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Augier

Guillaume Victor Emile' Augier est un écrivain français, né à Valence (Drôme) le 17 septembre 1820 et mort  à Croissy-sur-Seine le 25 octobre 1889. Petit-fils de Pigault-Lebrun et fils d'un avocat qui avait été le collaborateur de son beau-père, notamment pour un Voyage dans le midi de la France (1826, in-8), E. Augier fit de brillantes études universitaires à Paris et suivit les cours de l'Ecole de droit; il achevait à peine son stage lorsqu'il se vit refuser au Théâtre-Français, la Ciguë, comédie en 2 actes; portée par l'auteur à l'Odéon, elle fut saluée comme la révélation d'un talent plein de promesses (mai 1844). Sollicité à son tour par le comité qui l'avait repoussé, Emile Augier écrivit une comédie en trois actes et en vers, Un homme de bien, qui n'eut qu'un demi-succès. En revanche, l'Aventurière (3 actes, Théâtre-Français, 23 mars 1848) et Gabrielle (5 actes, même théâtre, décembre 1819) le placèrent définitivement hors de pair. Gabrielle partagea même le prix Monthyon avec la Fille d'Eschyle d'Autran

Le 28 février de la même année, Emile Augier avait donné aux Variétés, avec la collaboration d'Alfred de Musset, un acte en prose, l'Habit vert, qui obtint vingt-huit représentations, mais qui n'a pas été compris dans les ouvrages du poète des Nuits et, deux ans plus tard, au Gymnase, la Chasse au roman, comédie tirée d'un roman de Jules Sandeau. Ni le Joueur de flûte (1 acte, 1850), ni Diane, drame en 5 actes (1852), écrit spécialement pour Rachel, ne reçurent au Théâtre-Français l'accueil qu'y avaient obtenu les précédentes oeuvres de d'Augier. Le premier ne parut qu'une réminiscence affaiblie de la Ciguë et le second offrit d'inévitables rapprochements avec Marion Delorme, puisque le fameux édit de Richelieu sur les duels en avait fourni la donnée. Philiberte (Gymnase, 3 actes en vers, 1853) vit son succès contesté en termes assez vifs par Ch. Monselet, dans l'Artiste, pour provoquer une rencontre au pistolet qui n'eut heureusement aucune suite fâcheuse pour les deux adversaires. La Pierre de touche (Gymnase, 5 actes, 1854), avec Jules Sandeau; - le Mariage d'Olympe (Vaudeville, 5 actes, 1855); - Ceinture dorée (Gymnase, 3 actes, 1855) avec Ed. Foussier ; - le Gendre de M. Poirier (Gymnase, 4 actes, 1854) également avec Jules Sandeau, et qui est entré en 1864 dans le répertoire de la Comédie-Française; - la Jeunesse (Odéon, 5 actes en vers, 1858); - les Lionnes pauvres (Vaudeville, même année) avec Ed. Foussier, attestèrent à peu d'intervalles combien le don d'observation et la verve d'Augier avaient trouvé à s'exercer dans la peinture de la société issue de la monarchie de Juillet et des premières années du Second Empire.

Bientôt l'auteur ne craignit pas d'aborder des sujets encore plus brûlants et de renouveler la comédie aristophanesque en mettant en scène les passions qui agitaient opinion publique au lendemain de la campagne d'Italie. Les Effrontés (Théâtre-Français, 5 actes en prose, 10 janvier 1861) montraient à vif les tripotages des agioteurs et de la presse; - le Fils de Giboyer (même théâtre, 5 actes 1er décembre 1862), que l'auteur eût voulu intituler les Cléricaux, et où reparaissait une partie des personnages déjà connus du public, mit le feu aux poudres. Non seulement chacun reconnut dans Giboyer le type à peine travesti du plus fameux des pamphlétaires ultramontains, mais Louis Veuillot lui-même ne dissimula pas sa colère et, ne pouvant riposter par la voie de la presse (l'Univers était alors suspendu), il écrivit une violente diatribe intitulée le Fond de Giboyer, qui eut sept éditions dans la même année. Victor de Laprade publiait en même temps dans le Correspondant une virulente satire (la Chasse aux vaincus) à laquelle Augier répliqua par une lettre non moins véhémente dans l'Opinion nationale. La querelle devint bientôt générale et le Fils de Giboyer fut sur divers théâtres de province l'occasion de provocations, de duels et de poursuites judiciaires contre les délinquants; à Paris, il eut cent-dix représentations consécutives. 

