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Les Camisards
On a donné le nom de Camisards à des Cévenols calvinistes qui se révoltèrent contre le clergé catholique et firent pendant deux ans et demi une guerre soutenue au gouvernement de Louis XIV

Suivant l'usage des entreprises nocturnes (camisades, chemises blanches), ils portaient sur leurs vêtements des chemises afin de se reconnaître entre, eux et aussi pour échapper aux représailles en ôtant cet uniforme improvisé. Les bandes irrégulières de catholiques formées à leur exemple sous la direction d'un ermite, et nommées tout d'abord Cadets de la Croix (ils portaient une croix blanche sous leurs chapeaux), furent bientôt désignées sous le nom de Camisards blancs, lorsque leurs excès forcèrent le maréchal de Montrevel à désavouer de tels alliés et à les exterminer comme des brigands.

Quant aux Camisards noirs, déserteurs, vagabonds, repris de justice, galériens fugitifs, qui se rangèrent autour d'un boucher calviniste d'Uzès, et se barbouillaient de suie pour voler et tuer impunément, le principal chef calviniste, Jean Cavalier en fit pendre ou fusiller un certain nombre, coupables de l'assassinat d'une jeune dame catholique, Mme de Miraman. 

Guerre des Camisards.
La révocation de l'édit de Nantes fut la cause principale de la guerre des Camisards. Il est vrai que le feu couva pendant dix-sept ans (octobre 1685-juillet 1702), mais plus d'une étincelle annonça l'incendie. L'enthousiasme de bonne foi ou de commande qu'inspirait la prétendue conversion des protestants à beaucoup d'hommes de lettres, aux prédicateurs, aux évêques de cour, ne fut pas longtemps partagé par les politiques et les administrateurs. L'intendant de Languedoc, Nicolas Lamoignon de Basville, ne dissimula pas à la cour l'inefficacité des prédications catholiques, même de celles du P. Bourdaloue; les violences, les emprisonnements, les « logements militaires », les supplices, étaient encore moins faits pour « changer les coeurs » : la persécution produisit son effet ordinaire sur les âmes libres et croyantes. Chassés de leurs temples et privés de leurs pasteurs, ceux que l'on s'obstinait à nommer les nouveaux-convertis formèrent « au désert » des assemblées tenues par les ordonnances pour illicites, écoutèrent et suivirent les innombrables prétendus prophètes que l'Esprit suscitait parmi eux. Ces prophètes annonçaient toujours le rétablissement du culte calviniste. Ils n'avaient pas, dit Basville, le « sens commun ». 

Les plus exaltés tombaient dans l'hallucination, dans l'épilepsie. Les souvenirs bibliques, incohérents, passés à l'état d'idées fixes, s'adaptaient aisément aux craintes, aux regrets, et surtout aux espérances de ces malheureux. Notons aussi que les deux grandes épidémies du prophétisme cévenol ont immédiatement précédé, l'une la guerre de la ligue d'Augsbourg, l'autre celle de la succession d'Espagne. Les agents de la Hollande et de l'Angleterre, porteurs des instructions ou prédications écrites des réfugiés français, ne furent donc pas étrangers aux mouvements des Cévennes. Cependant la grande majorité des Cévenols qui se révoltaient contre le catholicisme restaient sincèrement royalistes : ils se persuadaient que Louis XIV avait été trompé, car ils ne pouvaient se croire coupables. Pleins de haine pour l'intendant, pour le commandant de la province, beau-frère de l'intendant, le comte de Broglie, pour les curés, pour les missionnaires inquisiteurs, ils continuaient à prier tous les jours pour le roi.

Les dragonnades, ou pour mieux dire les quartiers d'hiver « en pure perte » (sans indemnité ni répartition régulière des troupes), commencèrent à partir de 1686, sur les ordres de Louvois. L'intendant fit en vain observer que cette mesure, appliquée à tout le pays des Cévennes, confondait les innocents et les coupables. Il préférait la pitié, les moyens de corruption, au nom de la prudence. Quoique approuvé par Le Peletier, successeur de Colbert aux finances, il ne fut pas écouté en cour, et dut reconnaître « qu'il y avait des raisons dans la politique au-dessus de son raisonnement ». Les évêques, sauf Fléchier et la Berchère, n'étaient pas ennemis des missions bottées; et Basville, ambitieux avant tout, n'était pas homme à prodiguer des conseils qui pouvaient déplaire. Dès 1688, il va en personne, avec des troupes, disperser les assemblées protestantes du diocèse de Castres. Ses derniers scrupules disparaissent lorsqu'il commence à mettre la main sur des agents de la coalition formée contre la France, et que la question du calvinisme français devient, par la révolution anglaise de 1688, une question européenne. 

