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Il existe dans
le folklore européen une référence fréquente
à des chasses que mènent le Diable et ses légions,
des esprits ou des revenants.
On les a rangées ici sous le vocable de chasses fantastiques.
En France ,
ces chasses fantastique sont surtout connues dans les régions du nord
et du centre et sont l'objet d'un grand nombre de récits : tantôt
elles ont lieu dans les régions de l'air, tantôt elles parcourent
les forêts ou leur voisinage, plus rarement les
montagnes. Les différentes branches de la légende présentent des épisodes
parallèles, parfois identiques, mais aussi de notables différences, en
relation avec la nature du lieu où se passe la scène. Les chasses qui,
d'après les conteurs, prennent pied sur le sol sont plus rares, elles
portent moins de noms et leur caractère surnaturel est beaucoup moins
accusé.
-
Une
chasse aérienne dans un tableau de Lucas Cranach l'Ancien (Mélancolie,
1532).
La superstition
qui attribue des origines merveilleuses ou terribles aux bruits nocturnes
que l'on entend dans les airs est fort ancienne : on a cru qu'ils étaient
produits par des armées en marche ou en bataille qui parcouraient le ciel
( Les Armées
prodigieuses), ou par des chasses de l'autre monde.
Les paysans entendaient autrefois avec crainte la chasse fantastique, et
ils étaient persuadés qu'elle annonçait des choses funestes. On n'entendait
pas seulement les chasses, on pouvait parfois les voir, et parfois aussi
le terme de chasse ne convient pas réellement. Par exemple, dans
les Vosges, on disait assiter à la ronde volante des démons
et des sorcières, désignée sous le nom de-Menée
(Mesnie) Hellequin : en été la rafale de
nuit parcourait les gorges de la montagne avec de sourds rugissements,
et une longue traînée noire flottait au dessus en ondulant autour d'un
piton escarpé. La mesnie, éclairée par intervalles par la lune, se déroulait
en spirales dans le ciel, comme emportée par une danse diabolique.
Sans aller aussi loin que George
Sand, qui généralisait beaucoup en disant que chaque village a un
nom pour désigner les chasses fantastiques, on constate cependant qu'elles
portent un grand nombre d'appellations; et il est certain que toutes n'ont
pas été recueillies; la plupart proviennent de l'Ouest, du Centre et
de l'Est de la France, très peu des pays de langue
d'oc.
-
La
Chasse sauvage d'Odin, par Friedrich Wilhelm Heine (1882). A droite,
une Chasse fantastique
dessinée
par Maurice Sand. Au-dessous, la Vision de la mort, de Gustave Doré.
A de rares exceptions, les personnages
qui conduisent ces chasses sont des maudits. Ils expient des actes sacrilèges,
plus rarement des cruautés. Ils ont aimé ce divertissement au point de
violer pour satisfaire leur passion, les lois de l'église, et de ravager
les récoltes sur pied. Ils sont punis par où ils ont péché, et doivent
poursuivre sans relâche, jusqu'à la fin des siècles, un gibier que,
d'après plusieurs récits, ils n'atteindront jamais; en ce cas leur supplice
présente quelque analogie avec celui de Tantale.
Les mêmes actes motivent des punitions que subissent les conducteurs de
chasses fantastiques qui foulent le sol des forêts
au lieu de se tenir dans les régions de l'air.
On ne relève guère en dehors de cet ordre
d'idées que les noms de Chasse Saint Hubert en Normandie ,
dans le Morvan ,
dans plusieurs pays de Haute-Bretagne ,
de Chasse Saint Eustache, en Normandie, qui y associent ces bienheureux
en raison d'épisodes de leur vie légendaire.
-
La
Chasse fantastique païenne se mêle au thème des Anges exterminateurs
de l'Apocalypse
chrétienne.
(Dessin à la manière de Joseph Werner II, Musée du Louvre).
Les noms de héros romanesques ou populaires
servent à désigner d'autres chasses. Celui d'Arthur
est le plus fréquent; la Chasse Arthur est connue en Haute-Bretagne,
en Normandie, en Guyenne
et dans le comté de Foix ;
la Chasse Artus, dans le pays fougerais, en Normandie, en Gascogne ;
la Chasse Artu dans le Maine ,
en Ille-et-Vilaine, la Chasse Artui, dans la Mayenne; en Caorsin
quand on entend la chasse aérienne, on dit : C'est le roi Arthur, ou simplement
lous rey Artus, et on y raconte la légende de sa chasse.
Plusieurs de ces bruyantes réunions ont
des appellations empruntées à la Bible .