Emile Augier revint deux ans plus tard à la comédie de moeurs proprement dite : Maître Guérin (Théâtre-Français, 5 actes, 28 décembre 1864) obtint un succès prolongé et auquel la politique fut absolument étrangère. La Contagion, annoncée sous le titre : le Baron d'Estrigaud et reçue au même théâtre, fut retirée par l'auteur en raison du retard que la vogue du Lion amoureux, de Ponsard, menaçait de lui faire subir et portée à l'Odéon; en même temps, Emile Augier demandait et obtenait, par l'intervention directe de l'empereur, que le rôle principal fût confié à Got pour qui il avait été écrit. Ces incidents dont la presse s'était longuement occupée ne procurèrent cependant pas à la Contagion le même accueil qu'à ses aînés (17 mars 1866), mais elle fournit une plus longue carrière en province durant une tournée organisée par Got et une troupe qu'il avait recueillie. Augier, qui semblait avoir renoncé à la comédie en vers, renouvela le genre auquel il avait dû ses premiers triomphes en écrivant Paul Forestier (Théâtre-Français, 4 actes, 25 janvier 1868), dont ses interprètes réussirent à faire applaudir les audaces, atténuées au cours des représentations par l'auteur et par la censure, et qui a reparu sur la même scène à la fin de 1876. Le Post-scriptum, 1 acte, 1869; et Lions et Renards (même année, 5 actes) n'ont pas laissé, à beaucoup près, une trace aussi durable.

Elu membre de l'Académie française le 31 mars 1857, en remplacement de Salvaudy, Emile Augier, quelques jours avant la chute du Second Empire le 27 juillet 1870, avait été porté par Emile Ollivier sur une liste de dix-huit sénateurs nouveaux; mais les décrets, retrouvés dans le cabinet de l'empereur, ne furent pas promulgués, Le poète n'avait d'ailleurs pris part qu'une seule fois aux polémiques courantes dans une brochure intitulée la Question électorale (1864, in-8) et il a depuis, précisément dans sa réponse au discours de réception de E.Ollivier, proclamé son indifférence pour les diverses sortes de régime gouvernemental. Jean de Thommeray, tiré d'une nouvelle de Jules Sandeau (Théâtre-Français, 5 actes, 1873) dut en partie son succès aux. allusions qu'il renfermait aux récents désastres français et que rappelait une mise en scène des plus habiles. Dans Madame Caverlet (Vaudeville, 4 actes, 1er février 1876), l'auteur aborda la question du divorce et de la situation faite aux enfants par la séparation légale des époux; il s'y montrait d'aileurs partisan d'une réforme qui n'était pas encore entrée dans la législation. Le Prix Martin (Palais-Royal, 3 actes), en collaboration avec Eugène Labiche, ne parut pas un début fort heureux dans un genre qu'Augier abandonna pour revenir à la comédie sociale avec les Fourchambault (Théâtre-Français, 3 actes, 8 avril 1878).

Par la suite, une grave affection nerveuse, due, disait-on, à l'abus du tabac, a condamné Emile Augier à un repos prolongé dont il n'est sorti que pour écrire la préface du Théâtre complet de Labiche. La réponse qu'il devait adresser à Emile Ollivier, et à laquelle il a été fait allusion plus haut, a été communiquée à la presse en mars 1874, ainsi que le discours du récipiendaire, sans l'aveu de leurs auteurs. Elle n'a pas été réimprimée dans un volume d'OEuvres diverses (1878, in-18), renfermant les Pariétaires, poésies (déjà publiées sous ce titre en 1855, in-16); - les Méprises de l'amour, comédie non représentée; - la Question électorale et le Discours de réception à l'Académie. De plus, Emile Augier a donné une édition de son Théâtre complet (1876-1878, 6 vol. in-18).

