|
. |
|
D. Luiz de Camoëns (Camões) est un poète portugais né en 1524, mort à Lisbonne le 10 juin 1580. Trois villes ont revendiqué le berceau de cet auteur de génie : Lisbonne, Coïmbra et Santarem, mais la probabilité est en faveur de la première. Les dates de sa naissance et de sa mort n'ont été fixées que depuis le milieu du XIXe siècle. Sa famille était originaire de la Galice où elle possédait, près du cap Finistère, le château dont elle prit le nom. Nombre de gentilshommes de cette province, ayant embrassé la cause du roi Dom Fernando dans ses prétentions au trône de Castille et pris part à sa lutte stérile contre Henri de Trastamare (1369-1371), durent se réfugier en Portugal, et parmi eux figurait Vasco Pires (ou Lopez) de Camões, le trisaïeul de notre poète. Ce fut non seulement un brave guerrier, mais aussi un des troubadours auxquels la poésie galicienne fut redevable d'une renaissance éphémère. Aussi jouit-il de la plus haute considération à la cour de son nouveau souverain, qui ne cessa de le combler de bienfaits; mais après la mort de Dom Fernando, Camões s'étant révolté contre le maître de l'ordre d'Avis, gouverneur du royaume (le futur roi Jean Ier), vit ses nombreuses terres confisquées presque en totalité (1385). Un de ses petits-fils, Antão-Vas de Camões, accompagna Vasco de Gama, son parent, dans le voyage de découvertes aux Indes Orientales (1497-99). L'ancienne splendeur de cette famille était déchue graduellement au point que le fils de celui-ci, Simão-Vas do Camões, qui appartenait d'ailleurs à la branche cadette, ne possédait plus qui une fortune insignifiante, tout en ayant un grade dans la marine et un rang à la cour. De son mariage avec D. Anna de Sa e Macedo, de Santarem, issue de la maison des Gama de la province d'Algarve, naquit le futur chantre de la gloire du Portugal. La peste qui sévit à Lisbonne en 1527 ayant obligé la cour de se transporter à Coïmbra, Simão, en sa qualité de cavalleiro fidalgo, dut l'y suivre, ce qui lui offrit l'occasion de résider dans l'ancien manoir seigneurial de son aïeul João de Camões. Le jeune Luiz fit dans cette ville ses humanités au monastère de Santa-Cruz, où recevaient alors l'instruction, à partir de l'âge de douze ans, les fils de l'aristocratie; il s'y trouva sous l'égide de son oncle paternel, Dom Bento, religieux, puis prieur de ce couvent. Plus tard, il suivit les cours de l'Université (transférée de Lisbonne à Coïmbra, en 1537), où il eut pour professeurs Diogo de Gouvea, ancien recteur de l'Université de Paris, l'helléniste Fabricius, le célèbre cosmographe Pedro Nuñez (Nonius), et d'autres non moins éminents. Dans un milieu aussi favorable à la haute culture, Luiz de Camoëns acquit des connaissances variées et solides, une instruction classique complète et une pénétration intime dans les oeuvres littéraires de l'Espagne et de l'Italie. En 1542, il fut admis à la cour de Jean III, et là commencèrent bientôt pour lui de cruelles épreuves qui devaient briser sa carrière et rendre malheureuse toute son existence. Il tomba éperdument amoureux d'une demoiselle d'honneur de la reine, de Catherine de Athayde, fille de D. Antonio de Lima, grand chambellan du prince Duarte, et soeur de D. Antonio de Athayde, favori du roi. Cette passion, que des circonstances rendirent publiques, d'un petit gentilhomme sans fortune pour une demoiselle d'aussi haut parage, excita contre lui les colères de l'orgueilleuse famille de son amante. D'autre part, les brillantes qualités de son esprit, le renom naissant de son génie poétique, lui firent des ennemis redoutables dans la tourbe des courtisans. Toutes les médiocrités et toutes les perfidies se liguèrent pour le perdre, et on paraît s'être servi de la malveillante interprétation de sa comédie El Rei Seleuco, qu'on présenta comme renfermant des allusions aux amours du roi et de sa belle-mère, pour provoquer sa disgrâce. Il paraît qu'il profita aussi des renseignements oraux de l'excellent historien Fernão-Lopez de Castanheda. Dès qu'il fut rendu à la liberté, il n'eut qu'une idée : celle de visiter les pays que Vasco de Gama avait atteints; il voulait pénétrer son esprit de la grandeur de la conquête qu'il se proposait de glorifier. Tout le favorisa dans ce projet : il réussit à se faire engager pour l'Inde, au titre de simple écuyer, en remplacement d'un volontaire empêché, et quatorze jours à peine après sa sortie de prison, il partit à bord du Sam Bento, le seul vaisseau de la flotte