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Le sacre des rois |
Le mot sacre était appliqué à l'ensemble des cérémonies par lesquelles l'autorité suprême était conférée au souverain dans les pays monarchiques. Le couronnement était la partie principale de ces cérémonies. Le sacre est aussi ancien que la royauté. On le retrouve en Orient, chez les Hébreux, en Grèce et à Rome. Les ornements royaux se retrouvent presque les mêmes chez tous les peuples : le diadème était le principal insigne de la royauté en Grèce, le sceptre et la robe de pourpre chez les Romains. C'est principalement en France et en Allemagne, depuis Charlemagne, que le protocole des solennités du sacre se constitua sous ses formes essentielles, qui sont les mêmes chez toutes les nations de l'Europe. Une légende, transcrite par un auteur du XIIIe siècle, Guillaume le Breton, veut qu'un ange ait apporté du ciel pour le sacre de Clovis la fiole contenant l'huile destinée à cette cérémonie : ce fut la fameuse sainte ampoule. Beaucoup d'historiens mettent en doute jusqu'au fait même du sacre de Clovis et pensent que le sacre des rois fut une innovation de Pépin le Bref. Depuis lors, non seulement chez les rois de France, mais chez les autres souverains chrétiens le couronnement fut accompagné de la cérémonie religieuse du sacre, qui n'avait pas seulement pour objet de marquer le nouveau prince d'un caractère sacré, mais était encore une occasion de lui rappeler ses devoirs et de lui faire sceller ses engagements par un serment religieux, qui comportait trois promesses principales : conserver l'Église, la paix, empêcher toutes rapines et rapacités, assurer justice et miséricorde dans les jugements; on y ajouta, au XIIIe siècle, la promesse de défendre l'unité religieuse en combattant tous les hérétiques. Le cérémonial du sacre ne reçut presque aucune modification en France après le XIIIe siècle, et jusqu'à la Révolution. Les cérémonies du sacre peuvent se décomposer en différentes parties successives. Chez toutes les nations, le clergé et la noblesse prennent part au sacre du roi. Le cérémonial usité en France et surtout en Allemagne montre que la présence des pairs ecclésiastiques et des pairs laïques était un reste traditionnel de l'époque où la royauté était personnelle et élective. En France, il y avait six pairs ecclésiastiques et six pairs laïques, qui étaient originairement les grands feudataires, prenant part au sacre. Après l'époque féodale, les grands feudataires furent remplacés par des princes du sang. Par exemple, au sacre de Louis XVI (1774), le duc de Bourgogne était remplacé par le frère du roi (Monsieur), le duc de Normandie par le comte d'Artois, le duc d'Aquitaine par le duc d'Orléans, le comte de Toulouse par le duc de Chartres, le comte de Flandre par le prince de Condé, le comte de Champagne par le duc de Bourbon. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, il y eut fréquemment des disputes d'étiquette sur la présence au sacre entre les grandes familles françaises qui y assistaient. En Allemagne, les électeurs avaient le même rôle que les pairs. A l'époque carolingienne, les empereurs d'Allemagne repoussèrent plusieurs fois le concours du clergé et refusèrent d'être sacrés par l'archevêque de Cologne ou l'archevêque de Mayence, comme Henri Ier (919). Par une fiction qui se conserva jusqu'à la fin de l'ancienne monarchie, le roi était censé être invité au sacre par les pairs, après un choix préalable. Pendant la nuit qui précédait le sacre, le roi venait prier, avant les matines, devant l'église où le sacre devait avoir lieu (cathédrale de Reims). Dès le point du jour, le roi envoyait ses principaux barons chercher la sainte ampoule à l'abbaye de Saint-Rémi de Reims. L'abbé de Saint-Rémi lui-même l'apportait solennellement à la cathédrale et la rapportait ensuite à l'abbaye. Chez certains monarques d'Orient, le cérémonial était d'un esprit tout différent : les anciens souverains de la Perse ou sous entraient dans leur capitale par une brèche faite au mur de la ville. A la fin de l'ancienne monarchie