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George Villiers,
duc de Buckingham est un homme d'Etat
anglais, né le 20 août 1592, assassiné le 23 août
1628. Son père George Villiers de Brooksby, le laissa orphelin de
bonne heure. Il fut élevé par sa mère qui lui donna
surtout une éducation de jeune élégant. En août
1614 il fut présenté à la cour. Jacques
Ier prit
pour lui un goût très vif et l'attacha à sa personne
pour remplacer Robert Carr, duc de Somerset, qui avait abusé de
la faveur royale. En très peu de temps, George Villiers fut investi
de titres et de dignités. Il devient gentilhomme de la chambre,
chevalier, reçoit une pension de mille livres sterling; en août
1616, il est créé vicomte Villiers; au mois de janvier suivant,
comte de Buckingham; en 1618, marquis avec des dotations valant quinze
mille livres de revenu.
Jacques ler
se flattait de faire l'éducation politique et de modeler l'âme
du bel adolescent. Il en fit son maître. Buckingham se montra bientôt
extrêmement jaloux de son crédit. Il prétendait distribuer
à sa fantaisie les fonctions et les honneurs. Son intervention dans
le gouvernement, bornée d'abord au choix des personnes, ne tarda
pas à se faire sentir dans les solutions même données
aux affaires. En 1618 il se fait nommer grand écuyer, et dès
les premiers jours de l'année 1619 lord grand-amiral d'Angleterre.
Jacques estimait qu'un jeune homme énergique et volontaire pouvait
seul porter un remède radical aux abus qui rongeaient la flotte
britannique. George Villiers paraît avoir tout d'abord montré
beaucoup de bonne volonté, mais il n'était pas homme à
s'appliquer à une tâche aussi ingrate, il ne sut même
pas choisir des administrateurs intègres ou habiles pour surveiller
les détails qui le rebutaient. Il distribue les postes les plus
importants à ses amis, à ses parents, à ses flatteurs.
Aussi est-il impuissant à défendre même les côtes
d'Angleterre contré les insultes et les pillages des corsaires de
Dunkerque.
En 1620 Buckingham prend parti dans une
affaire de haute politique; il donna la mesure de son incohérence.
L'opinion britannique était violemment irritée de l'invasion
du Palatinat par les Espagnols.
Le favori se distingue d'abord parmi les plus ardents partisans de Frédéric
V, mais son mariage avec lady Catherine Manners, fille du comte de Rutland
et secrètement catholique, le retourne
complètement. Il soutient l'ambassadeur espagnol Gondomar et laisse
écraser la cause protestante au moment où une simple démonstration
aurait peut-être suffi à la sauver. Cette attitude, jointe
aux exactions de ses frères et de ses protégés, dans
les fonctions publiques, excite contre lui le Parlement qui fut convoqué
en 1621. Buckingham cependant eut l'adresse d'esquiver les attaques de
ses adversaires, il prodigua les protestations, argua de son patriotisme
et couvrit assez habilement les siens. L'attaque tomba sur lord Bacon
accusé. convaincu de concussion et condamné à une
lourde amende.
Buckingham avait fait mine de défendre
le chancelier; quand il Ie vit par terre il contribua à le dépouiller.
Bacon fut obligé de vendre son palais de Yorkhouse au favori tout-puissant.
L'autorité apparente de Buckingham s'accrut par la dissolution du
Parlement qu'il sut imposer à Jacques ler,
mais si George dirigeait despotiquement son roi, il était lui-même
complètement dominé par l'ambassadeur d'Espagne, au point
qu'il songea sérieusement à se convertir au catholicisme
en mai 1622. Le fameux Laud le détourna de cette faute; mais Benomar
persuada le jeune présomptueux de patronner le projet de mariage
entre le prince de Galles et l'infante Maria,
et d'emmener Charles à Madrid où
la cour d'Espagne espérait le convertir. Ces intrigues eurent pour
résultat la plus scandaleuse aventure dont la rigide cour castillane
ait été témoin au XVIIe
siècle. Buckingham aurait été en fort mauvais termes
avec le prince Charles. On prétend même qu'un jour il avait
levé la main sur lui. Il profita de ce voyage pour gagner sur l'esprit
du futur roi un empire absolu. Ce fut d'ailleurs le résultat le
plus net du voyage de Madrid. Les ministres de Philippe
Ill ayant refusé de donner le Palatinat en dot à la jeune
princesse, Buckingham rompit les négociations et revint en Angleterre.
Il avait été créé duc en son absence. Dès
ce moment il est le véritable maître des trois royaumes.