Leurs coryphées ont sans doute déjà le plus souvent quelque chose Ã
se reprocher dans les anciens textes, mais la mythologie populaire y rattache
des légendes qui lui sont propres. Ainsi en est-il, par exemple avec la
Chasse du roi David ( le Char
de la Mort), dans le pays de Retz où il apparaît comme un substitut
du roi Arthur : David
chassait tous les dimanches pendant la grand-messe et ne tenait aucun compte
des plaintes des paysans. Lancé à la poursuite d'un cerf
dans un point où le Tenu est encaissé entre des rochers, il tomba dans
la rivière avec toute sa suite, et, depuis il revient la nuit reprendre
sa poursuite infructueuse. De la même façon, on trouve en Normandie,
la Chasse Caïn ou Cache de Caïn,
qui se montre aux environs d'Orbec, et annonce toujours quelque malheur
et surtout la mort d'une personne en danger; la Chasse Maccabée
ou Chasse macabre, Ã Blois; la Chasse
du roi Salomon, dans le Pays basque; la
Chasse du roi Hérode, dans la Bresse
en Franche-Comté ,
en Périgord ;
en Franche-Comté et dans le Jura, la Chasse d'Oliferne (ou d'Holopherne).
-
L'exception
de la Chasse d'Oliferne
Ordinairement les
chasses fantastiques montrent un chasseur à la poursuite de sa proie.
La chasse d'Oliferne fait exception à ce schéma. Ici point de poursuite
ou de maléfice. Le récit ne parle que des chasseurs d'autrefois, qui
revenaient dans les forêts, et qu'on voyait prendre part aux divertissements
qui marquent la fin des chasses.
Parmi les témoins
de cette chasse qui rapparaît parfois, on cite, au XIXe siècle,
un garde forestier qui racontait qu'un matin, en parcourant les bois de
son triage qui hérissent la montagne voisine des ruines du château
d'Oliferne, près d'Arinthod, dans le département du Jura, il fut attiré
par le bruit des cors de chasse.
Il arriva dans une
clairière de la forêt, et il y trouva,
réunis sous un grand chêne, nombre de grands seigneurs, de belles dames,
de valets et de piqueurs : les uns mangeaient sur la pelouse, d'autres
gardaient les chevaux ou donnaient à manger à une grande meute. La joie
la plus vive animait le banquet.
Etonné et n'osant
aborder une société aussi brillante, il recula et prit un sentier qui
l'éloignait obliquement du groupe; mais enchanté d'un spectacle si nouveau
pour lui, il avait retourné la tête, afin d'en jouir encore... Plus rien,
tout avait disparu. |
A des personnages plus malaisés à classer,
mais dont plusieurs semblent maudits, se rattachent des chasses dont la
consonnance des noms rappellent celui de cette figure centrale de la mythologie
médiévale qu'est Hellequin : la Chasse
Ankin, dans le Maine; la Chasse Hannequin, en Anjou ;
la Chasse Hennequin, en Normandie ;
la Chasse Helquin, en Anjou; la Mesnie Hennequin, dans les
Vosges; la Chasse Héletchien, en Basse-Normandie; Mesnie Helquin
ou Herlequin, en Normandie.
On parle aussi de la Chasse Galière,
dans la Creuse; la Chasse Gayère, en Bourbonnais; la Chasse
Galerie ou Galery, en Vendée, au Canada
et en Saintonge ;
la Chasse à Bodet, la Chasse à Rigaud, la Chasse Ã
Ribaut, dans le Berry ;
la Chasse Briguet, sur les bords de la Loire (en Touraine ,
la chasse Briguet se compose de chiens ailés qui poursuivent les paysans
attardés); la Chasse Malé, la Chasse Mare, la Chasse
Maro, dans le Maine; la Chasse à l'Humaine, en Ille-et-Vilaine;
la Chasse Valory, dans le Bas-Maine; la Chasse du Diable,
en Normandie ;
la Chasse du Peut ou du diable dans la Côte-d'Or; la Chasse
Maligne, dans le Forez
et dans le Bourbonnais ;
la Chasse Proserpine, la Chasse
Cheserquine; la Chasse Mère Harpine, en Normandie.
Les noms de : Chasse galopine, dans
le Poitou ;
Chasse volante, en Saintonge
et dans le Périgord ,
indiquent son passage tumultueux et rapide à travers les airs; la Chasse
sauvage, en Franche-Comté
et en Alsace ,
le caractère malfaisant de ses conducteurs. En Alsace, le Chasseur nocturne
qui mène cette troupe dangereuse s'appelle tantôt Huperi, de hupen,
par allusion à son cri; tantôt Hüstcher ou
Hubi, de hut ou de hub ou haube, sans doute en souvenir
de son grand chapeau. A Soultz, c'est Freischütz, le Franc archer; Ã
Guebwiller, c'est le Chasseur nocturne,
der Nachtgoeger.