Dès lors toutes précautions sont prises pour éviter ou combattre un soulèvement prévu. Les nouveaux forts de Nîmes, d'Alès, de Saint-Hippolyte, sont reliés entre eux par des voies stratégiques; les montagnes sont traversées par une cinquantaine de chemins royaux, auxquelles les communautés suspectes furent obligées de se rattacher à leurs frais. D'autre part, afin de diviser pour régner, la succession des protestants émigrés fut ouverte sa profit des héritiers naturels anciens catholiques, ou qui donnaient les signes d'une conversion sincère. La guerre de la succession d'Augsbourg se termina (1697) sans que l'intendant eût affaire à une révolte générale. Cependant l'année suivante, lorsque le duc de Beauvilliers, gouverneur du duc de Bourgogne, fit dresser par les intendants des états de leurs généralités pour servir à l'instruction du jeune prince, Basville, tout en dissimulant les maux de la province, sa dépopulation, son appauvrissement, disait nettement : 

« Ce n'est que par crainte du châtiment que les nouveaux convertis ont été sages : la religion n'a fait aucun progrès dans leur coeur ».
Les familles nobles appartenant au calvinisme s'éteignaient peu à peu; sur 440, 109 n'avaient que des filles! Mais le peuple était plus prolifique, plus résistant : il fallait s'emparer des nouvelles générations, créer des écoles catholiques, relever la condition des curés. De tels projets venaient trop tard, et s'accordaient mal avec le bûcher, la potence, les galères et les massacres. La révolte éclata en même temps que la guerre de la succession d'Espagne. Elle commença le 24 juillet 1702, au Pont-de-Montvert, par le meurtre de l'abbé du Chayla. Ce missionnaire avait enfermé chez lui sept calvinistes.
« Il leur donnait lui-même les étrivières chaque jour, et avait inventé un supplice qu'il leur faisait souffrir, leur mettant les pieds au milieu d'une grosse poutre qui les obligeait à dormir tout droit » (Le comte de Peyre à Chamillart, Histoire générale du Languedoc, t. XIV, col. 1582).
L'intendant crut d'abord à un de ces accidents locaux sur lesquels il était blasé; mais il ne tarda pas à reconnaître son erreur. Les Camisards, toutefois, n'eurent jamais un chef unique, ni un plan d'opération : du dehors ils ne reçurent que des conseils et de maigres subsides. Ils formèrent des bandes armées, dont les principaux chefs furent Jean Cavalier, Laporte dit Rolland, un autre Laporte, oncle du précédent, Ravanel, Castanet, Salles, Abdias Maurel dit Catinat, Abraham, Salomon (noms de guerre). 

Jamais ces chefs ne commandèrent plus de mille ou quinze cents hommes à la fois; jamais ils ne firent réellement une campagne concertée : ils se relayaient, attaquaient par surprise les villages ou châteaux catholiques; les hommes mettaient ou ôtaient leurs chemises de guerre, cachaient ou reprenaient leurs armes tour à tour; sûrs de la complicité d'une population de 200,000 personnes, enfermés dans un pays montagneux, sans débouchés et sans ressources, ils purent braver, fatiguer, immobiliser jusqu'à 20,000 hommes de troupes régulières : mais leurs actes de représailles ou de foi ne furent, dans les circonstances que le royaume traversait, qu'une simple diversion.

Le comte Victor-Maurice de Broglie, auquel ils eurent d'abord affaire, montra le plus grand mépris pour des ennemis qu'il jugeait indignes de lui; il ne comprenait rien à la guerre de partisans; il la laissa faire, non sans quelque dépit, aux seigneurs anciens catholiques comme le comte de Peyre et Marcilly, lesquels se moquaient de son outrecuidance. Il ne trouva rien de mieux à présenter comme plan qu'un état de quarante-cinq postes de cinquante hommes chacun, par l'incroyable raison qu'avec de gros corps de troupe on était plus vite découvert. Il se fit rappeler, malgré le crédit de son beau-frère. Son successeur, le maréchal de Montrevel, arriva vers la fin de février 1703.