Il en fut quelque temps l'homme le plus
populaire. On lui savait gré des impertinences qu'il s'était
permises à Madrid. Il apparaissait comme le protecteur de la foi
protestante. Le Parlement de février 1624 le débarrasse de
la rivalité de Middlesex; le ministre Bristol est mis en prison;
les ambassadeurs d'Espagne essaient en vain de faire croire au vieux roi
que son favori a tramé le projet de le déposer. Cette intrigue
échoue complètement, le Parlement est prorogé, les
ambassadeurs espagnols quittent l'Angleterre. Buckingham fait décider
le mariage du prince de Galles avec la princesse Henriette-Marie,
soeur du roi de France. Il donne 12,000
hommes à Mansfeld pour reprendre le Palatinat. Mais ici commencent
les difficultés. Pour conclure le mariage français, Buckingham
a été contraint de se passer du vote du Parlement et de proroger
cette assemblée; pour équiper l'armée de Mansfeld
il est réduit à battre monnaie avec les monopoles :
ressource précaire, insuffisante et souverainement odieuse. Aussi
l'expédition part-elle dans les plus mauvaises conditions.
A Douvres même les soldats manquent
de tout. Sur ces entrefaites Jacques Ier
meurt, le 37 mars 1725; Buckingham trouve de l'argent pour donner un éclat
extraordinaire à sa propre ambassade en France,
où il va chercher la jeune reine d'Angleterre. Mais ce voyage fastueux
tourne encore contre lui. Richelieu refuse
de s'engager dans une alliance contre l'Espagne, Les imprudences de Buckingham
exaspèrent Louis XIII. A Paris
et à Amiens l'ambassadeur du roi
d'Angleterre ne craignit pas de faire tout son possible pour compromettre
la reine de France, Anne d'Autriche. Ses
hommages indiscrets furent mis, il est vrai, sur le compte d'une exaltation
passagère. Richelieu paraît être resté très
bien disposé envers le favori. Nous avons des lettres très
confidentielles du grand ministre français qui ne laissent aucun
doute à cet égard. Dans ses dépêches à
l'ambassadeur d'Effiat, Richelieu à plusieurs reprises lui donne
pour instructions de ménager le plus possible 59 (chiffre sous lequel
il désigne Buckingham). Malgré les mauvais propos répandus
au sujet de l'insistance mise par Buckingham pour revenir en France comme
ambassadeur, nous voyons le cardinal faire recommander souvent à
la jeune reine d'Angleterre, au nom de Marie
de Médicis, de témoigner beaucoup de prévenances
au duc. Enfin l'ambassadeur de France en Hollande ayant assez rudement
détourné le ministre anglais de retourner à Paris
en 1626, le premier ministre français se plaint vivement de cette
maladresse. On voit par ces détails, puisés aux sources les
plus authentiques, combien il est faux que Richelieu ait été
animé contre son collègue de sentiments jaloux dont la reine
Anne aurait été l'objet.
L'intérêt suffisait à
les diviser. Les premières années du règne de Charles
Ier sont
en effet marquées par un effort violent du gouvernement anglais
pour chercher au dehors une diversion aux mécontentements accumulés
en Angleterre plus encore par la politique traditionnelle des Stuart
que par l'arrogance du favori. Mais le corps expéditionnaire confié
à Mansfeld est décimé par les maladies, presque sans
combattre; l'expédition d'Essex contre Cadix
(1625) a un résultat aussi fâcheux. Cela n'empêche pas
le présomptueux Buckingham d'intervenir dans la lutte entre les
calvinistes de France et Richelieu avec tant de raideur qu'une guerre fut
presque inévitable. Une flotte anglaise commandée parle lord
grand-amiral en personne se présenta devant La
Rochelle pour ravitailler la place. Un débarquement fut opéré
dans l'île de Ré et repoussé.
Le prestige du gouvernement en souffrit
au point que le troisième parlement de Charles ler,
réuni le 17 mars 1628, présenta à Charles ler
la pétition des droits. Buckingham est attaqué avec la dernière
violence par Wentworth. L'irritation s'accroît tellement que le roi
est obligé, le 7 juin, de sanctionner la pétition des droits.
Mais le 26 du même mois il prorogea le Parlement, Buckingham espérait
avoir le temps de sauver La Rochelle et de regagner par ce succès
la popularité perdue. Il alla à Portsmouth
prendre le commandement d'une flotte formidable. Il y fut assassiné
d'un coup de couteau dans la poitrine, le matin du 23 août, par John
Felton.
La mort du favori donna lieu dans Londres
à des manifestations da joie indécente. Jusqu'au dernier
moment Buckingham avait conservé la faveur de son maître;
il avait montré à plusieurs reprises un sens remarquable
des nécessités politiques et une certaine souplesse. La frivolité
et l'égoïsme qu'on lui a si justement reprochés tiennent
autant à l'indulgence aveugle de Jacques ler
qu'à la nature même du favori. Il est permis de se demander
si sa mort n'a pas été un malheur pour l'Angleterre. Il n'avait
que trente-six ans. La leçon qu'il allait chercher à la Rochelle
lui aurait peut-être servi; sa disparition livra Charles ler
à l'influence de Wentworth. (L Bougier). |
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