|
On
donne le nom d'iconoclastes (c. à d. briseurs d'images, du
grec eikôn = image, et klaô = je brise) , dans
l'histoire byzantine, à ceux des
empereurs qui, depuis Léon III
(717-741), cherchèrent à détruire les images
saintes pour en abolir le culte. Dans une plus large extension les iconoclastes
sont les partisans de cette guerre aux images. L'histoire des iconoclastes
présente trois périodes : une première période
d'oppositions particulières qui se placent sur le terrain de la
religion pure (IVe au VIIIe
siècle); une deuxième période plus politique que religieuse
ou l'iconoclasie fait
partie d'un plan
général de réforme impériale (VIIIe
et commencement du IXe siècle);
enfin une dernière période de résistances isolées
aux images qui se prolonge durant tout le Moyen
âge.
Les premiers chrétiens,
la Bible,
les Pères de l'Eglise avaient plus ou moins
sévèrement banni des églises
les images, qui rappelaient l'idolâtrie païenne. La foule ne
pouvait pourtant guère comprendre une religion tout abstraite et,
par elle, subsistent quand même les représentations concrètes
de Jésus, de Marie
et des saints. Le concile
d'Elvire (305) essaye en vain de réagir; Constantin
protégea les artistes et par suite les images. Puis le recrutement
de plus en plus démocratique du christianisme
vint grossir les rangs des fidèles de l'image (fin du IVe,
commencement du Ve siècle). Ceux-ci
confondant vite Dieu avec sa représentation
devinrent des « iconodoules », des idolâtres. En même
temps ces représentations subirent l'influence de l'iconographie
de la Grèce et de l'Extrême-Orient
: en 462, sous Léon II, un peintre
figure le Christ sous les traits de Zeus
/ Jupiter, avec les cheveux partagés
au milieu de la tête. L'idolâtrie se complique ainsi de paganisme.
Des évêques : Philoxène d'Hiérapolis (fin du
Ve siècle), des empereurs : Maurice
de Philippique, des sectes : les pauliciens
surtout (VIIe siècle), se montrèrent
hostiles au culte des images.
Au VIIIe
siècle éclata la grande guerre avec Léon III l'Isaurien
(717-741). On a beaucoup discuté sur les raisons qui ont pu le pousser
à l'iconoclasie. En 787, au concile de Nicée,
un moine nommé Jean attribua sa politique à l'influence du
calife Yézid (720-724), qui en 723 avait
supprimé les images dans les églises de ses Etats et avait
aussitôt été imité par l'évêque
de Nacolie, Constantin. Si l'influence d'Yézid reste des plus douteuses,
celle du judaïsme et celle de l'islam peuvent l'être moins.
Les chroniqueurs byzantins, Théophane, Nicétas, rapportent
que les juifs auraient poussé l'empereur à l'iconoclasie.
Or Léon III, dès 722, s'était efforcé de faire
entrer les juifs et les musulmans dans l'Empire
par le baptême. Il est dès lors possible qu'il ait voulu rendre
l'assimilation plus facile en sacrifiant les images.
D'autre part les
pauliciens n'ont peut-être pas été étrangers
à la politique de Léon. Le centre de leur doctrine était
la Comagène, province voisine du
pays d'origine des parents de l'empereur, et ce dernier protégera
Gegnaesius, chef des pauliciens, lui fera délivrer un brevet d'orthodoxie
par le tribunal du patriarche. Enfin, à la suite de la découverte
et de la publication des lois des empereurs du VIe
siècle, on a donné une autre raison plus séduisante
de l'iconoclasie. Elle aurait eu pour objet d'atteindre moins les images
que le monachisme. Les moines pullulaient alors, au grand détriment
du recrutement des soldats et de l'activité commerciale et industrielle.
Ils étaient fort partisans des images. L'iconoclasie permettait
de les frapper et de briser leur puissance. Les premières mesures
de Léon ne furent pas radicales. En 726, il ordonne de pendre les
images très haut de façon à ce que les fidèles
ne puissent les baiser. Il y eut des mécontents et, à Constantinople,
la foule massacra des serviteurs de Léon qui avaient enlevé
l'image du Christ de la Porte d'airain.
Les habitants des
Cyclades et de la Grèce proclamèrent
un empereur, Cosmas, qui fut battu. Les iconodoules étaient appuyés
en haut lieu par le pape Grégoire II, le patriarche de Constantinople
Germanus, celui de Jérusalem Jean
Damascène. En 729, Léon III se déclara nettement contre
les images et fit partir un décret en conséquence. Germanus
est déposé et remplacé par le syncelle Anastase, qui
est iconoclaste. Les papes Grégoire Il
et Grégoire III interviennent en vain
auprès de l'empereur. Grégoire II excommunie Anastase. Grégoire
III, dans un synode de 29 évêques et de 54 prêtres (731),
excommunie les iconoclastes.
Deux partis sont
ainsi nettement en présence, et leur querelle prend de l'ampleur.
