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Niccolo dell'Abbate

Niccolo dell'Abbate est un peintre italien, né à Modène, vers 1512, mort à Fontainebleau (ou à Paris) en 1571.  Dans un sonnet célèbre, Augustin Carrache déclare que l'heureux Niccolo dell' Abbate ou Abate a su réunir la grandeur de Michel-Ange, la vérité de Titien, l'élégance de Corrège, la juste symétrie de Raphaël, la pompe décorative de Tibaldi, l'invention de Primatice et la grâce de Parmesan. Ce sonnet, pure fantaisie de lettré, ne doit pas être pris au sérieux. Alors même qu'il l'aurait voulu, Niccolo ne serait jamais parvenu à mélanger ainsi les idéaux. Elève de son père, Giovanni, dont aucune oeuvre ne nous a été conservée, mais qui était à la fois peintre et sculpteur, car il faisait des crucifix' di stucco, Niccolo dell' Abbate grandit à Modène dans un milieu où l'on parlait beaucoup d'un illustre voisin, le Corrège, et aussi d'un jeune homme, déjà habile, qui s'appelait Francesco Mazzola et qu'on a surnommé le Parmesan. Il put voir à l'oeuvre les sculpteurs qui, comme Begarelli, ont pratiqué avec tant de zèle l'art de la terre-cuite. Epris des élégances nouvelles, et touché des éloquences de la forme en relief, Niccolo devint rapidement un des meilleurs fresquistes de la région.

Malheureusement, ses fresques ont péri pour la plupart avec les murailles qu'elles décoraient. Celles qu'on voit à la galerie de Modène sont de poétiques paysages, des scènes tirées de l'Enéide et un octogone où l'on reconnaît, au milieu d'un groupe de musiciens, le comte Matteo Maria Bojardo, qui avait commandé les peintures pour sa résidence de la Rocca di Scandiano, près de Reggio. Enlevées du mur en 1772, ces fresques ont été transportées sur toile; mais elles ont souffert des suites de cette opération : les couleurs en sont assourdies et voilées. Associé à son camarade Alberto Fontana, Niccolo peignit à Modène la façade de la Beccheria grande : en 1841, il restait encore quelques vestiges de ces peintures. Elles ont dù être achevées en 1537; c'est du moins la date que leur assigne le catalogue du musée de Modène à propos du Saint Géminien qui fait partie de la collection et qui serait un fragment, transporté sur toile, de la fresque de la Beccheria (L'Ecole de Modène). 

On trouve dans le Microcosmo della Pittura de Scannelli (1657) et dans les Pittori Modenesi de Vedriani (1662) une liste des peintures exécutées par Niccolo dell'Abbate à Modène et dans les environs. Son oeuvre principale paraît avoir été la décoration d'une salle du palais public (1546). Il y peignit des sujets tirés de l'histoire locale au temps des Romains : il fut aidé dans ce travail par Alberto Fontana, mais celui-ci ne fut guère chargé que de la partie ornementale. Une peinture, placée sur la cheminée, représentait Hercule aux prises avec le lion dont la dépouille doit lui servir de manteau. Le choix de ce motif n'avait pas été inspiré par le caprice. Modène appartenait alors à la maison d'Este et il n'était pas, indifférent de complaire au duc régnant, Hercule II.

Niccolo, savant dans la fresque, a peint quelques tableaux à l'huile, notamment le Martyre de saint Pierre et de saint Paul, placé en 1547 au maître-autel de l'église des bénédictins de Modène. Cette peinture, qui compte dans l'oeuvre du maître, est aujourd'hui au musée de Dresde. Elle a été gravée par Folkema. 
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Abbate : l'Enlèvement de Proserpine.
L'Enlèvement de Proserpine, de Niccolo dell'Abbate (Louvre).

C'est sans doute vers cette époque - après 1546, dit Tiraboschi - que Niccolo alla s'établir à Bologne où il travailla beaucoup. Il y reste encore quelques traces de sa vaillance. Sous le portique du palais Léoni, il peignit une fresque qui, ayant été maladroitement restaurée en 1819, est aujourd'hui fort ruinée. Elle représente la Nativité de Jésus-Christ. Au palais Poggi, devenu l'Université de Bologne, il montra la facilité de son talent dans diverses compositions, parmi lesquelles on remarque une gracieuse frise où se groupent des jeunes gens et des élégantes faisant de la musique et jouant aux cartes. Ces inventions, conformes au goût du temps, eurent un grand succès. Les Bolonais regardaient volontiers Niccolo comme un de leurs compatriotes (L'Ecole Bolonaise). Dans son sonnet amphigourique, Augustin Carrache le qualifie de Bolognese. Un écrivain du XVIIIe siècle l'appelle encore « nostro Niccolino ».

