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Jules César
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Compendium Cursus honorum De bello gallorum
Alea jacta est Imperator et Dictator De commentarii Caesaris
Imperator et dictator

Dion Cassius nous informe (XLIII, 44) que César après Munda fut appelé imperator, non pas au sens purement honorifique qu'avait ce mot, quand un général était ainsi acclamé à la suite d'une victoire, mais plutôt comme sytmbole de l'imperium, c.-à-d. de l'omnipotence politique dont il était investi. C'était là, ajoute cet auteur, une sorte de nom propre; mais à la différence d'Auguste, César, quoi qu'en dise Suétone (Jules César, 76), n'en fit jamais un prénom; il le plaça généralement après son, nom, et avant ses titres officiels. Ex : C. Julius Caesar imperator, dictator quartum, consul quintum. (Josèphe, Ant. Jud., XIV, 10, 7.) Le Sénat et les comices furent non pas supprimés, mais annulés. En vertu de ses pouvoirs censoriaux, César recruta le Sénat à sa guise. Auparavant, le chiffre normal des membres de cette assemblée était de 600; il le porta à 900. Si l'on tient compte, en outre, des vides que la guerre y fit ou qu'il y fit lui-même par des expulsions, on voit qu'il la renouvela dans une large mesure. Quand il était consul, il la présidait; quand il ne l'était pas, il siégeait entre les deux consuls, et un peu au-dessus d'eux, pour bien marquer sa prééminence; au reste, il opinait toujours le premier, et son avis était le plus souvent un ordre. Quant aux comices, ils gardèrent en principe le droit d'édicter seuls des lois, mais il fut entendu que les ordonnances du dictateur auraient force de loi durant sa vie. Il partagea avec le peuple le pouvoir électoral, il eut la nomination des consuls, de la moitié des préteurs et de la moitié des questeurs; il fut libre de conférer à un citoyen l'honorariat d'une charge qu'il n'avait pas occupée, et il avait toutes ces magistratures au point de les laisser parfois vacantes; en 47, Rome fut dépourvue de préteurs, d'édiles curules, de questeurs, et pendant quelques mois, de consuls; il en fut de même en 45, sauf que cette année-là César fut consul unique. Bien plus, quand il s'absentait, il laissait l'administration de la ville à un préfet urbain ou à un particulier honoré de sa confiance, tel que L. Cornelius Balbus, un Espagnol.

Il serait trop long d'entrer ici dans le détail de ses réformes; il suffira d'indiquer sommairement dans quel esprit il gouverna. Il ne fut pas homme de parti; il ne songea qu'à l'intérêt général. Il se montra équitable à l'égard des anciennes factions et délitent envers ses adversaires. Il releva les statues de Sylla et de Pompée, comme jadis les trophées de Marius; mais en même temps il répara quelques-unes de leurs injustices ou adoucit quelques-unes de leurs rigueurs; les fils des proscrits de Sylla cessèrent d'être inéligibles aux fonctions publiques, et plusieurs citoyens chassés du Sénat par Pompée y rentrèrent. Tous les exilés politiques furent rappelés, sauf ceux qui, comme Milon, étaient indignes de pardon. La générosité de César n'eut d'autre limite que le souci de sa sûreté. Presque tous les Pompéiens obtinrent la faveur de revenir à Rome, et, s'il se fit parfois prier pour octroyer sa grâce (Ex. Marcellus), il ne la refusa jamais à quiconque se soumettait. Il n'hésita même pas à accepter les services des républicains qui jadis l'avaient combattu. Il semble qu'il ait voulu opérer une sorte de fusion de tous les partis, les réconcilier dans l'obéissance, et employer comme agents les hommes les plus distingués de Rome, sans tenir compte de leur vie passée ni de leurs opinions antérieures. Bien qu'il dût son élévation à la plèbe, il la méprisait trop pour la flatter. Il la traita magnifiquement dans les fêtes qui suivirent Thapsus, et aussi après Munda; mais en temps ordinaire, il fut moins large. Avant lui, 320 000 citoyens recevaient de l'État un secours mensuel en blé; il ramena ce chiffre à 150 000. Les circonstances l'obligèrent, en 49, à réduire d'un quart les dettes privées; mais lorsque le prêteur M. Caelius Rufus prétendit les abolir intégralement (48) et remettre aux locataires un an de loyer, il le combattit avec la dernière énergie; il réprima de même une tentative analogue du tribun Dolabella (47). Comme les Gracques, il s'efforça de procurer du travail aux pauvres et de reconstituer la classe moyenne. Il prescrivit aux propriétaires dont les domaines étaient en pâturages d'employer un tiers au moins d'hommes libres (Suétone, 42). Il assigna des terres à 80 000 vétérans, et fonda pour eux des colonies en Italie, en Afrique et en Asie, notamment à Véies, Carthage et Corinthe, mais avec défense d'aliéner leurs lots avant vingt ans. Il entreprit à Rome de grandes constructions, autant pour occuper les oisifs que pour embellir la ville. Il promulgua une loi somptuaire, afin de détourner les capitaux vers le commerce et l'agriculture. Pour arrêter le mouvement d'émigration qui dépeuplait l'Italie, il interdit à tout citoyen âgé de vingt à quarante ans de s'absenter de la péninsule pour plus de trois ans, sauf en cas de service public. Il restreignit enfin la liberté, alors exagérée, du divorce, et exempta de certaines charges les familles nombreuses. Ses mesures administratives ne furent pas moins bien conçues que ses mesures économiques.

