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On connaît sous
le nom de Mormons les membres d'une communauté religieuse de l'Amérique
du Nord;
la particularité la plus connue, mais non la plus caractéristique du
Mormonisme, est la pratique de la polygamie, mais elle a été en principe
abolie. Il y a lieu de distinguer l'histoire des Mormons jusqu'aux environs
de 1850 de leurs destinées postérieures. - Vers le milieu de 1830 parut
à Palmyre (État de New York) un volume intitulé The book of Mormon,
c. -à -d. « le Livre de Mormon », par Joseph Smith junior. C'est
une histoire romanesque du passé américain. L'auteur raconte que les
dix tribus israélites ont émigré en Amérique sous la conduite du chef
Léhi; elles se sont divisées en deux peuples, les impies lamanites (Peaux-Rouges)
et. les pieux néphites; ces derniers continuaient à recevoir des révélations
du ciel et apprirent ainsi la naissance du Christ. Vers la fin du IVe siècle
après l'ère chrétienne, les néphites furent exterminés par les lamanites;
avant de périr, le dernier d'entre les néphites, le prophète Mormon,
grava l'histoire du passé et des révélations concernant l'avenir sur
des tables d'or et les cacha. J. Smith affirmait que, guidé par un ange,
il avait retrouvé ces documents. Il y eut des gens pour le croire et,
entre les mois d'avril et de juin 1830, il fonda Ă Fayette (New York)
une association religieuse, dont les membres prirent plus tard, en mai
1834, le nom de Saints des derniers jours (Latter Day Saints of the
Church of Jesus-Christ).
L'opinion publique leur a donné le nom
de Mormons. Il a été établi depuis, avec une probabilité suffisante,
que le Livre de Mormon avait été écrit, comme un roman historique,
vers 1812, par un certain Sol. Spaulding (mort en 1816); le manuscrit,
déposé chez un imprimeur, fut copié par Sidney Rigdon, qui s'associa
en 1828 avec J. Smith. Celui-ci, né le 23 décembre 1805 à Sharon (Vermont),
sortait d'une famille où l'on vivait d'expédients, avait passé vers
l'âge de quatorze ans par une crise religieuse, mais avait gardé un renom
douteux dans son milieu. Cette circonstance fut probablement une des causes
qui le déterminèrent à émigrer dès 1831 avec ses adhérents vers les
confins de la civilisation d'alors, dans l'État actuel de Missouri. Là ,
les nouveaux colons provoquèrent l'opposition des autres habitants; leur
expulsion fut décidée en juillet 1836. Après quelques escarmouches,
les Mormons durent se retirer sur la rive opposée du Missouri. Cependant
leur nombre augmenta; ils traitaient de gentils, c.-Ă -d. de paĂŻens, ceux
qui ne se joignaient pas à eux. De nouveaux conflits éclatèrent en 1837,
et, une fois de plus, les « saints » durent évacuer le pays. Ils se
réfugièrent dans l'Illinois, ou ils fondèrent la ville de Nauvoo.
Leur nombre atteignait alors près de 2000
personnes. J. Smith dirigeait tout par des révélations qu'il prétendait
recevoir; il fut élu maire de la ville et chef de la milice. Ses adhérents
se multipliaient. Pourtant quelques mécontents commençaient à signaler
des excès du prophète. Il joua d'audace et communiqua à quelques intimes,
en juillet 1843, que par révélation il devait prendre plusieurs épouses.
Il en résulta des complications, puis des conflits; Smith finit par être
mis en prison avec son frère, et, dans la nuit du 27 juin 1844, une troupe
d'hommes armés envahit la prison et tua les deux frères. Ce fut l'issue
la plus favorable pour le Mormonisme. Son fondateur fut désormais considéré
comme un martyr. Brigham Young, un ancien peintre-vitrier, très habile,
doué d'une grande connaissance des humains et d'une forte volonté, réussit
à évincer S. Rigdon, qui fut excommunié, et à se faire élire « voyant,
révélateur et président » des Mormons. Mais l'hostilité des « gentils
» ne cessait pas. Après de longues luttes (1846-47) et quelques tâtonnements,
un exode aventureux et en partie héroïque conduisit les Mormons - près
de 15 000 personnes - Ă travers la prairie de l'Ouest, par-dessus les
montagnes Rocheuses, sur les bords du lac salé d'Utah. C'est là que le
Mormonisme atteignit son plein Ă©panouissement. B. Young rĂŞvait d'ailleurs
la fondation d'un empire souverain. On commença, en mars 1849, par fonder
l'État de Deseret, que le congrès des États-Unis
ignora, et qu'il incorpora, en septembre 1850, dans le domaine de l'Union
sous le nom de territoire d'Utah.
