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La Doctrine de Monroe |
On a donné
le nom de Doctrine de Monroe au principe directeur constant de la
politique extérieure des Etats-Unis
jusqu'à la fin XIXe siècle
et, qui avec des formes et des interprétations diverses, a continué
d'ailleurs de se perpétuer jusqu'à nos jours. Elle se résume
lapidairement en deux propositions : pas d'intervention des Européens
sur le continent Américain; pas
d'ingérence des Etats-Unis dans les affaires de l'Europe.
Cette doctrine a résulté de l'énonciation par le président des Etats-Unis, James Monroe (1759-1831) des principes que le gouvernement américain croyait de son devoir d'appliquer à la conduite des affaires extérieures de la république, en face de projets d'intervention sur le continent américain attribués à certaines puissances européennes. La Russie, l'Autriche, la Prusse avaient formé entre elles la « Sainte-Alliance » pour le défense des principes de la légitimité. Cette combinaison, affirmée par le manifeste de Laybach (1821), faisait la police de l'Europe. La France, ayant adhéré aux principes de la Sainte-Alliance, fut chargée par les puissances qui la composaient (congrès de Vérone, 1822), de rétablir en Espagne la monarchie absolue. L'expédition eut lieu en 1823, les troupes françaises occupèrent Madrid le 24 mai, et, bientôt après, Cadix, où s'était réfugiées les Cortès. Le bruit se répandit que Louis XVIII avait l'intention de convoquer un congrès pour que l'on aidât l'Espagne (où Ferdinand VII était rétabli en possession de toutes ses foncrions) à restaurer sa domination sur ses anciennes colonies d'Amérique devenues des Etats indépendants, reconnus par le gouvernement des Etats-Unis. C'est alors que Monroe, à l'instigation de Canning, ministre des affaires étrangères d'Angleterre, qu'inquiétaient les tendances de la Sainte-Alliance, inséra dans son message annuel au congrès (2 décembre 1823), après avoir pris conseil de son secrétaire d'Etat, John Quincy Adams, et de son prédécesseur à la présidence, Thomas Jefferson, les passages suivants, qui constituent ce que l'histoire, à partir de 1854, a appelé la « Doctrine de Monroe » : Dans les discussions auxquelles cet intérêt a donné lieu (négociations avec la Russie au sujet de l'Alaska) et dans les arrangements qui peuvent les terminer, l'occasion a été jugée convenable pour affirmer, comme un principe où sont impliqués les droits et les intérêts des Etats-Unis, que les continents américains, par la condition libre et indépendante qu'ils ont conquise et qu'ils maintiennent, ne doivent plus être considérés comme susceptibles de colonisation à l'avenir par aucune puissance européenne [...].Dans le paragraphe suivant du même message se trouve encore un commentaire, un « prolongement » de la « doctrine », qu'il est intéressant de relever : Mais, en ce qui concerne ces continents [l'Amérique du Nord et du Sud], les circonstances sont éminemment et remarquablement différentes. Il est impossible que les puissances alliées puissent étendre leur système politique à aucune portion de l'un ou de l'autre continent sans mettre en danger notre tranquillité et notre bonheur; et personne ne peut croire que nos frères de l'Amérique du Sud, s'ils étaient laissés à eux-mêmes, dussent adopter de leur propre gré ce système politique. Il est également impossible, en conséquence, que nous considérions avec indifférence une telle extension, sous quelque forme qu'elle se produise. Si nous considérons la force et les ressources respectives de l'Espagne et de ces nouveaux gouvernements, et la distance qui sépare les deux parties, il est évident que l'Espagne ne pourra jamais réduire ses anciennes colonies. La véritable politique des Etats-Unis est toujours de laisser à elles-mêmes les parties en conflit, dans l'espoir que les autres puissances adopteront la même attitude.En somme, la déclaration de Monroe proclame les principes suivants : 1° Les territoires américains ne sont plus susceptibles de colonisation. Les Etats-Unis respectent les colonies européennes en Amérique, mais n'admettront pas que les puissances de l'ancien continent en créent de nouvelles; James Monroe, cinquième président des Etats-Unis. La doctrine de Monroe apparaît donc comme un avertissement solennel, donné par l'Amérique à la Pentarchie (Autriche, Prusse, Russie, Angleterre, France) , d'avoir à respecter l'indépendance et la souveraineté des Etats-Unis. Doctrine, du reste, éminemment utilitaire, elle affirme en même temps le droit, pour le gouvernement de Washington, de jouer sur tout le continent américain le rôle protecteur que la Sainte-Alliance s'était attribué vis-à-vis de l'Ancien continent : "A vous l'Europe, à moi l'Amérique!"Avec le temps cette doctrine s'était amplifiée et a servi de base à une politique d'hégémonie et à une politique impérialiste des Etats-Unis. A la vérité, la politique
d'hégémonie est tout entière en germe dans la doctrine
de Monroe, qui tend virtuellement à assurer la prépondérance
des Etats-Unis dans le Nouveau monde, tout en respectant l'indépendance
des Etats américains. Quant à la politique impérialiste
des Etats-Unis, visant à établir leur supériorité
politique ou commerciale dans toutes les parties du monde, cette politique
n'a aucun rapport avec la doctrine de Monroe, et elle doit être considérée
tout au plus comme un besoin moderne des puissances d'étendre leur
sphère d'influence, afin de soutenir, avec le plus de chances de
succès possible, la lutte économique, devenue si âpre
dès avant la guerre de 1914-1918, alors qu'elle était à
peu pris ignorée à l'époque du président Monroe.