Parmi ses divers portraits, nous citerons celui d'Ed. Dubufe, qui a figuré au Salon de 1876 et à l'Exposition universelle de 1878. (Maurice Tourneux).
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Extrait du Gendre de M. Poirier

« GASTON DE PRESLES
Eh bien! cher beau-père, comment gouvernez-vous ce petit désespoir? Êtes-vous toujours furieux contre votre panier percé de gendre? Avez-vous pris votre parti?

POIRIER
Non, monsieur; mais j'ai pris un parti.

GASTON
Violent?

POIRIER
Nécessaire.

GASTON
Y a-t-il de l'indiscrétion à vous demander?...

POIRIER
Au contraire, monsieur, c'est une explication que je vous dois... (Il lui montre un siège, ils s'asseyent tous deux à droite et à gauche de la chambre du milieu). En vous donnant ma fille et un million, je m'imaginais que vous consentiriez à prendre une position.

GASTON
Ne revenons pas là-dessus, je vous prie.

POIRIER
Je n'y reviens que pour mémoire... Je reconnais que j'ai eu tort d'imaginer qu'un gentilhomme consentirait à s'occuper comme un homme et je passe condamnation. Mais, dans mon erreur, je vous ai laissé mettre ma maison sur un ton que je ne peux pas soutenir à moi seul; et puisqu'il est bien convenu que nous n'avons à nous deux que ma fortune, il me paraît juste, raisonnable et nécessaire, de supprimer de mon train ce qu'il me faut rabattre de mes espérances. J'ai donc songé à quelques réformes que vous approuverez sans doute.

GASTON
Allez, Sully! Allez, Turgot!... Coupez; taillez, j'y consens! Vous me trouvez en belle humeur, profitez-en!

POIRIER
Je suis ravi de votre condescendance. J'ai donc décidé, arrêté, ordonné...

GASTON
Permettez, beau-père, si vous avez décidé, arrêté, ordonné, il paraît superflu que vous me consultiez.

POIRIER
Aussi ne vous consulté-je pas; je vous mets au courant, voilà tout.

GASTON
Ah! vous ne me consultez pas?

POIRIER
Cela vous étonne?

GASTON
Un peu, mais, je vous l'ai dit, je suis en belle humeur.

POIRIER
Ma première réforme, mon cher garçon...

GASTON
Vous voulez dire mon cher Gaston, je pense? La langue vous a fourché.

POIRIER
Cher Gaston, cher garçon... c'est tout un... De beau-père à gendre, la familiarité est permise.

GASTON
Et de votre part, monsieur Poirier, elle me flatte et m'honore... Vous disiez donc que notre première réforme?...

POIRIER, se levant.
C'est, monsieur, que vous me fassiez le plaisir de ne plus me gouailler. Je suis las de vous servir de plastron.

GASTON
Là, là, monsieur Poirier, ne vous fâchez pas!

POIRIER
Je sais très bien que vous me tenez pour un très petit personnage et pour un très petit esprit, mais...

GASTON
Où prenez-vous cela?

POIRIER
Mais vous saurez qu'il y a plus de cervelle dans ma pantoufle que sous votre chapeau.

GASTON
Ah! fi! voilà qui est trivial... vous parlez comme un homme du commun.

POIRIER 
Je ne suis pas un marquis, moi!

GASTON
Ne le dites pas si haut, on finirait par le croire.

POIRIER
Qu'on le croie ou non, c'est le cadet de mes soucis. Je n'ai aucune prétention à la gentilhommerie, Dieu merci! je n'en fais pas assez de cas pour cela.

GASTON
Vous n'en faites pas de cas?

POIRIER
Non, monsieur, non! Je suis un vieux libéral, tel que vous me voyez : je juge les hommes sur leur mérite, et non sur leurs titres; je me ris des hasards de la naissance; la noblesse ne m'éblouit pas, et je m'en moque comme de l'an quarante; je suis bien aise de vous l'apprendre.

GASTON
Me trouveriez-vous du mérite, par hasard?

POIRIER
Non, monsieur, je ne vous en trouve pas.

GASTON
Non? Alors, pourquoi m'avez-vous donné votre fille?

POIRIER, interdit.
Pourquoi je vous ai donné...

GASTON
Vous aviez donc une arrière-pensée?

POIRIER
Une arrière-pensée?