C'est ici le lieu d'exposer les doctrines
principales des Mormons, ainsi que leur organisation religieuse et sociale.
Le Mormonisme, authentique produit américain, n'a pas eu de penseur pour
construire sur une base philosophique un système religieux. S. Rigdon
et les deux frères Parly P. Pratt et Orson Pratt ont formulé quelques
idées incohérentes et quelques règles. En 1849, quatorze points de doctrine
furent fixés; mais ce Credo officiel met en relief ce que le Mormonisme
a de commun avec le christianisme, en voilant plus ou moins, ou en passant
sous silence les points de divergence. Parmi ces derniers, on a noté l'affirmation
d'une pluralité de divinités inférieures, vivant dans un monde supérieur
dont le monde sublunaire n'est que le reflet; puis l'idée d'une matière
éternelle, d'un nombre fini d'âmes créées à l'origine et qui attendent
le privilège d'être incarnées, une sorte d'essai spéculatif pour justifier
la polygamie. En somme, le seul point doctrinal caractéristique est l'assertion
sans cesse répétée que le Mormonisme est une religion progressive, ce
qui veut dire qu'elle peut être modifiée sans cesse par de nouvelles
révélations.
Les rites religieux sont mieux fixés.
Le baptême, administré par immersion, purifie du péché et peut être
renouvelé. Les exercices religieux, avec chants accompagnés par un orchestre,
prières et bénédictions, consistent surtout en prédications sur des
sujets variés, narrations de visions et de
révélations, exhortations passionnées émouvant l'auditoire jusqu'aux
larmes et jusqu'aux cris convulsifs, conférences économiques et sociales,
communications diverses provoquant parfois des Ă©clats de rire bruyants.
Pendant ces discours, le pain et le vin de la Sainte Cène
circulent dans les rangs de l'auditoire. Des cérémonies secrètes avec
serments et tout un appareil terrifiant accompagnent la réception de nouveaux
membres.
La hiérarchie sacerdotale est encore plus
caractéristique. Elle se compose de deux ordres sacerdotaux :
1° la prêtrise
de Melchisédek, qui est en communication directe avec la divinité et
qui a à sa tête le « voyant» (seer) par excellence, qui est en même
temps le président du peuple des Mormons;
2° la prêtrise
d'Aaron, c.-à -d. des évêques, prêtres, diacres et lévites de tout
genre, exerçant les diverses fonctions du ministère. L'assemblée de
tous les représentants des deux sacerdoces forme le conseil général,
dirigeant les destinées du peuple. On peut appeler de ses décisions au
« voyant », qui en fait partie, et dont, d'autre part, l'autorité est
confirmée tous les six mois par le conseil général, une tentative assez
intéressante d'équilibrer les pouvoirs. Aucun costume ni signe extérieur
ne distingue le clergé du peuple.
L'ensemble de cette constitution, dont on
ne peut retracer ici que les lignes maîtresses, est une sorte de théocratie
exercée par un clergé sur un peuple de croyants. Les ressources de l'État
sont fournies par des dîmes régulières et d'autres impôts. Une police
secrète, les Danites ou Avenging Angels (anges vengeurs), organisée dès
1838, assurait l'exécution des volontés suprêmes et faisait, au besoin,
disparaître les récalcitrants. C'est certainement un fait remarquable
que de voir un pareil système de gouvernement produire une civilisation
et une prospérité matérielle que la plupart des témoins constatent
ou constataient, au moins, Ă partir de 1860 chez les Mormons. On ne petit
l'expliquer que par le fanatisme religieux, entretenu par l'opposition
du dehors ; et puis par l'illusion d'indépendance et la satisfaction d'orgueil
que donne une organisation, si oppressive soit-elle, quand elle s'isole
du reste du monde et singularise ainsi tous ses adhérents.
