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Le marquis d'Argens

Jean-Baptiste de Boyre, marquis d'Argens est un écrivain français, né à Aix-en-Provence le 24 juin 1704, mort au château de la Garde, près de Toulon, le 11 janvier 1774. Petit-fils d'un riche amateur de tableaux (J.-B. de Boyer, marquis d'Eguilles) et fils d'un procureur général au parlement d'Aix, il ne put s'astreindre aux études juridiques, et entra, dès l'âge de quinze ans, dans le régiment de Toulouse, puis dans celui de Richelieu, après avoir été reçu chevalier de Malte. Lors d'un séjour qu'il fit à Aix, il s'éprit d'une comédienne nommée Silvie, la suivit jusqu'en Espagne, fut arrêté sur l'ordre de l'Inquisition, puis détenu à la citadelle de Perpignan, en vertu d'une lettre de cachet, et rendu à sa famille. 

Son père, qui avait songé d'abord à le priver de son droit d'aînesse, le fit adjoindre à M. d'Andrezel qui se rendait à Constantinople en qualité d'ambassadeur. D'Argens demeura quelques mois en Turquie, non sans y ébaucher toutes sortes d'aventures plus ou moins périlleuses, et se fit inscrire ensuite au barreau d'Aix. Il y avait plaidé diverses causes avec succès, tout en menant de front l'étude de la peinture et celle des sciences naturelles, lorsqu'il retomba dans sa vie de dissipation durant divers voyages à Paris, à Marseille et à Rome

Le scandaleux procès du P. Girard, jésuite, et de Mlle de la Cadière, dont il put, grâce aux fonctions de son père, examiner les « procédures les plus cachées », et les dissensions que cette affaire provoqua au sein même du parlement achevèrent de le dégoûter à tout jamais de la robe et il reprit du service. Il assista, en 1734, au siège de Philipsbourg, mais fit, peu après, une chute de cheval qui le mit hors d'état de continuer le métier militaire. Sur le refus de sa famille de pourvoir à un nouvel établissement, il songea tout d'abord à demander à son pinceau un moyen d'existence (il était élève du peintre Cazes), puis il se décida à passer en Hollande

Pendant son séjour à Amsterdam, d'Argens écrivit tour à tour des romans, tels que le Mentor cavalier ou les Illustres infortunés de notre siècle (1736, in-42), Mémoires de la comtesse de Mirol (1736, in-12), de Mlle de Mainville (1736, in-12), du comte de Vaxère (1737, in-12), etc.; des compilations historiques comme les Mémoires historiques et secrets concernant les amours des rois de France (1739, in-42) dans lesquels on retrouve un long extrait des Amours des rois de France de Sauval; enfin ses fameuses Lettres juives, chinoises et cabalistiques (1738-1769, 18 vol., in-8) et ses Mémoires secrets de la république des lettres (1744, 7 vol., in-12). 

Ce furent ces dernières publications qui lui valurent de flatteuses sollicitations de la part de Frédéric, alors prince royal. D'Argens répondit tout d'abord que, comme il avait cinq pieds sept pouces, il craignait d'être enrôlé de force dans les grenadiers de Frédéric-Guillaume Ier; mais après la mort de celui-ci, il se rendit à Potsdam, reçut la clef de chambellan, avec le titre de directeur des beaux-arts, et balança l'influence de Maupertuis à l'Académie de Berlin. 

II avait quarante-cinq ans lorsqu'il s'éprit d'une actrice du théâtre de Berlin, nommée Mlle Cochois, et l'épousa secrètement, le 24 janvier 1749. Frédéric ignora ou feignit d'ignorer longtemps ce mariage qu'il ne pardonna jamais au marquis. Cette union, un souci minutieux des moindres variations de sa sauté et une propension singulière aux superstitions les plus grossières valurent d'ailleurs à celui-ci, de la part de son maître, une foule de plaisanteries et même de mystifications. La plus spirituelle de toutes fut assurément le prétendu mandement lancé par J.-B. de Brancas, archevêque d'Aix, contre le marquis pendant un de ses voyages en France (1766); il y était dénoncé comme un monstre d'impiété et le soi-disant prélat invitait même ses ouailles à purifier leur contrée « de l'aspect de l'impur» qui les souillait. Remis à d'Argens au moment de son départ, ce mandement se retrouvait encore dans les auberges où il s'arrêtait lorsqu'en le relisant, le marquis s'aperçut qu'il émanait non de l'archevéque d'Aix, mais de l'évêque, inexactitude qui le mit sur la trace du véritable auteur de cette facétie. Il avait été convenu entre le roi et d'Argens qu'à l'âge de soixante ans, il résignerait ses fonctions et rentrerait en France, mais ce fut seulement en 1769 qu'il obtint à grand-peine un congé de six mois. 