Tête aussi médiocre, mais coeur de tigre, Montrevel commença par faire brûler un village qui avait donné asile aux rebelles. Son maréchal de camp, Julien, proposa le dépeuplement et la dévastation méthodiques du pays rebelle, partant de ce principe que « depuis l'âge de sept ans jusqu'aux vieillards », il ne renfermait que des « criminels de lèse-majesté ». Le plan fut suivi. Le maréchal, qui ne voulait pas se commettre avec des « marauds », donnait des ordres atroces, mais se mêlait fort peu de l'exécution. Il jouait, se divertissait, occupait les troupes « à donner des escortes aux dames et à les aller garder sans aucune nécessité, aux bains ». Il désavouait tous les officiers qui voulaient faire leur métier. Il ne désirait, affirmait-on, que la continuation de la guerre qui lui assurait un grand état. Il fut aussi rappelé sur les avis conformes de Basville et de Chamillart, envoyé en Guyenne (29 mars 1704), et remplacé par le maréchal de Villars. Il ne voulut pas partir sans quelque action d'éclat, et, le 17 avril 1704, contrairement à ses principes, il battit lui-même Cavalier et Catinat, à une lieue de Nîmes, à Caveyrac. La dévastation des Cévennes avait en effet obligé les Camisards à descendre dans la plaine. 

Villars accepta la pénible mission qui lui était imposée avec sa bonne humeur habituelle. A Nîmes, on lui apporte « une centurie de Nostradamus qui assure qu'un général qui entrera dans le Languedoc par Beaucaire finira tous les malheurs de la province ». Il termina du moins la guerre des Cévennes. De La Lande
 venait de battre encore les Camisards dans les bois d'Euzet. Basville négociait secrètement la soumission de Jean Cavalier : Villars entre dans les mêmes voies. Il attaque « tout ce qui est sous les armes; mais il prêche font ce qui veut l'entendre ». La froide barbarie de son prédécesseur lui faisait, avouons-le, un assez beau jeu. Quoi qu'il en soit, il laissa croire aux religionnaires que le roi leur permettait « d'adorer Dieu suivant leur opinion, dans leur coeur ». Cette liberté de conscience n'annonçait-elle pas, n'impliquait-elle pas, au moins pour plus tard, la liberté du culte? Beaucoup le crurent, et entre autres Jean Cavalier, auquel Villars promit, vaguement, un régiment qui aurait permission de « prier Dieu comme les Suisses ». Ce régiment expédié sur le Rhin le 23 juin 1704, se réduisit à 100 hommes. La plupart des révoltés étaient revenus sur les ruines fumantes de leurs villages. 

Rolland continua la lutte; il fut tué par trahison le 14 août. Salles, et tous ceux qui se soumirent furent amnistiés, Ravanel, Salomon, Catinat furent suppliciés. Villars partit le 5 janvier 1705. Mais son successeur, le duc de Berwick, eut à déjouer une conspiration à Nîmes, et Cavalier, réfugié en Angleterre, essaya encore de soulever le Vivarais par ses émissaires Billard, Dupont et le ministre Mazel. L'heureux coup de main du réfugié français de Seissan, sur le port de Sète, l'occupation momentanée, par les Anglais et les calvinistes languedociens, d'Agde, de Mèze et de Bouzigues (25 juillet1er août 1710), ne furent qu'une alerte, une diversion destinée à empêcher le duc de Noailles d'entrer dans le Lampourdan. Basville et le duc de Roquelaure, successeur de Berwick, n'eurent pas de peine à forcer les envahisseurs au rembarquement. Un mois après, à Die et Avignon, des dépôts d'armes et de poudres à destination des Cévennes étaient saisis par l'intendant. La paix signée en 1711 avec l'Angleterre, puis avec l'empereur et ses alliés en 1713, enleva toute espérance aux derniers fanatiques des Cévennes. Mais cette Vendée de l'Ancien régime, tout en exagérant la valeur de ses héros, n'a rien oublié des mérites de ses martyrs. (H. Monin).

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