Mentionnons, pour mémoire, deux faits particulièrement importants : la guerre du Mexique (1861-1867) et le conflit entre la République vénézuélienne et la Guyane anglaise (délimitation de frontières, 1895-1897). Dans l'affaire du Mexique (il s'agissait, on le sait, de donner à ce pays une constitution monarchique, avec le jeune archiduc d'Autriche, Maximilien), Napoléon Ill (qui avait signé, le 31 octobre 1861, avec l'Espagne et la Grande-Bretagne, une convention aux termes de laquelle les puissances intervenantes s'engageaient à ne rechercher pour elles-mêmes aucune acquisition de territoire et à ne porter aucune atteinte au droit de la nation mexicaine de constituer librement la forme de son gouvernement), s'était proposé, en réalité (lettre au général Forey, du 3 juillet 1863), de mettre obstacle à l'absorption de cette partie de l'Amérique par les Etats-Unis, de rétablir en Amérique le prestige des populations latines et d'avoir, au Mexique, un gouvernement plus sympathique aux intérêts de l'Europe et de la France en particulier. C'était aller directement à l'encontre des principes énoncés dans la doctrine de Monroe. Aussi, les Etats-Unis n'eurent qu'une hâte : voir les troupes françaises évacuer le Mexique. Ils multiplièrent les dépêches et les avertissements, représentant au gouvernement de Paris que la forme républicaine avait toujours été considérée comme le type absolu de gouvernement dans tout le continent américain, que la guerre entre la France et le Mexique était dangereuse pour la cause républicaine et pour les Etats-Unis; qu'il importait d'y mettre un terme et qu'en tous les cas le Congrès refuserait unanimement de reconnaître la nouvelle monarchie mexicaine. Finalement, la France rappela ses troupes, et Maximilien, réduit à ses propres forces, fut pris et fusillé (1867). L'affaire du Venezuela mérite aussi d'être citée, car elle donna lieu à un échange de notes très vif, en 1895, entre le sous-secrétaire d'État Olney et lord Salisbury. Les Etats-Unis prétendirent, alors, que les Etats américains du Sud, comme du Nord, étaient, commercialement et politiquement, leurs alliés : « Permettre à un Etat européen de mettre la main sur l'un d'eux serait bouleverser cet état de choses et sacrifier tous les avantages que les Etats-Unis retirent de ces relations naturelles. »Et, comme lord Salisbury répondit que la doctrine de Monroe ne dérivait pas d'un principe de droit international fondé sur le consentement universel, les Etats-Unis répliquèrent qu'ils pouvaient se prévaloir légitimement de cette doctrine, consacrée par de nombreux précédents et qui avait sa place dans le Code international, comme si elle y avait été spécifiquement mentionnée. En fin de compte, le président Cleveland proposa au Congrès de Washington de nommer une commission pour procéder à la délimitation de frontière qui faisait l'objet du litige entre la République vénézuélienne et la Guyane anglaise (17 décembre 1895)-: « Une fois le rapport établi et accepté par le Congrès, ce sera un devoir pour les Etats-Unis de résister à toute usurpation, par la Grande-Bretagne, d'un territoire quelconque ou d'une juridiction quelconque sur un territoire que nous aurions regardé comme appartenant au Venezuela. »C'était une déclaration de guerre anticipée. Les Etats-Unis se posaient ainsi en arbitres entre le Venezuela et la possession anglaise et menaçaient, d'imposer au besoin par les armes, la sentence qu'ils auraient rendue. On voit la différence entre les deux cas qui viennent d'être cités : • Affaire du Mexique : les Etats-Unis, au nom de la doctrine de Monroe, s'opposent à l'intervention des puissances européennes dans la politique d'un Etat américain.Soucieux, avant tout, de leur indépendance et de leur souveraineté, les Etats-Unis ont encore montré, au cours des deux conférences de La Haye (1899-1907), combien ils tenaient à la doctrine qui résume si heureusement leurs aspirations et protège si bien leur existence. A la conférence de La Haye de 1899, les Etats-Unis n'ont consenti à signer l'article 27 (institution d'une Cour permanente d'arbitrage) qu'après avoir fait insérer au procès-verbal de la conférence une déclaration constatant que les hautes parties contractantes reconnaissaient l'existence de la doctrine de Monroe. Les Etats-Unis avaient, du reste, exprimé la crainte que la médiation offerte par un Etat tiers, dans un conflit entre deux puissances, ne fût pas désintéressée et ressemblât par trop à une intervention. Aussi est-il dit, à l'article 27, que : « Le fait par les puissances signataires de rappeler aux parties en conflit que la Cour permanente d'arbitrage leur est ouverte et le conseil donné, dans l'intérêt supérieur de la paix, de s'adresser à cette Cour, ne