| Les historiens antiques, tant grecs que romains, ne nous ont guère transmis que des légendes sur la fondation, les débuts et les premiers siècles de Rome. Ces légendes, dont les unes étaient d'origine latine et dont les autres étaient dues à l'imagination des logographes de Grèce ou de Sicile, se mêlèrent de bonne heure; de ce mélange sortit bientôt à Rome une tradition nationale, et, pour ainsi dire, officielle, dont Virgile, Denys d'Halicarnasse et Tite-Live se firent les interprètes. D'après cette tradition, l'origine première de Rome remontait aux Troyens. Lorsque Troie fut prise et brûlée, l'un des principaux chefs troyens, le héros Enée, fils d'Anchise et de Vénus, s'embarqua avec les siens; après de nombreuses aventures en Thrace, à Carthage, en Sicile, il aborda sur la côte du Latium, où régnait Latinus. Il épousa Lavinia, fille de Latinus, et fonda la ville de Lavinium, près du rivage de la mer Tyrrhénienne. Après lui, son fils Ascagne s'établit au coeur des monts Albains, où il bâtit Albe. Les descendants d'Enée régnèrent dès lors sur Albe et sur le territoire environnant, jusqu'au Tibre. L'un d'eux, Phocas, laissa en mourant deux fils, Numitor et Amulius. Numitor, qui était l'aîné, aurait dû lui succéder sur le trône. Mais son frère Amulius le dépouilla de la royauté et s'empara de la couronne. Il relégua Numitor dans un de ses domaines, loin d'Albe; pour assurer le pouvoir à ses propres descendants, il fit périr le fils de son frère; puis il obligea sa nièce, Rhéa Sylvia, à se consacrer au culte de la déesse Vesta, après avoir, suivant l'usage, fait voeu de virginité. Mais un jour que Rhéa était allée puiser au Tibre de l'eau pure destinée aux cérémonies religieuses, le dieu Mars lui apparut et s'unit à elle. Rhéa devint mère de deux jumeaux. Amulius la condamna à être précipitée dans les eaux du fleuve, et il exposa sur le Tibre les deux enfants, fils de Mars et de la vestale. Rémus et Romulus La corbeille qui les portait vint échouer sur les pentes du Palatin, au pied d'un grand figuier, que les Romains appelaient le Figuier Ruminal; d'abord nourris par une louve, ils furent ensuite recueillis par le berger Faustulus et sa femme Acca Larentia, qui les élevèrent et leur donnèrent les noms de Romulus et de Rémus. Les deux jumeaux devinrent des bergers vigoureux, toujours prêts à la bataille contre les pâtres du voisinage. Or, il arriva que Rémus tomba dans une embuscade que lui avaient tendue les bergers de Numitor; il fut pris par eux et amené devant leur maître. Numitor le reconnut, appela auprès de lui Romulus, et leur dévoila à tous deux le secret de leur naissance. Avec leur aide, il reprit la couronne à l'usurpateur Amulius; pour les récompenser, il leur donna, en toute propriété, une vaste étendue de terrain sur la rive gauche du Tibre. Les deux frères résolurent d'y fonder une ville. Romulus avait choisi le Palatin; Remus, l'Aventin. Les présages envoyés par les dieux se prononcèrent en faveur de Romulus. Romulus commença donc de bâtir une cité sur le Palatin. Pour marquer l'emplacement des murs de la future ville, il traça un sillon avec une charrue, et entreprit la construction du rempart. Remus l'ayant un jour franchi d'un bond par dérision, Romulus le tua de sa propre main en s'écriant: « Ainsi périsse quiconque franchira ces murs! » Romulus termina ensuite son oeuvre. Rome était dès lors fondée. Elle n'eut d'abord pour habitants que les bergers qui avaient été les compagnons d'enfance et de jeunesse de Romulus et de Rémus. Romulus y attira les aventuriers de tous les environs, en ouvrant un asile sur une hauteur voisine du Palatin, le futur Capitole. Puis il se préoccupa de trouver des épouses pour ses sujets. Aucun peuple du pays ne voulut s'unir par des mariages aux compagnons de Romulus; leur demande fut repoussée avec dédain. Romulus résolut de se venger. Quelques mois plus tard, il annonça que de grands jeux seraient donnés à Rome pendant les fêtes religieuses qui devaient se célébrer en l'honneur du dieu Consus. De toutes les villes d'alentour, de nombreuses familles accoururent pour assister à ces jeux. Au milieu de la représentation, sur un signe de Romulus, les Romains se précipitèrent sur leurs hôtes, s'emparèrent de leurs filles, puis chassèrent de la ville tous les étrangers qui y étaient venus. Leurs prisonnières étaient surtout des Sabines. Une guerre terrible éclata entre les Sabins, commandés par le roi Tatius, et les Romains. Grâce à la trahison de Tarpeia, les Sabins s'emparèrent du Capitole; une bataille furieuse eut lieu au pied même du Palatin. Elle durait encore, lorsque les Sabines, qui, après leur enlèvement, avaient dû épouser leurs ravisseurs, se jetèrent entre les combattants et réussirent à les réconcilier. Sabins et Romains s'unirent; Tatius régna en même temps que Romulus. Il mourut le premier, et Romulus fut désormais seul roi. Ce fut lui qui donna à Rome ses institutions politiques et militaires. Il remporta plusieurs victoires sur les peuples voisins. Sa mort fut mystérieuse. Il disparut pendant un orage, tandis qu'il passait ses troupes en revue. On raconta que Mars, son père, l'avait enlevé au ciel sur son propre char, et il fut adoré comme un dieu sous le nom de Quirinus. Les premiers rois de Rome L'histoire des premiers rois de Rome, successeurs de Romulus, n'est pas moins légendaire que celle du fondateur même