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La civilisation grecque
Les archontes, l'archontat
Le mot archonte, dans son sens étymologique et le plus général, désigne un magistrat chargé, chez les Grecs, de l'ensemble ou d'une partie de l'administration des affaires publiques, ayant pouvoir de prendre une initiative, de commander, de prendre des arrêtés obligatoires, de juger et de punir ceux qui ne se conforment pas à ses instructions, de déférer certaines actions aux tribunaux et alors de présider ces assemblées. Quelquefois ce nom se trouve employé pour indiquer des magistrats de tout ordre qui seraient plus exactement appelés épimélètai, comme des ambassadeurs, des employés des finances, des juges, des citoyens de l'assemblée du peuple, parfois même des hérauts et des crieurs publics; mais c'était alors une qualification honorifique plutôt que le titre d'une véritable magistrature. 

Plus souvent le titre d'archonte était réservé aux magistrats par excellence, à ceux qui occupaient les plus hautes fonctions publiques dans la cité. Nous trouvons un archonte à la tête de la ligue Béotienne et chacune des villes importantes a aussi le sien. Dans un grand nombre de villes de Locride, de Phocide, de Thessalie, dans les îles de la mer Egée, dans les colonies d'Asie Mineure et du Pont, à Delphes, nous voyons des archontes comme magistrats supérieurs de la cité; leurs noms figurent sur les actes publics et on compte les années civiles par leurs magistratures, comme on faisait à Rome par les consulats. Ils sont, comme on dira plus tard, éponymes. Mais ici nous n'avons guère à nous occuper que de l'archontat athénien.

L'archontat athénien.
A l'origine, l'Etat athénien, comme les autres Etats grecs, était gouverné par un roi réunissant tous les pouvoirs politiques et toutes les attributions religieuses, vrai représentant de la cité; mais, à ce que disent les historiens anciens, personne, après Codrus, ne parut plus digne de porter le titre de roi, basileus, et on confia le pouvoir suprême à un des membres de la famille de Codrus avec le titre de chef ou archonte. Celui-ci, qui s'appelait Médon, et ses douze premiers successeurs, famille des Codrides ou Médontides, jouissaient, leur vie durant, d'un pouvoir vraiment royal, et, quoiqu'on ait voulu voir dans l'archontat un amoindrissement de l'autorité monarchique, il ne semble pas qu'il y ait eu autre chose qu'un changement de nom.

Pausanias dit bien que l'archonte à vie était responsable. Mais cette idée de responsabilité est difficilement conciliable avec celle de pouvons conférés pour la vie; elle ne s'accorde pas mieux avec ce principe général des législations anciennes, que L'autorité da magistrat n'est limitée que par la loi elle-même. On ne voit pas non plus quelle autorité eût été chargée de contrôler les actes des archontes, car il n'est pas dit que l'Aréopage ait joué alors un tel rôle. Enfin, nous ne voyons pas dans l'histoire un seul archonte à vie qui ait été condamné ou déposé.

En 752 av. J.-C., dans la seconde année de l'archontat d'Alcméon, la dignité héréditaire et viagère d'archonte fut restreinte à une durée de dix ans, et on compte sept de ces archontes décennaux. Le quatrième en date, Hippoménès, indigna les Athéniens par ses cruautés; les grands excitèrent une émeute, le déposèrent, et comme en sa personne la noble lignée de Codrus avait dégénéré, ils rendirent l'archontat désormais accessible à toutes les familles Eupatrides. Après Eryxias, en 683 av. J.-C., s'accomplit une révolution encore plus importante que toutes celles-là. Les pouvoirs qui avaient été jusqu'alors déférés à un seul magistrat, l'archonte décennal, furent confiés à neuf magistrats, archontes annuels; organisation qui demeura pen dant plus de dix siècles (683 av. J.-C. à 422 ap. J.-C., date du dernier archonte éponyme connu).

Quelle raison fit adopter le nombre de neuf archontes? On ne saurait le dire avec précision. Plusieurs auteurs (Sauppe, Shoemann, Telfy) conjecturent que chacun des neuf archontes devait être pris dans l'une des dix tribus, un roulement quelconque déterminant quelle serait chaque année la tribu qui ne fournirait pas d'archonte; elle aurait eu comme dédommagement le droit de fournir, cette année, soit l'hieromnémon qui représentait Athènes au conseil des amphictions, soit le grammateus ou secrétaire qui assistait le collège des archontes. Ces hypothèses , pour ingénieuses qu'elles soient, sont difficiles à admettre; elles ne reposent sur aucun texte et je remarque, pour ma part, que la fixation du nombre des archontes à neuf date de l'époque où Athènes ne comptait que quatre tribus, c.-à-d. d'avant la réforme de Clisthène.