de Fernão Alvarez de Cabral qui arriva à destination, par suite des tempêtes (septembre 1553). Deux mois plus tard, il prit part à l'expédition contre le radjah de l'île de Chembé, sous la conduite du vice-roi Noronha, son ancien commandant au Maroc et son meilleur ami, qui devait, l'année suivante, succomber sous les coups des Maures. Après un repos d'un an à Goa, Camoëns s'embarqua de nouveau pour une longue croisière à l'entrée du golfe d'Aden, à la poursuite d'un corsaire (février 1555), suivie d'un pénible hivernage à Mascate. Il consigna les péripéties de ces expéditions dans des poésies admirables. De retour à Goa, outré, dans son coeur désintéressé, de la corruption, de la bassesse et de l'avidité des conquérants, il exhala son indignation dans la satire : les Folies de l'Inde (Disparates da India), qui lui valut d'être exilé aux îles Moluques par l'orgueilleux vice-roi Francisco Barreto. L'arrivée de son successeur, D. Constantin de Bragance, qui avait jadis témoigné de l'intérêt à notre poète, amena un changement dans la situation de celui-ci : il fut envoyé à Macao pour y exercer !a charge lucrative, mais difficile, de « curateur des héritages et des biens des absents » (provedor mor dos defuntos e ausentes). C'est dans cette récente colonie des côtes de la Chine qu'il poursuivit ses Lusiades jusqu'au septième chant et, d'après la tradition, il se retirait pour écrire son poème dans la « grotte de Patane » en vue de la mer. Au bout de deux ans de séjour, il obtint son rappel; mais le navire qui le ramenait fit naufrage sur la côte du Cambodge, près de l'embouchure du Mékong. Camoëns, prédestiné à d'autres infortunes encore, put se sauver à la nage, n'emportant, de tout ce qu'il possédait, que le manuscrit de ses oeuvres. Il regagna Goa en 1561, et il y apprit que l'amante pour laquelle son coeur battait toujours était décédée depuis cinq ans. Ce fut l'évanouissement de ses plus chères espérances. De plus, l'indépendance de son caractère et la franchise de son langage n'étaient pas de nature à désarmer ceux qu'il avait accablés des traits de sa satire; bientôt, accusé d'avoir commis des malversations dans sa charge à Macao, il fut jeté en prison. Il n'eut pas de peine à démontrer son innocence, mais il fut maintenu captif sur la réclamation d'un gentilhomme du nom de Miguel Rodrigues Coutinho, qui se disait son créancier pour 200 cruzados. Le vice-roi, comte de Redondo, ne tarda pas néanmoins à le faire mettre en liberté. Dès lors, Camoëns chercha des consolations dans la poésie, tout en servant son pays, de temps à autre, l'épée à la main. Ayant achevé ses Lusiades, qu'il soumettait à la révision de son ami intime, l'éminent Diego do Couto, il pensa retourner à Lisbonne. Par malheur, il se laissa circonvenir par les promesses fallacieuses de Pedro Barreto, qui venait d'être nommé gouverneur de Sofala, et il le suivit à Mozambique (1567). Lorsque plusieurs de ses anciens compagnons, retournant en Portugal, abordèrent sur cette terre d'Afrique, en 1569, ils y trouvèrent Camoëns réduit à la misère et ne vivant que de la générosité de ses amis. Afin de pouvoir l'emmener avec eux, ils durent se cotiser pour payer au misérable gouverneur une petite dette contractée par le poète, et le fidèle Diogo do Couto fut obligé de quêter en ville, pour l'infortuné, les vêtements et le linge nécessaires. Enfin, il arriva le 7 avril 1570 dans sa ville natale, qu'il trouva cruellement ravagée par la terrible peste de l'année précédente, mais où il retrouva du moins sa vieille mère. Après bien des difficultés avec le saint office, il parvint à obtenir l'autorisation de publier son poème, qui parut au commencement de 1572 : Os Lusiadas (Lisbonne, in-4). Il le dédia au jeune roi D. Sébastien, qui le gratifia d'une pension dérisoire de 15 000 réis (environ 100 F). Le monde littéraire accueillit avec enthousiasme cette oeuvre immortelle, qui fut le premier poème épique de la Renaissance. Si Camoëns compta parmi ses admirateurs le « divin » Herrera et le Tasse, il eut aussi des détracteurs et des envieux parmi ses propres compatriotes, et il continua à vivre dans la pauvreté. Le sort ne lui épargna aucune douleur après tant d'infortunes personnelles, il lui échut encore d'assister à la ruine rapide de son pays et à la perte de son indépendance. On a cru pendant longtemps qu'il était mort en 1579, et que la phrase d'une lettre qu'il écrivit à son ami D. Francisco de Almeida : « Je meurs avec la patrie !», s'appliquait à la désastreuse bataille de Alcacer-Kibir (4 août 1578) où périt le roi Sébastien avec la fleur de la noblesse. Ce cri d'angoisse fut provoqué par la nouvelle de l'invasion du Portugal par l'armée de Philippe II, après le décès du cardinal-roi Henri; la date de la mort de Camoëns est fixée par un document officiel de la chancellerie du roi d'Espagne, qui fit continuer la petite pension du poète à sa vieille mère. Luiz de Camoëns s'éteignit dans un pauvre logis de la rue Santa-Anna à Lisbonne, et le rôle qu'on a attribué à son domestique, un esclave javanais, qui aurait mendié, la nuit, dans les rues de la capitale, pour faire vivre son maître, de même que la tradition qui fait mourir le grand poète sur un lit d'hôpital, sont de pures légendes. Il fut inhumé dans l'église de Santa-Anna, où seize ans plus tard D. Gonçalo Coutinho fit placer une inscription funéraire. Le tremblement de terre de 1755 (Le Portugal au XVIIIe siècle) ayant détruit cette église, il fut impossible de retrouver exactement sa tombe; néanmoins, on a réuni, en 1855, ce qu'on a cru être ses ossements pour les renfermer dans une autre sépulture. Aucun peuple moderne, en dehors des Portugais, ne possède de poème épique pareil à celui des Lusiades (en dix chants, comprenant 1102 octaves). Comme le titre Les Lusitaniens l'indique déjà, Camoëns eut l'ambition patriotique d'immortaliser toutes les traditions nationales, tous les exploits héroïques et toutes les actions glorieuses des descendants du fameux Lusus, parvenus alors à l'apogée de leur grandeur. Bien que la découverte de la route de l'Inde, qui rapprocha les deux civilisations opposées, constitue un événement capital dans les fastes du monde, l'expédition de Vasco de Gama ne lui servit que de cadre dans lequel il enchâssa, avec un art merveilleux, les souvenirs, les faits les plus saillants et les aspirations historiques de la nation portugaise. S'il a emprunté à Virgile la structure classique du poème, et imité la forme de l'Arioste, la conception elle-même est bien à lui, et elle est nouvelle et grandiose. Nul autre poète moderne ne sut, comme lui, entourer d'une semblable richesse de véritable poésie tout ce qui intéresse la vie nationale d'un peuple tout entier. Patriote ardent, il y a mis tout son coeur et toute son âme, et son oeuvre est d'autant plus sublime qu'il y a entre elle et sa propre existence une unité complète. C'est pourquoi aussi il est un des plus grands poètes de tous les peuples et de tous les âges. Son style est naturel, noble et élevé; sa diction correcte, élégante et facile : au surplus il unifia la langue écrite et la langue parlée et en acheva le perfectionnement. L'intervention des divinités païennes dans des exploits des héros chrétiens, ce qui a offusqué tant de critiques à son époque, est en fait un moyen esthétique d'accord avec le goût et les idées du temps. Enfin, c'est un admirable peintre de la nature et surtout de la mer, avec laquelle il vécut pendant longtemps dans une si étroite intimité. Luiz de Camoëns fut aussi un poète lyrique sans rival; toute sa vie malheureuse se reflète dans ces compositions où son âme déborde et qui forment en quelque sorte un long poème. Il a cultivé toutes les formes appartenant à ce genre, mais de préférence le sonnet, les canzões, les odes, les élégies et les églogues. Pendant son séjour au Mozambique, il en forma un livre qu'il intitula Parnaso, mais le manuscrit lui en fut soustrait à son retour à Lisbonne, de sorte qu'elles ne purent paraître de son vivant. Fernando Rodrigues Lobo Soropita, un des plus grands admirateurs du poète, en publia un premier recueil Rhytmas... divididas em cinco partes (Lisbonne, 1595, in-4). Une seconde partie, Rimas, vit le jour en 1616, par les soins du libraire Domingo Fernandez. Nombre de poésies lyriques de Camoëns circulaient alors ou étaient imprimées sous le nom d'autrui; en revanche, on lui en attribua d'indignes de son génie. L'ensemble ne fut épuré et complété qu'à la longue. Dans sa jeunesse, il s'essaya aussi dans la poésie dramatique. On a de lui trois pièces de théâtre : El Rei Seleuco, qui est une farce; Os Amphytriões, sujet imité de Plaute, mais d'une façon originale; Filodemo, comédie en prose et en vers. Si elles sont bien inférieures à ses autres oeuvres, elles témoignent de la merveilleuse flexibilité de son génie, qui à lui seul créa toute une littérature poétique. (G. Pawlowski). |
. |
|
| |||||||||||||||||||||||||||||||
|