L'auteur d'un catalogue des dessins du Louvre, Reiset, qui a consacré à Niccolo dell'Abbate une ample notice, a cherché à fixer la date de l'arrivée du peintre en France. Il affirme qu'en mai 1552, il était déjà en France. La date précise du départ de Niccolo est donnée par Vedriani. Il quitta Modène le 25 mai 1552, et peu après il fut rejoint par les membres de sa famille, entre autres par son jeune fils Giulio Camillo, qui allait devenir peintre. On suppose, non sans vraisemblance, que Niccolo avait été appelé à la requête de Primatice, qui lors d'un récent voyage en Italie, s'était rendu compte de son mérite, et qui, pour les grandes entreprises de Fontainebleau, avait besoin d'une légion de collaborateurs.

Arrivé à Paris, Niccolo paraît avoir commencé par des travaux dont l'histoire ne parle pas ou du moins dont il lui est impossible de donner la date. On assure qu'il fit les portraits de Henri Il et de Catherine de Médicis, oeuvres malheureusement perdues et qui devaient être fortement marquées d'un caractère italien, Bientôt Primatice l'employa à Fontainebleau, et l'on peut désormais suivre sa trace dans la Renaissance de Léon de Laborde, et dans les Comptes des bâtiments du roi. Ces documents nous parlent de lui à partir de 1556 et le désignent sous les noms de Nicolas de l'Abbaty, Nicolas de Labbé ou de l'Abbey. On le retrouve aussi dans les registres de la paroisse d'Avon où il figure plusieurs fois en qualité de parrain ou de témoin. 

Comme peintre, Niccolo dell'Abbate a été avant tout le lieutenant de Primatice et son collaborateur préféré. La question de savoir quelle part doit être faite à chacun d'eux dans l'oeuvre commune est des plus délicates. Vasari, qui n'a pas vu Fontainebleau et qui redit ce qu'on lui a raconté, est très sympathique à Niccolo, mais il ne manque jamais de laisser le premier rôle à Primatice. Le poète qui invente doit en effet passer avant le traducteur de son rêve. Il semble que Primatice donnait un croquis, une de ces charmantes sanguines, comme celles que nous avons au Louvre : Niccolo exécutait la peinture avec la liberté intelligente qui convient à un véritable artiste. Il a pu, dans certains cas, n'obéir qu'à sa fantaisie.
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Abbate : la rencontre de Charles V et du Bey de Tunis.
La Rencontre de Charles V et du bey de Tunis, de Niccolo dell'Abbate
(Galerie Courtauld, Londres).

De 1556 à 1570, les comptes des bâtiments nous montrent Niccolo dell'Abbate occupé à peindre un tableau pour la cheminée de la chambre du roi, des trophées et des grotesques, quatre paysages, une composition représentant la « Prise du Havre de Grâce » et dans la chambre de Mme d'Etampes la « Vie et gestes d'Alexandre ». Il a, de plus, beaucoup travaillé à la Laiterie. Enfin on le voit restaurer un tableau du Titien, une Femme couchée. Niccolo était propre à toutes les besognes. 

Louis XIV et Louis XV ont cruellement modifié le château de Fontainebleau. Ces améliorations ont été fatales aux oeuvres de Niccolo dell'Abbate, La chambre de la duchesse d'Etampes a été convertie en cage d'escalier; il n'y reste plus que huit peintures de l'histoire d'Alexandre. La galerie de la Basse-Court qui a péri en entier, était le principal titre d'honneur du peintre de Modène. Il y avait représenté, dans une série de 57 fresques, les principaux épisodes des voyages d'Ulysse. Ces compositions ne peuvent plus être jugées que par les estampes de Van Tulden, témoignage, bien imparfait, car partout la pensée italienne a été traduite à la flamande. Les peintures de la salle de Bal et des Cent-Suisses existent encore, mais très restaurées. Il est d'ailleurs malaisé de dire dans quelle mesure Niccolo a été mêlé à cette grande décoration

Tout en travaillant pour le roi, Niccolo dell'Abbate trouva le temps de mettre son zèle au service de quelques hauts personnages. Les écrivains italiens parlent des peintures qu'il exécuta pour le cardinal de Lorraine à Medone, c'est-à-dire à Meudon. Elles étaient placées dans un pavillon qui a été détruit par Louis XIV. Sauval mentionne aussi une galerie peinte par Niccolo à Chantilly, et dont il ne reste plus aucune trace. Il en est malheureusement de même de la chapelle du château de Beauregard, près de Blois, A en croire Félibien, c'était là une oeuvre considérable. On y admirait une Descente de croix placée sur le maître-autel, et, dans les compartiments formés par les arcs de la voûte ogivale, six anges tenant les instruments de la Passion
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Abbate : la Chasse au Cerf.
La Chasse au Cerf, de Niccolo dell'Abbate (Galerie Borghese, Rome).

