|
La divination
fut mésopotamienne avant d'être adoptée par les Grecs,
et jusqu'au bout les Chaldéens (entendons par ce terme les savants
de toute la Mésopotamie et pas
seulement de la Chaldée) conservèrent
leur réputation dans ce domaine. Les sciences divinatoires sont
d'origine chaldéenne, et c'est dans le milieu babylonien,
où s'élaborèrent les plus hautes théories scientifiques,
que furent conçues les principales méthodes pour l'investigation
de l'avenir. La distinction que nous avons établie, à l'exemple
des Grecs, entre le surnaturel et les conséquences rationnelles
des lois physiques, n'est pas primordiale. La notion même de loi
est très abstraite, et ces prêtres chaldéens, qui fondèrent
les sciences mathématiques, s'occupèrent
avec autant de passion de magie et de divination.
Dans l'astrologie, ils restèrent sans
rivaux, mais ils employèrent bien d'autres moyens pour sonder l'avenir,
et la distinction peut dire artificielle que nous établissons entre
l'étude des lois permanentes qui règlent les conditions générales
de tout avenir et l'étude du devenir de tel être particulier,
cette distinction entre la science et la divination, les Chaldéens
ne la comprirent pas comme nous. Leur curiosité scientifique s'exerça
de préférence dans la divination, dont les applications pratiques
étaient immédiates.
Nous possédons sur la divination
chaldéenne des renseignements étendus; les auteurs
grecs nous en donnent beaucoup, et on a retrouvé des tablettes
cunéiformes formant de véritables ouvrages sur cette matière.
Diodore de Sicile constate quatre méthodes
principales de divination mésopotamiennes : l'ornithomancie
ou divination basée sur l'observation du vol des oiseaux; l'haruspicine,
qui étudie les entrailles des victimes immolées aux dieux;
la tératoscopie, étude des prodiges et des monstres; l'oniromancie,
interprétation des songes. La littérature divinatoire était
évidemment une partie considérable de la littérature
mésopotamienne nous en avons retrouvé quelques écrits
sur les briques déterrées dans les ruines de Ninive
et de Babylone. Lenormant
a cité, dans son ouvrage sur la Divination et la Science des
présages chez les Chaldéens, une série de vingt-cinq
tablettes représentant la table des matières d'un traité
de la divination; quatorze chapitres sont consacrés aux présages
terrestres, bons ou mauvais, et onze aux présages célestes;
on étudie les signes formés par la pluie, l'orage, le vent,
les oiseaux, les murmures de l'eau courante, du vent dans les arbres. Il
est très regrettable que le texte de ce traité ne nous soit
pas parvenu. L'ornithoscopie était très développée
en Assyrie et en Chaldée. Le point
de départ était venu de l'observation réelle; on savait
que les oiseaux émigrent à certaines saisons, qu'ils annoncent
des changements atmosphériques par leurs cris et la nature de leur
vol; on leur avait donc prêté une valeur prophétique
et on avait fondé sur ces observations réelles toute une
science en partie chimérique. De même, le bruissement des
feuilles et des rameaux des arbres était interprété.
L'haruspicine, ou étude des entrailles
des victimes, suppose déjà une philosophie
bien plus profonde. Les Chaldéens la pratiquaient de très
bonne heure. Cette méthode, qui fut peut-être
la plus usitée dans l'Antiquité,
leur doit ses règles principales. Le prophète Ezéchiel
nous montre Nabuchodonosor consultant
les entrailles des victimes; surtout nous possédons les débris
d'un grand traité rédigé au temps du premier Sargon.
Il y est question des signes observés sur le coeur d'un jeune chien,
d'un renard, d'un mouflon, d'un bélier,
d'un âne, d'un boeuf, d'un lion,
d'un ours, d'une brebis, d'un poisson, d'un
serpent. La contexture, la couleur des viscères
de l'animal, fournissent des indices révélateurs.
Nous reproduisons, d'après la traduction de François Lenormant,
un fragment de ce traité chaldéen :
«
Si les intestins de l'âne, à droite, sont noirs, à
gauche sont noirs, à droite sont bleuâtres, et bleuâtres
leurs replis, à gauche sont bleuâtres, et bleuâtres
leurs replis, à droite sont de couleur sombre, à gauche sont
de couleur sombre, à droite sont cuivrés, à gauche
sont cuivrés [...]. Si dans les intestins de l'âne, à
droite, il y a comme des empreintes, inondation. - Si dans un âne,
les intestins, à droite, sont tordus et noirs, le dieu produira
de l'accroissement dans le pays du Seigneur. - Si dans un âne les
intestins à droite sont tordus et [...] Raman
arrosera le pays du Seigneur. - Si dans un âne les intestins, à
gauche, sont tordus et [...] Raman n'arrosera pas le pays. - Si dans un
âne les intestins, à droite, sont tordus et bleuâtres,
les pleurs entreront dans le pays du Seigneur. - Si dans un âne les
intestins, à gauche, sont tordus et bleuâtres, les pleurs
n'entreront pas dans le pays du Seigneur. - Si l'intérieur de l'intestin,
à gauche, offre des fissures, discordes. - Si l'intérieur
de l'intestin, à droite, offre des fissures, désordres. -
Si l'intérieur de l'intestin, à droite et à gauche,
est noir, éclipse. »
Les Mésopotamiens étudiaient
aussi les poumons et le foie, tiraient de leur couleur, de leur développement,
de leur structure, des conclusions. Ces collèges et haruspices étaient
fréquemment consultés par les souverains.
