connecticut); académie de Philadelphie (1755); collège de Princeton (New Jersey) en 1757; King's College (plus tard Columbia College) à New York (1744), etc. Depuis plus d'un siècle, le gouvernement de la métropole s'efforçait d'entraver le développement commercial et d'étouffer tout essor industriel et manufacturier en Amérique. C'était là tout le système colonial à cette époque; les possessions exotiques devaient être exploitées au profit de la métropole; la grandeur maritime et commerciale de la Grande-Bretagne reposait sur l'exclusion des colonies de toute participation aux profits du trafic par mer. De là le célèbre Act of Navigation, rendu par Cromwell et portant que les colonies ne pourraient commercer qu'avec l'Angleterre, sur des vaisseaux construits, possédés et montés par des Anglais. L'act de navigation fut renouvelé sous le gouvernement de Charles II et complété par d'autres, dont l'ensemble constitua les lois de navigation, la plus constante et la plus effective source d'irritation entre les colonies et la métropole depuis la fin du XVIIe siècle jusqu'au détachement final. Tous les établissements devaient souffrir de cette législation, mais elle ne fut pas partout appliquée en même temps et avec la même rigueur. La Virginie en éluda longtemps les effets; la cour générale du Massachusetts ne se décida qu'en 1679 à en laisser commencer une application dans ses ports, tout en protestant contre le principe de la. mesure et la déclarant contraire à la charte et au droit naturel. En vertu de ces lois commerciales, toute importation de marchandises européennes dans les colonies devait avoir l'Angleterre pour lieu d'origine; des étrangers ne pouvaient être commissionnaires ou facteurs (entrepositaires) dans les colonies; les produits naturels devaient être exportés exclusivement à destination de l'Angleterre, ce qui, pris à la lettre, eût empêché tout trafic intercolonial. Les lois de navigation conduisirent à l'établissement des douanes royales dans les principaux ports d'Amérique, administrées par un corps de fonctionnaires de la métropole, à la disposition desquels le gouvernement anglais entretenait, dans les eaux coloniales, une force navale permanente pour la répression de la contrebande. Depuis 1696, les affaires coloniales furent spécialement confiées en Angleterre à un comité permanent, appelé Board of Trade, dont la principale fonction était de protéger le commerce métropolitain contre la concurrence des colonies, de veiller à l'application des lois de navigation, d'entraver tout essor industriel en Amérique. En 1732, une loi spéciale défendit le transport d'une province à l'autre de chapeaux manufacturés dans le pays; la fabrication d'outils en fer fut absolument interdite. Cependant, l'importance même que prenait le commerce des colonies rendit nécessaires de nombreuses exemptions à ces prescriptions tyranniques; sous la dynastie de Hanovre, Walpole multiplia les facilités de ce genre. D'autre part, les colonies, croissant en force et en richesses, supportaient plus difficilement ces entraves; une contrebande formidable s'organisa, en même temps que quelques ports d'Amérique devenaient de véritables repaires de pirates. L'Angleterre mit successivement des restrictions à l'importation des sucres et des vins, à l'exportation des bois, à l'abattage des pins. L'autorité du Parlement de la métropole intervint de plus en plus dans les affaires des colonies. Elle avait établi un système de postes royales, interdit des émissions de papier-monnaie, établi une loi uniforme de naturalisation. Le seul droit que le Parlement n'eût jusqu'à cette: époque ni exercé ni revendiqué était celui d'imposer aux colonies des taxes directes ou intérieures. L'essai en fut tenté en 1765 par le vote du célèbre act du « timbre », proposé par le ministre Grenville et adopté par le Parlement comme une affaire sans conséquence. L'établissement de ce nouvel impôt en Amérique se rattachait cependant à tout un système élaboré au Board of Trade, et qui comprenait, outre cette imposition d'une taxe directe, destinée à faire participer les colonies aux charges de la dernière guerre, une application plus rigoureuse des lois de navigation, une répression sévère de la contrebande et renvoi de garnisons permanentes dans les grandes villes. Ces réformes étaient instamment réclamées par les gouverneurs royaux, que fatiguaient d'incessants démêlés avec les assemblées populaires. Il s'agissait de resserrer les liens de subordination relâchés par la guerre entre les colonies et la métropole, de mettre hors de toute contestation l'autorité de la couronne et du Parlement sur les établissements d'Amérique. Benjamin Franklin, qui