-
Quand
la chasse devient une pêche... (Détail du Triomphe de la Mort,
de Bruegel l'Ancien, 1562).
Typologie
des chasses fantastiques
Les chasses fantastiques peuvent être
regroupées dans trois familles principales, selon l'identité de celui
qui en est le coryphée : ce sont les chasses diaboliques, les chasses
sauvages et les chasses maudites.
Les chasses diaboliques.
Certaines chasses sont menées par un
démon, ou même par le Diable
en personne. Ce sont les chasses diaboliques ou chasses infernales.
-
Le
bien dans le miroir du mal : le Père Noël, un chasseur fantastique Ã
l'envers.
Ceux des récits de la chasse
Galerie qui sont rapportés en Saintonge
et au Canada
appartiennent à cette catégorie. Malgré son nom, la Chasse
Saint Hubert semble pouvoir être aussi classée dans cette catégorie.
On peut également mentionner les traditions suivantes :
--
Chasse
galopine. - La ressemblance que les cris des oiseaux migrateurs présente
parfois avec des voix humaines, ou avec des accents de douleur, a pu contribuer
à faire donner le nom de chasse à des troupes d'âmes de diverses natures
qui traversent le ciel en longues théories plaintives. Suivant plusieurs
légendes, ce sont des enfants morts sans baptême, et par leurs vagissements
lamentables, ils demandent des prières pour sortir du Purgatoire; en Poitou,
ce sont eux qui sont les proies de la Chasse galopine, et chaque
nuit le diable les poursuit.
Chasse
Gayère - Dans le Bourbonnais, la chasse Gayère traverse, invisible,
les espaces de l'air, courbant la cime des arbres, les chats miaulent,
les chiens aboient, les chevaux hennissent au milieu des détonations d'armes
à feu. On l'appelle aussi Chasse maligne; c'est le Diable qui,
avec sa meute, poursuit les âmes des mourants. |
Chasse
à Bôdet - Dans le Berry, la chasse à Bôdet est menée par
le Diable qui conduit les damnés en enfer.
Chasse
du comte d'Herbaumont. - Le comte d'Herbaumont (Luxembourg belge),
qui, chassant un dimanche, malgré les recommandations d'un chevalier blanc
(son ange gardien), poursuivit son gibier jusque dans une chapelle où
il s'était réfugié, et insulta même l'ermite qui la desservait. Aussitôt
Satan apparaît au milieu des éclairs, tord
le cou du blasphémateur, de façon à le lui tourner vers le dos, au même
instant, une meute infernale sort de la terre qui s'était entrouverte,
et ils le poursuivront jusqu'Ã la fin du monde; il n'est pas rare d'entendre
les profondeurs du bois de Dansau s'emplir de bruits étranges provenant
de cette chasse où, une fois n'est pas coutume, c'est le chasseur qui
est chassé. Ordinairement, le chasseur maudit est celui qui est condamné
à la chasse perpétuelle (V. plus bas). |
-
La
Chasse sauvage, de Franz von Stuck (1899).
Les chasses sauvages.
Certaines chasses peuvent être conduites
par des démons (daimones) différents
de ceux qui escortent le Diable dans les chasses
infernales. Ce sont plutôt des esprits de la forêt
ou des esprits de l'air, parfois même des fées.
On y a vu les lointains descendants des marouts,
ces démons de la tempête et de l'orage des Vêdas ,
et dont le thème se serait ainsi répandu dans diverses sociétés de
langue indo-européenne.
Bien qu'elles soient
conduites par des personnages surnaturels et qu'elles traquent généralement
des entités du même ordre, plusieurs chasses fantastiques ne poursuivent
pas un gibier imaginaire. Si on a le malheur de demander une part de prise,
on s'expose à voir tomber près de soi des membres humains ou des corps
entiers arrachés à la tombe.
Les chasses menées par de tels espris
sont dites chasses sauvages. Un nom, à la vérité ambigu, puisqu'il
s'applique à une chasse fantastique particulière à la Franche-Comté
ou de façon générique aux chasses des légendes germaniques. Ces dernières
chasses sauvages ont souvent pour meneur
un personnage appelé le Chasseur nocturne, mais ce peut être Odin.
Quoi qu'il en soit, le terme de sauvage, par son étymologie est
bien approprié pour qualifier la majorité de ces légendes (le
mot vient du bas latinsalvaticus,
qui est une altération du latin classique silvaticus, de silva
= forêt).
