|
. |
|
14 juillet 1790 |
La fête de la Fédération, célébrée au Champ de Mars le 14 juillet 1790, fut une des plus belles journées de la Révolution française. Elle eut une extrême importance comme affirmation de l'unité française et de l'accord quasi universel en faveur du régime nouveau. Ce fut le grand événement de l'année 1790. Sous l'action de l'Assemblée constituante, l'Ancien régime s'était effondré; mais l'organisation destinée à le remplacer n'existait pas encore; il n'y avait plus guère d'autorité, de force publique. L'organisation se fit presque spontanément d'un bout à l'autre de la France, sous forme de fédérations. Un grand nombre de départements avaient institué des fêtes nationales pour la prestation du serment civique; dans ces fêtes, la milice populaire, les gardes nationales des districts fraternisèrent avec les troupes de ligne. L'origine des fédérations entre les gardes nationales doit être cherchée au Sud-Est de la France, sur la frontière; elles voulaient assurer les subsistances et se garantir contre une invasion étrangère. L'idée se propagea rapidement et les fédérations se multiplièrent tant comme moyen d'assurer l'ordre que comme manifestation de fraternité patriotique. Nous reproduisons ici le texte du pacte fédératif des bas officiers, caporaux, grenadiers et fusiliers des régiments de Normandie et de Beauce en garnison à Brest. « Quand de dangereuses manoeuvres semblent se tramer pour s'opposer à la régénération de l'Etat et qu'il est essentiel que tous les bons citoyens manifestent de plus en plus leur dévouement à la patrie, pour que la France connaisse le nombre de ses vrais défenseurs et que nos ennemis du dehors et surtout ceux du dedans sachent enfin ce que peuvent des hommes libres, nous, bas officiers, caporaux, grenadiers et fusiliers desdits régiments, réitérons devant Dieu le serment d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi. Nous jurons de défendre jusqu'à la mort la nouvelle constitution du royaume et nos dignes représentants, qui, d'accord avec le roi citoyen, ne travaillent que pour le bonheur de la France. Nous jurons de protéger et de défendre tous nos braves compatriotes, tant citoyens militaires que militaires citoyens. Nous jurons de surveiller et de traverser de notre pouvoir toutes les trames et manoeuvres des ennemis du bien public. Nous jurons de plutôt mourir que de cesser un seul instant d'être libres; mais nous protestons n'entendre d'autre liberté que celle conforme à la loi et à la subordination qui en émane.-»Ce langage est caractéristique et montre l'intensité des sentiments communs à l'immense majorité des Français. Le mouvement d'organisation se propageait de plus en plus. « Les fédérations de novembre 89 brisent les Etats provinciaux; celles de janvier finissent la lutte des parlements; celles de février compriment les désordres et les pillages; en mars, avril, s'organisent les masses qui étouffent en mai et juin les premières étincelles d'une guerre de religion; mai, encore, voit les fédérations militaires, le soldat redevenant citoyen, l'épée de la contre-révolution, sa dernière arme, brisée. Que reste-t-il? la fraternité a aplani tout obstacle ; toutes les fédérations vont se confédérer entre elles ; l'union tend à l'unité. Plus de fédérations, elles sont inutiles, il n'en faut plus qu'une : la France. » (Michelet).Cet effacement du particularisme provincial fut d'autant plus remarquable que précisément les fédérations et surtout celles des gardes nationales auxquelles on donne spécialement ce nom, eussent pu conduire au fédéralisme. Ce fut tout le contraire. Ecoutez Michelet : « Nous avons vu les unions se former, les groupes se rallier entre eux, et, ralliés, chercher une centralisation commune; chacune des petites Frances a tendu vers son Paris, l'a cherché d'abord près de soi. Une grande partie de la France crut un moment le trouver à Lyon (30 mai). Ce fut une prodigieuse réunion d'hommes, telle qu'il n'y fallait pas moins que les grandes plaines du Rhône. Tout l'Est, tout le Midi avait envoyé; les seuls députés des