française, le roi était conduit à la cathédrale avec le cérémonial suivant. Deux pairs ecclésiastiques, accompagnés des chanoines de Reims, allaient frapper à la porte de la chambre du roi. Le grand chambellan leur disait : « Que demandez-vous? - Nous demandons le roi », répondaient-ils. - « Le roi dort », répondait le grand chambellan. Ce cérémonial était répété trois fois de suite, et, à la troisième fois, la demande des pairs ecclésiastiques était : « Nous demandons Louis XVI, que Dieu nous a donné pour roi. » La chambre royale leur était ouverte, et ils conduisaient le roi à la cathédrale, après lui avoir fait revêtir le costume du sacre. Vient ensuite la cérémonie du couronnement proprement dit, entièrement religieuse. Le roi était conduit au trône ou intronisé. L'élévation sur un bouclier fut en usage chez les Romains, lorsque les empereursétaient élus par les prétoriens. Cette cérémonie se transmit aux Byzantins, chez lesquels le patriarche de Constantinople et les princes de la famille impériale soulevaient à une certaine hauteur au-dessus du sol le nouvel empereur, placé sur un bouclier. On sait que les Francs avaient également adopté l'élévation sur le pavois. Le roi prononçait un serment solennel dans lequel il promettait de respecter les privilèges de l'Eglise, de maintenir les droits de la royauté, de rendre bonne justice à ses sujets et d'extirper l'hérésie. Quand, après la Révolution française, le cérémonial du sacre eût été rétabli par Napoléon ler (1804), la formule du serment fut modifiée de la manière suivante : « Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la République, de respecter et de faire respecter les lois du Concordat et la liberté des cultes; de respecter et faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'inviolabilité des ventes des biens nationaux; de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu d'une loi; de maintenir l'institution de la Légion d'honneur et de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français. »Le peuple était facilement admis à assister aux cérémonies du sacre. Vers la fin de la cérémonie, les portes de la cathédrale étaient ouvertes, et chacun pouvait entrer librement. Au couronnement de Charlemagne, à Rome, le peuple romain cria : « A Charles, auguste, couronné de Dieu, grand et pacifique, empereur des Romains, vie et victoire! » (801). L'accès de la salle du banquet, qui suivait le sacre, n'était guère moins difficile et, s'il faut en croire la description du sacre de Henri V d'Angleterre à Paris (1415), on s'en rapportait surtout à la discrétion des bourgeois et du peuple, qui auraient pu facilement envahir le palais du roi et y porter le désordre, comme ils le firent, à cette date, pour manifester leur mécontentement contre le monarque anglais (Journal d'un bourgeois de Paris). En Allemagne, le peuple était admis, dans la cathédrale d'Aix-la-Chapelle, devant le trône, ainsi qu'au grand festin qui suivait le sacre (936). A Reims, une multitude de petits oiseaux étaient lâchés dans l'intérieur de la cathédrale, après le couronnement du roi. La décoration de la cathédrale était l'occasion d'un grand déploiement de luxe. Devant le choeur, on dressait un échafaudage élevé, haut de 6 à 8 m, formé de plusieurs rangées de gradins, qui étaient recouverts de riches tapisseries et sur lesquels prenaient place les pairs et les grands seigneurs du royaume. A la cathédrale de Paris, où eut lieu le sacre de Henri V d'Angleterre (16 décembre 1413), cet échafaudage s'appuyait contre le jubé qui se trouvait autrefois à l'entrée du choeur. La trône du roi, abrité sous un dais, était placé au milieu du choeur. Les rues de la ville étaient pavoisées et ornées de tentures (encourtinées). Un tapis était placé sur le sol sur tout le parcours du cortège royal : à Francfort-sur-le-Main, ce tapis était abandonné au peuple, aussitôt après le passage de l'empereur. Les insignes du sacre consistaient en vêtements spécieux, généralement renouvelés à chaque sacre, et en ornements (couronne, épée, sceptre, main de justice, etc.), qui