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Mésopotamie > Religion assyro-babylonienne |
La mort et l'au-delà en Mésopotamie |
« Les Babyloniens,
dit Hérodote, embaument leurs morts dans
du miel; leurs lamentations funèbres sont à peu près
les mêmes que celles des Égyptiens.
» Malgré ce que ce témoignage a de vague et d'invraisemblable,
c'est à peu près tout ce que nous savons des usages funéraires
des Assyriens et des Babyloniens.
Les sculpteurs de Ninive et de Babylone
ont évité de reproduire des cérémonies
funèbres sur les bas-reliefs des
palais, de même que jamais, dans leurs batailles, ils n'ont fait
figurer un Assyrien tombant sous les coups de l'ennemi; ne dirait-on pas
qu'ils aient voulu faire croire aux générations futures que
la mort était impuissante à moissonner les rangs des fils
d'Assur et que la protection de leurs dieux, les avait, comme Achille,
rendus invulnérables. Aussi, tandis que la vallée du Nil
est pleine de tombeaux, que nous retrouvons les cadavres embaumés
des anciens Égyptiens, leurs hypogées richement décorés
de peintures et de bas-reliefs, les ruines de la Mésopotamie
n'offrent-elles rien d'analogue? Il y a bien ici aussi de grandes nécropoles,
souvent placées à la périphéries des villes,
mais les sépultures n'ont pas le caractère spectaculaire
de celles que l'on rencontre en Egypte. Parfois il s'agissait de simples
fosses, d'autres fois on a affaire à de vrais tombeaux maçonnés,
dotés même à l'occasion de plusieurs chambres funéraires.
Le statut social des défunts expliquait ces différences,
que l'on note aussi dans le mobilier funéraire qui les accompagnait.
Les rois se faisaient inhumer dans leur palais.
On a la preuve que l'embaumement était
pratiqué en Mésopotamie comme en Égypte; le corps
était étendu sur une natte, la tête reposant sur un
coussin, les membres et le buste enveloppés de bandelettes enduites
de bitume. On déposait à côté du défunt
les objets qui lui avaient été chers pendant la vie : le
cylindre qui lui avait servi de cachet, ses
armes si c'était un guerrier; des bijoux, des boîtes à
fard et à parfums quand c'étaient des femmes. De grandes
jarres d'argile remplies de liqueurs fermentées, des écuelles
dans lesquelles on a recueilli des noyaux de dattes, des os de sangliers
et de poulet, des arêtes de poisson, étaient l'image symbolique
de la nourriture de la substance invisible et surnaturelle qui survivait
à la tombe; on déposait enfin, dès l'antiquité
la plus reculée, des statuetles funéraires, comme en Égypte,
à côté du cadavre : c'était des images d'Allat
en terre cuite, généralement de fabrique fort grossière.
Anciennes fouilles de la nécropole d'Ur. Quant à la forme de la tombe, si elle n'a rien de monumental comme on l'a dit, c'est sans doute que les doctrines sur la mort sont ici très différentes de celles que l'on a en Egypte, et aussi, simplement, parce que la pierre faisait défaut à l'architecte; elle varie entre deux ou trois types qui paraissent correspondre à la fortune plus ou moins grande des familles : tantôt c'est un petit caveau bâti en briques et bien voûté, tantôt ce sont de grandes jarres de terre cuite ou de simples couvercles posés sur les cadavres. Les caveaux ont, en général 2 mètres à 2 mètres 20 de longueur sur 1 mètre 80 de hauteur; une fois murés, ils étaient inaccessibles; on a trouvé parfois jusqu'à une douzaine de cadavres entassés dans un seul de ces étroits réduits. A une époque qui se rapproche de la conquête perse, ainsi que dans la suite, on plaçait généralement les morts dans des cercueils en terre cuite émaillée dont la forme ne peut mieux se comparer qu'à une pantoufle. Le caveau funéraire était inviolable et sacré; c'était un crime de laisser un cadavre sans sépulture et de profaner un cercueil. La plus grande calamité qui pût accabler un mortel, c'était que son corps demeurât abandonné et exposé à devenir la pâture des chiens et des chacals. Aussi avait-on pris des précautions inouïes pour empêcher qu'une cause, même toute naturelle, vint troubler dans son éternel sommeil la dépouille sans vie déposée dans la tombe : les ingénieux artifices auxquels se livrèrent dans ce but les architectes chaldéens contrastent