Selon les traditions populaires, certaines
forêts sont hantées par des personnages bruyants qui appartiennent Ã
l'autre monde : tantôt ils apparaissent isolément, tantôt ils sont nombreux,
soufflent dans des instruments sonores et sont accompagnés de chiens fantastiques.
Le Grand Veneur, que l'on appelait quelquefois
monsieur de Laforêt, est le plus célèbre. L'Homme
rouge des légendes de Bretagne
et du Jura peut aussi être rangé dans cette catégorie.
(
Åsgårdsreien,
la chasse volante d'Odin,
par Peter Nicolai Arbo (1872).
Dans les airs, on évoque le
Fantôme volant en Bretagne
ou la Dame Harpine de Chasse Proserpine,
en Normandie .
Odin et sa chevauchée crépusculaire peut également
être rangé ici. Quelques autres exemples de ces chasses :
-
Chasseur
(Wildgrave) Falkemburg. - Walter Scott raconte
qu'un homme entendant passer un spectre redoutable dans la forêt, se mit
à crier :
Gluck
zu, Falkemburg! "Bonne chasse, Falkemburg! -Tu me souhaites une bonne
chasse, répondit une voix rauque, tu partageras le gibier."
Et une
pièce de venaison corrompue tombant à ses pieds, récompensa le téméraire.
Peu de temps après, il perdit deux de ses meilleurs chevaux; mais la colère
du spectre ne se borna pas à cette vengeance,
et il ne se lassa pas de tourmenter l'imprudent jusqu'Ã la fin de sa vie.
Le
géant de d'Escombres. - Dans la forêt d'Escombres,
chassait, avec des chiens minuscules, un énorme géant. Si quelqu'un touchait
un de ces chiens, il était puni par leur maître qui lui disait :
«
Le jour est pour vous, hommes; mais la nuit est pour moi ! »
La
Mau-Piqueur - Dans la forêt de
Gâvre, vers 1835, on parlait de l'apparition du Mau-piqueur; on le voyait
faire le bois, tenant à la chaîne son chien noir et ayant l'air de chercher
des pistes. On l'appelait aussi « l'avertisseur de tristesse » et ses
yeux laissaient couler des flammes quand il prononçait les mauvaises paroles
:
Fauves
par les passées,
Gibiers
par les foulées,
Place
aux âmes damnées!
Selon
la croyance du couvert, l'apparition du mau-piqueur annonçait la grande
chasse des réprouvés. Sa venue était un méchant signe; mais quiconque
rencontrait la chasse, n'avait qu'à faire préparer sa bière, car ses
jours étaient comptés.
Chasseur
du Grönjette. - Les habitants du Sterusklint, dit Xavier Marinier
dans ses Lettres sur le Nord, entendent souvent les aboiements des
chiens du Grönjette. Ils le voient passer dans la vallée du Grönjette,
la pique la main, et ils déposent devant leur porte un peu d'avoine pour
son cheval, afin que, dans ses courses, il ne foule pas aux pieds leur
moisson.
Chasseur
Posterli. - Dans l'Entlebuch, on parle d'un esprit malin, nommé
Posterli, qui vient chaque année, le jeudi avant la veille de Noël,
accompagné d'une longue suite, pour chasser avec un vacarme affreux. |
Chasseur
Turst ou Durst. - Lorsque la tempête se déchaîne et gronde dans
la forêt, le peuple des campagnes dans le canton de Lucerne ,
en Suisse ,
s'écrie que le Turst est en chasse.
Chasse
sauvage en Ecosse .
- Les chasses des esprits font partie des croyances populaires écossaises,
et l'on en trouve cette description dans le poème intitulé l'Albania
: C'est là que depuis longtemps les fiers thanes (seigneurs anglo-saxons)
de Ross, entourés de leurs clans et de leurs vassaux empressés, avaient
coutume de poursuivre le cerf bondissant ou le
loup coupable. Là , on entend souvent à minuit
ou à midi, un bruit d'abord faible, mais grossissant de plus en plus,
la voix des chasseurs, les aboiements des chiens, et le son rauque du cor
dans le lointain. Bientôt le tumulte redouble; l'air retentit de cris
plus élevés, des gémissements du cerf poursuivi et déchiré par les
chiens, des acclamations des chasseurs, du trépignement des pieds des
chevaux, bruit répété par les échos des cavernes. La génisse, paissant
dans la vallée, tressaille ce tumulte, et les oreilles du berger lui tintent
d'effroi. Il tourne ses yeux égarés vers les montagnes, mais il n'aperçoit
aucune trace d'un être vivant. Effrayé et tremblant, il ne sait ce qui
cause sa crainte frivole, et si c'est l'ouvrage d'un esprit, d'un sorcier,
d'une fée ou d'un démon; mais il est surpris, et sa surprise ne trouve
pas de fin.