Sur la tératomancie assyro-babylonienne,
les principaux renseignements sont fournis par une tablette dont Oppert
a donné la traduction dans ses Fragments mythologiques. Elle
énumère soixante-douze cas de monstruosités chez des
enfants nouveau-nés. Il en résulte des augures favorables
ou défavorables selon les cas; un enfant qui a les cheveux blancs
promet au roi une longue vieillesse; un enfant à qui les oreilles
manquent est une annonce de malheurs pour la contrée; s'il a des
oreilles de lion, le roi sera puissant, etc. Une autre tablette parle des
naissances monstrueuses de chevaux dont elle énumère dix-sept
cas; une autre, des naissances de chiens. Ce qui frappait le plus les imaginations,
c'était la procréation par un animal d'une bête d'une
autre espèce :
«
Si une brebis enfante un lion, les armes seront actives et le roi sans
égal. Si une jument procrée un lion, le roi sera puissant.
Si une jument procrée un chien, il y aura famine dans le pays. »
La tablette relative au rôle des chiens
est très intéressante :
«
Si un chien jaune entre dans le palais, le palais sera anéanti.
Si un chien rouge entre dans le palais, le palais sera livré à
la dévastation par l'ennemi. Si un chien entre dans le palais et
blesse quelqu'un, le palais sera livré à la dévastation.
Si un chien entre dans le palais et se couche dans le lit, personne ne
[...]. Si un chien entre dans le palais et se couche sur le trône,
le palais sera brûlé. Si un chien entre dans le palais et
se couche sur le palanquin royal, le palais sera dévasté
par l'ennemi. Si un chien entre dans le temple, les dieux ne seront pas
miséricordieux pour le pays. Si un chien blanc entre dans le temple,
la durée du temple sera stable. Si un chien noir entre dans le temple,
la durée du temple ne sera pas stable. Si un chien gris entre dans
le temple, le temple souffrira dans ses possessions. Si un chien jaune
entre dans le temple, le temple souffrira dans ses possessions. Si un chien
rouge entre dans le temple, les dieux du temple le déserteront.
Si les chiens se rassemblent en troupe et entrent dans un temple, personne
ne [...]. »
Les Grecs, qui furent sur tant de matières
les disciples des Orientaux, leur empruntèrent l'usage des chiens
et des serpents pour la divination. Les serpents qui devinrent un des symboles
caractéristiques de Dionysos et d'Asclépios,
et qui figurent dans les légendes des plus anciens prophètes
grecs comme instruments de la révélation divine, ont déjà
ce rôle dans la religion chaldéo-assyrienne
où ils sont l'emblème du dieu Êa
et l'instrument prophétique. Les livres
hébreux en témoignent, notamment dans la lettre de Jérémie
insérée après les prophéties de Baruch où
il est dit :
«
Des serpents nés de la terre leur lèchent le coeur. »
Les Chaldéens ont introduit dans la
science des présages les interprétations induites de la forme
des nuages, des bruits de la foudre, de tous les symptômes météorologiques.
La couleur des nuages, leur direction avaient des sens prédéterminés.
Si un nuage d'un noir bleuâtre s'élève dans le ciel,
il soufflera du vent dans la journée. Ceci n'a rien de déraisonnable;
mais d'autres fois on applique les conséquences à la destinée
humaine. On distingue deux espèces de foudres : celle qui vient
des étoiles ou plutôt des planètes de Saturne, de Jupiter,
de Mars, et tombe sur la terre en traversant les nuages : elle annonce
l'avenir; et celle qu'envoient les dieux de l'atmosphère, le dieu
Raman, et qui apparaissent au hasard.
Les Assyro-Babylonienns usaient d'un grand
nombre de procédés divinatoires sur lesquels nous sommes
renseignés : l'hydromancie ou divination par l'eau; la pégomancie
ou divination par les sources; l'ajathomancie ou lécanomancie, divination
par un vase plein de liquide où l'on voit apparaître des images.