Le collège des archontes.
Dans le collège des neuf archontes, les trois premiers avaient des attributions toutes spéciales :

L'archonte ou premier archonte.
L'archonte proprement dit, archôn, le premier en dignité, présidait ses collègues assemblés. C'était par l'indication de son archontat que l'année pendant laquelle il exerçait sa charge était désignée sur les actes publics; on disait Créon étant archonte, pour marquer l'année 686 avant J.-C., comme à Rome on disait Brutus et Valérius étant consuls, pour indiquer l'année 510. Mais ce n'est qu'à l'époque romaine que le premier archonte fut appelé éponyme ou archonte qui donne son nom à l'année civile. Outre l'autorité politique qu'il paraît avoir eue, au moins dans les temps reculés, le premier archonte avait une juridiction importante; sa compétence s'étendait à tous les procès relatifs aux droits de famille et de succession lorsque les intéressés étaient citoyens, instances en divorce, en pension alimentaire, en restitution de dot, interdiction, requêtes d'envoi en possession, actions qui soulevaient une question de liberté ou de servitude. Il jugeait les citoyens accusés d'oisiveté; il devait protéger la personne et les biens des incapables et veiller à la perpétuité des familles en donnant des héritiers à ceux qui n'en avaient pas. Il avait encore la direction de la fête des Grandes Dionysiaques, et de celle des Thargélies et, par suite, les contestations entre chorèges.

L'archonte-roi.
Le second archonte ou roi, basileus, qui est peut-être dans plusieurs textes désigné par le seul mot roi, sans addition du mot archonte, avait gardé au moins la majeure partie des attributions religieuses des anciens souverains. Conservateurs scrupuleux des vieilles traditions, les Athéniens voulaient un roi pour faire les sacrifices aux dieux de la cité et maintenir le culte national, de même que les Romains de la République donnèrent à un rex sacrificiorum quelques-unes des fonctions religieuses des rois primitifs. L'archonte-roi se distinguait peut-être de ses collègues par un costume spécial; en tout cas, il avait un tribunal particulier et là était affichée la loi qui indiquait ses attributions et ses devoirs, o tou basileôs nomos. L'archonte-roi devait présider les cérémonies religieuses. les plus anciennement établies; il était chargé de la direction et de la police des mystères. Il devait faire deux sacrifices, l'un à Athènes, dans l'Eleusinion, l'autre à Eleusis, dans le grand temple. Seul des magistrats athéniens, il invoquait les divinités mystérieuses, au nom de la cité; il semble même qu'il prenait part à l'administration des biens de la confrérie. C'était lui qui de même dirigeait les Anthestéries, les jeux gymniques où il distribuait les prix, et les fêtes Lénéennes. 

Dans ces dernières, la femme du roi, basilissa ou basilina, avait un certain rôle à jouer; aussi ne pouvaient être nommés archontes-rois que ceux qui avaient épousé une citoyenne, une femme d'une conduite irréprochable et qui s'était mariée vierge. L'archonte-roi jugeait les contestations qui pouvaient s'élever au sujet des cérémonies ou des fonctions religieuses de tout ordre, mais il avait de plus dans ses attributions tout ce qui avait, aux eux, des Athéniens, un caractère d'offense à la religion, les procès d'impiété, les actions de meurtre, d'emprisonnement, de blessures faites avec préméditation, de tentative d'homicide et même d'incendie. Il était le gardien de la religion nationale, quelquefois l'accusateur au milieu de l'Aréopage (et il le présidait alors) pour les offenses faites aux dieux, en un mot, une sorte de ministre des cultes, ou, pour mieux dire, un magistrat représentant la cité pour maintenir la paix entre les divers collèges de prêtres, les obliger à accomplir leurs devoirs à l'égard du culte et au besoin les faire respecter; mais il n'était pas prêtre luimême et ne connaissait pas nécessairement toutes les choses religieuses, dogmes, rites, etc. 

Le polémarque.
Le troisième archonte, le polémarque, eut pendant longtemps, comme son nom l'indique, la direction des affaires militaires et le commandement des armées; mais au IVe siècle, sans doute quand les archontes, au lieu d'être élus, furent désignés par le sort, on enleva à l'archonte polémarque ces importantes attributions qui exigeaient de l'expérience et des talents spéciaux; il n'eut plus dès lors que la direction des cérémonies religieuses en mémoire des soldats tombés sur le champ de bataille et le soin de l'éducation de leurs enfants; il présidait les sacrifices au dieu de la guerre, à Artémis Argotère, et les fêtes commémoratives d'Harmodius et d'Aristogiton. Il avait dans sa compétence certains délits militaires, mais sa principale occupation était de juger au criminel et au civil les métèques, les affranchis et en général les non-citoyens.