Chasseur
de Scey-en-Varey. - Les personnages qui, sans faire partie d'une chasse
collective et portant un nom particulier, parcourent le ciel sont assez
rares : on trouve cependant en Franche-Comté
le chasseur éternel de Scey en Varais (Doubs). Les échos du bassin de
la Loue y sont réveillés, dans les nuits de la Toussaint
et de la Noël, par les sons retentissants de l'oliphant
d'un chasseur nocturne et éternel. Le bruit qu'il fait cause la terreur
des grands et des petits, et chacun cherche, en se plongeant sous les couvertures,
à échapper à cette musique surnaturelle.
Une
chasse Robin? - Avant d'être sécularisé par la littérature
et le cinéma, Robin des Bois (Robin Hood)
était certainement un esprit de la forêt, à l'image des sylvains
de l'Antiquité. Sa troupe dans la forêt de Sherwood continue de rappeler
les mesnies des autres chasseurs sauvages. On peut aussi lui trouver un
parent resté entièrement fantastique : Barbatos, comte-duc aux enfers,
un autre esprit sylvestre, qui semble l'intermédiaire entre Robin et le
Chasseur sauvage proprement dit; il est tantôt archer et tantôt chasseur.
Quatre rois sonnent le cor devant lui. |
On peut encore ranger
dans la catégorie des chasses sauvages les chasses menées par des Dames
blanches : la Chasseresse de Moissey, dans le Jura, où celle
qui commande la Chasse volante du Périgord .
D'autres traditions ont des airs de famille avec ces légendes. Au commencement
du XIXe siècle, le paysans de Voiteur,
qui se représentaient la meneuse de la chasse comme une fée qui court
par le temps, c'est-Ã -dire qui traverse les airs. A Bruz (Ille-et-Vilaine),
on entendait parfois dans les airs le bruit que faisait un fantôme
blanc auquel on assignait comme résidence une grotte. Dans le pays de
Bayeux, les huards étaient des lutins
ainsi appelés à cause des cris qu'ils poussaient en traversant le ciel
pendant la nuit. Aux environs de Moncontour de Bretagne ,
Mourioche, lutin protéiforme, et sa fille prenaient quelquefois dans les
airs leurs ébats nocturnes.
-
Les chasses maudites.
Plusieurs de chasses fantastiques étaient
conduites par des seigneurs du temps passé, condamnés à revenir éternellement,
en punition des cruautés qu'ils avaient exercées sur leurs vassaux.
Dans le cas de la chasse
du roi Hérode parfois conduite par sa petite-fille Hérodiade,
le seul nom de ses coryphées, et les crimes auxquels ils renvoient dans
les récits bibliques, semble pouvoir justifier qu'ils mènent une chasse
maudite. Dans le cas de Hellequin, dont la
postérité a fait un personnage de théâtre
au masque noir (Arlequin), se serait
un pacte avec le représentant du monde des morts qui serait à l'origine
de son errance éternelle.
Dans certains cas, c'est seulement la passion
excessive des chasseurs maudits pour la chasse qui, les ayant conduits
à commettre un sacrilège (souvent ils n'ont pas observé les fêtes
de l'Eglise), les avaient condamnés à une chasse sans fin. Le type
de ces traditions est la chasse d'Arthur, dans
laquelle le roi se damne en quittant précipitament la messe pour poursuivre
un lièvre.
Dans ce groupe de
chasses fantastiques, Arthur peut parfois céder la place à d'autres rois
ou chefs de guerre : Charles Martel, Charlemagne,
Abel de Waldemar, Hugues Capet (le roi Huguet ou
Hugon à Tours), etc. Seul le nom change, pas
le motif.
Les traditions suivantes peuvent aussi
être rangées dans cette famille de chasses :
-
Chasses
aériennes
Chasse
des Maccabées. - Dans le Blaisois, la chasse est dite des Machabées
et le coryphée maudit devient Thibault le Tricheur, comte de Blois, puni
pour avoir méconnu les lois de l'église et celle de l'humanité. Les
paysans de la Bresse expliquent le nom de Chasse du roi Hérode en disant
que ce roi est forcé, en expiation du meurtre des Innocents, de se livrer,
pendant l'éternité, à ce diabolique divertissement; ceux du Périgord
prétendaient que depuis ce crime, il était condamné avec toute sa cour
à parcourir les airs.