Après tant d'années d'anarchie, il fallait être sévère pour les agitateurs. A cet effet, César publia une loi de majesté qui punissait tout attentat dirigé contre sa personne ou contre la sûreté de l'État. (Cicéron, IrePhilipp., 9, 21; De inventione, II, 17, 53.) Une seconde loi, intitulée De vi, atteignit les auteurs de violences ou voies de fait. Une troisième, De collegiis, abolit la plupart des associations, et astreignit au régime de l'autorisation préalable celles qui se formeraient dans la suite. Un contrôle sérieux fut exercé sur les gouverneurs de province et sur les publicains. Les impôts directs cessèrent d'être affermés, pour être perçus en régie. Les tribunaux furent plus impartiaux qu'au temps où ils se composaient exclusivement soit de sénateurs, soit de chevaliers; ils se recrutèrent désormais dans les deux classes par moitié (Dion Cassius, XLIII, 25.) On appliqua rigoureusement aux préteurs et aux proconsuls la loi repetundarum de 59 : certains d'entre, eux, convaincus du crime de concussion, furent rayés de l'ordre sénatorial. César accorda le droit complet de cité à la seule contrée de l'Italie qui ne l'eût pas encore, à la Gaule transpadane; il l'octroya également à quelques villes d'Espagne (Gadès notamment), dont il avait eu à se louer pendant la campagne de Munda, et à beaucoup d'individus isolés. Deux moyens préparèrent la romanisation de l'Occident. Des bandes d'Italiens ou de vétérans furent envoyées dans la Narbonaise et en Espagne pour renforcer la population des anciennes colonies ou pour en créer de nouvelles; nous savons par deux documents contemporains, la loi de Genetiva Julia et la loi Mamilia Roscia Peducaea Alliena Fabia, quelle était l'organisation uniforme de ces établissements. En second lieu, le droit latin fut étendu à des contrées entières, comme la Sicile, un à une multitude de localités, comme Nîmes, Ruscino (près de Perpignan), Utique. On a dit que César, par une innovation hardie, avait eu le dessein de supprimer la situation tout à fait exceptionnelle de Rome dans l'empire, et de l'abaisser au rang de simple capitale. On a voulu en trouver la preuve dans cette, loi Julia municipalis que mentionne le Digeste et dont on a découvert en 1732 des fragments considérables à Héraclée en Italie méridionale. Cette loi est la charte commune des municipes italiens, auxquels elle garantit une réelle autonomie; elle contient, en outre, des règlements de police relatifs à Rome. Mais de ce qu'elle s'occupe à la fois de Rome et des municipes, il ne s'ensuit pas qu'elle supprime toute distinction entre ceux-ci et celle-là : rien ne justifie une pareille conjecture.