gardes nationales étaient cinquante mille hommes. Tels avaient fait cent lieues, deux cents lieues, pour y venir. Les députés de Sarrelouis y donnaient la main à ceux de Marseille. Ceux de la Corse eurent beau se hâter, ils ne purent arriver que le lendemain. Mais ce n'était pas Lyon qui pouvait marier la France. Il fallait Paris. »La fête de Lyon avait été imposante; les 50 000 délégués, représentant plus de 500 000 hommes, se réunirent au pied d'un rocher artificiel haut de 50 pieds renfermant un temple de la Concorde; au sommet s'élevait une statue colossale de la Liberté, tenant d'une main une couronne civique, de l'autre une pique surmontée du bonnet phrygien; au pied de cette statue, un autel; des gradins étaient taillés dans les roches. On apporta les drapeaux sur ces gradins, on célébra une messe, on prononça le serment civique; un feu d'artifice, des bals et des banquets terminèrent la fête. - La fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, au Champ de Mars, à Paris. Tableau de Charles Thévenin. On forma le projet d'en organiser une semblable à Paris, d'y convoquer une fédération des gardes nationales de toute la nation dans laquelle on confondrait les serments civiques du peuple entier. La Commune de Paris adopta ce projet et délégua une députation présidée par Bailly pour le présenter à l'Assemblée nationale. Une adresse des Parisiens à tous les Français fut rédigée par Bourtibonne, Pons de Verdun et Pastoret. On y lisait : « Chers et braves amis, jamais des circonstances plus impérieuses n'ont invité tous les Français à se réunir dans un même esprit, à se rallier avec courage autour de la loi et favoriser de tout leur pouvoir l'établissement de la constitution. Nous ne sommes plus Bretons ni Angevins, ont dit nos frères de la Bretagne et de l'Anjou; comme eux, nous disons : nous ne sommes plus Parisiens, nous sommes tous Français. Vos exemples et les dernières paroles du roi nous ont inspiré un grand dessein; vous l'adopterez, il est digne de vous. Vous avez juré d'être unis par les liens indissolubles d'une sainte fraternité, de défendre jusqu'au dernier soupir la constitution de l'Etat, les décrets de l'Assemblée nationale et l'autorité légitime de nos rois. Comme vous, nous avons prêté ce serment auguste; faisons, il en est temps, faisons de ces fédérations une confédération générale. Qu'il sera beau le jour de l'alliance des Français! un peuple de frères, les régénérateurs de l'Empire, un roi citoyen, ralliés par un serment commun à l'autel de la patrie, quel spectacle imposant et nouveau pour les nations! [...] C'est le 14 juillet que nous avons conquis la liberté, ce sera le 14 juillet que nous jurerons de la conserver. Qu'au même jour, à la même heure, un cri général, un cri unanime retentisse dans toutes les parties de l'Empire : Vive la nation, la loi et le roi ! »Ce projet fut apporté à l'Assemblée nationale le 5 juin; elle l'approuva et chargea le comité de constitution de l'organisation. L'évêque d'Autun apporta le 7 juin le projet de décret; il fut discuté le 8 et adopté avec quelques amendements le 9. Les gardes nationales, l'armée de terre et de mer durent envoyer des députés : les gardes nationales à raison de six hommes sur deux cents, au choix des directeurs de district; à une distance de plus de cent lieues, on ne devait envoyer qu'un homme sur quatre cents. L'armée de terre enverrait six députés par régiment d'infanterie, quatre par régiment de cavalerie. Pour les premiers, la dépense était aux frais des districts. Ce pouvait être un obstacle. « Mais, dans un si grand mouvement, y avait-il des obstacles? On se cotisa, comme on put; comme on put, on habilla ceux qui faisaient le voyage; plusieurs vinrent sans uniforme. L'hospitalité fut immense, admirable, sur toute la route; on arrêtait, on se disputait les pèlerins de la grande fête. On les forçait de faire halte, de loger, manger, tout au moins boire au passage. Point d'étranger, point d'inconnu, tous parents. Gardes nationaux, soldats, marins, tous allaient ensemble. Ces bandes qui traversaient les villages