Le collège des thesmothètes.
Les six derniers archontes ou thesmothètes (ce nom est quelquefois appliqué aux neuf archontes réunis) formaient un collège et nous ne les voyons jamais agir qu'en commun. Ainsi que leur nom l'indique, ils étaient les surveillants des lois et, à ce titre, ils devaient, chaque année, rechercher s'il n'y avait pas dans la législation des dispositions contradictoires, si de nouvelles lois ne devaient pas amener l'abrogation d'autres plus anciennes, si des lois abrogées n'étaient pas maintenues comme étant en vigueur, en un mot ils devaient réviser la législation. Ils transcrivaient sur des tablettes les textes qui leur paraissaient devoir disparaître et les affichaient aux statues des héros; puis les prytanes assemblaient le peuple et faisaient désigner des nomothètes chargés de préparer la suppression des articles qui ne répondaient plus aux besoins du moment. Les thesmothètes étaient surtout des juges ayant compétence dans toutes les actions d'un caractère politique, de fausse monnaie, d'usurpation de la qualité de citoyen, accusations contre les prytanes et les proèdres dans l'exercice de leurs pouvoirs, accusations de trahison, de tyrannie, etc. Leur juridiction s'étendait, en outre, à toutes les affaires qui n'étaient pas spécialement réservées à d'autres magistrats et par suite c'étaient les thesmothètes qui devaient s'occuper de la formation et de la convocation des tribunaux; enfin, ils avaient compétence pour les docimasies des magistrats, les redditions de comptes des stratèges, l'examen des traités internationaux.

Les archontes dans la cité.
On vient de voir que l'archonte, l'archonte-roi, le polémarque, agissaient le plus souvent seuls, tandis que les thesmothètes n'agissaient qu'en commun. Les trois premiers avaient droit de se choisir chacun deux assesseurs qui les aidaient de leurs conseils et de leur expérience, paredroi, qui devenaient de vrais magistrats responsables personnellement, tenus à la docimasie et à la reddition de comptes. Les thesmothètes ne pouvaient avoir que des auxiliaires, simbouloi, sans caractère officiel. L'archonte, l'archonte-roi, le polémarque et le collège des thesmothètes avaient, à ce qu'il semble, des locaux séparés; mais il est très probable aussi qu'ils avaient un local où tous se réunissaient. Sans cela on s'expliquerait assez mal ce que dit Hypéride, à savoir que les archontes mangeaient en commun; on ne comprendrait pas non plus ce que peut être une maison des archontes, dont parle Démosthène. D'ailleurs, en un assez grand nombre de cas, tout le collège devait être présent; par exemple, lors du tirage au sort des noms des juges et de l'élection pour certaines fonctions, lors de la première assemblée de chaque prytanée pour demander au peuple s'il était content des magistrats et des fonctionnaires de tout ordre; c'était encore tout le collège qui présidait aux votes d'ostracisme et qui jugeait le banni coupable d être rentré sans autorisation sur le territoire de l'Attique.

Nous avons vu que les archontes furent, pendant longtemps, des magistrats élus, plus tard des magistrats désignés par le tirage au sort; mais il est impossible de dire d'une manière précise à quelle époque cette impor tante révolution fut accomplie; les auteurs anciens ne nous fournissent sur ce point que des données très vagues on même contradictoires; mais le fait général qui nous frappe est que l'archontat alla diminuant d'autorité et devenant plus accessible à tous, à mesure que les Athéniens avancèrent dans le sens de la démocratie. 

A l'origine, les citoyens de la première classe, les Pentacosiomédimnes, y avaient seuls prétendre et ce fut Aristide, au dire de Plutarque, qui élargit le champ des candidatures et rendit l'archontat accessible aux hommes de toutes les classes. Mais à cette époque l'élection était encore le mode de recrutement de ces hauts fonctionnaires. En effet, les textes nous apprennent que Clisthène ne laissa arriver au pouvoir que les citoyens les plus honorables et les plus distingués; les archontes de l'époque qui suit immédiatement sont encore des hommes comma Xanthippe en 479, Aristide en 489, Thémistocle en 493. On ne peut imaginer que le sort se fût montré si intelligent que de désigner précisément les hommes qui s'étaient fait le plus remarquer par de grands talents. Aristide, notamment, est archonte éponyme l'année qui suit la bataille de Marathon, où il s'était couvert de gloire. Comment admettre que ce soit là un hasard du tirage au sort?