avec la pauvreté monumentale du tombeau, et méritent, à cause de cela, de fixer un instant notre attention. Le voyageur anglais Taylor a décrit minutieusement la grande nécropole d'Ur, et voici comment Perrot et Chipiez ont résumé les observations de cet auteur : « Le sommet de ces buttes qui ont servi de cimetière aux plus vieilles cités, est pavé en briques cuites; la masse de la colline artificielle est faite de cercueils empilés, que séparent des cloisons et des lits de cette même matière. Pour assurer la conservation des corps et des objets ensevelis avec eux, il fallait rejeter promptement au dehors tous les liquides qui naîtraient de la corruption des cadavres, et, que verseraient les chutes de pluie; on avait donc ménagé des suites nombreuses de drains disposés dans le sens vertical; c'était une vraie canalisation. De longs conduits de terre cuite partent du dallage supérieur, sur lequel ils s'ouvrent par une étroite embouchure ; ils sont composés d'une série de tubes ou de manchons qui ont chacun environ 0,60 m de haut, et 0,45 m de diamètre; il y en a quelquefois jusqu'à quarante de superposés. Les tubes sont lutés par une mince couche de bitume. Pour les rendre plus résistants, on leur a donné une légère courbure concave et on les a remplis de tessons; cette garniture intérieure n'empêche pas le passage des eaux, mais elle appuie et soutient la paroi. Celle-ci n'est d'ailleurs pas, extérieurement, en contact avec la brique; dans toute sa hauteur, le conduit n'est entouré que de ces mêmes tessons. Ces débris de poterie ont du jeu; ils ne pèsent pas lourd; avec le cylindre qu'ils protègent, ils forment ainsi, de place en place, au milieu de la construction compacte, comme des cages carrées, comme des cheminées, larges d'environ 1,20 m. Toutes les précautions avaient été prises pour capter les eaux que les orages jetteraient sur les terrasses. On ne s'est pas contenté de l'orifice qui s'ouvre, au sommet de chaque colonne de tubes, entre les briques du pavage; tout le chapeau conique dont il fait partie est percé de petits trous qui en font une sorte de passoire. L'humidité qui aurait réussi à filtrer entre les joints des dalles serait ainsi recueillie; s'il était encore quelques gouttes qui ne parvenaient pas à pénétrer dans l'intérieur des drains, elles glisseraient entre tous ces morceaux de vases. Tant par les tubes mêmes que par les interstices de cette enveloppe, tous les liquides qu'il s'agissait d'éliminer arriveraient sans difficulté jusqu'au niveau du sol; là, sans doute, ils devaient être recueillis dans des canaux en pente qui les emportaient au loin, canaux que dissimule aujourd'hui l'amas de décombres où se cache et disparaît le pied de toutes ces buttes. Ce qui prouve que les dispositions avaient été bien calculées, c'est que le résultat voulu s'est trouvé atteint; grâce à ce drainage, ces tertres funéraires, quoique abandonnés à eux-mêmes, sont restés, jusqu'à nos jours, parfaitement secs. Ce ne sont pas seulement les cercueils qui s'y sont conservés intacts, avec les objets de terre cuite ou de métal qu'ils contenaient, ce sont aussi les squelettes. Ceux-ci se réduisent en poussière quand on y touche; mais an moment où l'on ouvrait la caisse de terre cuite qui les renferme, ils semblaient n'avoir pas souffert de l'action du temps ». (P. et Ch, Histoire de l'art, t. II).Tels étaient les soins qu'on donnait à la sépulture. Les Assyro-Babyloniens croyaient que le monument funéraire était hanté par l'âme immatérielle (ekimu) qui s'était dégagée du corps au moment de la mort. Si la tombe était respectée, l'ekim devenait pour les parents, amis ou voisins du défunt, un démon protecteur qui veillait sur eux et les protégeait, en reconnaissance de leur piété; si la tombe était violée par la faute des parents ou des amis, ceux-ci étaient accablés de maux par l'ekim errant et malheureux. Le plus grand malheur qui pût arriver à l'homme, c'était d'être privé de sépulture; son âme repoussée par les autres âmes, privée de libations et de sacrifices, se trouvait accablée de maux et en proie à l'action pernicieuse des mauvais esprits. Aussi, quand les monarques assyriens veulent se venger de leurs