| Cursus honorum Caïus Julius naquit à Rome le 12 juillet de l'année 101 (on trouve aussi 102 ou 100) av. J.-C., et mourut à Rome le 15 mars 44 av. J. C. Par son père, il appartenait a la famille patricienne des Julii, qui prétendait descendre de Vénus et d'Anchise, et il se montra toujours fier de cette illustre origine. Quant a sa mère, elle s'appelait Aurelia. Il était neveu de Marius, qui avait épousé une soeur de son père; par là il avait des relations avec les démocrates. Il s'en rapprocha encore davantage par son mariage avec Cornelia, fille de Cinna qui avait été collègue de Marius au consulat. Sylla, devenu tout-puissant, voulut l'obliger à répudier sa femme; il s'y refusa, au risque d'encourir la colère du dictateur, qui essaya de le faire assassiner; sans l'intervention de quelques grands personnages et des vestales qui défendaient en lui un ancien prêtre, il aurait sûrement péri. Il jugea prudent toutefois de quitter Rome, et en 81 il partit pour l'Asie. Il prit part au siège de Mytilène, occupée par les troupes de Mithridate à une expédition de P. Servilius contre les pirates de Cilicie, et il retourna en Italie à la mort de Sylla (78). II débuta dans la vie publique par des procès politiques. C'est ainsi qu'il dirigea une accusation contre Dolabella, ancien gouverneur de Macédoine, et contre Antonius Hybrida, qui avait commis des exactions en Grèce. L'attention commença dès lors à se porter sur lui, d'autant plus qu'il avait déjà une véritable éloquence. Mais son audace lui suscita aussi de vives inimitiés, et il dut, par précaution, s'exiler une seconde fois; il alla à Rhodes (76), sous prétexte de perfectionner ses qualités oratoires auprès d'un maître célèbre, le rhéteur Molon. Pendant la traversée, il tomba aux mains des pirates; ceux-ci lui réclamèrent 20 talents pour sa rançon; il leur en offrit 50, en ajoutant qu'une fois libre il les ferait pendre, et il tint parole. En son absence, il fut nommé pontife (La Religion romaine); ce qui le força de rentrer à Rome. Il ne pouvait s'élever d'emblée aux premières magistratures de l'État; car il y avait des conditions d'âge pour chacune d'elles. Durant plusieurs années, nous le voyons consumer son activité dans des intrigues souvent contradictoires, mais où l'ambition reste toujours son guide. Après avoir exercé la questure en Espagne (68), il parut rechercher l'amitié, alors très précieuse, de Pompée, et il appuya de son mieux la loi Gabinia qui chargeait ce dernier de la guerre des pirates; il se prononça également en faveur de la loi Manilia (66), qui investit le même personnage d'une autorité presque illimitée pour conduire la guerre contre Mithridate. Mais peu après, il se tourna contre lui, comme s'il n'avait eu d'autre but que de l'éloigner. Édile en 65, il donna au peuple des jeux d'une magnificence inouïe et consacra des sommes énormes à la décoration du forum ; il s'endetta ainsi de plusieurs millions; mais il y gagna une immense popularité. La même année, il rétablit de nuit au Capitole les trophées jadis dressés par Marius en souvenir de ses victoires sur les Cimbres, et renversés depuis par Sylla. Cette mesure significative, faite pour plaire aux démocrates et aux anciens soldats de Marius, alarma sérieusement le Sénat, et César fut accusé de préparer ouvertement la ruine de la République. Il ne s'émut pas de ces attaques, et il continua ses menées. Profitant de la vieille inimitié de l'opulent Crassus contre Pompée, il se ligua avec lui. Ils trempèrent ensemble dans un complot, dont l'objet devait être de nommer Crassus dictateur et César maître de la cavalerie. En 65 et 64, ils sollicitèrent successivement une mission, qui aurait consisté à réduire l'Égypte en province romaine, et qui leur eût procuré de beaux avantages pécuniaires. Enfin, s'ils