étaient transmis traditionnellement dans la famille régnante et faisaient partie du trésor royal. Pour le roi de France, les vêtements consistaient essentiellement dans les pièces suivantes : la chemise, avec ouvertures aux endroits on devaient être faites les onctions, la tunique bleue fleurdelisée, le manteau bleu en forme de chape, la toque de velours noir ornée d'une aigrette blanche, les chausses ou "bottines" de soie bleue semée de fleurs de lis d'or. Les ornements royaux étaient, en France, au nombre de sept principaux : 1° la couronne; 2° l'épée, nommée Joyeuse, donnée par Léon III à Charlemagne et placée dans un fourreau de velours violet; 3° le sceptre; 4° la main ou verge de justice, bâton entouré de trois cercles de pierres précieuses et terminé par une main d'ivoire; 5° les éperons d'or, ornés de pierres précieuses; 6° l'agrafe du manteau royal, en or et en forme de losange ; 7° le livre d'heures, recouvert d'une reliure en argent. Pour les empereurs d'Allemagne, il y avait en plus une étole, placée en croix sur la poitrine, la lance, la bannière et le globe impérial. En Turquie, le sultan ceignait l'épée d'Osman, fondateur de la dynastie ottomane. Les ornements du sacre étaient déposés en France à L'abbaye de Saint-Denis, depuis le règne de saint Louis. En Allemagne, ils étaient gardés au Roemer de Francfort-sur-le-Main. Les ornements du sacre furent modifiés par Napoléon Ier : la couronne fût composée de feuilles de laurier, le sceptre surmonté d'un aigle, la tunique fut en soie blanche brodée d'or et le manteau de velours pourpre semé d'abeilles d'or. Les dépenses occasionnées par les sacres étaient considérables. Le sacre de saint Louis coûta 4.333 liv. 14 sols, celui de Philippe le Hardi occasionna plus de 12.000 livres de frais, celui de Philippe le Long exigea 7.385 livres de dépenses (pour les vêtements, étoffes et tapis seulement), celui d'Edouard Ier d'Angleterre coûta environ 3.300 livres. L'opinion publique fut toujours vivement frappée par les cérémonies des sacres au Moyen âge. Les trouvères les décrivent assez souvent dans leurs poèmes, par exemple Benoît de Sainte-More (sacre de Guillaume le Conquérant), Wace, dans le Roman de Brut (v.10609 et suiv.) (sacre du roi Arthur, dans la légende de la Table ronde), Guillaume Le Breton, dans sa Philippide en vers latins (sacre de Philippe-Auguste), etc. Après l'invention de l'imprimerie, on publiait, à chaque sacre, une petite plaquette commémorative qui en contenait la description, sous le titre de Ordre et forme tenus au sacre, Relation de la cérémonie du sacre, etc. Les principaux sacres donnèrent aussi lieu à des publications de luxe, de format in-folio et accompagnées de gravures sur cuivre. Le lieu du sacre était, pour le roi de France, la ville de Reims, et pour l'empereur d'Allemagne, généralement celle d'Aix-la-Chapelle, et quelquefois celle de Mayence jusqu'au XVe siècle, puis celle de Francfort. Reims ne fut définitivement choisi qu'au XIIIe siècle. Pépin le Bref fut sacré à Soissons (752). Le roi Robert et Louis VI furent sacrés à Orléans. Depuis le XIIIe siècle, le sacre des rois de France n'eut lieu ailleurs qu'à Reims que tout à fait exceptionnellement, comme pour celui de Henri V d'Angleterre, qui eut lieu à Paris, et celui de Henri IV, qui eut lieu à Chartres. Napoléon Ier se fit sacrer a l'église Notre-Dame à Paris. Charles X fut de nouveau sacré à Reims (1825). La reine ou l'impératrice était presque toujours sacrée en même temps que le roi ou l'empereur, mais avec un cérémonial un peu moins solennel. Ajoutons que le cérémonial du sacre avait aussi été adopté, à l'époque de la constitution de la féodalité, par les grands feudataires et notamment par le duc de Normandie, le duc d'Aquitaine et le duc de Bretagne. Le duc de Normandie était sacré par l'archevêque de Rouen, recevait la couronne et l'épée et prêtait un serment analogue à celui du roi de France. Le duc d'Aquitain avait aussi comme insignes une bannière et une verge de justice. (E.-D. Grand). |
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