ennemis, ils vont violer les tombeaux de leurs familles et jeter au vent les cendres de leurs pères. Dans sa campagne contre Suse, Assurbanipal raconte ainsi qu'il saccagea la nécropole royale : « Les tombeaux de leurs rois anciens et récents, de ces rois qui n'avaient, pas redouté Assur et Ishtar, mes seigneurs, et qui avaient fait la guerre aux rois, mes pères, je les renversai, je les démolis et je les exposai à la lumière du soleil;puis, j'emportai leurs cadavres en Assyrie. Je laissai leurs ombres sans sépulture, je les privai des offrandes de ceux qui leur devaient des libations. »Ce que nous venons de raconter, d'après les documents originaux, est suffisamment éloquent pour que nous ne puissions tenir aucun compte ni de ce qu'Hérodote rapporte au sujet du tombeau gigantesque que la reine Nitocris se serait fait élever à grands frais à l'une des portes de Babylone, ni de ce que raconte Diodore d'après Ctésias, du tombeau de Ninus, ni enfin des traditions populaires recueillies par Strabon au sujet du monument de Tarse en Cilicie, connu sous la fausse dénomination de « Tombeau de Sardanapale ». Mais nous sommes naturellement conduits à nous demander sous l'empire de quelles idées de piété et de religion les Mésopotamiens honoraient les mânes de leurs ancêtres, quelle était la nature de cet ekim qui se dégage du corps après la mort, quelles étaient, en un mot, la doctrine des Assyro-Babyloniens sur l'autre vie. Problème philosophique important
qui a une connexion immédiate avec une question passionnément
agitée autrefois par divers auteurs : celle de la croyance des Sémites
et en particulier des Hébreux à
l'immortalité de l'âme. Les inscriptions cunéiformes
sont venues apporter un argument irréfutable en faveur de
cette thèse. Le document mythologique qui raconte la descente de
la déesse Ishtar aux enfers
pour y chercher son amant. Tammuz a été, sous ce point de
vue spécial, interprété par J. Halévy, et ce
sont les conclusions mêmes de ce auteurs que nous allons analyser
ici.
Le dieu Shamash luttant contre une divinité des ténèbres. (Cylindre, art sumérien archaïque; Louvre). Dans un curieux fragment de texte, il est parlé de cette montagne infernale qu'on représente même comme la mère de Mul-ge, le dieu de l'abîme. Sept dieux président aux sept enceintes concentriques de l'enfer et sont appelés « fils du seigneur infernal »; il y a en outre « douze dieux de bronze placés à l'intérieur de la clôture de bronze, » et de chaque côté des portés de ce rempart de métal, le dernier de tous, veillent des taureaux de bronze à face humaine, comme ceux des portes des palais. » Le taureau de droite est invoqué comme il suit : « Ô grand taureau, taureau très grand, qui piétines aux portes élevées, qui ouvres l'accès à l'intérieur, qui ouvres largement les canaux, qui sers de base ait dieu Serah, le moissonneur des champs, mes mains élevées ont sacrifié devant toi. »Dans la conception de l'enfer assyrien, telle qu'elle ressort de ce morceau poétique, on ne rencontre aucune idée morale de rémunération, aucune distribution de récompenses ni de peines; les tristesses de l'aral paraissent être les mêmes pour tous les humains, quelle qu'ait été leur conduite pendant leur vie. D'autres passages des textes religieux paraissent pourtant nous autoriser à croire que les justes ne menaient pas éternellement cette vie de privations et de souffrances qui caractérise l'aral. On parle de bienheureux qui reposent sur des lits, buvant, un breuvage sacré, probablement ce qu'on appelle, dans d'autres textes et dans les livres des Mendaïtes : « les eaux de la vie ; » ils sont, eux, installés dans « la demeure de la félicité et de la vie. » Il semble aussi que la vie des bienheureux qui habitent sur la montagne d'argent, opposée à la montagne de l'aral, soit la continuation de celle qu'ils ont menée sur la terre; le guerrier, par exemple, environné des trophées et du butin qu'il a pris au combat, donne de grands festins à ses amis; le sang qu'il a versé sur le champ de bataille équivaut à la vie la plus sainte et rachète toutes les fautes qu'il a pu commettre. Ainsi, il se rafraîchit à la source des eaux de la vie, eaux vivifiantes, si