Sauval et ceux qui, après lui, nous ont laissé la description de l'ancien Paris attribuent à Niccolo dell'Abbate un certain nombre d'oeuvres décoratives depuis longtemps détruites. S'inspirant de dessins de Primatice, il avait peint une galerie à l'hôtel de Montmorency, rue Sainte-Avoie. Dans une maison voisine des Bernardins, il représenta diverses scènes tirées des Métamorphoses d'Ovide

« Ces fresques, dit Sauval, ne sont pas les moindres ouvrages de ce grand génie. » 
Enfin d'Argenville consacre un paragraphe explicite à la description de la chapelle de l'hôtel de Guise, qui existait encore sous Louis XV. Les Boullogne avaient modernisé les peintures des deux parois latérales; mais le plafond, décoré par une vaste Adoration des Mages, demeurait « dans toute sa beauté ». Les agrandissements de l'hôtel, devenu le palais des Archives, ont fait disparaître les restes de cette oeuvre admirée.

Les derniers travaux de Niccolo dell'Abbate furent exécutés au commencement de 1571, à l'occasion de l'entrée solennelle de Charles IX et d'Elisabeth d'Autriche à Paris. Ils comportaient la décoration de cinq arcs de triomphe et aussi celle de la grande salle de l'Evêché, dans laquelle il peignit, avec, le concours de son fils Camillo, seize tableaux allégoriques dont l'invention ingénieusement compliquée était due à Ronsard et à Daurat. Ce dernier travail lui fut payé 700 livres tournois. Après cette date, Niccolo disparaît. Il a dû mourir en 1574. 
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Abbate : Orphée et Eurydice.
Orphée et Eurydice, de Niccolo dell'Abbate (National gallery, Londres).

Son fils Giulio Camillo, peintre de grotesques et de trophées, lui survécut quelque temps. Un traitement de 300 livres lui était alloué en 1571 à titre de « painctre et superintendant des painctures de Fontainebleau ». Les registres d'Avon nous apprennent qu'il vivait encore le 15 janvier 1574. Enfin, Niccolo avait laissé à Modène un frère, Pietro Paolo, dont la biographie n'est pas connue, mais qui, d'après Vedriani, était habile à représenter des chevaux et des batailles. 

Décorateur au talent facile, peintre à la fresque et à la détrempe, Niccolo dell'Abbate a fait peu de tableaux. On ne peut guère citer que le Martyre de saint Pierre et de saint Paul, du musée de Dresde, et un Enlèvement de Proserpine qui, après avoir fait partie de la galerie du Palais-Royal et être passée par l'Angleterre, est aujourd'hui au Louvre. Germain Brice mentionne aussi une Mort d'Agamemnon qu'on voyait à la bibliothèque du collège de Louis-le-Grand. C'était une répétition à l'huile d'une fresque peinte à Fontainebleau. 

Niccolo, suivant en ce point l'exemple de Primatice, dessinait beaucoup. Ses crayons à la pierre-noire ou à la sanguine, ses croquis a la plume ne sont pas rares. On en voit plusieurs à Modène et ailleurs. Le Louvre n'en possède pas moins de 81, y compris ceux que la donation de His de la Salle a fait entrer au musée. Ces dessins, aussi caractéristiques que des peintures, nous donnent l'exacte mesure du talent de Niccolo. Le comte Malvasia, parlant, dans la Felsina pittrice, de ces maîtres du XVIe siècle qu'on a tant aimés à Parme, à Modène, à Bologne, dit fort bien qu'ils avaient une prédilection avouée pour la ligne serpenteggiata. Avec le Primatice et le Parmesan, Niccolo dell'Abbate est un des plus fidèles représentants de cet idéal qui confine à la manière il résume l'italianisme à la mode de Fontainebleau et il donne volontiers à la figure humaine l'élégante désinvolture de l'arabesque. (Paul Mantz).

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