Chasse
de la Charente. - Dans une version de la Charente, où le chasseur
anonyme ne semble plus être un grand seigneur, il est puni pour avoir
violé, non plus le repos dominical, mais la défense ecclésiastique de
manger de la viande à certains jours. Un vendredi, le Bon Dieu se présenta
chez un homme passionné pour la chasse, et lui demanda à manger; l'homme
qui n'avait qu'un peu de salade et des choux, et pas de viande, prit son
fusil et se disposait à sortir, lorsque Dieu lui dit :
«
Ne va pas chasser, on ne pourrait manger de ta viande, c'est aujourd'hui
maigre ».
Le chasseur
étant parti tout de même, Dieu, pour le punir, le suspendit en l'air
avec ses cinquante chiens, et, tous les cinq ans, Ã minuit, on entend
des hurlements, des cris de détresse et des coups de feu. Quand ces clameurs
troublent le silence de la nuit, les bonnes femmes s'écrient :
«
Prenez garde, c'est l'homme avec ses cinquante chiens qui passe! »
Chasse
du comte de Valory. - Suivant la tradition du Bas-Maine, le comte de
Valory et le seigneur de la Pihorais étaient deux grands chasseurs, mais
aussi deux impies qui plaisantaient de la vie future. Sur la fin de leurs
jours, ils étaient convenus que le premier qui mourrait viendrait dire
à l'autre comment cela se passait là -bas Le lendemain de l'enterrement
du comte de Valory, qui mourut le premier, on entendit le soir une grande
chasse dans l'air, et l'on vit le comte de Valory passer dans un carrosse
traîné par deux chevaux de feu et tout entouré de flammes; le jour d'après,
le seigneur de la Pihorais fut trouvé dans son lit, complètement rôti.
Depuis on entend souvent la chasse du comte Valory passer dans les airs.
Chasse
aux religieux . En Basse-Normandie, on croyait au commencement du XIXe
siècle que si un prêtre et une religieuse qui s'étaient aimés étaient
surpris par la mort avant d'avoir fait pénitence, ils sortaient de leur
tombe toutes les nuits et étaient poursuivis à travers les airs par des
troupes de démons et de damnés qui ne cessaient de les insulter par des
sarcasmes et par des huées.
Chasses
forestières
Chasse
du sire d'Aigremont. - Au temps jadis, les barons d'Aigremont étaient
aussi très durs à l'égard des pauvres gens. Un jour, on amena devant
l'un d'eux un paysan qui avait pris un lièvre au lacet et l'avait fait
cuire pour sa femme malade. Le seigneur ordonna de découpler ses chiens
et ils s'élancèrent sur le pauvre serf gui disparut en quelques secondes,
ne laissant plus que des lambeaux sanglants, traînés par des chiens.
Le lendemain, les limiers du baron détournèrent un grand loup, inconnu
dans les bois de la contrée. La chasse commença le jour même. Le loup
prit de suite son grand défilé; les chiens le menaient rondement; mais
il allait vite, si vite, qu'Ã chaque instant quelques-uns restaient en
arrière.
Le
sire d'Aigremont suivait seul cette chasse enragée; il avait dépassé
ses piqueurs, moins bien montés que lui. Il sonnait encore le bien-aller
quand son dernier chien se coucha, il en avait assez; son cheval se coucha
aussi, il en avait assez. La nuit était venue. Soudain, le loup revint
sur sa passée; il se dirigea en donnant de la voix, droit sur le baron
qui, à la vue de cette gueule formidable, s'enfuit; le chasseur fut chassé
à son tour, et jamais depuis il n'a pu s'arrêter ni être secouru. C'est
la Chasse du baron d'Aigremont. pendant mille ans, lui et ses ancêtres
ont rançonné le pays, égorgé ses habitants ; pendant mille ans il sera
chassé par le loup, sans trêve ni merci. Et c'est la voix du loup qu'on
entend encore parfois dans les bois, dans le silence de la nuit.
Chasse
de Jean de Baumes. - Le bois des Baumes, aux environs de Vittel (Vosges),
est hanté certaines nuits par l'âme de Jean des Baumes, qui, ayant chassé
les dimanches et les fêtes, a été condamné à poursuivre le gibier
sans pouvoir l'atteindre, et l'on entend sa voix qui excite les chiens. |
Chasse
du seigneur de Bohan. - A Bohan (Semois), on parlait, vers 1870, d'un
seigneur du siècle précédent, qui eut un procès avec les habitants
pour des bois communaux, et l'on racontait, qu'en expiation de ses rapines,
il revint chasser dans la forêt de la Fargne, jusqu'au jour où elle fut
abattue. Un jour un habitant de Sugny dit au cabaret qu'il n'avait pas
peur du revenant, et que, s'il le rencontrait, il le ramènerait boire
le petit verre. Lorsque vers onze heures, il entra dans la forêt, il entendit
le son d'an cor, puis des aboiements de chiens qui se rapprochaient. Il
prit peur et se jeta la face contre terre. Il vit alors des centaines de
chiens arriver sur lui, suivis de chasseurs montés sur des chevaux dont
les naseaux lançaient des flammes, et au milieu était le seigneur de
Bohan, la figure comme celle d'un cadavre, et du feu sortant de ses orbites.
