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Botticelli

Alessandro di Mariano Filipepi, surnommé Botticelli est un  peintre né à  Florence en 1447, mort le 17 mai 1510. Selon Vasari, il prit son nom d'un orfèvre chez qui son père, un tanneur, l'avait mis en apprentissage. Mais les documents nous apprennent qu'il n'existait pas d'orfèvre de ce nom à Florence, et que, d'autre part, le frère cadet d'Alessandro était lui-même orfèvre, tandis que son frère aîné, le courtier Giovanni di Mariano, portait le sobriquet de Botticello. Alessandro, ou plutôt, selon l'appellation ordinaire, Sandro Botticelli, montra de très bonne heure une spéciale aptitude au dessin, et fut placé dans l'atelier de Fra Filippo Lippi, le célèbre peintre de madones. Il y fit de si rapides progrès qu'en 1469, à la mort du Frate, malgré ses vingt-deux ans, il était passé maître, et que Fra Diamante put dès lors lui confier l'éducation de Filippino Lippi, devenu orphelin. L'empreinte marquée par Fra Filippo sur le jeune talent de Botticelli était considérable, mais le disciple devait aller beaucoup plus loin que le maître. Il avait appris de lui la grâce un peu triste des figures, la souplesse des mouvements, l'agencement noble et délicat des compositions. Il raffina tout ensemble et purifia la peinture de Lippi. Il précisa son dessin, et appliqua à la composition, à la forme et aux lignes les lois du bas-relief, tandis qu'il révélait la recherche subtile de l'orfèvre dans les ornements précieux de ses figures, dans les fleurs, les perles et les broderies, enfin dans cette teinte opaline et claire où se maintiennent presque tous ses tableaux, peints à la détrempe. Ces nouvelles qualités d'orfèvre et de sculpteur, il les dut sans doute à sa collaboration avec les Pollajuoli. Le musée des Offices possède une allégorie de la Force, peinte par Botticelli pour la série des Vertus que les Pollajuoli devaient représenter à la Mercanzia. C'est une belle figure assise dans une niche sculptée, la tête fine et pensive, coiffée d'un diadème d'or et de perles; un gorgerin de fer et des brassards lui donnent l'aspect guerrier; mais les plis flottants de la robe et la grande draperie jetée sur les genoux laissent à l'ensemble du tableau une grâce austère et paisible.

A l'influence des Pollajuoli il faut ajouter celle de Castagno, dont il imita parfois dans ses figures de saints et d'évêques le naturalisme un peu sombre et la sécheresse d'expression (Madone de l'Académie des Beaux-Arts à Florence) : c'est là d'ailleurs une exception dans l'histoire de ce talent si doux, si raffiné, si original, qui jusque dans ses tableaux païens donne aux déesses le charme pur de ses madones. Comment ne point mentionner enfin les sources de cette inspiration mystique, que Vasari a si cruellement méconnue? Botticelli était âgé de plus de cinquante ans, quand le supplice de Savonarole vint le troubler et le décourager au fond de l'âme; le prédicateur dominicain l'avait absolument conquis, l'avait tourné tout entier à la pensée chrétienne; on doit, pour bien comprendre certains grands artistes de cette première Renaissance, Fra Bartolommeo surtout, Botticelli, Lorenzo di Credi, songer à la parole éloquente de Savonarole. Mais déjà, avant de connaître Savonarole, Botticelli avait une autre passion profonde : il commentait Dante, l'illustrait de dessins et de gravures; il l'étudiait, l'aimait d'un fanatisme tel qu'en plein tribunal il apostropha violemment un pauvre ignorant coupable d'avoir touché à son poète. Instruit par Filippo Lippi et inspiré par Dante, Botticelli devait montrer de bonne heure les plus rares qualités : il eut la fortune de les pouvoir mettre dès l'abord au service des Médicis.

