| Dans la tradition des religions de l'Inde, les mantras sont des prières ou des formules consacrées supposées avoir tant de vertu, qu'elles peuvent enchaîner les voir des dieux. Les mantras servent ou à invoquer, ou à évoquer, ou à conjurer; ils sont conservateurs ou destructeurs, utiles ou nuisibles, salutaires ou malfaisants; il n'est sorte d'effets qu'on ne produise par leur moyen. Envoyer un démon dans le corps de quelqu'un, l'en chasser; inspirer de l'amour ou de la haine, causer les maladies ou les guérir, procurer la mort ou en préserver, faire périr une armée entière; il y a des mantras infaillibles pour tout cela, et pour bien d'autres choses encore. Heureusement que tel mantra, opposé à tel autre mantra, en neutralise l'influence; le plus fort détruit l'effet du plus faible. Les brahmanes pourohitas sont, de tous les Hindous, ceux à qui ces formules sont le plus familières. Cependant tous les brahmanes sont présumés connaître au moins les principales, s'il faut en juger par ce sorite sanscrit qu'on entend souvent répéter : Dévadinam djagal sarvam; Mantradinam ta dévata; Tan mantram brahmanadinam; Brahmana mama dévata. C'est-à-dire : "L'univers est au pouvoir des dieux; les dieux sont au pouvoir des mantras; les mantras sont au pouvoir des brahmanes : donc les brahmanes sont nos dieux." Pour offrir un échantillon de l'efficacité des mantras, on donnera l'exemple suivant, tiré d'un poème indien composé en l'honneur de Shiva : "Dachara, roi de Mathoura, ayant épousé Kalavati, fille du roi de Kasi (Bénarès / Varanasi), cette princesse, le jour même de son mariage, l'avertit de prendre bien garde de ne pas user des droits que sa qualité de mari lui donnait sur elle, parce que le mantra des cinq lettres qu'elle avait appris, l'avait pénétrée d'un feu purifiant qui ne permettait à aucun homme, sans risque de la vie, d'en agir familièrement avec elle, à moins qu'il n'eût été auparavant purgé de ses souillures par le même moyen qu'elle; qu'étant sa femme, elle ne pouvait pas lui enseigner ce mantra, parce qu'en le faisant, elle deviendrait son gourou, et par conséquent supérieure à lui. Le lendemain, les deux époux allèrent trou ver le grand richi ou pénitent Garga, qui, après avoir connu le sujet de leur visite, leur ordonna de jeûner un jour, et de se laver le jour d'après dans le Gange. Ainsi préparés, les deux époux retournèrent auprès du saint, qui fit asseoir le mari par terre, le visage tourné à l'orient; et s'étant assis lui-même à côté, la face tournée à l'occident, il lui dit à l'oreille ces deux mots : Na-ma Siva-ya! (adoration à Shiva! c'est le mantra de cinq lettres). A peine le roi Dachara eut-il appris ces mots merveilleux, qu'on vit sortir des différentes parties de son corps une troupe de corneilles qui s'envolèrent et disparurent : ces corneilles n'étaient autre chose que les péchés commis par ce prince dans les temps précédents. Le roi et son épouse, ainsi purifiés, vécurent heureux ensemble durant un grand nombre d'années, et ne quittèrent ce bas monde que pour aller se réunir à Para-Brahma, l'être suprême, dans le séjour du bonheur." Quand on objecte aux brahmanes que les mantras n'ont plus aujourd'hui la même efficacité et la même vertu qu'autrefois, ils répondent qu'il faut en attribuer la cause au kali-yuga, quatrième âge du monde, dans lequel nous vivons maintenant, véritable âge de fer, où tout a dégénéré; temps de calamité et d'infortunes où le règne de la vertu a cessé d'exister sur la terre. Ils soutiennent toutefois qu'il n'est pas rare de voir encore les mantras produire un grand nombre de prodiges; ce qu'ils confirment par des histoires tout aussi authentiques que celle qu'on