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Eumée
(personnage de l’Odyssée)
est le fidèle porcher d'Ulysse, un des
personnages les plus intéressants de l'Odyssée, malgré
son rôle secondaire. Homère, qui ne marchande pas les épithètes
à ses héros, n'hésite pas à appeler Eumée
divin conducteur de peuples, tout comme Agamemnon
ou Priam, bien que le bon Eumée n'eût
à conduire que des pourceaux. Mais le naïf chantre des âges
héroïques se plaît à ennoblir et à embellir
tout ce qu'il touche, et un berger pour lui est autant qu'un roi. Il faut
dire qu'Eumée était fils de Ctésius, roi de l'île
de Syria. Il fut enlevé par une esclave, phénicienne de son
père et vendu à Ulysse par des navigateurs phéniciens.
Telle est, du moins, la tradition que nous a rapportée Homère
(Odyssée, ch. XV, v. 402 et suiv.).
Il y a dans l'Odyssée tout
un épisode où Eumée joue un rôle important et
dans lequel son caractère sympathique se développe et se
dessine sous nos yeux. C'est au XlVe chant,
lorsque Ulysse, enfin rendu à Ithaque,
arrive chez son fidèle porcher, qui ne s'attendait guère,
à pareille aventure. Il trouve son pâtre divin assis sous
le portique, près des grandes étables bien bâties :
description des étables, nomenclature des esclaves qui y sont employés,
dénombrement du bétail, Homère n'oublie rien.
Ulysse est vêtu en mendiant; il demande
l'hospitalité. Eumée la lui accorde avec empressement et
lui fait rôtir, sans plus tarder, deux porcs entiers. Et tandis que
son hôte "mange les chairs et boit abondamment le vin, se, fortifiant
le coeur avec les mets", le bon pâtre lui raconte les méfaits
des prétendants et gémit de la mort d'Ulysse, le maître
légitime, le vrai roi d'Ithaque. Rien n'est plus touchant que ces
regrets du vieux serviteur fidèle.
" Hélas!
dit-il, mon maître n'est plus; déjà les chiens et les
oiseaux doivent avoir arraché la peau qui couvrait ses ossements...
Où trouver désormais un maître aussi doux, en quelque
lieu que j'aille, même si je retourne en la demeure de mes parents?
Je ne pleure point tant mon père et ma mère, quel que soit
mon désir de les revoir en ma patrie, que le divin Ulysse : le regret
de son absence me consume. Malgré son absence, ô mon hôte,
je ne prononce point son nom sans respect, tant il m'aimait et était
bienveillant pour moi. Oui, quoique absent, je l'appelle encore mon ami."
On comprend quelle devait être l'émotion
d'Ulysse en entendant de pareils discours. Il est impatient de se faire
reconnaître de son fidèle serviteur; mais il veut encore,
auparavant, préparer cette reconnaissance et faire durer l'attente.
Ce n'est que le lendemain de son arrivée
qu'il se découvre à Télémaque,
son fils, par l'ordre d'Athéna,
qui, d'un coup de baguette, change le mendiant en un roi magnifiquement
vêtu, et le vieillard ridé en un homme fort et vigoureux.
Mais Eumée ne sait pas encore qu'il a donné l'hospitalité
à Ulysse; car celui-ci a repris son déguisement et son rôle
de mendiant. Aussi est-il insulté par les passants, et Eumée
s'indigne des injures et des coups dont Mélanthe accable son hôte,
tandis qu'il le conduit au palais de Télémaque.
Ulysse continue à dissimuler, et,
quand il s'est fait reconnaître de Pénélope,
sa femme, d'Euryclée, sa nourrice, il
reste encore un étranger pour Eumée. Il se plaît à
lui faire pressentir que son maître n'est peut-être pas mort
et qu'il reviendra sans doute. La joie d'Eumée n'en est que plus
vive, parce qu'elle a été mêlée de craintes
et d'appréhensions : elle est moins brusque, mais elle est plus
douce.
Au XXIIe
chant et dans les deux derniers, Eumée aide Ulysse à se venger
des prétendants, et il n'est pas un des moindres acteurs dans cette
scène de carnage qui clôt l'Odyssée.
Le nom du bon et vieil Eumée a passé
dans la langue, où il est devenu, comme celui de Caleb (le personnage
de Walter Scott, dans la Fiancée de Lammermoor),
le synonyme de serviteur fidèle, dévoué, n'ayant d'autres
intérêts que ceux d'un maître au service duquel il a
blanchi, et ne voyant, pour ainsi dire, que lui sur la terre. C'est en
ce sens que les écrivains y font allusion; ce nom sert aussi quelquefois
à désigner un vieux gardien de troupeau :
" La domesticité
dans le moyen âge donna les mêmes preuves de parenté
et de dévouement à la famille que le vieux serviteur Eumée
en donne, dans Homère, au fils de la maison, Ulysse, visitant ses
foyers usurpés. " (Lamartine).
"Je la quittai comme
une fleur sauvage qu'on a vue dans un fossé au bord d'un chemin
et qui a parfumé votre course. Je traversai les troupeaux d'Eumée;
il découvrit sa tête devenue grise au service des moutons.
Il avait achevé sa journée; il rentrait pour sommeiller avec
ses brebis. " (Chateaubriand).
(PL).
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