| Les Caraïtes ou Karaïtes sont une secte juive née au VIIIe siècle, en Asie, sous le calife Abou Djafar Almansour, probablement vers 761. Le fondateur de la secte se nomme Anan, fils de David. Il était membre de la famille des exilarques juifs de Babylonie et lorsque, à la mort de son oncle, l'exilarque Salomon, à qui il espérait succéder, il se vit préférer son frère Hanania, plus jeune que lui, il se sépara du rabbinisme et créa la secte nouvelle. Ses sectateurs s'appelèrent d'abord Ananites; plus tard, fils de la Bible (micra) on plutôt du Pentateuque, et Caraïm (Caraïtes, c.-à-d. gens de la Bible). Ces deux derniers noms se justifient par la tendance générale des Caraïtes à rejeter, dans la religion juive, toutes les théories et toutes les pratiques tirées de la Bible par l'interprétation plus ou moins artificielle des rabbins et du Talmud, et à restaurer la religion mosaïque ou biblique de l'Ancien Testament. La religion caraïte est donc une réaction contre le rabbinisme, auquel sont restés attachés la majorité des Juifs (par opposition aux Caraïtes, on les appelle Rabbanites) et il est très probable que ses origines intellectuelles remontent plus haut qu'Anan. Il y a eu de tout temps, parmi les Juifs, des esprits opposés aux excès du talmudisme, de sourdes résistances à la doctrine talmudique ont dû se produire souvent avant Anan, et il est probable qu'Anan n'a fait que leur donner un corps. Son entreprise a, du reste, été favorisée, au moins plus tard, par l'action de la philosophie arabe et des sectes arabes sur les Juifs babyloniens, comme on le voit par la naissance des nombreuses sectes judéo-arabes qui suivirent l'avènement de la religion caraïte ( Gretz, Gesch. der Juden, V, note 18 de la fin du volume). La réforme d'Anan, il faut le dire tout de suite, n'a pas été aussi absolue ni aussi systématique qu'on pourrait le supposer. Les Caraïtes, il est vrai, ont renié le Talmud; ils ont aussi, plus que les Rabbanites de ces premiers temps, et pour justifier leurs prétentions, étudié avec soin le texte biblique et rendu des services dans l'étude grammaticale de l'hébreu; mais en réalité ils sont restés attachés à la méthode d'interprétation talmudique, ils ont gardé ou créé un grand nombre de pratiques religieuses, qui ne se distinguent en rien, dans leur essence, des pratiques religieuses des Rabbanites, et s'ils ont rejeté le Talmud, ils ont fini par en créer un autre, à leur usage. On ne sait pas grand-chose des doctrines d'Anan, les ouvrages qu'il a écrits sont perdus et les textes qu'on lui attribue et qui sont parvenus jusqu'à nous ne sont pas d'une authenticité certaine. On est à peu près certain, néanmoins, qu'Anan a conservé, dans sa méthode d'interprétation biblique, les règles qui avaient été tracées par les rabbins de la mischna, et que, d'autre part, il a rejeté le calendrier des rabbanites, servant à la fixation des fêtes juives, et en est revenu, pour la fixation des mois et du caractère de l'année, à la méthode de l'observation directe de la nouvelle lune (Phase), corrigée par des règles concernant l'état de la végétation, comme on la pratiquait dans les temps de la mischna. Reprenant une ancienne querelle des Sadducéens contre les Rabbins, Anan fixa la fête de la Pentecôte au 50edimanche (et non 50e jour) après la fête de Pâque. On peut faire aussi remonter à Anan la prescription relative à une observation plus stricte du repos sabbatique et principalement la défense d'avoir aucune lumière ni aucun feu dans sa demeure le jour du sabbat. C'est probablement lui aussi qui a étendu, au delà des règles rabbanites, et aggravé es défenses de mariage entre parents de degrés éloignés et lés lois du lévirat. S'il a modifié le rituel des prières, on suppose qu'il ne l'a fait que très légèrement, et que le rituel actuel des Caraïtes est une oeuvre postérieure, où les prières originales des rabbanites ont été remplacées presque exclusivement par des centons bibliques. Les Caraïtes ont aussi changé les jours de jeûne juifs, aboli l'usage des phylactères, mais ils ont conservé les fêtes juives, la circoncision, maintenu et aggravé considérablement les règles