GASTON
Permettez! Votre fille ne m'aimait pas quand vous m'avez attiré chez vous; ce n'étaient, pas mes dettes qui m'avaient valu l'honneur de votre choix; puisque ce n'est pas non plus mon titre, je suis bien obligé de croire que vous aviez une arrière-pensée.

POIRIER, se rasseyant.
Quand même, monsieur!... quand j'aurais tâché de concilier mes intérêts avec le bonheur de mon enfant? Quel mal y verriez-vous? Qui me reprochera, à moi qui donne un million de ma poche, qui me reprochera de choisir un gendre en état de me dédommager de mon sacrifice, quand d'ailleurs il est aimé de ma fille? J'ai pensé à elle d'abord, c'était mon devoir; à moi ensuite, c'était mon droit.

GASTON
Je ne conteste pas, monsieur Poirier. Vous n'avez eu qu'un tort, c'est de manquer de confiance en moi.

POIRIER
C'est que vous n'êtes pas encourageant.

GASTON
Me gardez-vous rancune de quelques plaisanteries? Je ne suis peut-être pas le plus respectueux des gendres, et je m'en accuse; mais, dans les choses sérieuses, je suis sérieux. Il est très juste que vous cherchiez en moi l'appui que j'ai trouvé en vous.

POIRIER, à part.
Comprendrait-il la situation?

GASTON
Voyons, cher beau-père, en quoi puis-je vous être bon à quelque chose?

POIRIER
Eh bien, j'avais rêvé que vous iriez aux Tuileries.

GASTON
Encore! C'est donc votre marotte de danser à la cour?

POIRIER
Il ne s'agit pas de danser. Faites-moi l'honneur de me prêter des idées moins frivoles. Je ne suis ni vain ni futile.

GASTON
Qu'êtes-vous donc, ventre-saint-gris! expliquez-vous.

POIRIER, piteusement.
Je suis ambitieux!

GASTON
On dirait que vous en rougissez; pourquoi donc? Avec l'expérience que vous avez acquise dans les affaires, vous pouvez prétendre à tout. Le commerce est la véritable école des hommes d'État.

POIRIER
C'est ce que Verdelet me disait ce matin.

GASTON
C'est là qu'on puise cette hauteur de vues, cette élévation de sentiments, ce détachement des petits intérêts qui font les Richelieu et les Colbert.

POIRIER
Oh! je ne prétends pas...

GASTON
Mais qu'est-ce qui pourrait donc bien lui convenir à ce bon monsieur Poirier? Une préfecture? fi donc! Le conseil d'État? non! Un poste diplomatique ? Justement l'ambassade de Constantinople est vacante...

POIRIER
J'ai des goûts sédentaires : je n'entends pas le turc.

GASTON
Attendez! (lui frappant sur l'épaule). Je crois que la pairie vous irait comme un gant.

POIRIER
Oh! croyez-vous?

GASTON
Mais, voilà le diable! vous ne faites partie d'aucune catégorie... vous n'êtes pas encore de l'Institut.

POIRIER
Soyez donc tranquille! Je paierai, quand il le faudra, trois mille francs de contributions directes. J'ai à la banque trois millions qui n'attendent qu'un mot de vous pour s'abattre sur de bonnes terres.

GASTON
Ah! Machiavel! Sixte-Quint! vous les roulerez tous!

POIRIER
Je crois que oui.

GASTON
Mais j'aime à penser que votre ambition ne s'arrête pas en si bon chemin? Il vous faut un titre.

POIRIER
Oh! je ne tiens pas à ces hochets de la vanité : je suis, comme je vous le disais, un vieux libéral.

GASTON
Raison de plus. Un libéral n'est tenu de mépriser que l'ancienne noblesse; mais la nouvelle, celle qui n'a pas d'aïeux...

POIRIER
Celle qu'on ne doit qu'à soi-même!

GASTON
Vous serez comte.

POIRIER
Non. Il faut être raisonnable, baron seulement.

GASTON
Le baron Poirier!... cela sonne bien à l'oreille.

POIRIER
Oui, le baron Poirier!

GASTON. (Il le regarde et part d'un éclat de rire).
Je vous demande pardon; mais là, vrai, c'est trop drôle! Baron! monsieur Poirier!... baron de Castillard!

POIRIER, à part.
Je suis joué !... »
 

(E. Augier et J Sandeau).
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