Pendant une heure, cette partie de la forêt fut parcourue dans tous les
sens, et le malheureux, que la terreur clouait par terre, dut attendre
que la chasse se fût éloignée. Il arriva chez lui meurtri et malade
de frayeur, et il resta plusieurs semaines entre la vie et la mort.
Chasse
du sire de Coetenfao. - L'âme damnée du sire de Coetenfao, gentilhomme
huguenot, dont la vie licencieuse jetait l'effroi dans les familles, et
auquel on attribue des actes de cruauté à l'égard des catholiques, hante
la forêt de Teillay où il se montre, tantôt à pied, tantôt à cheval,
ou même en voiture, chassant, appelant ses chiens et passant devant eux
comme l'éclair. Quelquefois, on n'entend que la bride de son cheval ou
le son de sa voix.
La
chasse moine de Laval-Dieu. - Il y a environ trois cents ans, un moine
du couvent de Laval-Dieu, passionné pour la chasse, étant parti avant
l'office pour battre le bois, se laissa entraîner et n'entendit pas la
cloche du couvent. Apercevant des traces, il eut l'imprudence de s'écrier
:
«
Le Diable m'emporte si ce n'est pas un loup ! »
Peu après
il aperçut la bête au milieu d'un fourré, la visa et la tua. C'était
un renardeau. Au même moment le Diable lui apparut, et lui proposa de
signer un parchemin en échange d'une grosse somme d'argent. Le moine refusa.
Mais le diable lui dit :
«
Soit! j'emporte ton âme et ton corps. Si tu signes, ton âme seule m'appartiendra
et ton corps te restera; mais tu feras toutes les nuits treize fois le
tour des Grands-Bois en criant : Taïaut! taïaut! et en excitant
les chiens comme si tu étais à la chasse. »
Le moine
signa, et depuis ce temps, il quittait chaque nuit sa cellule,
et faisait treize fois le tour des Grands-Bois, animant ses chiens imaginaires,
et criant de distance en distance, aussi fort qu'il le pouvait : Ouh!
ouh! ta! ta! taïaut! taïaut! taIaut! On lui donna dans le pays le
nom d'Ouyeu, c'est-Ã -dire de Crieur. Personne ne le vit jamais, mais tout
le monde l'avait entendu.
Chasse
du profanateur de Lomont. - Le chasseur de Lomont était un homme qui,
entraîné par sa passion pour la chasse, avait profané le dimanche et
lancé sa meute dans le champ de la veuve. Il est condamné à chasser
jusqu'à la fin des siècles et à poursuivre, jour et nuit, un cerf qu'il
n'atteindra jamais.
Chasse
de l'amiral Chabot. - Les gens de Pagny racontent que leurs ancêtres
entendaient chaque nuit, avant Noël, l'amiral Chabot qui courait le cerf
dans ses forêts : un jour qu'il assistait à la messe de minuit, il quitta
l'église pour aller chasser et fut condamné à cette pénitence qui semble
aujourd'hui terminée, car ou ne l'entend plus.
Chasseur
Hackelberg. - Au rapport de Hans Kirchhof, il y avait au XVIe siècle,
dans le pays de Braunschweig (Brunswick), un chasseur nommé Hackelberg,
qui avait pour son métier une si grande passion, que, lorsqu'il fut Ã
son lit de mort, il pria Dieu, dit-on, de lui accorder, en échange de
se part du royaume des cieux, la grâce de chasser sur le Soelling jusqu'Ã
la fin du monde. Son voeu impie fut exaucé; et très souvent on entend,
au milieu de la nuit, dans la forêt, un effroyable bruit de cors et du
longs aboiements d'une meute de chiens. On affirme aussi que lorsqu'on
a été témoin de cessa chasse de nuit, il arrive toujours, si l'on s'avise
d'aller soi-même à la chasse le lendemain, qu'on se casse un membre ou
le cou, ou bien qu'on soit la victime de quelque autre affreux accident.
Hackelberg est devenue en Saxe et en Westphalie, sous un nom légèrement
changé, le type du Chasseur maudit . |
Les chasses fantastiques, conduites par
des personnages maudits, n'ont pas été relevées en pays bretonnant;
cependant on y connaît une légende apparentée. Près de la baie des
Trépassés, après les tempêtes de mars, on entend la nuit, toujours
au nord de soi, des jappements en haut des airs, mais si haut qu'on ne
peut rien apercevoir : ce sont les Chass an Gueden, les chiens des
équinoxes, esprits sortis de l'enfer, qui essaient de remonter au ciel.