était, à cette époque, l'agent à Londres du Massachusetts et de plusieurs autres colonies, avertit vainement les ministres du péril qu'allait faire naître l'adoption des nouvelles mesures. Le roi George III et ses ministres étaient décidés et n'écoutèrent point ses sages avis. Lorsque les gouverneurs voulurent procéder à l'application de l'impôt du timbre, des émeutes éclatèrent à Boston et à New York, l'assemblée de la Virginie protesta; des associations anti-anglaises, sous le nom de « Fils de la liberté », se formèrent dans les provinces; sur une invitation de l'assemblée du Massachusetts, les délégués de neuf colonies se réunirent en congrès à New York pour délibérer sur la situation (octobre 1765) et rédigèrent une pétition au roi et au Parlement ainsi qu'une exposition des droits et griefs des colonies. Débarquement des troupes britanniques dans le port de Boston en 1768. Tel fut le début de la lutte juridique engagée entre les Anglo-Américains et la métropole à l'occasion des taxes directes; elle dura jusqu'en 1775, première phase de l'évolution qui transforma de simples établissements coloniaux en une nation indépendante. Les principaux chefs du mouvement furent Samuel Adams et Warren dans la Nouvelle-Angleterre, Sears à New York, Patrick Henry en Virginie, un peu plus tard John Adams, Washington, Jefferson. Franklin représentait en Angleterre le nouvel esprit américain. La masse de la population, dans les colonies mêmes, se montra d'abord assez indifférente; les agitateurs durent se donner beaucoup de mal pour stimuler le zèle anti-anglais; ils fondèrent des comités de correspondance, des associations contre l'importation de marchandises anglaises et flétrirent les tièdes de l'épithète de tories. Les tièdes restèrent malgré tout fort nombreux, surtout dans le New York, la New Jersey, la Pennsylvanie et les Carolines. Même dans la Nouvelle Angleterre et en Virginie, lorsque les événements s'acheminèrent vers une solution violente, un fort parti royaliste entrava les efforts de la résistance, sans toutefois aider efficacement ceux de la répression. Ce n'est que peu à peu, sous la pression des circonstances et avec une répugnance manifeste, que la majorité des colons accepta l'idée d'une séparation nécessaire. Les esprits modérés et sages espérèrent jusqu'au dernier moment une réconciliation avec la métropole. Quelques-uns y travaillaient encore après que la poudre avait déjà parlé. En Angleterre, les démêlés du gouvernement avec les colonies intéressaient peu l'opinion publique. George III ne doutait pas qu'un peu de fermeté ne vint à bout de manifestations qu'il jugeait, assez naturellement, séditieuses. Les colonies ne protestaient pas contre un acte de sa propre autorité, mais contre une loi régulièrement votée par le Parlement; les ministres, soutenus par une forte majorité dans les deux Chambres, avaient le devoir de réprimer des symptômes de rébellion et de prendre des mesures pour empêcher le retour d'émeutes comme celles dont la population de Boston et de New York venait de se rendre coupable. il y avait toutefois, dans la Chambre des communes, une minorité libérale toute disposée à prendre fait et cause pour la revendication des droits coloniaux. Fox et ses amis ne désignèrent bientôt la cause américaine que par ces mots : la cause de la liberté. Burke et Pitt prononcèrent de magnifiques discours pour la défense des indépendantistes américains; il semblait à un grand nombre de whigs que la cause de la liberté en Angleterre fût liée à l'insuccès de la tentative du roi et des amis de la prérogative contre les libertés d'Amérique. Cette attitude parut, non sans raison, antipatriotique à une partie de la nation, surtout lorsque les Américains eurent passé de la résistance légale à la révolte ouverte; pendant plusieurs années, elle fut une cause de faiblesse pour le parti whig. Le ministère anglais n'était nullement porté, au début tout au moins, pour les mesures violentes. Devant l'éclat des protestations coloniales et pour ménager l'opposition, le gouvernement décida le retrait de l'act du timbre (1766), mais il eut la fâcheuse idée de faire voter en même temps par le Parlement une résolution affirmant « le droit qui appartient à la législature de taxer les colonies ». Or c'était bien plutôt contre le principe de la taxation directe que s'était élevé le sentiment public que contre la charge elle-même de la taxe du timbre, qui était très légère. Le gouverneraient royal crut avoir assez fait par cette concession de l'abrogation d'un impôt reconnu impopulaire. Voulant affirmer au delà de l'Atlantique l'autorité royale et parlementaire, il établit une garnison britannique dans la