La particularité la plus connue du Mormonisme,
la polygamie, n'est qu'un accident dans l'ensemble de ce phénomène social.
On a vu qu'elle a été pratiquée par J. Smith dès 1843. En août 1852,
B. Young proclama une révélation suivant laquelle des âmes soupiraient
après l'incarnation dans des « tabernacles
», terme, emprunté au judaïsme et usité
dans la langue religieuse des mormons pour désigner le corps. La polygamie
(plural marriage, chez les mormons) fut ainsi publiquement recommandée
et légitimée. Le nombre des épouses dépend du rang hiérarchique de
l'époux (le président en a 19) ou de ses revenus. Des observateurs
impartiaux affirment que l'accroissement de la population n'a pas augmenté
sensiblement sous ce régime et que le nombre des enfants infirmes est
relativement considérable. Enfin, il faut encore mentionner un service
de propagande très actif, à la tête duquel se trouve le collège des
douze apôtres. Des missionnaires mormons ont été envoyés partout en
Europe dès la din du XIXe siècle, particulièrement
en Grande-Bretagne, dans les royaumes scandinaves et en Allemagne du Nord,
pour recruter de nouveaux adhérents, alléchés par la promesse de concessions
de terres.
La seconde période de l'histoire des Mormons
a un intérêt plutôt politique que religieux. La formation par les États-Unis
du territoire d'Utah, qui englobait l'État mormon de Deseret, fut le point
de départ de longues luttes entre les États-Unis et les mormons. D'abord,
B. Young fut reconnu comme gouverneur par le congrès des États-Unis et
jura fidélité le 3 février 1851; mais les magistrats envoyés de Washington
Ă Salt Lake City,
la capitale des mormons, furent assez mal reçus ou empêchés d'exercer
leurs fonctions.
Vers 1855, on constate un renouveau de
fanatisme chez les mormons. En février 1857, B. Young proclama, entre
autres, dans une grande assemblée publique, que, suivant les cas, verser
le sang d'un humain, c'est assurer le salut Ă©ternel de cet humain. Il
est prouvé que des crimes assez nombreux se commettaient à cette époque,
sous couvert de religion; le fameux Mountain Meadow massacre, en septembre
1857, par lequel cent vingt Ă©migrants californiens
périrent, eut un grand retentissement. Les États-Unis envoyèrent alors
des troupes contre les Mormons; au dernier moment, B. Young jugea plus
expédient d'éviter une lutte ouverte; le gouverneur, A. Cumming, fit
son entrée dans la capitale des mormons sans coup férir en avril 1858,
et le 13 juin suivant un fort américain fut élevé à l'Ouest de la ville
pour donner une garantie effective à la suprématie des États-Unis. L'établissement
de colons non mormons dans l'Utah, sous la protection des États-Unis,
puis la découverte de mines d'argent dans le territoire, et peu après,
en 1869, la construction du chemin de fer du Pacifique, firent peu Ă peu
cesser l'isolement des mormons, l'une des forces du mormonisme. Les magistrats
américains engagèrent une vive lutte contre la polygamie, surtout depuis
la loi Edmunds en 1882, renforcée encore en 1887. B. Young était mort
le 29 août 1877, laissant à ses dix-sept épouses et à ses cinquante-six
enfants une fortune immense. John Taylor, son successeur, céda en 1887
sa place Ă W. Woodruff.
Après 1 889, les mormons on travaillé
à faire reconnaître le territoire d'Utah comme État de l'Union. L'opinion
publique aux États-Unis fut longtemps contraire à ce projet. On reprochait
aux Mormons, moins la polygamie, qu'ils ont déclarée abolie, que leur
constitution antidémocratique et cléricale. Malgré cela, l'enabling
act passa au congrès de 1894; une assemblée constitutive siégea à Salt
Lake City en mai 1895; au mois de novembre suivant, l'État d'Utah fut
reçu comme 45e État dans l'Union. Dès
le 4 janvier 1896, les Mormons, profitant de leurs pouvoirs, passèrent
une loi qui déclare légitimes tous les enfants nés jusqu'à ce jour
d'une union polygame. (F.-H. Kruger, ca. 1900). |
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