souvent célébrées encore dans les livres sacrés des Mendaïtes; il est l'objet de la sollicitude de tous les siens qui lui prodiguent les marques de tendresse. Dans le poème d'lsdubar, on voit ce héros qui prend, comme Ishtar, la résolution de descendre au pays des ombres pour revoir son ami Eabani, mis à mort par Ishtar; il s'encourage lui-même à faire cette tentative imprudente et cherche à se rendre compte par avance des choses étranges qui vont s'offrir à sa vue. « Couché sur le lit funèbreLa félicité du juste, réclamée par la conscience humaine, est encore plus nettement exprimée dans ces deux fragments d'un hymne religieux : Lave tes mains, purifie tes mains ;Il y a, dans tous ces textes, comme une idée vague de Paradis ou de Champs-Élysées opposés au Tartare, car la récompense du juste entraîne logiquement le châtiment du méchant. Il est aussi question de résurrection, et Marduk, avec son épouse Zarpanit, sont souvent appelés « celui » ou « celle qui fait revivre les morts. » Dans le poème même de la descente d'lshtar aux enfers, bien que l'aral soit le lieu d'où l'on ne revient pas, la mort n'est pas absolument irrévocable, et le mythe admet le cas exceptionnel d'une résurrection. Les grands dieux du ciel peuvent agir directement sur les puissances infernales et les forcer à délivrer une ombre, quand le retour de celle-ci sur la terre est jugé nécessaire. Le monde dépérissait par suite de l'absence d'Ishtar partie pour rejoindre son fils et son amant Tammuz ; les dieux enjoignent à Allat de la délivrer; on l'asperge avec les eaux de la vie, on lui en fait boire et elle renaît. Cette renaissance était-elle admise quand il s'agissait de simples mortels, et en quoi consistait-elle pour ces ombres encore à demi-matérielles, qu'on nous représente voltigeant comme des oiseaux et se nourrissant de poussière? -
Une plaque de bronze (image ci-dessus)
retrace en un tableau d'ensemble la vie des enfers, et il est nécessaire
que nous en donnions ici une description sommaire. L'une des faces est
occupée tout entière par un quadrupède à quatre
ailes et à griffes d'aigle qui, dressé sur ses pattes de
derrière, semble vouloir s'élancer par-dessus la plaque contre
laquelle il s'appuie, Sa tête passe par-dessus le bord comme par-dessus
la crête d'un mur. La face de ce monstre rugissant et féroce,
aux yeux flamboyants, domine la scène suivante qui se déroule
en quatre bandes horizontales sur la seconde face. Ces quatre registres
superposés ne sont autre chose que les cieux, la terre et les enfers.
En haut, on voit les représentations symboliques des astres. Plus
bas, une file de sept personnages vêtus de longues robes, et ayant
des têtes d'animaux parmi lesquelles on peut distinguer un lion,
un dogue, un ours, un bélier, un cheval, un aigle, un serpent :
ce sont les génies célestes appelés
igighs. Au-dessous, une scène funéraire qui se passe
sans doute sur la terre. Deux personnages à tête humaine,
coiffés d'une peau de poisson, comme le dieu Anu, sont debout au
chevet du lit d'un mort étendu et comme emmailloté dans une
gaine à momie. Plus loin, deux génies à tête
de lion et de chacal paraissent se menacer de leurs poignards, tandis qu'un
homme semble s'éloigner de cette scène d'horreur. Le tableau
représenté au quatrième registre, baigne dans les
flots de l'Océan qui, d'après la donnée mythologique
des Babyloniens, recèle les fondements de la terre. Un monstre hideux,
à figure bestiale et humaine à la fois, avec des ailes et
des griffes d'aigle, une queue en tête de serpent, est debout sur
la rive de l'Océan sur lequel vogue une barque : c'est la barque
d'une divinité (elippu), expression souvent employée dans
les textes religieux, qui rappelle la barque du nautonier Charon,
dans la mythologie grecque. Dans la
barque, est un cheval qui porte sur son dos une divinité gigantesque,
à tête de lion, rugissante et tenant dans ses mains deux serpents,
tandis que des lionceaux bondissent coutre sa poitrine pour sucer le lait
de ses mamelles. Enfin, devant cet horrible monstre, sont des débris
de toutes sortes, des membres coupés, des vases, et comme les restes
d'un festin.
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