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Henri-François Daguesseau (ou D'Aguesseau), chancelier de France, né à Limoges le 27 novembre 1668, mort à Paris le 5 février 1751. Il appartenait au parlement par la famille de son père et par celle de sa mère. Son aïeule maternelle était la nièce du célèbre avocat général Omer Talon. Son grand-père, Antoine Aguesseau, originaire de Saint-Jean-d'Angely, avait été successivement lieutenant criminel au Châtelet de Paris, président du grand conseil, intendant de Picardie, enfin premier président au parlement de Bordeaux en 1631. Son père, Henri Daguesseau (le premier dans la famille qui prit la particule nobiliaire, en vertu du privilège attaché à vingt ans d'exercice dans la haute magistrature), après avoir été conseiller au parlement de Metz et maître des requêtes au conseil du roi, avait reçu de Colbert l'intendance du Limousin (1665), celle de la Guyenne, puis celle du Languedoc (1672), où il se signala par son équitable administration et par sa tolérance à l'égard des protestants; rappelé à Paris en 1685, il devint conseiller d'Etat, directeur général du commerce et des manufactures de France (1695), président du conseil de commerce (1700), enfin membre du conseil de régence pour les affaires de finance : se faisant partout estimer par la justesse et la droiture de son esprit, par l'énergie calme et douce de son caractère. - D'Aguesseau (Statue devant le Palais Bourbon, à Paris). © Photo : Serge Jodra, 2010. François Daguesseau reçut dans sa famille, avec une solide instruction littéraire, une éducation morale et religieuse conforme à l'esprit de Port-Royal. Il étudia le droit sous la direction de Domat, qui était lié d'amitié avec son père, et dont l'influence se retrouve visiblement dans les écrits juridiques et dans l'oeuvre législative du chancelier. Le 20 août 1690, il fut nommé avocat du roi au Châtelet, puis, au mois de novembre de la même année, avocat général au parlement de Paris, à l'âge de vingt-deux ans. Pendant dix ans, il exerça ces fonctions de la manière la plus brillante; ses plaidoyers et ses discours, où l'élégance du style et le talent de l'exposition étaient poussés à un point de perfection que n'avaient atteint ni O. Talon, ni Lamoignon, eurent un grand retentissement et ouvrirent une ère nouvelle dans l'éloquence judiciaire. En 1700, nommé procureur général au Parlement, il quitta le ministère de la parole pour se livrer aux travaux administratifs que lui imposaient ces nouvelles fonctions : dans les requêtes où il revendiquait les droits du domaine royal, dans celles où il défendait le pouvoir civil contre les empiétements de l'autorité spirituelle (affaire du cardinal de Bouillon), il fit preuve à la fois d'une grande variété de connaissances historiques et d'une singulière vigilance pour les intérêts du roi. Mais Daguesseau ne montrait pas moins de zèle à défendre les droits et à relever la dignité du parlement, que l'absolutisme de Louis XIV avait trop asservi. Non seulement dans ses Mercuriales il rappelait éloquemment aux magistrats leurs droits civiques en même temps que leurs obligations professionnelles, mais en toute occasion il les poussait à reprendre, sinon l'influence politique qu'ils avaient perdue par la suppression du droit de remontrances, du moins, dans les conflits ecclésiastiques, leur rôle traditionnel de défenseurs des libertés gallicanes. Dans l'affaire du quiétisme, chargé en qualité d'avocat général de présenter au parlement les lettres patentes qui autorisaient la promulgation du bref pontifical par lequel était condamné le livre des Maximes des saints, il réussit à force d'habileté à faire rétablir dans l'acte d'enregistrement la clause qui réservait, à l'encontre du Saint-siège, « les droits de la couronne, libertés de l'Eglise gallicane, maximes et usages du royaume ». Dans l'affaire de la constitution ou bulle Unigenitus, que la majorité du parlement ne voulait enregistrer qu'avec la même réserve, mandé en qualité de procureur général par le roi pour forcer la main aux magistrats, il osa, comme le premier président de Mesmes, résister à cette injonction (juillet 1745); sa disgrâce était imminente; il n'y échappa que par la mort du roi qui survint peu après.
