| Tell (Guillaume), héros légendaire dont la tradition a fait le libérateur de la Suisse. D'après le récit consacré, l'empereur Albert Ier, aurait tenté de dépouiller les habitants des trois vallées d'Uri, Schwyz et Underwald des libertés dont ils jouissaient depuis un temps immémorial. Les baillis envoyés par lui, entre autres Landenberg à Sarnen et Gessler à Küssnacht, auraient exercé une insupportable tyrannie, commis des violences et des attentats de tout genre. Trois hommes, Walter Fürst d'Uri, Werner Stauffacher de Schwyz, Arnold de Melchthal d'Underwald, réunis au Rütli, prairie écartée au bord du lac des Quatre-Cantons, jurent de rendre la liberté à leur pays : dans une nouvelle réunion au même endroit chacun d'eux amène dix de ses amis qui font le même serment et fixent le jour où éclatera l'insurrection. Cependant, Gessler veut mettre à l'épreuve la fidélité du peuple : sur la place d'Altorf, chef-lieu du pays d'Uri, il fait dresser une perche surmontée d'un chapeau aux couleurs de l'Autriche : tous les passants doivent saluer cet emblème. - Guillaume Tell, sur une lithographie du XIXe s. Un habile archer, Guillaume Tell, refuse de s'incliner : Gessler lui enjoint d'abattre d'une flèche une pomme placée sur la tête de son fils. Tell fait tomber la pomme sans blesser son enfant. mais il déclare au bailli qu'il lui destinait une seconde flèche si la première avait manqué son but. Gessler le fait alors garrotter et s'embarque avec lui pour le conduire dans son château. Une tempête s'élève sur le lac les bateliers implorent l'aide de Tell qui prend le gouvernail : il dirige la barque vers le rivage, s'élance d'un bond à terre et repousse le bateau. Puis il va se mettre en embuscade près de Küssnacht et quand le bailli paraît, il le tue. Quelque temps après, au jour fixé par les conjurés, les paysans se soulèvent, détruisent les châteaux et chassent les baillis. Telle est la légende que le drame de Schiller a popularisée; longtemps acceptée sans hésitation, elle suscita quelques doutes au XVIIIe siècle. Un pasteur bernois, Freudenberger, publia (1760) une brochure Guillaume Tell, fable danoise, que le gouvernement d'Uri fit brûler par le bourreau et dont le résultat immédiat fut une recrudescence du culte rendu au héros national, fondateur de la liberté helvétique. Au XIXe siècle, l'historien lucernois E. Kopp reprit l'étude des origines de la Confédération suisse en rassemblant les documents authentiques de cette période et en soumettant à un examen attentif la formation de la légende. Ces recherches, poursuivies pendant un demi-siècle par de nombreux critiques allemands et suisses, ont conduit aux résultats suivants : La liberté immémoriale attribuée aux habitants des Waldstätten est une fiction : seul, le pays d'Uri jouissait d'une assez grande indépendance : en 1231, le roi Henri, fils de Frédéric II, l'avait reconnu pays d'empire : Schwyz et surtout Underwald se trouvaient dans une condition inférieure : la maison de Habsbourg exerçait sur les trois vallées des droits de diverse nature, étendus ou restreints suivant le titre qui les conférait : à plusieurs reprises, durant le XIIIe siècle, les Waldstätten essaient d'étendre leurs franchises; en 1291, ils profitent de la mort de l'empereur Rodolphe Ier pour conclure une alliance perpétuelle dont certaines dispositions constituent déjà un empiétement sur les droits de l'Empire. Rien ne permet de conclure que le règne d'Albert Ier ait été une époque troublée : tous les documents de cette époque prouvent le contraire et rendent inadmissible l'existence des baillis. - Burglen : la tradition veut y voir le village natal de Guillaume Tell. La lutte entre les habitants des vallées et les Habsbourg ne s'engage qu'en 1315 où les paysans battent à Morgarten le duc Léopold. Aucune des chroniques contemporaines ne contient d'allusions aux violences qui auraient provoqué la révolte : ce n'est qu'une centaine d'années plus tard qu'on rencontre un récit extrêmement confus, et qui va se précisant à mesure qu'on s'éloigne des événements. L'histoire de Tell apparaît vers 1470 dans un chant populaire et dans une chronique, le Livre Blanc, de Sarnen, pleine de récits fabuleux, et où il est du reste très facile de distinguer plusieurs légendes contradictoires, dont chacune tend à grandir la part d'un des cantons à l'émancipation commune : plus tard encore, Russ de Lucerne offre une version toute différente. Au XVIe siècle, l'historien Tschudi revêt la tradition de sa forme définitive : il choisit arbitrairement dans les documents antérieurs et cherche à donner plus d'autorité à son récit en tirant de son imagination une foule de noms et de dates son oeuvre, qui devient très populaire, provoque l'érection de chapelles commémoratives en l'honneur de Tell. Au XVIIIe siècle, on recourut pour défendre la légende à des falsifications d'actes et même à une fabrication de documents, si grossièrement exécutés d'ailleurs que la fraude se manifeste au premier coup d'oeil. Le nom de Tell est très probablement une désignation locale, assez répandue dans le pays d'Uri, dont on aura fait une personne : quant à l'histoire de la pomme, c'est une fable d'une haute antiquité qui se retrouve, presque textuelle, dans des légendes danoises (Palnatoke), islandaises et anglaises. Ces résultats, établis par la critique historique, sont, aujourd'hui, généralement admis : les rares défenseurs de la tradition en sont réduits à déclarer "que ni Tell, ni Gessler ne sont, dans leurs traits essentiels, des impossibilités historiques". Guillaume Tell demeure cependant pour beaucoup de Suisses le héros national par excellence et la personnification des luttes pour l'indépendance. En 1798, son nom fut donné à une république éphémère, le Tellgau ou Telliane que Brune composa des Waldstätten et de Zug. (Ch. Robert). | |