ville de New York, où la population était loyaliste en très grande majorité, envoya des instructions nouvelles aux gouverneurs et aux agents des douanes pour l'exécution des lois de navigation et la répression de la contrebande, et fit voter par le Parlement de nouveaux droits à l'entrée de diverses marchandises, vins, huiles, fruits, plomb, verre, papier, couleurs et thé, dans les ports d'Amérique (1767). Ces droits étaient peu élevés ; le ministère insistait sur ce point, qu'ils étaient surtout établis pour le principe, et c'est justement ce qui devait les rendre odieux aux Américains. La controverse qui avait fait rage en 1765 contre l'imposition aux colonies des taxes directes, attaqua maintenant la légitimité, jusqu'alors tacitement admise, des taxes indirectes et des restrictions commerciales. Les pamphlets jaillirent de toutes les presses coloniales; Dickinson publia ses « Lettres d'un cultivateur de la Pennsylvanie ». Essais, lettres, mémoires, adresses au Parlement, pétitions au roi se multiplièrent. On put croire que la grande querelle allait se noyer dans des flots d'encre. Cependant les associations se reformèrent pour la non-importation des marchandises anglaises et le thé fut proscrit des tables américaines. Des comités anti-anglais et farouches assumèrent la tâche de dénoncer comme traîtres à la cause commune les citoyens qui s'abreuvaient en secret de cette boisson, devenue symbole de la tyrannie. Des agents douaniers furent assaillis sur divers points, leurs bureaux saccagés, leurs papiers brûlés. L'assemblée du Massachusetts favorisant par son attitude ces désordres populaires, Bernard, gouverneur, la déclara dissoute et demanda au ministère l'envoi d'une garnison à Boston (1768). Les troupes débarquèrent en octobre et occupèrent Faneuil Hall, lieu de réunion des indépendantistes. Il faut bien reconnaître que la conduite des représentants du Massachusetts parut scandaleuse dans la métropole, et que les whigs mêmes n'osèrent prendre la défense de leurs amis américains, dont les prétentions étaient jugées quelque peu extravagantes. L'année suivante, nouveau scandale, donné cette fois par l'assemblée de Virginie qui, malgré les manières affables et la politique conciliante du gouverneur, lord Botetourt, s'avisa de voter des résolutions contestant une fois de plus le droit du Parlement d'imposer des taxes aux colonies. La Chambre virginienne fut dissoute ; les députés, à l'instigation de Washington et de Mason, signèrent aussitôt en réunion privée les statuts d'une association intercoloniale contre l'emploi de marchandises anglaises. Les assemblées des autres colonies suivirent l'exemple que venaient donner celles du Massachusetts et de la Virginie; plusieurs furent dissoutes, sans que l'abus de cette arme de la dissolution, la seule dont les gouverneurs pussent légalement disposer, modifiât rien à la situation. Cette ténacité dans la résistance lassa le cabinet et l'opinion publique en Angleterre. Les libéraux raillaient l'insignifiance du revenu procuré par la taxe sur le thé; ils demandèrent le rappel des derniers droits imposés. Le cabinet, présidé par lord North, qui n'apportait dans l'affaire aucune disposition fanatique et voulait simplement plaire à son roi, finit par céder ce point à l'opposition. Tous les droits furent supprimés (1770), sauf celui sur le thé, toujours pour le principe, et cette unique exception fut l'origine directe de la révolution américaine. Le clash Le mauvais sort du cabinet britannique le poussa à vouloir le dernier mot sur ce point. Tandis que Samuel Adams, à Boston, ennemi irréconciliable de la suprématie de l'Angleterre, continuait patiemment son oeuvre de préparation révolutionnaire par l'organisation de comités permanents de correspondance, lord North et le roi, persuadés que les idées de rébellion étaient éteintes dans la plupart des colonies, décidèrent qu'il fallait que la volonté du Parlement ne fût pas plus longtemps éludée. Sur l'ordre du ministère, la Compagnie des Indes dirigea sur plusieurs ports d'Amérique des cargaisons de thé (1773). Les indépendantistes, prévenus, organisèrent l'insurrection contre le thé officiel. A Boston, les navires qui l'apportaient furent envahis par des hommes déguisés en Indiens et toutes les caisses de thé jetées à la mer. Les cargaisons, dans les autres ports, ne purent être débarquées, on pourrirent dans les magasins. Ces incidents provoquèrent une grande indignation en Angleterre; le Parlement, sur la proposition de lord North, vota (1774) plusieurs lois destinées à la punition de la ville de Boston. Il avait été décidé en conseil des ministres, sous la présidence du roi, que l'on se trouvait en présence