Daguesseau accueillit avec joie l'avènement au pouvoir du duc d'Orléans, qui promettait de rendre au parlement ses prérogatives politiques. Il fut de ceux qui déterminèrent cette assemblée à casser le testament du feu roi, et à conférer la régence au duc d'Orléans. Comblé de faveurs par ce dernier, qui l'avait en grande estime et le savait populaire, il devint d'abord membre du conseil de conscience, puis chancelier de France, à la mort de Voysin (1er février 1717). Mais il ne garda pas longtemps les sceaux; compromis par les velléités d'opposition du parlement dont il passait pour le défenseur le plus dévoué, desservi auprès du régent par le banquier Law, dont il ne goûtait pas les idées financières, par Dubois qui intriguait pour devenir premier ministre, il dut quitter la chancellerie le 28 janvier 1718 et fut remplacé par le marquis d'Argenson. Retiré dans sa terre de Fresnes (en Brie), il employa ses loisirs, soit à combattre le système de Law (Mémoire sur le commerce de la Compagnie des Indes; Considération sur les monnaies), soit à écrire pour son fils les Instructions propres à former un magistrat et l'institution au Droit public. Cependant Law, nommé contrôleur général, alarmait le public par la hardiesse de ses combinaisons financières. Un édit, rendu sur le conseil de d'Argenson et réduisant de moitié la valeur des billets de banque en circulation, provoqua les vives remontrances du parlement. Pour sauver Law, le régent sacrifia d'Argenson, et rassura l'opinion publique en rappelant Daguesseau (7 juin 1720). Malheureusement, l'honnête chancelier n'avait ni les moyens d'action, ni l'énergie nécessaires pour rétablir l'ordre dans les affaires de l'Etat. Il ne sut empêcher ni les mesures arbitraires par lesquelles Law favorisait l'agiotage, ni les intrigues de Dubois, qui, pour obtenir le chapeau de cardinal, voulait forcer le parlement à enregistrer sans réserve la bulle Unigenitus. Il fit même un acte de faiblesse qui nuisit à sa réputation. Le parlement, refusant de se soumettre, avait été exilé à Pontoise : au lieu de se retirer, comme on s'y attendait, Daguesseau resta au pouvoir et approuva cette mesure; bien plus, il donna ouvertement son appui au régent pour faire enregistrer au grand conseil la constitution qu'il avait autrefois repoussée en plein parlement (septembre 1720). On traita de lâcheté ce revirement qui lui était surtout inspiré par amour de la paix : car il croyait en toute sincérité que l'enregistrement était devenu nécessaire pour empêcher le schisme et la guerre religieuse. Abandonné de ses amis, suspect à la cour où il gênait les projets de Dubois, il fut, à propos d'une question de préséance, invité par le régent à rendre les sceaux (1er mars 1722). Son second exil à Fresnes dura cinq ans. Il le passa dans la retraite, avec sa famille et quelques amis, Louis Racine, Rollin, Maupertuis, Valincourt, écrivant sur les sujets les plus divers, religion, droit civil, droit ecclésiastique, histoire, morale, belles-lettres, et se tenant volontairement à l'écart du mouvement d'idées et des agitations sociales qui troublaient la France depuis le commencement du siècle. Cependant, il regrettait la vie publique : quand Fleury devint premier ministre (1726), des amis négocièrent son rappel, et il fut nommé pour la troisième fois chancelier le 15 août 1727; mais sous la réserve que les sceaux seraient confiés à Chauvelin, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères. Daguesseau resta au pouvoir jusqu'en 1750, époque où sa santé l'obligea à se retirer. Pendant cette période de vingt-trois ans, il dut encore plusieurs fois intervenir dans les querelles théologiques qui tenaient en éveil l'opposition du parlement; en 1730, le cardinal de Fleury fit tenir un lit de justice où, sur la requête du chancelier, la constitution Unigenitus fut pour la première fois enregistrée sans restriction; en 1732, 1733, 1735, l'arrestation de plusieurs conseillers suscita des colères que le chancelier réussit à calmer par d'habiles négociations. En 1737, les sceaux lui furent rendus, et à la mort de Fleury, ce fut lui qui eut dans le cabinet la haute direction des affaires, présidant en l'absence du roi le conseil des finances et celui des dépêches, indépendamment du conseil privé, du grand conseil et du parlement dont il était le chef naturel. Mais ce qu'il fit de plus important et de plus durable pendant cette dernière période de sa vie publique, ce fut son oeuvre législative. Depuis longtemps déjà, le voeu de tous les esprits éclairés était que l'on ramenât à l'unité, par une codification générale, les éléments multiples dont se composait le droit français, dispersé dans les coutumes et dans les ordonnances royales. Cette pensée, qui reparaît sans cesse depuis le XVIe siècle dans les voeux des Etats généraux et dans les traités des jurisconsultes, que Marillac, Lamoignon et Colbert avaient en partie réalisée sous Louis XIII et Louis XIV, Daguesseau la reprit et y consacra, à partir de 1727, vingt années de labeur. Il voulait revoir et perfectionner les ordonnances de Colbert sur la procédure civile, le droit pénal et le droit commercial; il voulait en outre introduire dans le droit civil, que Colbert n'avait pas abordé, une série de réformes, inspirées surtout des idées de Lamoignon, de Domat et de Bretonnier. Il associa à ses travaux, outre ses deux fils, le procureur général Joly de Fleury, les