Il y a au musée de Berlin un Portrait de Julien de Medicis, par Botticelli, qui provient du palais Strozzi de Florence. En 1475, lorsque la conspiration des Pazzi faillit écraser les Médicis, Sandro fut chargé de peindre sur les murs du Palais public les effigies des suppliciés; et c'est à cette époque, selon toute vraisemblance, qu'il aura exécuté pour la famille ce portrait d'une victime de la conspiration. On a conservé les registres où est mentionné, à la date du 21 juillet 1478, le paiement de quarante florins pour ces fresques. On donne généralement le nom de la belle Simonetta, maîtresse de Julien de Médicis, à une figure de femme conservée au palais Pitti, et à un  portrait, également de Botticelli, que la galerie de Berlin a acheté; mais l'admirable portrait authentique de Simonetta, dû peut-être à Ant. Pollajuolo, qui se trouve dans la galerie du duc d'Aumale à Chantilly, ne permet pas de soutenir cette attribution.
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L'Adoration de Mages.
A droite : Botticelli par lui-même.

En dehors des portraits, Botticelli composa pour les Médicis des tableaux religieux et des allégories profanes. L'Adoration des Mages, aujourd'hui aux Offices, est l'oeuvre religieuse la plus importante que lui ait commandée Laurent le Magnifique. Sur un fond lumineux de soleil couchant se détachent un pan de mur délabré, un rocher brunâtre, qui soutiennent un toit de roseaux; ils forment une grotte où, près de saint Joseph debout et méditant, la Vierge assise présente l'enfant divin au baiser de Cosme de Médicis, le plus âgé des rois mages. Julien et Jean de Médicis viennent ensuite, et autour d'eux se presse un brillant cortège de princes et de seigneurs aux costumes variés, debout, agenouillés, admirant, adorant, ou conversant entre eux. Et n'est-ce pas Botticelli lui-même, ce jeune homme au vêtement sombre, qui se retourne, et regarde de face, dans l'angle droit du tableau? Dans cette peinture où sont groupés les puissants et les illustres de Florence (comme dans la Tour de Babelde Benozzo Gozzoli, au Campo Santo de Pise, ou encore dans les fresques de Ghirlandajo à Santa Maria Novella), n'est-il pas naturel que le peintre se soit réservé une place? L'oeuvre fut célèbre dès l'abord, et il est difficile de voir plus de souplesse, d'animation, de dignité, jointes à la précision du dessin et à la vivacité du coloris.
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Les sujets profanes comprennent la Naissance de Vénus, l'Allégorie du Printemps, Pallas et Bacchus. Le dernier des trois fut sacrifié dans les autodafé de Savonarole; les deux autres, qui fort heureusement avaient déjà pris place dans la villa des Médicis, à Castello, sont aujourd'hui, l'un, la Naissance de Vénus, au musée des Offices; l'autre, le Printemps, à l'Académie des Beaux-Arts de Florence. Si le tableau de la Naissance de Vénus n'avait beaucoup souffert des intempéries, qui l'ont écaillé et terni, on l'admirerait comme un des plus aimables chefs-d'oeuvre de l'art italien. La gracieuse déesse, pensive et virginalement émue, voilant sa poitrine d'une main, de l'autre ramenant devant sa nudité pudique les ondes de ses cheveux blonds négligemment tordus, vogue sur une grande conque, au souffle de deux Zéphyrs tendrement enlacés, les roses pleuvant dans l'air ensoleillé, et aborde à la rive fleurie, plantée de lauriers-roses, où s'avance une nymphe (le Printemps), vêtue d'une robe blanche toute brodée de bluets, prête à la couvrir d'un riche manteau tout semé de pâquerettes.
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La Naissance de Vénus.