de la cité. Après Romulus, héros guerrier, régna le Sabin Numa Pompilius, originaire de la ville de Cures, prince pacifique. Rome lui dut ses institutions religieuses, son calendrier, la plupart de ses fêtes. Numa était en relation avec les dieux; ses actes lui furent surtout inspirés par la nymphe-Egérie, qu'il allait consulter dans une vallée située non loin du Palatin. Numa eut pour successeur Tullus Hostilius, qui fut surtout un chef de guerre. Sous le règne de Tullus, la guerre éclata entre Rome et sa métropole, Albe la Longue. Au lieu d'en venir aux mains, les deux peuples résolurent de décider leur querelle par un combat singulier. Rome choisit pour champions les trois Horaces; Albe, les trois Curiaces (Gens Curiata). Dès le premier choc, deux des Horaces furent tués, et les trois Curiaces furent blessés. Le troisième Horace feignit alors de se sauver, mais ce n'était qu'une ruse. Les trois Curiaces, inégalement blessés, le poursuivirent ; bientôt séparés, ils furent tués l'un après l'autre par Horace. Rome fut ainsi victorieuse d'Albe. Albe fut détruite, et la plupart de ses habitants transportés à Rome. Le quatrième roi de Rome fut Ancus Martius, qui agrandit par ses conquêtes le territoire de la cité, et fonda le port d'Ostie aux embouchures du Tibre. Après la mort d'Ancus Martius, une sorte de révolution se produisit à Rome. D'après la tradition romaine, Ancus Martius lui-même avait confié la tutelle de ses deux fils à un riche étranger, nommé Tarquin, Grec d'origine, mais né dans la ville étrusque de Tarquinies, et qui de là était venu s'établir à Rome. Tarquin gagna habilement la confiance du peuple romain qui le proclama roi. Aidé par sa femme Tanaquil, Tarquin embellit Rome, y construisit de nombreux édifices et la rendit plus salubre. Il y introduisit aussi les pompes, les fêtes brillantes et plusieurs coutumes religieuses de l'Etrurie. Après un règne de trente-huit ans, il fut tué d'un coup de hache par deux pâtres, à l'instigation des fils d'Ancus Martius. Son gendre, Servius Tullius, lui succéda. Servius Tullius était le fils d'une esclave. Mais son enfance, avait été entourée de prodiges; la reine Tanaquil avait prédit que de hautes destinées lui étaient réservées; elle avait décidé Tarquin à lui donner sa fille en mariage, et, après la mort du roi, elle lui assura la royauté. Servius Tullius agrandit Rome, l'entoura d'une puissante muraille, la divisa en quatre quartiers ou tribus ; il répartit le peuple romain en classes et en centuries. Au dehors, il fit de Rome la cité la plus puissante du Latium et dirigea des guerres heureuses contre les Etrusques, qui occupaient le pays situé au Nord-Ouest du Tibre. Il fut tué par son gendre Tarquin, impatient de monter sur le trône. Tarquin le Superbe fut un tyran cruel. Il construisit sur le Capitole le temple fameux de Jupiter, Junon et Minerve. Il acheta à la Sibylle de Cumes, qui vint le trouver déguisée en vieille femme, trois livres de prophéties obscures et redoutables, que l'antiquité romaine révéra sous le nom de Livres Sibyllins. Il entreprit des guerres souvent heureuses contre les cités du voisinage. Mais sa tyrannie pesait lourdement sur les nobles Romains. Ceux-ci profitèrent de l'outrage fait par l'un des fils du roi, Sextus Tarquin, à la vertueuse Lucrèce, pour se soulever contre Tarquin. Il fut chassé de Rome, et la royauté elle-même fut abolie. La tradition romaine plaçait l'expulsion de Tarquin et l'abolition de la royauté en l'année 510 av. J.-C. ou 244 de Rome. De la légende à l'histoire Telle est, résumée à grands traits et débarrassée de ses nombreuses variantes, l'histoire légendaire des origines, de la fondation et des premiers siècles de Rome. Pendant longtemps, les historiens et les érudits s'en contentèrent. Ce fut seulement vers le milieu du XVIIIe siècle, en 1738, que l'historien Louis de Beaufort exprima des doutes sur la véracité de ces récits traditionnels. Son livre, intitulé Dissertation sur l'incertitude des cinq premiers siècles de l'histoire romaine, est le premier en date des nombreux ouvrages de critique historique, qui, en Allemagne, en France et en Italie, ont renouvelé, pour ainsi dire, l'histoire primitive de Rome. Beaufort, puis Niebuhr, affirmèrent que les traditions rapportées par Tite-Live, Denys d'Halicarnasse et les autres historiens antiques ne méritaient aucune créance; ou du moins qu'il fallait les interpréter, afin de découvrir sous la légende ce qu'elle pouvait cacher de réalité historique. Niebuhr voulut reconstituer, d'après cette méthode, l'histoire primitive de Rome; mais cette reconstitution fut trop souvent hypothétique et arbitraire. Après lui, de nombreux auteurs, Sclwegler, Mommsen, Lange, Duruy, Gilbert, etc., se sont consacrés à la même oeuvre, avec plus ou moins de talent et de succès. Grâce à leurs efforts, grâce aussi aux découvertes considérables qui ont été faites depuis 150 ans en matière d'archéologie romaine et italique, une lumière plus vive a été projetée sur la période la plus reculée de l'histoire de Rome; on connaît surtout beaucoup mieux qu'auparavant les diverses étapes du développement topographique et monumental de la ville, les principales vicissitudes qu'elle traversa avant de devenir sans contestation la cité la plus puissante du Latium, les influences qu'elle subit, et ses plus anciennes institutions religieuses et civiles. | |