ne furent pas directement associés à la conjuration de Catilina, ils s'y intéressèrent tacitement, dans l'espoir d'en tirer profit. Ils étaient tous deux au courant de ses projets, et ils l'encouragèrent sans se compromettre. Ils comptaient bien trouver dans cette crise l'occasion de saisir le pouvoir absolu, et ils souhaitaient que Rome fût livrée à l'anarchie, parce qu'ils savaient que l'anarchie aboutit généralement au despotisme. Malgré les difficultés de tout genre que César en particulier suscita à Cicéron consul (appui donné à la loi agraire de Rullus, procès de Rabirius, discours en faveur des complices de Catilina), la République triompha de cette rude épreuve (63). C'était pour César un échec personnel, et l'année suivante, bien qu'il fut préteur urbain, il ne se sentit pas en sûreté. Il s'efforça de rentrer en grâce auprès de Pompée, dont la protection ne lui fut pas inutile dans cette circonstance, et en 61 il alla remplir les fonctions de propréteur dans la province d'Espagne ultérieure. Il s'y distingua par quelques succès militaires et par une bonne administration; il y acquit surtout beaucoup d'argent. Quand il reparut à Rome en juin 60, il trouva Pompée à peu près brouillé avec le Sénat. Après ses grandes victoires en Orient, Pompée avait débarqué en Italie vers la fin de 62 et licencié ses légions; aussitôt il fut réduit à l'impuissance. Vainement, il étala dans son triomphe l'éclat de ses conquêtes; son prestige s'évanouit très vite, et le Sénat s'enhardit tellement contre lui qu'il ne put obtenir ni la ratification en bloc de tous ses actes, ni des concessions de terres pour ses soldats, ni même un second consulat. On semblait se plaire à lui infliger, des échecs répétés, à blesser sa vanité, qui était immense, à lui montrer qu'il n'était plus rien. Il en vint à regretter son honnêteté et à se repentir de n'avoir pas gardé, malgré la loi, ses troupes autour de lui. C'était là une bonne aubaine pour César. Le malheur est que Pompée était toujours en état de rivalité latente avec Crassus, et qu'à rechercher l'alliance de l'un on courait le risque de s'attirer l'animosité de l'autre. César, qui avait besoin de leur patronage pour être élu consul aux prochains comices, imagina de les réconcilier, et il y réussit. Il leur représenta qu'au lieu de s'annihiler réciproquement par leurs désaccords, ils feraient mieux de former avec lui une coalition qui les rendrait maîtres de tout; la République était assez vaste pour suffire à l'ambition de trois hommes, et il était plus sage de se partager le pouvoir à l'amiable que de continuer des disputes stériles. Le pacte fut conclu, et ce fut là le premier triumvirat. On stipula que César aurait le consulat en 59, et, à l'expiration de sa charge, un gouvernement provincial; on promit à Pompée de distribuer des terres à ses vétérans et de confirmer tous ses règlements sur l'Asie. Quant à Crassus, on ignore quelle fut sa part. Au fond, chacun espérait duper les autres et les exploiter à son profit. Malgré l'opposition acharnée des nobles, César emporta son élection; mais on lui imposa comme collègue son ennemi Bibulus. Jusque-là, César n'avait guère été qu'un ambitieux et un révolutionnaire. Il conserva ce caractère dans le cours de son consulat (59); mais il agit aussi par moments en homme d'État. Ayant constaté dès le début qu'il aurait à lutter contre l'opposition systématique du Sénat, il prit le parti de ne jamais le consulter. Il saisit directement le peuple de ses projets de loi, sans se préoccuper de ce qu'en pensaient Bibulus et les tribuns. Tous ses droits de consul, il en usa intégralement; toutes les règles qui le gênaient, il les viola; on eût dit que la constitution n'existait pas pour lui. Il fit voter quelques lois organiques qui étaient