concernant la nourriture; ils ont aussi des règles spéciales sur la manière d'abattre les bêtes de consommation, mais on ne sait quelle est la part d'Anan ni s'il a une part dans ces diverses dispositions. Les Caraïtes ont aussi rétabli les règles de pureté qui sont prescrites dans la Bible et ils les observent toutes encore aujourd'hui. Quand, on visite une de leurs synagogues, on aperçoit à l'entrée une foule de gens qui se tiennent à l'écart de la communauté, pour cause d'impureté religieuse. Cette innovation n'est pas d'Anan, elle a été introduite dans la religion caraïte par les Caraïtes de Jérusalem, au Xe siècle. Les successeurs d'Anan ont consacré leurs efforts à répandre la nouvelle religion, a la former et consolider; une grande partie de leurs forces s'est dépensée en pure perte dans des polémiques stériles contre les Rabbanites. Vers la fin du IXe siècle, les Caraïtes, qui avaient demeuré exclusivement en Babylonie et en Perse, établirent à Jérusalem une colonie qui devint bientôt très active et montra surtout un zèle ardent pour la propagande de leur doctrine. Au XIe siècle, il y eut à Jérusalem une école groupée autour de Josué ben Juda Aboul Faradj Fourkan, laquelle se mit à traduire en toute hâte les oeuvres Caraïtes écrites en arabe, pour les importer dans d'autres pays. Bien souvent, à ce qu'il semble, les Caraïtes falsifiaient les livres et altéraient les faits, dans l'intérêt de leur propagande, et encore de notre temps on a remarqué des procédés pareils chez un Caraïte bien connu de Russie. Un élève de Josué ben Juda, nommé Ibn Altaras (fin XIe siècle), transporta, avec les ouvrages du maître, la religion Caraïte en Espagne, ou elle eut pendant quelque temps des adhérents. Elle s'établit aussi, vers la même époque, en Égypte, en Grèce, à Constantinople. Il n'est pas encore facile de dire à quelle époque les Caraïtes sont venus en Crimée, les inscriptions et les épigraphes qui doivent prouver la haute antiquité des Caraïtes dans la presqu'île ne méritent aucune confiance, et ce n'est qu'au milieu du XIIIe siècle (1279) qu'on trouve pour la première fois un témoignage certain de la présence de Caraïtes (ou au moins d'un Caraïte) en Crimée. C'est de là probablement, que les Caraïtes se sont répandus en Russie, en venant de Constantinople, à moins qu'ils n'y soient venus aussi et antérieurement peut-être de la Perse, par le Caucase. La littérature des Caraïtes, dans les différents pays où ils demeurèrent, eut pour principal objet, après la polémique obligée contre les Rabbanites, de fixer la doctrine caraïte, qui était restée flottante, vague et livrée à l'inspiration personnelle. Anan, en se détachant du rabbinisme, avait ruiné le principe d'autorité, il fallut le rétablir; Anan n'avait pas eu le temps de définir clairement la doctrine nouvelle, ses successeurs durent la préciser et elle se précisa elle-même, avec le temps, sous la pression des circonstances, dans l'effort imposé à la secte pour se maintenir en face du rabbinisme, pour justifier son existence à ses propres yeux, et enfin pour former et expliquer sa' théologie. Les écrivains caraïtes furent donc obligés, d'un côté, de façonner leur religion, de créer et cataloguer les pratiques religieuses de la secte, de régler le rituel, et c'est pour cela que presque chaque écrivain important, et la secte a écrit une espèce de livre des Préceptes, où se rencontrent les formules importantes de la doctrine. D'autre part, ils se mirent plus ou moins à la suite des philosophes arabes, et adoptèrent presque tous la doctrine des Motazilites, qui exercèrent déjà une grande influence sur le premier successeur un peu important d'Anan, Benjamin de Nehavend. On a même supposé que c'était pour flatter les Musulmans et obtenir leur protection contre les Rabbanites que les Caraïtes s'étaient d'abord, dans le califat, montrés si accessibles aux doctrines arabes et même à certaines pratiques de la religion musulmane. Ils ont, du reste, également tenu à être en bons termes avec les chrétiens, et déjà Anan, à ce qu'on assure, et sûrement déjà Benjamin de Nehavend parlent de Jésus avec des témoignages de respect. Outre les