Le second tableau est le chef-d'oeuvre païen de Botticelli. Peinte à la détrempe sur un panneau de bois de grandes dimensions, l'Allégorie du Printemps, quoique un peu assombrie par la patine de l'âge, surprend et charme comme le rêve d'un des plus subtils poètes contemporains. Sous un bosquet d'orangers dont les fruits percent l'épais feuillage, dans un demi-jour de soleil couchant tamisé par les feuilles et les fleurs, on voit une charmante assemblée de déesses et de dieux. Vénus, doucement souriante, retenant d'une main son riche manteau de brocart, marque de l'autre main le rythme de la danse des Grâces. Elles sont à sa droite, les trois Grâces, élancées, fines, les corps délicats transparaissant sous les plis de la gaze. Elles dansent lentement, les mains enlacées; leur profil élégant est pensif, demi-triste; des perles ornent leurs cheveux flottants. Auprès d'elles, Mercure adolescent, coiffé d'un léger casque, abaisse à lui la branche d'un oranger. Au-dessus de Vénus plane l'enfant Amour, les yeux bandés, qui darde sur les Grâces sa flèche de feu. A gauche, une mystérieuse figure, la plus originale qu'ait imaginée le génie si personnel de Botticelli, symbolise le Printemps. C'est une jeune femme toute vêtue de fleurs; des fleurs se mêlent à ses cheveux, se nouent en collier à ses épaules; une souple guirlande de roses presse sa taille élancée; sa robe de soie blanche, frangée aux bords, est brodée d'oeillets, de bluets, de jacinthes, de marguerites. Elle marche d'un pas léger, plongeant ses pieds nus dans le gazon émaillé de fleurs nouvelles, et de ses deux mains jette des roses. A l'angle du tableau, Flore, mâchant des fleurs, vêtue de gaze, fuit l'étreinte du zéphyr bleuâtre qui glisse parmi les arbres.
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L'Allégorie du Printemps.

A côté de ces grands ouvrages, il faut mentionner de petits panneaux minutieusement composés la Calomnie d'Apelle, aux Offices, d'après la description de Lucien, les illustrations du roman de Nastagio degli Onesti, par Boccace, quatre petits tableaux assez médiocres, conservés à la Casa Pucci. Si l'on ajoute à cette énumération quelques Madones, les deux petites compositions, de vraies miniatures, représentant l'Histoire de Judith, aux Offices, et surtout l'important retable de l'Assomption de la Vierge peint en 1475 pour la chapelle Palmieri, à Saint-Pierre Majeur de Florence, et placé maintenant à la National Gallery de Londres, on connaîtra pour la plus grande partie l'oeuvre de Botticelli, au moment où il quitta Florence, en 1481, appelé à Rome par le pape Sixte IV.

Botticelli travailla à décorer la Chapelle Sixtine pendant toute l'année 1481; en même temps que lui Sixte IV avait à son service Cosimo Rosselli et Domenico Ghirlandajo, Pérugin et Signorelli. Trois sur quinze des grandes fresques qui ornent les parois de la Chapelle appartiennent à Sandro; ce sont, d'un côté la Tentation du Christ ; de l'autre l'Histoire de Moïse avec le Buisson ardent, l'Entrée dans la terre promise et le Châtiment des Madianites, enfin la Rébellion de Coré, Datan et Abiron. Les divers groupes sont admirables de mouvement et d'expression, mais l'agencement des scènes, conforme encore aux errements des primitifs, reproduit en un même tableau plusieurs épisodes, manquement grave à l'unité de composition si chère aux artistes de la Renaissance, et par laquelle, dans la même Chapelle Sixtine, Ghirlandajo affirme nettement sa supériorité sur son rival. Et cependant il est impossible, prenant à part chaque épisode, de nier la grâce infinie et l'animation que le peintre y a répandues; on admirera sans restriction les vingt-quatre Portraits de Papes que Botticelli a représentés debout dans des niches simulées entre les fenêtres; mais il faut avouer qu'il n'avait pas suffisamment l'expérience de la peinture monumentale. Les deux fresques de la villa Lemmi, transportées au musée du Louvre, sont les seuls vestiges qui restent, en dehors de la Chapelle Sixtine, des essais de peinture murale de Botticelli.