peuvent être considérés que comme actes de bons offices. »A la conférence navale de Londres (1909), lorsqu'il s'est agi de la Cour internationale des prises, instituée par la conférence de La Haye de 1907, pour servir de moyen de recours international contre les décisions des tribunaux nationaux de prises, les Etats-Unis soulevèrent une objection d'ordre constitutionnel, ne pouvant admettre qu'une décision de la Cour internationale pût, sans porter atteinte à la souveraineté des Etats-Unis, annuler un arrêt des tribunaux américains et, spécialement, un arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis. Aussi la Conférence de Londres, dans son protocole final, a-t-elle émis le voeu - réalisé par le protocole additionnel, signé à La Haye le 19 septembre 1910 - que les puissances aient la faculté de déclarer que, dans les affaires de prises, le recours devant la Cour internationale ne pourra être exercé contre elles que sous la forme d'une action en indemnité du préjudice causé par la capture, sans que la Cour ait à infirmer ou confirmer la décision des tribunaux nationaux. La guerre de 1914-1918 n'aurait-elle pas dû, aux termes mêmes de la doctrine de Monroe, trouver les Etats-Unis indifférents et neutres jusqu'au bout? N'est-il pas dit dans cette déclaration que les Etats-Unis pratiquent à l'égard de l'Europe une politique de non-intervention? Le gouvernement de Washington, en se rangeant au côtés des Alliés en 1917, n'a-t-il pas méconnu les principes posés par le président Monroe en 1823? Non; car il est spécifié aux termes mêmes de la célèbre déclaration : « La véritable politique des Etats-Unis est toujours de laisser à elles-mêmes les parties en conflit. C'est seulement quand nos droits sont attaqués ou sérieusement menacés que nous faisons des préparatifs pour notre défense. »Le président Wilson était donc dans la plus pure tradition américaine lorsqu'il a dit (11 février 1918, discours au Congrès) : « Les Etats-Unis n'ont aucun désir d'intervenir dans les affaires européennes, non plus que d'agir comme arbitres, en Europe, des discussions territoriales. Ils se refusent à profiter de toute faiblesse ou de tous désordres intérieurs pour imposer leur volonté à un autre peuple. Les Etats-Unis sont entrés en guerre parce qu'ils sont devenus, bon gré mal gré, victimes, eux aussi, des souffrances et des humiliations infligées par les maîtres militaires de l'Allemagne à la paix et à la sécurité de l'humanité. »Nous ne rappellerons pas les torts causés à l'Amérique par l'Allemagne, les faits d'ingérence dans les affaires intérieures des Etats-Unis, les actes dont leur marine marchande a été la victime de la part des sous-marins allemands. Menacée dans son indépendante et dans sa souveraineté, la grande Confédération de l'Amérique du Nord n'avait que trop de motifs d'intervenir, pour montrer à l'Allemagne, au nom même de la doctrine de Monroe, qu'elle entendait être maîtresse chez elle. Mais, en même temps, l'attitude non hostile des Etats-Unis à l'égard du gouvernement des soviets de Moscou, attitude qui a paru choquer ceux qui voyaient dans le bolchevisme un péril mondial, s'éclaire à la lumière de la doctrine de Monroe : « Notre politique, y est-il dit, consiste à regarder le gouvernement de fait comme légitime relativement à nous. »Mais voici que le président Wilson prône la création d'une Société des Nations (SDN) qui serait, pour les peuples de l'univers, une garantie permanente de paix et qui arbitrerait loue les conflits et saurait imposer, par l'application de sanctions adéquates, ses décisions aux Etats qui violeraient le pacte social. La Conférence de la paix qui siège à Paris a mis sur pied, selon le désir et suivant les indications du président Wilson, un projet de pacte pouvant servir de fondement à cette Ligue des nations. Il était permis de se demander quel accueil les hommes politiques d'Amérique feraient à ce document. Ne considéreraient-ils pas qu'il est en contradiction avec la doctrine de Monroe, en ce sens qu'il pourrait, le cas échéant, porter atteinte à la souveraineté des Etats-Unis et lier jusqu'à un certain point sa politique américaine? Il est de fait que le président Wilson, en allant porter au Sénat de Washington le projet élaboré par la Conférence de Paris, s'est heurté à une opposition, conduite par le sénateur Lodge, et qui a pris la forme d'une manoeuvre obstructionniste. Mais le président Wilson était tenace, assez pour convaincre les plus réfractaires qu'il s'agit, en somme, ainsi qu'il le disait dans un discours au Sénat du 22 janvier 1917, d'obtenir de toutes les nations d'adopter comme une doctrine mondiale la doctrine de Monroe. (Maurice Duval /A. Moireau). |
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