excellentes. Telles furent la loi sur l'administration des provinces (De provinciis ordinandis), qui paraissait à Cicéron « aussi équitable que salutaire », la loi sur les crimes de concussion (De pecuniis repetundis), qui formait un véritable code, de plus de cent articles, sur la matière, la loi De liberis legationibus, qui réprimait un des plus graves abus dont les sénateurs se rendaient coupables. Mais le plus souvent, César ne fut inspiré que par l'intérêt personnel. Ainsi il demanda et obtint la ratification des actes de Pompée en Orient; il accorda aux publicains, qui lui en surent beaucoup de gré, une remise d'un tiers sur la somme qu'ils devaient pour la ferme de l'impôt d'Asie; il proposa enfin une loi agraire qui en elle-même n'était pas mauvaise, mais dont l'objet réel était d'assigner aux soldats de Pompée les terres publiques de la Campanie et d'autres terres achetées par l'État en Italie. Il est visible que ces mesures avaient surtout pour but de procurer à César des partisans. Au surplus, l'essentiel, à ses yeux, était d'avoir, après son consulat, un gouvernement provincial, une armée et une guerre. Depuis que Marius, pour favoriser le recrutement des légions, les avait largement ouvertes aux volontaires et aux prolétaires, un grave changement s'était produit dans l'esprit des soldats. Le service militaire était devenu une profession, et une profession souvent lucrative. Les soldats n'étaient plus des citoyens chargés de défendre Rome; c'étaient plutôt de véritables mercenaires. La vie civile leur répugnait, et leurs goûts, leurs intérêts, leurs besoins se ressentaient de leur nouvelle condition. La République, la loi, n'étaient rien pour eux; ils ne s'attachaient qu'au drapeau, à l'aigle d'argent qui en tenait lieu, et que Marius avait choisie pour enseigne de la légion. La guerre étant pour eux un moyen de vivre et de s'enrichir, « ils attendaient tout de leur chef; car le chef leur distribuait les dons, les grades, les récompenses, les terres que l'on pouvait convertir en argent. Naturellement, ils détestèrent celui qui donnait peu, et ils aimèrent celui qui était prodigue. Leur fortune fut liée à celle de leur général. C'était leur intérêt qu'il fût tout-puissant dans Rome, afin qu'il eût beaucoup d'or et de terres à donner; c'était leur intérêt qu'il s'emparât de la République pour la distribuer à ses soldats. » (Fustel de Coulanges, Revue des Deux Mondes du 15 nov. 1870.) Sylla avait déjà montré quel merveilleux instrument de despotisme était une armée victorieuse et satisfaite entre les mains de son général. César profita de cet exemple. La loi Vatinia lui décerna pour cinq ans le proconsulat de la Cisalpine avec trois légions; il avait choisi cette province, parce qu'elle était la plus voisine de Rome. Mais il convoitait aussi la Narbonaise, qui était en contact avec la Gaule indépendante, c.-à-d. avec un pays propre à lui fournir une occasion de guerre. Le Sénat, craignant qu'il ne la demandât au peuple, la lui céda spontanément; il était libre ainsi de la lui enlever à son gré. Avant de partir, César resserra son union avec Crassus, dont il emmena le fils comme lieutenant, et avec Pompée, à qui il maria sa fille Julia. Deux consuls dévoués aux triumvirs étaient désignés pour l'année 58. On porta au tribunal l'agitateur Clodius, bien qu'il passât pour avoir été l'amant de la seconde femme de César, Pompeia; ce grief fut oublié, en raison du prix que l'on attachait au concours d'un homme dont l'action sur la populace était sans bornes. On exila Cicéron, sous prétexte que l'exécution des complices de Catilina avait été illégale; on envoya Caton en Orient, avec mission d'annexer l'île de Chypre. Toutes ces précautions prises, César se rendit dans son gouvernement vers la fin de mars 58. (P. Guiraud). | |