Sandro Botticelli est inimitable dans le tableau de chevalet, dans ces panneaux ronds (tondi), représentant des scènes pieuses, particulièrement des Madones. C'est toujours le même jeune et délicat visage, un peu pâli par un triste pressentiment, souriant avec une tendresse douloureuse à l'enfant qui la regarde. Tantôt la Vierge, vêtue d'un long manteau, incline l'enfant vers le petit saint Jean qui l'embrasse (palais Pitti); tantôt elle le tient sur ses genoux, tandis qu'il joue avec une grenade parmi des anges ceints de roses; tantôt elle est assise entre les deux saints Jean, sous des berceaux de feuillage et de fleurs, ou elle est adorée par sept petits anges tenant des cierges, tableau de la plus douce et naïve dévotion que l'on puisse voir (ces trois dernières oeuvres au musée de Berlin). La bibliothèque Ambrosienne de Milan possède un charmant petit cadre où l'on voit, sous une tente dont deux anges entrouvrent les rideaux, la Vierge à genoux, présentant le sein à l'enfant qui se hâte vers elle, guidé par un ange. Enfin, dans le tableau du Louvre, l'enfant, prévoyant les douleurs de sa mère, se serre contre elle d'un gracieux mouvement; et, dans celui des offices, le plus délicieux de tous ces petits chefs-d'oeuvre, l'enfant, sur les genoux de sa mère, lui a dicté le Magnificat; des anges tiennent le livre où elle vient d'écrire, et soulèvent une couronne sur sa tête; dans un rayon d'or plane la colombe de l'Esprit Saint. Le dernier tableau daté de Botticelli est une Adoration des Mages de 1500, où les doctrines de Savonarole sont expliquées dans une longue inscription grecque (National Gallery, de Londres). Sur la fin de sa vie, Botticelli, perclus et débile, dut se faire aider pour l'exécution de ses peintures; et, s'il faut en croire Vasari, le glorieux peintre, le poète des séductions païennes et des plus doux mystères chrétiens, mourut dans la misère.

Botticelli dessinateur a laissé un monument de sa science et de sa grâce d'invention dans la célèbre illustration de Dante (La Divine Comédie) acquise en 1882 par le musée de Berlin avec la collection Hamilton. Avant d'entreprendre ce grand travail, il s'était essayé à de premiers dessins, de dimension moindre, que Baccio Baldini grava pour l'édition de Dante de 1481. Ce n'était d'ailleurs point la première fois que Sandro fournissait des modèles aux gravures de Baldini. Mais cette fois il s'agit de simples croquis à la plume, d'une verve et d'une finesse extraordinaires, destinés à être rehaussés de couleur, et demeurés inachevés. Ils devaient former à l'origine un album de miniatures in-folio, une pour chaque Cantica du poème, et la commande en avait été faite par Lorenzo di Pier Francesco de Médicis. Le recueil de Berlin comprend 84 dessins, dont une miniature; on a découvert à la bibliothèque du Vatican, 8 autres dessins, dont une miniature-frontispice, qui complètent la merveilleuse série. Botticelli témoigne dans ce recueil de qualités tragiques qui ne lui sont pas habituelles, mais il est incomparable surtout dans certaines scènes du Purgatoire et du Paradis.

Les plus belles oeuvres de Botticelli sont conservées aux Uffizi et à l'Académie des Beaux-Arts de Florence, à Londres et à Paris, surtout au musée de Berlin, où elles forment la principale richesse du fonds italien. Un certain nombre de petits tableaux religieux et de dessins sont dispersés dans des collections particulières.

S'il est un mot qui puisse résumer tout le talent de Sandro Botticelli, il faut l'appeler exquis; entendant  par là qu'il a connu, deviné, réalisé ce que l'art moderne cherche de plus subtil sans énigme, de plus raffiné sans maniérisme, de plus alangui et mélancolique sans énervement. Il a inspiré au XIXe siècle les préraphaélites et les esthètes anglais, et il faudrait aller jusqu'à Gustave Moreau pour trouver un peintre qui égale cette finesse de sentiment, cette intelligence de l'allégorie. La tendresse de ses madones, si chastes et si douloureuses, qui dans la douceur de leur maternité prévoient les souffrances à venir, résume tout le sentiment des primitifs florentins et siennois, avec une profondeur d'expression qu'on ne retrouvera plus chez personne, que ce soit même Léonard ou Raphaël. Cependant Botticelli n'occupera jamais le premier rang parmi les grands maîtres de la Renaissance; et, sans parler des trois artistes merveilleux Léonard, Michel-Ange et Raphaël, il faut convenir que Ghirlandajo lui est supérieur par la science de la composition, l'allure des personnages, la puissance du dessin et du coloris. Mais il a de précieuses, d'incomparables qualités, qui lui vaudront toujours le suffrage des délicats et des poètes; d'autres entraînent plus d'admiration; nul peut-être ne mérite plus d'amour. (A. Pératé).

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