Telle est, dans son ensemble, l'oeuvre de César. A une société qui avait perdu toute confiance dans ses vieilles institutions et qui ne savait plus se gouverner, il imposa un régime politique, qui avait l'air de rappeler encore le passé, mais qui au fond était tout nouveau. Ce régime était la monarchie pure et simple. Les Romains l'acceptèrent aisément, d'abord par nécessité, puis à cause des bienfaits qu'il leur, procura. Il déroutait d'ailleurs assez peu leurs habitudes, du moins quand on voyait les choses en gros, d'autant plus qu'il y avait toujours eu un fonds d'absolutisme latent dans leur manière de concevoir l'autorité. César songea-t-il à faire un pas de plus? Désirait-il, comme on l'en accusa, la dignité royale? Divers indices tendraient à le démontrer, par exemple ce costume des rois d'Albe qu'il portait en public, cette statue qui lui fut élevée au Capitole auprès de celles qui figuraient les rois de Rome, ce bruit adroitement répandu que, d'après les oracles, les Parthes ne seraient vaincus que par un roi, ces monnaies frappées à son effigie, enfin ce diadème qu'aux fêtes Lupercales (février 44) Antoine, son collègue au consulat, lui offrit en plein forum, et que les murmures de la foule l'obligèrent à repousser. C'est aussi vers la royauté que l'acheminaient peu à peu ces titres religieux de pater patriae, de semi-deus, de deus invictus, de Jupiter Julius, et surtout ces honneurs divins que l'adulation emprunta pour lui aux pratiques des cours orientales. Nul doute qu'il n'eût le dessein d'anéantir tôt ou tard ce qui restait encore de souvenirs républicains dans son pouvoir, et de fonder ouvertement la monarchie héréditaire. Mais c'est là, justement, la raison qui mena sa perte. Les mécontents étaient nombreux, même autour de lui. Sans parler de ceux qui s'obstinaient dans leur hostilité, beaucoup n'avaient consenti à le servir qu'avec l'espoir illusoire que sa domination serait passagère et qu'il abdiquerait un jour, comme Sylla. Or, César non seulement n'abdiquait pas, mais encore il blâmait son prédécesseur de l'avoir fait, et il tendait à rendre durable ce régime que l'on avait cru transitoire. Quand ils s'aperçurent de leur erreur, les partisans de la République se résolurent à l'assassiner. A leur tête étaient Cassius, bon général, jadis lieutenant de Crassus dans la guerre des Parthes, âme ambitieuse, qui détestait la tyrannie moins que le tyran, et Marcus Brutus, esprit droit et fanatique, caractère dur, ardent, tout imprégné de stoïcisme, très sincère dans ses opinions, très vertueux, mais d'une vertu dont l'exagération même sentait un peu l'effort. Le complot fut ourdi dans le plus grand secret, et le jour des ides de mars 44 (15 mars), César périt en plein Sénat, frappé de trente-cinq coups de poignard. L'établissement de l'empire n'en fut qu'ajourné, et le malheur est qu'Auguste devait lui donner une forme sensiblement différente de celle que le dictateur paraît avoir rêvée.

Jules César est une des figures les plus extraordinaires qui aient jamais paru. Grand écrivain et grand orateur, général incomparable, politique de premier ordre, il eut tout pour lui et l'histoire ne connaît personne qui le surpasse. II avait un esprit net, précis, vigoureux, une vue claire des choses, une rare pénétration, un bon sens merveilleux, et une égale aptitude à former de vastes desseins comme à les exécuter. Il sut toujours ce qu'il voulait, et tout ce qu'il voulut, il l'accomplit. Il ne se contenta pas de remporter des victoires éclatantes; il laissa après lui des oeuvres durables. Il engagea Rome et le monde dans des voies nouvelles. Il fut l'auteur d'une révolution que d'autres avaient préparée, que Sylla aurait pu faire, mais que lui seul eut le courage d'achever. Il jeta les fondements de l'organisation administrative de l'empire, il rédigea des lois qui étaient encore debout au temps de Justinien; il donna enfin une forte impulsion à la diffusion des idées romaines, par suite de la civilisation, dans les contrées barbares de l'Occident; et cette immense besogne ne lui demanda guère que quatre ou cinq ans, beaucoup moins même, si l'on déduit la guerre civile. Ajoutez à cela les qualités exceptionnelles dont la nature, l'avait doué, une facilité prodigieuse de travail, une puissance irrésistible de séduction, une nature exquise, une dignité sans raideur, qui, dans une certaine .mesure, lui tint lieu de sens moral, un fonds de générosité qui ne l'empêcha ni de commettre des violences, ni de verser le sang quand il le jugea nécessaire, mais qui le préserva des excès où était tombé Sylla, où tomba Octave, et qui le ramena promptement aux idées de clémence. César n'est pas seulement le plus complet des hommes d'État de l'Antiquité, il serait peut-être même le plus séduisant, si l'on ne se souvenait que sa maxime favorite (Cicéron, De off., III, 21; Suétone, Caes., 30) était que pour posséder le pouvoir on pouvait violer les lois de la justice.

Si violandum est jus, regnandi gratia.
Violandum est.
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