vient de citer. Le plus fameux et le plus efficace pour la rémission des péchés, celui dont la vertu s'étend jusqu'à l'aire trembler tous les dieux, est le mantra appelé gayatri: il passe pour le plus ancien de tous; nous le rapportons à l'article Gayatri. Après lui, celui qui est le plus accrédité est le monosyllabe mystique Om (AUM), qui est le nom symbolique du dieu suprême, et qui offre une certaine analogie avec le nom hébreu de Yahveh (YHV). Quoique les brahmanes soient réputés les dépositaires uniques des mantras, bien d'autres qu'eux se mêlent aussi d'en réciter; il y a même des professions auxquelles ils sont indispensablement nécessaires. Les médecins par exemple, ceux mêmes qui ne sont pas brahmanes, seraient regardés comme des ignorants, quelque habiles qu'ils fussent d'ailleurs dans l'art de guérir, s'ils ne savaient pas les mantras adaptés à chaque maladie : car la guérison est attribuée autant à l'effet des mantras qu'à l'art des médecins. Une des principales causes pour lesquelles les médecins européens n'acquièrent presque jamais de crédit parmi les Indiens, est fondée sur ce qu'en administrant leurs remèdes, ils ne récitent ni mantras, ni prières. Les sages-femmes doivent aussi en avoir un recueil. Elles sont quelquefois appelées mantra-sanis, ou femmes qui disent des mantras; et jamais en effet ils ne furent plus nécessaires que dans un moment où, selon les conceptions hindouistes, un tendre enfant et une nouvelle accouchée sont plus que jamais susceptibles de la fascination des regards, de l'influence et du mauvais concours des planètes et des jours néfastes, et en butte à mille autres impressions sinistres. Une bonne accoucheuse, munie de mantras efficaces, prévient tous ces maux, éloigne tous ces dangers, en les récitant à propos. Mais les plus habiles dans celle espèce de science, et en même temps les plus redoutés, ce sont les charlatans qui passent pour être initiés à tout le grimoire des sciences occultes, tels que les sorciers, les magiciens, les devins, etc. Ils sont, à les en croire, possesseurs de mantras capables d'opérer toutes sortes de prodiges. Ils en ont pour découvrir les choses volées et les voleurs, les trésors cachés, les événements futurs, etc. Il est certains mantras d'une nature particulière, qu'on appelle vidja-akcharas ou lettres séminales (radicales), telles que celles-ci : stroum, kraum, hroum, hrau, hau, etc. Pour ceux qui en possèdent la vraie prononciation, il n'est rien d'impossible, rien de surnaturel qu'ils ne puissent exécuter à volonté. En voici un exemple : Shiva avait enseigné tout ce qui a rapport à ces lettres radicales à un petit bâtard, né d'une veuve de la caste brahmane, auquel l'ignominie de sa naissance occasionna l'affront d'être honteusement chassé d'un festin de noce où un grand nombre de personnes de cette caste avaient été conviées. Il s'en vengea en prononçant seulement deux ou trois des lettres radicales, à travers une fente de la porte de l'appartement où les convives étaient réunis; aussitôt, par la vertu de ces mois merveilleux, tous les mets préparés pour le repas furent convertis en grenouilles. Ce prodige occasionna, comme on peut bien se l'imaginer, la plus grande rumeur dans l'assemblée; personne ne douta que ce ne fût un tour du petit bâtard, et dans la crainte unanimement partagée qu'il n'arrivât pis encore, on courut vite lui ouvrir la porte. Après qu'on lui eut fait force excuses pour ce qui s'était passé, il entra, et ne fit que prononcer les mêmes paroles à rebours : soudain les grenouilles s'éclipsèrent, et l'on vit, non sans plaisir, reparaître sur la fable les gâteaux et autres mets dont elle était couverte auparavant. | |