conseillers d'Etat Le Voyer d'Argenson et Machault d'Arnouville, l'abbé de Saint-Pierre, etc. Il consulta tous les parlements de France sur les matières qui devaient faire l'objet de ses premières ordonnances; les mémoires de ces cours furent concentrés à la chancellerie, dépouillés et annotés par Daguesseau et ses collaborateurs. De ces efforts bien dirigés sortirent les grandes ordonnances de 1731 sur les dotations, de 1735 sur les testaments, de 1747 sur les substitutions, dont les principales dispositions sont passées dans le code civil; le règlement de 1738 sur la procédure devant le conseil privé, qui est encore en partie observé devant la cour de cassation et la section contentieuse du conseil d'Etat. Le temps ne permit pas à Daguesseau de pousser plus loin le vaste projet de codification qu'il avait formé. Pour apprécier équitablement la vie et les oeuvres de Daguesseau, il faut le considérer tour à tour comme homme privé, comme homme politique, comme législateur, comme orateur et écrivain. Dans sa vie privée, il fut au-dessus de tout éloge. Avec Rollin et Louis Racine, il représentait cette école de Port-Royal qui conserva, en plein XVIIIe siècle, les moeurs graves et la piété sincère de l'âge précédent. Austère pour lui-même, indulgent pour les autres, doux et calme dans ses relations, il pratiqua sans cesse, au milieu des affaires comme dans sa solitude de Fresnes, ces vertus de l'homme de bien, du magistrat intègre, dont il traça l'image dans son Discours sur la vie et la mort de son père, et qu'il s'efforça de transmettre à ses fils dans les Instructions propres à former un magistrat, « ce De Officiis de la magistrature française ». Dans sa vie publique, comme magistrat et chancelier, il montra de grandes qualités laborieux, incorruptible, ayant horreur de l'intrigue qui répugnait à son esprit sincère et droit, il reçut et quitta le pouvoir avec une égale dignité. Ce qui lui manqua, ce fut l'énergie et le sens politique. C'était avant tout un parlementaire, ennemi du pouvoir absolu comme des doctrines ultramontaines; grâce à l'ascendant qu'il avait conquis sur le parlement, il aurait pu discipliner ce corps et rendre son opposition féconde : faute de décision et de fermeté, il ne sut pas garder la confiance qu'il avait d'abord inspirée. Etranger aux aspirations qui agitaient alors le peuple, il n'eut aucun pressentiment de l'avenir; il consuma son talent en vaines querelles sur une bulle, sans affermir en rien les antiques principes de la monarchie que des mains hardies commençaient déjà à ébranler.
Comme législateur, il rechercha les abus avec patience et sagacité, il aima profondément la justice. Mais il n'eut pas à un degré égal le courage de réformer. Par ses ordonnances, il fit faire au droit civil de notables progrès; les préambules écrits de sa main sont d'une inspiration élevée et respirent, comme le Traité des lois civiles de Domat, une foi tranquille dans le droit absolu. Mais il n'emprunta à la philosophie du XVIIIe siècle aucune des idées humanitaires qu'elle propageait, il sembla ignorer les besoins réels du peuple et agir sans cesse en vue d'un idéal abstrait; il montra en face des abus de l'organisation judiciaire trop de tolérance et de placidité; il laissa subsister après lui la torture dans l'instruction criminelle et la cruauté dans les supplices. Enfin, comme orateur et comme écrivain, il n'occupa qu'un rang secondaire dans l'histoire des lettres. Il toucha dans ses discours et dans ses écrits de littérature, de morale, d'histoire ou de religion, les sujets les plus nobles ou les plus élevés; il les traita avec une érudition solide, un esprit pénétrant, un ordre parfait dans le développement des idées, un style oratoire qui procédait par phrases amples et cadencées, avec la régularité solennelle du grand siècle. Mais on y trouve peu d'idées originales; ses discours si vantés au Palais sont d'une élégance monotone, sans passions vives, ni mouvements improvisés; le style de ses écrits, à la fois oratoire et raffiné, manque de naturel et tombe aisément dans le bel esprit. En un mot, pour la forme pas plus que pour le fond des idées, Daguesseau n'appartient au XVIIIe siècle; il continue, en l'affaiblissant, la tradition littéraire du XVIIe. Daguesseau avait épousé, en 1694, Anne Lefèvre d'Ormesson, fille d'un maître des requêtes et petite-fille d'Olivier Lefèvre d'Ormesson, qui sauva la vie à Fouquet. Il en eut deux filles, dont l'une épousa M. de Chastellux, et quatre fils, dont l'aîné, Henri-François-de-Paule Daguesseau, fut avocat général au parlement de Paris, et le second, Daguesseau de Fresnes, conseiller au même parlement. On doit à ce dernier un Discours sur la vie et la mort, le caractère et les moeurs de son père (1778). Un petit-fils du chancelier, Henri-Cardin-Jean-Baptiste, comte Daguesseau, né à Fresnes en 1746, mort en 1826, fut, avant la Révolution, conseiller d'Etat et avocat général au parlement de Paris; il entra à l'Académie française en 1789. Député de la noblesse du bailliage de Meaux aux Etats généraux, il donna sa démission en 1790, devint sous le Consulat président de la cour d'appel de Paris, puis ministre plénipotentiaire à Copenhague, sénateur en 1805, enfin pair de France sous la seconde Restauration. L'une de ses filles-épousa M. de Ségur, qui prit depuis le nom de Ségur-Daguesseau. (Ch. Mortet). |
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