En Italie : la Moyenne-Italie, Rome,
Ravenne, le Pentapole se rallient au pape;
la Sicile et la Basse-Italie restent fidèles
à l'empereur. Une expédition maritime pour ramener à
l'obéissance les, provinces rebelles échoue, dispersée
par la tempête. Léon, en guise de représailles, confisqua
les biens du pape dans l'Empire, enleva à sa juridiction, pour les
donner au patriarche, la Basse-Italie, la Sicile, les pays à l'Est
de l'Adriatique.
Mais cette lutte n'eut pas de contre-coup terrible en Orient. On a souvent
exagéré l'horreur de la persécution des iconodoules;
en réalité elle ne fit presque pas de victimes sous Léon
Ill. Son successeur, Constantin Copronyme
(741-775), lui donna même un instant de répit, à cause
des guerres, de 741 à 752.
Mais à cette
date des conciles secrets « silentia », se tinrent contre les
images, précurseurs du grand concile de 754. Celui-ci, composé
de 338 évêques, condamna le culte des images comme institution
diabolique et ses partisans comme des fauteurs d'hérésie.
Aucun évêque de Rome, d'Alexandrie,
d'Antioche et de Jérusalem, ne se
trouvait au concile. Le clergé inférieur et les moines, soutenus
par le parti populaire, furent persécutés; à la faveur
des troubles qui survinrent, la doctrine paulicienne fit de grands progrès.
Le patriarche Nicétas se distingua tout particulièrement
par son zèle iconoclastique; il fit gratter les mosaïques du
petit secretum de l'église patriarcale, ôter les bas-reliefs
en bois et en cire dans le grand secretum et couvrir les tableaux.
Les papes désapprouvèrent le concile de 754. Un synode de
49 évêques, à Rome, en avril 769, le condamna et supplia
l'empereur de rétablir les images. Léon
IV (775-780) fut moins intransigeant que son père et son grand-père.
Sa femme, l'impératrice Irène, le
poussait à la tolérance. Sur la fin de sa vie, pourtant,
il fit mettre à mort d'illustres iconodoules et exila Irène.
Quand cette dernière
monta sur le trône comme régente de son fils Constantin
VI (780), elle se montra désireuse de rétablir les images
et de renouer avec la papauté. Elle fit élever au patriarcat
Tarasius (784) et entra en pourparlers avec le pape Adrien
Ier.
Ce dernier envoya deux légats au concile de Constantinople, qui
se tint dans l'église des Apôtres en août 786. Ses délibérations
furent troublées par les soldats restés adversaires farouches
des images. Irène réussit à les éloigner sous
prétexte de guerre contre les Arabes, et onze mois après
le concile s'ouvrit de nouveau à Nicée.
350 pères y assistèrent. Les décrets de 754 furent
rapportés et le concile de Nicée, pour rendre la conciliation
plus facile, fit une habile distinction entre la vénération
honorifique qu'on pouvait adresser aux images et l'adoration formelle qui
ne convenait qu'à Dieu. L'âge d'or de l'iconoclasie est clos.
Durant les révolutions
de palais qui suivirent, la querelle des iconoclastes est chose secondaire.
Pourtant, en 813, grâce à l'armée qui est restée
fidèle à ses idées, Léon
V est proclamé empereur. Pour récompenser l'armée,
il tenta une iconoclasie. Théodote est consacré patriarche,
et, pour obéir aux ordres de l'empereur, tient à Blachernes
un concile contre les images (815). Mais Léon est assassiné
en 820. Ses successeurs, Michel II et Théophile
(820-842), pratiquent une large tolérance, excepté à
l'égard des moines qui restent suspects. Michel
III (842-859), que dirige sa mère Théodora,
fait pompeusement restaurer les images. Il y eut à ce sujet une
fête solennelle, celle du triomphe de l'orthodoxie, qui est encore
célébrée aujourd'hui dans l'Eglise
grecque.
Si le parti des
iconoclastes reste dès lors impuissant, ses tendances subsistent.
D'Orient elles passent en Occident : Claude de Turin (820-829), imité
par Agobard, évêque de Lyon, les
hussites, les réformés,
se rattachèrent plus ou moins aux iconoclastes. Le grand mouvement
iconoclastique du VIIIe siècle a
eu une importance politique et artistique considérable. Politiquement
il a eu pour effet de détacher le pape de l'empereur
et de le tourner vers l'Occident, vers la France.
Là il trouve un solide appui. Le concile de Gentilly, en 768, condamne
les décrets de 754; Charlemagne aurait
fait, croit-on, rédiger un manifeste, Opus Carolinum ou IV
libri carolini, contre les iconoclastes; en 794 au concile de Francfort,
en 815 au concile de Paris, les iconoclastes
sont condamnés. L'orientation politique nouvelle de la papauté
s'explique dès lors facilement. L'art byzantin se formait au moment
où la grande iconoclasie éclata.
«
Il en reçut une consécration religieuse et comme les honneurs
du martyre. »
La vénération
populaire s'attacha à ces formes persécutées de l'art
naissant, et cette vénération ombrageuse ne contribua pas
peu à donner à l'art byzantin
son uniformité caractéristique. (E. Beaulieu). |
|