| Le comte Francesco Algarotti est un écrivain né à Venise, où son père était marchand, le 11 décembre 1712, mort à Pise le 3 mai 1764. Il commença ses études à Rome, revint les continuer dans sa ville natale et les termina à Bologne où il se lia d'amitié avec Manfredi et Zanotti. Il avait fait de grands progrès dans les sciences exactes, mais surtout dans l'anatomie qu'il jugeait indispensable pour juger sainement des ouvrages d'art; et la peinture fut la véritable passion de sa vie. Il voulut, ayant déjà appris les langues anciennes, le français et l'anglais, se perfectionner dans la langue italienne qu'un Italien du XVIIIe siècle savait souvent le moins, et il alla passer quelque temps à Florence, source du pur toscan. Dès 1733 il commença cette vie de pérégrinations où il devait s'user si vite et partit pour Paris. C'est là que, trouvant moyen de s'isoler au milieu des plaisirs et de la société brillante qu'il fréquentait, il écrivit ce fameux Neutonianismo per le dame, qui commença sa réputation. Après avoir lu ce traité, dédié à Fontenelle cartésien, Maupertuis et Clairaut voulurent l'emmener dans leur voyage scientifique en Suède; Algarotti préféra visiter des pays qu'ils jugeait plus civilisés et il passa à Londres. Il y fut fort bien reçu, y fit la connaissance de Pope et étudia, dit-on, la langue et la littérature anglaises sous l'aimable direction de lady Montague. De Londres il fit à Saint-Pétersbourg un voyage qu'il a raconté dans ses Lettres sur la Russie, puis il revint par la Prusse où la destinée devait inopinément l'arrêter pour un temps. Ses manières affables, son esprit doux et vif, sa gaieté charmèrent à ce point le prince royal, bientôt Frédéric le Grand, qu'il pria Algarotti de surveiller une superbe édition de la Henriade qu'il préparait, en lui promettant de se souvenir de lui. En effet, quelques années plus tard, Algarotti étant à Londres reçut une lettre de la main de Frédéric qui lui annonçait sa récente élévation au trône, et l'appelait à Berlin. Il se hâta d'accepter l'invitation royale et, partageant les études comme les plaisirs du roi, il demeura près de lui dans la plus grande intimité, pendant vingt-cinq ans. Frédéric le nomma son chambellan et lui donna le titre de comte. A cette époque de sa vie, depuis l'âge de trente et un ans jusqu'à sa mort, Algarotti eut une réputation universelle de savant, de poète, de critique, d'homme d'esprit. Toutes les académies l'accueillaient et allaient au-devant de lui. Il était comblé de faveurs aussi bien par le duc de Parme que par le pape Benoît XIV, comme par le duc de Savoie ou le roi de Saxe, Auguste IlI. Il comptait pour admirateurs autant que pour amis les esprits les plus distingués de l'Europe. Il fut en relations constantes par correspondance avec Manfredi, Zanotti, Métastase, Cecchi, lord Chesterfield, Taylor, lady Montague, Maupertuis, Clairaut, la marquise du Châtelet, Mme du Bocage. Voltaire, avec lequel il échangea aussi plus d'une lettre, l'appelle le brillant et sage Algarotti, A qui le ciel a départi, L'art d'aimer, d'écrire et de plaire, et ne se lasse jamais dans ses éloges, signale à ses correspondants, en vers et en prose, l'apparition des oeuvres nouvelles de son ami. Cependant, à la cour de Berlin, AIgarotti sentait sa santé s'épuiser; le climat et aussi les plaisirs le menaçaient d'une fin prochaine, il partit pour l'Italie, demeura quelque temps à Venise, puis alla s'établir à Pise. C'est là que Voltaire lui écrivit de venir à Ferney boire le lait de ses vaches, et à Paris consulter Trochin; mais Algarotti se sentait trop faible pour voyager. Il remercia Voltaire et mourut, peu après, au milieu de la merveilleuse collection artistique qu'il avait rassemblée. Il avait fait luimême le dessin de son tombeau et son épitaphe, ingénieuse variante du mot d'Horace : HIC JACET ALGAROTTUS NON OMNIS. Frédéric voulut faire les frais du mausolée de son ami. Il le commanda à Carlo Bianconi. On ajouta à l'épitaphe la mention : ALGAROTTO OVIDII AEMULO, NEWTONI DISCIPULO FREDERICUS MAGNUS. Mais le roi oublia, peut-être dans sa douleur, de payer l'architecte et de rembourser à la famille les sommes considérables qu'elle avait avancées. Les oeuvres d'Algarotti, parues à Livourne en 1764-1765 en 8 volumes, ont été publiées à Venise, 1791-1794. Cette dernière édition, en 47 volumes in 8, ornée de vignettes gravées, d'agrès les dessins d'Algarotti lui-même, par Morghen, Tesi et Novelli, est un vrai chef-d'oeuvre de typographie . Citons parmi ce qu'elle contient, outre les livres déjà mentionnés : poésies, des traités sur les beaux-arts et sur l'art militaire; Le Congrès de Cythère; la Vie de Pallavicini; une amusante bouffonnerie contre les abus de l'érudition-: Prospectus d'une introduction à la Néréidologie. Les sept derniers volumes sont consacrés à la correspondance. Quelle est en somme la valeur de cet homme universel? Sa célébrité était-elle méritée, du moins en partie, et l'oubli dans lequel il est tombé de nos jours est-il injuste? On cite le mot de Foscolo, dans Jacopo Ortis : « Parmi la populace des Pyrénées il a décroché la réputation de savant comme l'Algarotti et l'... »; et en réalité, s'il a des mérites comme écrivain et surtout comme critique d'art, il ne fut en somme, dans l'acception, il est vrai, la plus élevée du mot, qu'un vulgarisateur. II nous apparaît comme une réduction de Voltaire, avec la douceur au lieu du sarcasme, plus de coeur et moins d'esprit. Par plus d'un côté encore il rappelle Fontenelle, et fait bonne figure à côté de lui. Il est de son siècle et personnifie en Italie l'in fluence étrangère, contre laquelle Alfieri devait lutter plus tard; il n'a de patrie que celle de l'esprit et de la science, aussi à l'aise à Berlin, à Cirey, à Paris, à Londres qu'à Venise. Il tient une grande place dans l'histoire littéraire et l'on ne peut écrire, sans le nommer, l'histoire de la littérature italienne. Ses oeuvres complètes ont été traduites en français, sous la direction de Michelessi, par Belletière et Mérian, et publiées à Berlin en 1772, 8 vol. in-8. Le Congrès de Cythère a été traduit à part par Duport du Tertre, 1749; et le Newtonisrne des dames, par Duperron de Gastera, 1752, 2 volumes. (B. de Gourmont). | |