offraient un touchant spectacle. C'étaient les plus anciens de l'armée, de la marine, qu'on appelait à Paris. Pauvres soldats tout courbés de la guerre de Sept Ans, sous-officiers en cheveux blancs, braves officiers de fortune qui avaient percé le granit avec leur front, vieux pilotes usés à la mer, toutes ces ruines vivantes de l'ancien régime avaient voulu pourtant venir. C'était leur jour, c'était leur fête. On vit au 14 juillet des marins de quatre-vingts ans qui marchèrent douze heures de suite ; ils avaient retrouvé leurs forces; ils se sentaient, au moment de la mort, participer à la jeunesse de la France, à l'éternité de la patrie. » (Michelet) .A Paris, l'effervescence n'était pas moindre. On se préparait à recevoir dignement ses hôtes; projets, brochures se multipliaient. La suppression des titres de noblesse fut un effet assez imprévu de cette agitation et un épisode de la préparation à la fête. Le même jour (19 juin), le Prussien Anacharsis Clootz demandait à l'Assemblée pour les étrangers le droit de prendre part à la fédération de la France armée; un Turc vint aussi; mais la députation comprenait des gens de Belgique, de Liège, de Savoie, d'Avignon qui désiraient être Français. A mesure que les fédérés arrivaient à Paris, on se disputait le plaisir de les loger. - La Fête de la Fédération, au Champ-de-Mars (14 juillet 1790). Au milieu de l'enthousiasme général et du plus sincère loyalisme, les fédérés de tous les départements, réunis au Champ de Mars, acclament Louis XVI, après avoir prêté serment à la Nation, à la Loi et au Roi. (Dessin de Prieur, Musée du Louvre). Cependant les préparatifs matériels avançaient lentement. On avait choisi comme emplacement le Champ de Mars, mais on voulait le transformer; au lieu de cette esplanade, former une sorte de vallée dominée des deux côtés par des talus ou gradins sur lesquels s'étageraient les 50.000 acteurs, les 300.000 spectateurs. Le travail tardant, malgré les 12.000 ouvriers, le peuple parisien entier s'y porta au refrain de Ça ira et en une semaine tout fut prêt. Nous reproduisons le récit fait par Pagès de l'Ariège, en le complétant. Le roi qui désirait lier les Français à sa cause fit ouvrir le pont Louis XVI qui rappelait un bienfait de la monarchie, dans cette fête de l'indépendance. Il accueillit les fédérés avec affabilité : « Dites à vos concitoyens que le roi est leur père, leur frère, leur ami, qu'il ne peut être heureux que de leur bonheur, grand que de leur gloire, puissant que de leur liberté, souffrant que de leurs maux. »On s'attendrissait, convaincu de sa loyauté. On criait Vive le roi! Au matin du 14 juillet, dès cinq heures, les fédérés, délégués de 4 millions de soldats citoyens, rangés par départements sous 83 bannières, se réunissent sur les boulevards. Leur cortège part de la place de la Bastille pour se rendre au Champ de Mars. Sous de lourdes averses, de continuelles rafales, malgré l'eau, malgré la faim, ils chantent; ils vont par les rues Saint-Martin et Saint-Honoré; des fenêtres on leur descend des pains, des jambons. Ils arrivent, passent la Seine sur un pont de bois en face de Chaillot, défilent sous un vaste arc de triomphe élevé à l'entrée du Champ de Mars; au milieu du cirque qu'on venait de créer était l'autel de la patrie; du côté de l'Ecole militaire, des gradins réservés à Louis XVI et à l'Assemblée. Les fédérés se rangent dans ce lac de boue, sans songer à s'abriter de la pluie; pour passer le temps ils se mettent à danser, formant de joyeuses farandoles. L'Assemblée nationale arrive, précédée des vétérans, suivie des jeunes élèves. Le roi s'assied, la reine à côté de lui, leur famille, les ambassadeurs, dominant toute la foule. Lafayette sur son cheval blanc arrive au pied du trône; le commandant des gardes nationales parisiennes vient prendre les ordres du roi. A l'autel, entouré de deux cents prêtres parés de ceintures tricolores, Talleyrand, l'évêque d'Autun, officie; il bénit les drapeaux. « Lafayette, à la tête de l'état-major, monte à l'autel; il jure d'être fidèle à la nation, à la loi, au roi. Les