Ce procédé, qui jouit d'une grande réputation, a été
décrit par Psellos qui dit de la cyathomancie
:
«
Elle se pratiquait au moyen d'un bassin que l'on avait sous les yeux; il
était rempli d'une eau prophétique ; l'eau que l'on verse
dans le vase ne diffère point, par essence, des autres eaux analogues,
mais les cérémonies et les incantations que l'on accomplit
au-dessus du vase qui le renferme la rendent susceptible de recevoir le
souffle prophétique. Cette force divine sort du sein de la terre
et n'est qu'une action partielle; lorsqu'elle pénètre l'eau,
elle produit d'abord, au moment où elle s'y introduit, un bruit
auquel les assistants ne peuvent trouver de sens, puis, répandue
dans le liquide, elle y fait entendre certains sons confus; tenant au monde
matériel, elle garde toujours un caractère incertain et confus,
et, grâce au vague même de ces bruits, les prêtres peuvent
éviter d'être jamais convaincus de mensonge. »
Citons encore, parmi les méthodes babyloniennes,
la pyromancie, divination par le feu : on jette
sur le foyer certaines substances et on tire un présage de la manière
dont elles brûlent, de l'apparence et de la direction de la flamme,
de la fumée, de l'odeur produite, etc.
La divination par les sorts ou bélomancie
est d'origine chaldéenne, et les procédés usités
en Chaldée et dans le reste de la Mésopotamie
nous ont été indiqués par le Livre d'Ezéchiel.
Nabuchodonosor, hésitant sur la direction à prendre, mêle
dans son carquois plusieurs flèches sur chacune desquelles il a
inscrit le nom d'un de ses ennemis afin de voir lequel sortira pour déterminer
la direction à suivre. Cet usage a été très
répandu en Orient et les Arabes l'ont conservé jusqu'à
l'époque de Mohammed. A la Kaâba
on conservait sept flèches dont chacune portait une inscription
significative. On les brouillait dans un sac devant la statue du grand
dieu du sanctuaire, le dieu Hofal, on invoquait celui-ci et on procédait
au tirage au sort, qui était censé révéler
sa volonté.
Les Assyriens parlent à plusieurs
reprises des flèches qui sont mises aux mains des dieux et révèlent
leur volonté. D'autres procédés se rapprochent de
celui-ci. On lançait avec l'arc des flèches dans une direction,
et de la manière dont elles étaient tombées, de la
distance parcourue, on tirait des inductions sur l'issue de l'entreprise.
On voit encore au Moyen âge les
populations sabéennes renouveler ces pratiques; leurs prêtres
lancent douze flèches garnies d'étoupes allumées et
prédisent l'avenir d'après la manière dont elles tombent.
Les Juifs ont connu ce mode de bélomancie.
On raconte dans la Bible
que Joas, roi d'Israël, venant visiter la prophète Elisée,
en fit usage sur le conseil de celui-ci (Rois II, XIII, 14-19).
On rattache à la bélomancie
un autre procédé qui s'est perpétué jusqu'à
nos jours, celui de la baguette divinatoire. Le court sceptre mis aux mains
des rois mésopotamiens est cette baguette magique que l'on appelle
le roseau du sort, le roseau de révélation, le bâton
propice. On la consacre surtout à Allat, la déesse du monde
infernal, déesse des magiciens et des nécromans.
Outre ces méthodes extérieures,
les Mésopotamiens pratiquaient la divination
par les songes. Celle-ci a toujours tenu une grande place dans les
préoccupations de nombreuses cultures. La bibliothèque d'Assour-ban-habal
(Assurbanipal) contenait plusieurs tablettes
où sont racontés des rêves nocturnes du roi, avec l'interprétation
que l'on croyait pouvoir en donner. Les témoignages des écrivains
anciens s'accordent à donner aux songes, même provoqués
par des narcotiques, une signification remarquable. Dans le Livre de
Daniel,
le héros gagne la faveur de Nabuchodonosor
par son habile interprétation de ses rêves. Assour-ban-habal
avait eu aussi, durant sa guerre contre l'Elam,
des songes prophétiques. L'oniromancie fut, dès l'époque
des conquérants assyriens et demeura jusqu'au bout, une des méthodes
les plus usuelles pour connaître la volonté des dieux.
On n'aurait de la divination chaldéenne
qu'une idée incomplète si l'on négligeait le procédé
classique du pays, l'astrologie. C'est la
fabrication des thèmes généthliaques qui maintint
jusqu'à l'affaissement des religions païennes la vogue des
devins de Babylone; toute l'Asie occidentale
les consultait, surtout à dater du moment où ils purent se
vanter d'avoir prédit la destinée d'Alexandre
le Grand, d'Antigone et du premier
Séleucus. La Chaldée fut l'école
des devins, et son écrivain Bérose
passa pour le maître par excellence. On lui dressa des statues à
Athènes. On lui prêta à lui et à ses disciples
Simon le Magicien, Astrapsychos, Gobryas, Pagatas,
une science et une puissance exceptionnelles. Les miracles qu'on leur attribuait
firent longtemps l'admiration des Orientaux hellénisés et
des Grecs.
En somme, la divination mésopotamienne
a employé tous les principaux moyens que les Grecs systématisèrent
ensuite : ornithoscopie, extispicine, tératomancie, oniromancie,
etc., sans parler de l'astrologie qui demeura toujours l'apanage des Babyloniens. |
|