Avant de partir, il voulut remettre à Frédéric les originaux des lettres qu'il en avait reçues, mais le roi les refusa en l'assurant de sa confiance. D'Argens les mit en dépôt chez un ami; elles ont été insérées plus tard dans l'édition Preuss. A l'expiration de son congé, d'Argens se dirigeait, non sans regrets, vers Berlin quand il tomba malade à Bourg-en-Bresse. Irrité de n'avoir pas reçu de réponse à une lettre qu' il lui avait adressée et qui s'était égarée en route, Frédéric, croyant que son chambellan avait abandonné toute pensée de retour, donne l'ordre de supprimer ses diverses pensions. D'Argens répondit à cette mesure brutale par une lettre dont on ne connaît pas la teneur, mais qui consomma une rupture définitive. 

Il revint habiter à Eguilles la maison qu'il y avait fait bâtir et mourut d'une indigestion, durant un séjour chez l'une de ses sours. Sur la foi du Nécrologe, divers biographes de d'Argens ont affirmé qu'il était mort dans des sentiments de piété très vifs; mais Mme d'Argens a formellement démenti cette allégation dans une longue lettre adressée à Frédéric et publiée par Preuss, avec deux billets du roi à la veuve de son ami. Par le second, Frédéric offrait de contribuer au mausolée que la famille du marquis lui fit ériger dans l'église des Minimes d'Aix et qui fut décoré de statues de marbre par Ch.-Antoine Bridan.

Malgré la célébrité dont ils ont joui et les réimpressions anciennes dont ils ont été l'objet, les écrits de d'Argens sont oubliés aujourd'hui. Son style est diffus et languissant; son ironie philosophique ne supporte pas la comparaison avec celle de Voltaire et ses audaces ont été dépassées par celles de d'Holbach et de Naigeon. Ainsi qu'il arrive souvent aux écrivains les plus féconds, un seul de ses livres offre quelque intérêt, et ce livre est précisément le récit de ses frasques de jeunesse. Publiés en 1737 et réimprimés en 1748, ses Mémoires ont été réédités, en 1807, par Peuchet qui y a joint quelques notes et une longue notice; une autre réimpression, annoncée par Poulet-Malassis, n'a pas vu le jour. On trouvera, d'ailleurs, dans Quérard, France littéraire) la bibliographie des ouvrages de d'Argens. 

Parmi ceux qui n'ont pas été mentionnés plus haut, il convient de signaler ses Réflexions critiques sur les différentes écoles de peinture (1752, in-12), dont Chennevières a loué « le goût hardi et élevé »; enfin il n'est pas inutile de rappeler ici que divers bibliographes portent à son compte un livre obscène très connu, Thérèse philosophe ou Mémoires pour servit à l'histoire de D. Dirrag (le P. Girard) et de Mlle, Eradice (Cadière) : mais cette présomption ne repose que sur le témoignage du marquis de Sade et sur les facilitée que d'Argens se flatte d'avoir eues pour compulser le dossier de cette cause célèbre; de plus, Barbier a fait observer que les digressions philosophiques qui remplissent une partie du livre sont textuellement empruntées à l'Examen de la religion de La Serre et aux Doutes sur les religions révélées dont l'auteur est resté inconnu.

Le marquis d'Argens avait trois frères : Sextius-Luc de Boyer d'Argens, né le 24 juin 1710, chevalier de Malte; Luc de Boyer d'Argens, né le 13 février 1743, mort le 30 mai 1772, également chevalier de Malte et auteur de Réflexions politiques sur l'état et les devoirs de cet ordre (1739, in-12); enfin Alexandre J. B. de Boyer, marquis d'Eguilles, qui accepta la mission de porter en Ecosse, à titre officieux, quelques secours au prince Charles-Edouard pendant sa lutte suprême contre l'Angleterre. Paul Cottin a publié dans la Revue rétrospective les lettres qu'il écrivit à Bachaumont et à divers autres personnages durant sa captivité à Inverness, après la défaite de Culloden. Alexandre de Boyer d'Eguilles mourut en 1783, président à mortier au parlement d'Aix.
(Maurice Tourneux).

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Dictionnaire biographique
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