| Vers 1750, l'Angleterre possédait au delà de l'Atlantique un véritable empire colonial. Les treize colonies qui devaient, vingt-cinq ans plus tard, s'unir pour l'affranchissement, étaient déjà fondées, occupant toute la côte du Nord au Sud, sans solution de continuité, du Kennebec à l'Altamaha, dans l'ordre suivant : New Hampshire, Massachusetts, Rhode Island, Connecticut, New York, New jersey, Pennsylvanie, Delaware, Maryland, Virginie, Caroline du Nord, Caroline du Sud, Géorgie. La population totale s'était rapidement élevée, de 450 000 habitants en 1645 à 1 million en 1740, et 1 million et demi (dont 300 000 Noirs) en 1755. Elle était très inégalement répartie : les trois colonies les plus puissantes et les plus riches étaient la Virginie, le Massachusetts et la Pennsylvanie, les plus faibles le Delaware et la Géorgie, celle-ci encore dans l'enfance. Un premier groupement, celui qui a été adopté jusqu'ici (Les premiers établissements), les répartit en trois groupes géographiques : du Nord, du Centre et du Sud, différents par le climat, le genre des cultures, l'origine des populations, les croyances, les conditions d'existence, les intérêts économiques. Le climat du Nord était propice à la formation des petites fermes, celui du Sud au régime des grandes plantations, le travail libre, personnel, pouvait seul au Nord arracher à la terre un produit d'où l'on pût vivre; dès le début de la colonisation, le travail des Noirs parut dans le Sud une condition indispensable de succès. L'esprit d'aventure, puis la défaite de la royauté en Angleterre peuplèrent la Virginie, la pensée de constituer un refuge pour les catholiques colonisa le Maryland, la persécution des puritains sous Charles ler donna naissance aux républiques de la Nouvelle-Angleterre. Les quakers importèrent en Pennsylvanie l'esprit pondéré, sage, les tendances humanitaires, les moeurs simples, le sens pratique, l'esprit des affaires. La colonie de New York fut fondée par et pour le commerce. Dans les autres colonies, les différences d'origine étaient moins tranchées, les populations plus mélangées. New York garda longtemps la marque hollandaise et ne l'a peut-être jamais complètement perdue. Les Allemands envahirent la vallée du Mohawk dans le New York, celles de la Juniata en Pennsylvanie et de la Shenandoah en Virginie, le haut pays dans les Carolines; on les trouve parmi les premiers colons de la Géorgie. Les presbytériens d'Écosse et d'Irlande étaient partout, aussi nombreux au Sud qu'au Nord; des calvinistes de France s'établirent dans les Carolines et dans le New York. Les puritains étaient nombreux dans les colonies du Sud, même au temps où l'élément cavalier régnait en maître avec Berkeley. Les moeurs, comme les institutions, furent essentiellement démocratiques (après avoir été pendant quatre-vingts ans théocratiques) dans la Nouvelle-Angleterre et la Pennsylvanie; essentiellement aristocratiques au contraire dans les colonies du Sud, où les Noirs, menés comme du bétail, récoltaient pour leurs maîtres blancs le tabac, puis l'indigo et le riz, plus tard le coton, sous le fouet des surveillants (overseers). L'esclavage n'était pas moins accepté au Nord qu'au Sud, mais les Noirs y étaient beaucoup moins nombreux et exclusivement affectés au service domestique. Les institutions communales étaient beaucoup plus développées au Nord qu'au Sud. L'organisation politique des colonies était devenue presque uniforme par la suppression des chartes ou la renonciation des propriétaires à leurs droits. Il ne restait plus que deux colonies appartenant à des propriétaires, le Maryland et la Pennsylvanie, et deux aussi ayant le droit de nommer elles-mêmes leurs gouverneurs, conservant par conséquent leur autonomie primitive, le Connecticut et le Rhode Island. Toutes les autres étaient des provinces royales où l'autorité de la couronne était représentée par un gouverneur et un conseil nommés par le roi. Toutes possédaient des assemblées élues par la population, votant les taxes et faisant des lois soumises à la sanction du pouvoir métropolitain. L'histoire intérieure des colonies au XVIIIe siècle est remplie à peu près exclusivement des démêlés entre les assemblées coloniales et les gouverneurs royaux, aussi bien dans les provinces du Sud, où ces assemblées étaient aux mains des grands planteurs, que dans celles du Nord où la représentation était populaire et démocratique. La configuration géographique des treize colonies était quelque peu différente de celle des États qui portent encore aujourd'hui leurs noms. Bien qu'elles fussent à peine peuplées sur la côte, leur territoire était plus étendu, et même, pour la plupart, illimité du côté de l'Ouest. La charte de Virginie n'avait fixé de limite qu'au Nord et au Sud. La Compagnie de la Baie obtint expressément le droit d'étendre sa domination jusqu'au Pacifique. Les chartes du Connecticut, de la Caroline, de la Géorgie contenaient la même clause. Les provinces de New York, du Delaware et de New Jersey n'eurent pas de limites originelles; les circonstances délimitèrent ultérieurement leur territoire. Le Delaware et le New Jersey se virent confinés sur la côte par des concessions voisines. Le New York dut son extension vers le Nord et l'Ouest, jusqu'aux lacs et au Saint-Laurent, à la longue hostilité de la confédération indienne des Cinq Nations contre le Canada français. Le Rhode Island et le New Hampshire furent également enfermés de bonne heure du coté des terres par des droits antérieurs ou plus forts. Seules les deux colonies de Maryland et de Pennsylvanie eurent des frontières occidentales fixées dès le début. La ligne de démarquation entre les terres attribuées à Penn et celles qui appartenaient à lord Baltimore avait été fixée par deux géomètres venus d'Angleterre, Mason et Dixon. Ils avaient tracée une ligne 1762 à 1767 longue de 526 kilomètres. Elle suivait le parallèle 39°43'26". Cette ligne sera par la suite la démarcation entre les Etats esclavagistes ("Dixieland", du nom de Dixon) du Sud et les Etats du Nord. Après l'affranchissement, on verra toutes les colonies renoncer dans l'intérêt de la communauté fédérale à leur extension vers l'Ouest (1784). Plus tard encore, trois États nouveaux seront formés par démembrement des États primitifs, le Vermont du New York (1791); le Maine du Massachusetts (1820); la Virginie occidentale de la Virginie (1863). L'historien von Holst a dit que les treize colonies différaient entre elles si largement qu'il est plus facile de noter les traits essentiels qui les séparent que de découvrir leurs points de ressemblance. Elles n'avaient qu'un lien géographique, leur éloignement de l'Europe, qu'un lien moral, leur relation à une métropole commune. Si les Anglais chez eux employaient le mot « Américains » pour désigner les colons transatlantiques, les colons ne s'en servaient pas pour se désigner eux-mêmes. Chaque colon était d'abord un enfant de sa propre colonie, ensuite un Anglais. Au milieu du XVIIIe siècle, cette situation se modifiait déjà sous la double influence du développement rapide de la population et des efforts communs que durent faire les treize provinces pour lutter contre la colonisation française. Alors commence une histoire générale des établissements britanniques. | |