d'une rébellion, qui devait être réprimée, non plus par la persuasion, mais par la force. Les lois votées déclaraient le port de Boston fermé à tout commerce jusqu'à décision contraire du roi, et supprimaient les libertés contenues dans la charte du Massachusetts. On envoyait en même temps le général Gage tenir garnison avec quatre régiments à Boston. On lui donnait le double titre de commandant en chef des troupes anglaises de l'Amérique du Nord et de gouverneur civil du Massachusetts, mais non point cependant le droit de proclamer la loi martiale, ni de sortir de la légalité, inconséquence bien britannique, qui faisait honneur à la modération des gouvernants anglais, mais qui devait paralyser les essais de répression de la nouvelle autorité militaire. Le premier acte de Gage à Boston fut de dissoudre l'assemblée. Samuel Adams et Warren avaient eu toute fois le temps de faire voter à celle-ci une adresse à toutes les autres colonies, les informant de la situation faite au Massachusetts et les invitant à envoyer des délégués à un congrès continental qui se réunirait le 1er sept. suivant (1774) à Philadelphie. Dans la province même, Gage ne put obtenir aucune soumission hors des limites de Boston. Des bandes armées interrompirent le cours de la justice; la milice s'exerça, un congrès insurrectionnel de la colonie s'occupa de réunir de la poudre et des armes; ce congrès siégeait à Concord, non loin de Boston; lorsqu'il se sépara, il laissa ses pouvoirs à un « comité de salut public ». La réponse des colonies à l'appel du Massachusetts fut aussi chaleureuse qu'avait pu l'espérer Samuel Adams. La Virginie, sous son dernier gouverneur royal, lord Dunmore, était déjà en pleine révolution. Jefferson publiait une « Vue sommaire des droits de l'Amérique anglaise » ; toutes les sectes dissidentes donnaient l'assaut à l'Église officielle. L'assemblée fut dissoute par Dunmore, pour avoir déclaré que le 1er juin, jour de la fermeture du port de Boston, serait un jour de jeûne. Une convention populaire se réunit et nomma des délégués pour le Congrès continental. Le New York, la Pennsylvanie, toutes les autres provinces, se joignirent avec plus ou moins d'enthousiasme au mouvement. Le Congrès se réunit du 5 septembre au 26 octobre 1774. Il comptait cinquante-cinq délégués représentant douze colonies (la Géorgie, trop faible encore et trop éloignée, s'était abstenue). Il rédigea une Déclaration de droits, des adresses au roi et au peuple de la Grande-Bretagne, une résolution visant l'interruption des relations commerciales avec l'Angleterre, puis s'ajourna au mois de mai 1775. Lord Chatham, en Angleterre, demanda en janvier 1775 le rappel des troupes d'Amérique, déclarant que les prétendus rebelles n'étaient que des whigs anglais. Mais le ministère disposait d'une majorité très forte et le roi ne voulait plus entendre parler de conciliation; rien que la soumission formelle du Massachusetts ne pouvait le satisfaire. Gage avait dit, l'année précédente, que quatre régiments lui suffiraient pour rétablir l'ordre partout. Il ne le disait plus en 1775, mais on était tout disposé à lui envoyer les renforts nécessaires. Lord North, qui savait pouvoir compter sur la province de New York, eut l'habileté, tout en faisant repousser la proposition de Chatham, de lui substituer des résolutions propres à semer la division entre les colonies en offrant un retour facile au loyalisme pour celles qui n'étaient point encore trop engagées. Mais ces dernières tentatives étaient superflues. Franklin quittait l'Angleterre, n'espérant rien d'un séjour plus long dans un pays devenu ennemi; il emportait avec lui la dernière chance d'un compromis entre l'Amérique et la métropole. Presque dans le même temps, les troupes de Gage, dans une sortie à peu de distance de Boston, se heurtaient aux miliciens du Massachusetts à Lexington (19 avril 1775) et étaient vivement ramenées par eux dans la ville, en laissant sur la route un quart de leur effectif. Ce combat, livré par hasard, précipita la révolution. Des volontaires affluèrent des colonies voisines et, en peu de jours, 20 000 hommes, une foule, il est vrai, plutôt qu'une armée, assiégèrent Gage dans Boston. La Virginie chassa le gouverneur royal, Dunmore, de Williamsburg; les indépendantistes, Patrick Henry, Henry Lee, Washington et Jefferson, levèrent des compagnies de volontaires. Dans le Nord de la province de New York, un coup de main des Green Mountain Boys, conduits par Ethan Allen, enleva aux Anglais les forts de Ticonderoga et de Crown Point, qui commandaient Ia route du Canada (10 mai). Le même jour, se réunit à Philadelphie le Congrès continental, dont Franklin, à peine débarqué