bannières s'agitent, les sabres nus et croisés étincellent : fédérés, soldats, marins, s'unissent à ce serment; le président de l'Assemblée nationale le répète : les députés y répondent; le peuple entier s'écrie: « Je le jure ! » Le roi se lève alors : « Moi, roi des Français, dit-il, je jure d'employer le pouvoir que m'a délégué l'acte constitutionnel de l'Etat à maintenir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par moi. » « Voilà mon fils », ajoute la reine, en élevant le dauphin dans ses bras, « il partage avec moi les mêmes sentiments! » Aussitôt les cris de Vive le roi! vive la reine! vive le dauphin! font retentir les airs. »Les acclamations du peuple, le bruit des tambours, un orchestre de 200 musiciens et de 40 pièces d'artillerie annoncent à Paris les promesses échangées entre le peuple libre et le roi citoyen. La joie est unanime; ceux même qui ne sont pas venus au moins jusqu'aux collines de Chaillot et de Passy, hommes, femmes, enfants, lèvent les mains avec transport et s'écrient : Oui, je le jure. Le lendemain les journaux troubleront cette félicité; ils récrimineront contre l'adoration témoignée à Lafayette, contre le refus du roi de venir à l'autel prêter le serment qu'il a prononcé dans sa tribune, sous sa tente ; mais on ne les écoute guère. L'enthousiasme est général. Après la cérémonie, les fédérés se rendent à un banquet de 23.000 couverts offert par la Commune de Paris aux 14.000 délégués venus des départements. Les journées suivantes continuent la fête; on danse sur l'emplacement de la Bastille; Paris déploie tous les moyens de séduction, illuminations, revues, joutes, ascensions aérostatiques, feux d'artifice, bals, etc. - Une autre vue de la fête de la Fédération. Gravure de Jean Bulthuis (1798; Bibliothèque nationale). Le 14 juillet, tandis qu'on fêtait à Paris la fédération de toutes les gardes nationales, chaque ville, chaque village, prenait sa part de l'allégresse nationale, avait sa fête. Personne n'y manque; on s'assemble en pleine campagne, désertant les villages; des passants traversant un bourg n'y ont vu que des chiens; tous les hommes étaient à la fête, « tous étaient acteurs, depuis le centenaire, jusqu'au nouveau-né; il n'y a plus ni riche, ni pauvre, ni noble, ni roturier; les vivres sont en commun, les tables communes-». A Saint-Jean-du-Gard, le curé et le pasteur s'embrassent à l'autel; l'un vient au temple, l'autre à l'église, écouter le sermon de son confrère. Ailleurs deux vieillards, un noble de quatre-vingt-treize ans, un laboureur de quatre-vingt-quatorze, s'embrassent sur l'autel. Volontiers tous concluaient comme ces fédérés villageois : « Ainsi finit le meilleur jour de notre vie. » La fête dépasse même les frontières; les amis de la liberté la célèbrent à Hambourg, à Londres. La fête du 14 juillet 1880, place de la Bastille, à Paris. En 1880, la date du 14 juillet a été choisie pour la fête nationale. Le sentiment public a ratifié ce choix et, dans la France entière, le 14 juillet est la fête par excellence. A Paris, il donne lieu à une certaine pompe : illuminations, feux d'artifice, bals; une grande revue militaire passée à l'hippodrome de Longchamp rappelle la solidarité du peuple et de l'armée nationale. La plus belle de ces fêtes fut celle de 1882, où de nouveaux drapeaux furent remis aux régiments. Elle solennisa le relèvement militaire de la France. La population prend une part active à la fête, pavoisant les maisons de drapeaux, les illuminant, banquetant en plein air, dansant la nuit entière; les divertissements se prolongent durant deux ou trois jours. La Seconde République avait essayé de placer la fête nationale, non pas le 14 juillet, mais le 22 septembre, jour anniversaire de la fondation de la République. En 1892, on reprit l'idée, mais en conservant le 14 juillet. Ainsi fut créée une seconde fête nationale le 22 septembre. La première année, la fête fut signalée à Paris par une cavalcade historique. Cette seconde fête fut conservée pendant toute la IIIe république. (A.-M. B.). |
. |
|
| |||||||||||||||||||||||||||||||
|