Il faut ajouter que les textes qui nous montrent le polémarque de ce temps comme un grand personnage militaire, qui nous le font voir commandant réellement en chef, nous autorisent à croire qu'on ne laissait pas au sort le soin de désigner cet archonte et, du moment où celui-là était encore élu, les autres devaient l'être aussi. D'autre part, à partir du milieu du Ve siècle, on ne trouve plus dans la liste des archontes aucun des grands noms d'Athènes, ni Périclès, ni Cimon, ni Alcibiade, ni Thrasybule, ni aucun des grands orateurs. Il semble par suite naturel de rattacher l'établissement du tirage au sort aux réformes démocratiques d'Ephialte (461). 

On comprend aussi que dès lors il devint impossible de laisser aux archontes les attributions si importantes dont ils étaient investis. Le polémarque cessa de commander les armées; l'archonte éponyme, au lieu de rendre la justice, fut surtout chargé de préparer l'instruction des procès et de même l'archonte-roi ne fut plus guère que le président des tribunaux où se jugeaient les phonikai dikai. De là aussi le grand rôle joué tout à coup par les orateurs; le gouvernement, ce n'est pas les archontes, c'est l'assemblée du peuple; c'est par elle que tout s'obtient et que tout se décide et dans son sein tout dépend de l'entraînement que peut produire la parole.

Au IVe siècle, les élus du sort, avant d'entrer en fonctions, étaient soumis à une double enquête, à une double docimasie, l'une qui avait lieu devant le Sénat, l'autre devant le tribunal des Héliastes. Sans doute les formalités de l'enquête avaient dû être antérieurement moins compliquées et avaient dû porter surtout sur quelques points particuliers, comme savoir si l'élu du peuple était dans les conditions de cens alors requises, s'il appartenait à une famille de citoyens en remontant à la troisième génération dans la ligne paternelle et dans la ligne maternelle; jamais, naturellement, l'enquête ne portait sur les connaissances et les talents de l'archonte, le peuple étant censé n'avoir pu choisir qu'un homme ayant les qualités nécessaires. 

Même quand les archontes furent désignés par le sort, l'examen ou la docimasie ne porta jamais sur l'in struction et la compétence du fonctionnaire; il roulait, suivant Pollux, sur les points suivants : les candidats honoraient-ils les dieux protecteurs de la cité, Apollon Patroos et Zeus Herkeios? S'étaient-ils acquittés de tous leurs devoirs envers leurs parents? Avaient-ils fait campagne pour leur pays? Probablement on s'assurait aussi qu'ils avaient un âge déterminé, car on sait que les moindres juges ne pouvaient être désignés qu'après avoir atteint l'âge de trente ans, ou peut-être les noms des citoyens plus jeunes n'étaient-ils pas mis dans l'urne. Enfin, il est certain que ceux-là seuls prenaient part aux chances du tirage dont les noms avaient été arrêtés d'avance ou qui avaient demandé d'y être admis. Cela éloignait déjà la plupart des indignes; de plus la docimasie paraît avoir été quelquefois assez sévère.

Quand le résultat de la docimasie avait été favorable et que les élus du sort avaient été jugés dignes d'être archontes, ils juraient solennellement de veiller à l'observation des lois et d'être incorruptibles, s'engageant, s'ils manquaient à leur parole, à offrir des statues d'or de leur propre poids, aux sanctuaires de Delphes, d'Olympie et d'Athènes. Il est probable aussi qu'ils accomplissaient, avant d'entrer en fonctions, un acte religieux, puisque nous voyons cette cérémonie pratiquée même par les citoyens qui partaient en ambassade. 

Pendant la durée de leur magistrature, les archontes pouvaient à chaque instant voir surgir un accusateur; et, quand ils sortaient de charge, il devaient, pendant trente jours, se tenir prêts à répondre sur toutes questions relatives à leur responsabilité. Ils avaient à jurer qu'ils n'avaient rien pris et dissipé, puis à rendre leurs comptes devant une sorte de cour composée d'abord de trente membres, plus tard de dix, les Logistes. Tant, que toutes ces formalités n'avaient pas été remplies, ils ne pouvaient ni quitter l'Attique, ni disposer de leurs biens, ni recevoir une nouvelle magistrature ou obtenir une récompense publique. (Edouard Cat).

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