d'Angleterre, venait d'être nommé membre par ses concitoyens de Pennsylvanie. Les délégués de cette assemblée se trouvaient dans un singulier état d'esprit. Très peu d'entre eux osaient songer encore à une rupture avec l'Angleterre comme à une nécessité inévitable, et il fallait prendre en hâte les mesures les plus graves pour parer aux conséquences du combat de Lexington. Dans la session de l'automne précédent, Patrick Henry avait prononcé au Congrès ces paroles célèbres « La tyrannie anglaise a effacé les limites qui séparaient l'une de l'autre les colonies [...] je ne suis pas Virginien, je suis Américain. »Ce cri avait alors paru prématuré. Il était mieux en situation en mai 1775, après Lexington. L'insuffisance des moyens de communication avait été jusqu'alors un grand obstacle à une fusion d'idées et d'intérêts entre tous les colons. Maintenant, un choc extérieur faisait jaillir une pensée qui sommeillait depuis longtemps dans leurs consciences, et qui était que leur éloignement des autres peuples et de l'Angleterre les destinait à former une nation distincte. Réunis pour délibérer sur des sujets d'intérêts communs et pour préparer des solutions graves, ils comprenaient, mieux qu'ils n'avaient fait jusqu'alors, que de grandes similitudes existaient entre les divers établissements. Malgré les différences dans les conditions originelles d'existence et dans l'état social actuel, les institutions politiques étaient devenues, dans tous, à peu près semblables et d'une égale simplicité : ni rois, ni évêques, ni lords; des gouverneurs souvent changés, des assemblées réélues chaque année, votant les taxes et fixant les traitements d'un petit nombre de fonctionnaires, y compris le gouverneur. Pour toute force militaire, une indice; la terre, aisée à acquérir, sans valeur à quelque distance du rivage, libre au premier occupant; partout, sous des formes plus ou moins démocratiques ou aristocratiques, un régime républicain, la pratique des libertés communales, une longue expérience du self-government. Quelques mois après Lexington, toutes les provinces, ou à peu près, avaient chassé leurs gouverneurs et, sans autre changement, étaient devenues des communautés autonomes. L'union était pour ces raisons rendue facile. Elle s'accomplit par voie révolutionnaire, l'Assemblée qui la prépara ayant dit, par la force des choses et dès 1775; dépasser de beaucoup les instructions dont ses membres avaient été munis. Cette assemblée, repoussant encore toute idée de séparation, adressa une nouvelle pétition au roi, mais en même temps assuma l'autorité centrale, qui ne pouvait résider nulle part qu'en elle, et donna des ordres, sans que la population, qui n'avait point élu ses délégués pour cet objet, eût un instant la pensée de protester contre une usurpation illégale de pouvoirs. Le Congrès prit des mesures pour lever une armée et acheta des armes et des munitions, créa une monnaie de papier (billets de crédit continentaux) sur la garantie des « Colonies unies », adopta comme noyau de l'armée continentale les milices campées devant Boston; sur la proposition des représentants de la Nouvelle-Angleterre, elle nomma à l'unanimité le Virginien George Washington général en chef (15 juin 1775). Le Congrès se trouva ainsi amené, par une évolution rapide des faits, à diriger la guerre, à jouer le rôle d'un gouvernement national et à prendre des engagements au nom de la collectivité des colonies. Une nouvelle bataille, Bunker's Hill (17 juin), ou les troupes coloniales tinrent tête, aux portes même de Boston, à toute la garnison de cette place et où les Anglais perdirent plus d'un millier d'hommes, démontra à tous les veux que la rupture était définitive et qu'il ne restait maintenant qu'à gagner, ce qui était le terme logique, nécessaire d'un tel mouvement, l'indépendance. Le Congrès s'ajourna du 1er août au 5 septembre. A cette date, plusieurs délégations se trouvaient renouvelées; d'autres le furent de temps en temps, au gré de chaque province. Ces modifications ne se produisant pas simultanément, il en résulta une sorte de permanence de l'Assemblée, un roulement qui fit passer successivement par ce Congrès jusqu'en 1789, époque où fut mise en vigueur la seconde constitution des États-Unis, presque tous les hommes marquants de chaque colonie. Le mouvement révolutionnaire s'accentua pendant la seconde moitié de l'année 1775. L'autorité royale étant partout abolie, le Congrès engagea les colonies à se donner des institutions fixes. Il institua lui-même, pour la décharge de ses attributions exécutives, des comités permanents de la guerre, des finances, de la marine, et bientôt des affaires extérieures. |
. |
|
| ||||||||
|