| Morgane ou Morgue ou Morgain, personnage de la mythologie celtique, avant que le Moyen âge n'en fasse la fée Morgane. La forme Morgane, surtout connue des auteurs modernes, est reprise à l'italien Morgana qui représente l'ancienne forme française Morgain, cas régime de Morgue ( Evain de Eve, Audain de Aude, etc.). Pomponius Mela, au commencement du IIe siècle (De situ orbis, III, 6) nous dit (et son témoignage est confirmé par celui de Strabon) que les Gaulois croyaient à l'existence, dans l'île de Sein, de neuf génies féminins qui avaient le pouvoir d'exciter ou d'apaiser la tempête, de prendre toutes sortes de formes et de guérir toutes les maladies. Au commencement du XIIe siècle, Geoffroi de Monmouth dans sa Vita Merlini, décrit l'île des Pommiers ou l'île du Bonheur habitée par neuf soeurs, dont l'aînée; Morgue, « connaît la vertu de toutes les herbes, possède l'art de changer de figure et de s'élever dans les airs comme un oiseau ». Nous avons évidemment affaire à la même croyance, et Morgue n'est que la plus puissante des neuf divinités maritimes de l'île de Sein; c'est elle qui, selon le même Geoffroy, a recueilli Arthur après sa défaite, l'a guéri de ses blessures et le retient jusqu'au jour on il reviendra délivrer la Bretagne. Vers le milieu du XIIe siècle, la légende de Morgue, comme tant d'autres légendes bretonnes, passa sur le continent et s'y altéra gravement: au lieu de retenir Arthur, probablement par amour (c'est un personnage fréquent dans la mythologie celtique que la fée qui se prend d'amour pour un mortel : la légende de Ninienne ou Viviane, le lai de Lanval dans Marie de France, etc.), elle devient, dans Robert de Boron, par exemple, sa soeur; de plus, ses attributions se confondent avec celles des fées, génies secourables ou malfaisants, qui, dans les mythologies germanique et scandinave (ce sont les Nornes des Eddas), présidaient à la naissance des enfants, qu'elles douaient bien ou mal, suivant leur caractère ou l'accueil qui leur avait été fait. C'est en effet le rôle que Morgue joua le plus souvent, par exemple dans une des rédactions les plus récentes de Garin de Montglane et dans une version également assez moderne d'Ogier le Danois, ou elle doue le héros de l'immortalité et se le réserve pour « baron et ami » (les deux épisodes sont certainement calqués l'un sur l'autre); c'est un rôle très analogue que lui attribue le Jeu de la Feuillée d'Adam de la Halle (où ce n'est pas à l'occasion d'une naissance qu'elle apparaît). Plus fidèles à la tradition celtique sont les dénouements des deux chansons de geste citées plus haut, où nous la voyons emmener et retenir Ogier et Rainouart comme elle retenait Arthur dans Geoffroi de Monmouth. Morgue est une des fées les plus souvent nommées dans les oeuvres du Moyen âge; elle apparaît dans un grand nombre de romans bretons de la seconde période (le Mantel mautaillé, Claris et Laris, etc.); elle y est toujours la soeur d'Arthur; dans plusieurs, elle est présentée de plus comme l'ennemie de sa belle-soeur, la reine Guenièvre, qui l'aurait offensée en divulguant le secret de ses amours avec un mortel (Cycle de la Table Ronde). Elle passa de là dans les récits des conteurs italiens, imitateurs des dernières chansons de geste françaises. Une trace de la popularité de cette légende en Italie se retrouve dans la locution Fata Morgana, qui désigne un phénomène de réfraction (Les Mirages) qui se produit sur les côtes de Reggio et de Messine et qui montre au loin l'image renversée d'objets invisibles. (A. Jeanroy).
| En bibliothèque - Legrand d'Aussy, Fabliaux et contes, I, pp. 74, 33. - P. Paris, Les Romans de la Table ronde mis en nouveau langage, t. I, II, IV, passim. - H. de la Villemarqué, Myrdhin, p. 132. - Leroux de Lincy, le Livre des légendes, pp, 169-186. - Brun de la Montagne, dans Société des anciens textes français; Introduction. - Histoire littéraire de la France, XXX, 125. En librairie - Michel Rio, Morgane, Le Seuil, 2002, ou (en coffret) Merlin, Morgane, Arthur, Le Seuil, 2000. - Jean Markale, Le cycle du Graal(coffret, 4 vol.), La naissance du roi Arthur, les chevaliers de la Table Ronde, Lancelot du lac, la Fée Morgane), J'ai lu, 2000. - Michelle Allen, Morgane, Boréal, 1993. Laurence Harf-Lancner, Les fées dans la littérature française au Moyen âge (Morgane, Mélusine), Honoré Champion, 1991. - De la même, Fées au Moyen âge, Slatkine. - José Pierre, Eva, Viviane et la fée Morgane, Galilée, 1980. | | |