Dans les terres, au fond du vallon des Trépassés, on dit au contraire
aux enfants que ce sont des anges qui pleurent.
On peut également citer le cas d'une chasse
fantastique dans laquelle ce n'est pas le coupable, mais la victime qui
subit le poids de la damnation : depuis que le baron de Hertré fut assassiné
au presbytère de La Fresnaye, il chasse la nuit dans la forêt
de Perseigne
et la chasse, annoncée par les cris des veneurs et les aboiements des
chiens, se dirige vers le bourg de La Fresnaye.
Comment
échapper au chasseur
Il existe des gestes
qui mettent à l'abri des atteintes de la chasse funeste. En Normandie ,
on doit, lorsqu'on l'entend au dessus de sa tâte, tracer aussitôt un
cercle autour de soi avec un bâton ou simplement avec le bras; les démons
essaient en vain de franchir la ligne qui les arrête tout court. Pour
qu'ils puissent partir, ils sont forcés de venir à résipiscence et de
demander grâce. Le voyageur trace alors un second cercle à l'inverse
du premier, et la huaille noire s'échappe avec de grands cris.
D'après la croyance
du pays fougerais, les chiens de la Chassartue ne peuvent entrer
dans un rond qu'un homme a fait autour de lui. Il semble toutefois que
ce moyen ne soit pas toujours efficace :
Il existe plusieurs
procédés réputés efficaces pour faire disparaître les chasses aériennes
ou pour se mettre à l'abri de leurs maléfices. Aucun, en revanche, ne
semble avoir été imaginé pour conjurer les dangers des chasses forestières.
Mais il y en a peut-être eu autrefois, et dans les vers qui suivent, Ronsard
parle peut-être d'une conjuration usitée de son temps, où intervenait
le fer, métal odieux aux esprits.
Si fussé-je
estouffé d'une crainte pressée
Sans Dieu qui promptement
me meit en la pensée
De tirer mon espée
et de couper menu
L'air tout autour
de moy avecques le fer nu;
Ce que je feis soudain,
et sitost ils n'ouyrent
Siffler l'espée
en l'air que tous s'esvanouyrent,
Et plus ne les ouys
ni bruire ni marcher. (Hymnes).
Lorsque, en Alsace ,
la chasse sauvage passe dans le voisinage
de quelqu'un ou au-dessus de sa tête, il n'a qu'à tirer un mouchoir,
de préférence blanc, à l'étendre par terre et à se placer dessus;
il n'a plus dès lors rien à craindre.
Ailleurs le mouchoir
doit être disposé en croix. On raconte qu'en Poitou
un soldat ayant entendu la Chasse galopine, réunion des âmes des
petits enfants morts sans baptême, que le Diable poursuit chaque nuit,
plia son mouchoir en forme de croix, et, après l'avoir posé à terre,
traça un grand rond autour. Le Diable essaya
en vain d'entrer dans le cercle, puis il finit par s'en aller; dans une
autre version, un petit oiseau vient se poser sur le mouchoir et demande
au soldat d'être son parrain.
Dans le Berry ,
dès que les voyageurs entendent les clameurs de la chasse à Bôdet,
ils doivent se hâter de façonner une croix avec le premier objet venu,
puis, après s'en être servis pour tracer un cercle autour d'eux, la ficher
en terre, s'agenouiller auprès, et attendre en récitant des prières
à haute voix. Presque toujours les âmes que le Diable conduit en Enfer,
viennent s'abattre, sous la forme de blanches colombes, sur les bras de
la croix, et les démons, après les avoir poursuivies jusqu'au bord de
l'enceinte, s'enfuient bientôt avec un redoublemeut de vacarme, Un soldat
ayant fiché son épée en terre, au milieu d'un cercle, vit se percher
sur sa garde qui formait une croix, une âme qui, avant de s'envoler, le
remercia de l'avoir tirée des grilles de Satan,
et lui annonça que, grâce à lui, elle allait se rendre directement en
Paradis. La même légende est connue dans le
Poitou .
(P. Sébillot / A. de Chesnel).
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Les
chasses fantastiques continuent de faire frissonner dans les salles obscures...
Affiches
des films Sleepy Hollow, de Tim Burton (1999) et de The Wild
hunt (la Chasse infernale) d'Alexandre Franchi (2009). Ci-dessous,
les Nazgul, les chasseurs maudits
du
Seigneur des Anneaux de Peter Jackson (2001).
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