écrivains purement théologiques, les Caraïtes des premiers siècles ont des grammairiens et exégètes qui ne sont pas sans valeur, des chroniques purement fictives et qui tournent naturellement à l'honneur de la secte, enfin un poète dont on a fait autrefois beaucoup de bruit, Moïse Daraï, mais qui est du XIIIe siècle, et qui a purement imité les grands poètes juifs des Rabbanites. Les principaux théologiens des Caraïtes, dans les premiers siècles, ont été Benjamin de Nehavend, déjà nommé, au commencement du Xe siècle, et un peu après lui Nissi ben Noah, qui a été le principal auteur des règles de pureté dont nous avons parlé plus haut; puis losef el Bacir (ha-roé), Salomon ben Ierubam, d'Égypte, Abulsari Sahal ben Maçliah, de Jérusalem, tous trois contemporains et adversaires de Saadia, au Xe siècle; léfet ben Ali, de Bassora, théologien, polémiste, mais surtout grammairien et exégète, fin Xe siècle; David al Mokammeç, de l'Irak, vers la même époque, et enfin, à Jérusalem, au Xe siècle, ce Josué Aboul Faradj, dit El-cheikh, dont il a déjà été question plus haut. A partir de cette époque, le centre littéraire des Caraïtes se déplace et se transporte à Constantinople. C'est là que l'on trouve, en 1148, luda b. Elie Hadassi, auteur d'un ouvrage important appelé Escol haccofer, où sont exposées les différences entre les Caraïtes et les Rabbanites et qui est écrit dans un ton de polémique véhémente. Après lui viennent les deux Aron, également célèbres. Aron ben losef, originaire de Crimée, est l'auteur de commentaires sur différentes parties de la Bible (son commentaire du Pentateuque est de l'an 1289), mais est surtout connu pour avoir rédigé définitivement le Livre des Prières des Caraïtes. II vivait à Constantinople. L'autre Aron, appelé Aron ben Elie de Nicomédie, né au Caire vers 1369, a rendu un plus grand service encore aux Caraïtes en leur donnant, à l'exemple de ce que Maïmonide avait fait pour les Rabbanites, un traité classique de philosophie religieuse appelé Eç hayyim (Arbre de la Vie). Avec ces deux Aron, la religion caraïte a reçu sa forme définitive. Il ne reste plus qu'à nommer l'écrivain Elie Bachiaci, de Constantinople, mort en 1480, et son élève, Caleb Afendopoulo, d'Andrinople, né en 1465, connu par divers ouvrages d'arithmétique, d'astronomie et de médecine, et auteur de plusieurs ouvrages de théologie. Les Caraïtes de Lituanie paraissent être venus dans ce pays de la Crimée, au XIIIe siècle, ils ont demeuré principalement dans les deux villes de Luzk et de Trock. Parmi les écrivains de cette région, nous nous bornerons à citer Isaac ben Abraham, de Trock (1533-94), auteur d'un ouvrage de polémique contre le christianisme, intitulé Hizzuk émuna (Soutien de la Foi), et Mardochée ben Nissan, qui fut en correspondance savante avec J. Trigland et rédigea, en réponse à des questions que celui-ci lui avait adressées sur les Caraïtes, un ouvrage intitulé Dod Mordekhaï, achevé à Krasne-Ostrowo en 1699, et imprimé avec traduction latine sous le titre de Notitia Karoeorum (Hambourg et Leipzig, 1714). La littérature caraïte est à peu près morte aujourd'hui. En somme, la réforme caraïte, comme on l'a remarqué dès son origine, a tourné court et est promptement revenue à un talmudisme qui ne digère guère que par les détails de celui des Rabbanites. Les Caraïtes ont con sumé, en partie, leurs forces dans la lutte contre les Rabbanites, chez lesquels leurs principaux adversaires ont été tout d'abord le célèbre Saadia, polémiste fougueux et savant, Samuel ben Hofni, Haï gaon, Abraham ibn Ezra et Abraham ibn Daud. Etant moins nombreux que les Rabbanites, ils se sont presque constamment traînés à leur remorque. Même en grammaire et en exégèse, où ils ont montré d'abord quelque supériorité, ils n'ont pas un seul homme à comparer à Juda Haiiudj ou à Jona ibn Ganah. On a voulu leur attribuer un certain rôle dans l'invention de la Massore, mais il n'est nullement prouvé que le massorète Ben-Ascher soit un Caraïte. Le seul poète de quelque valeur qu'ils ont eu, n'a été que le plagiaire des poètes rabbanites de l'Espagne, et s'ils ont, dans l'Arbre de la Vie d'Aron de Nicomédie, une espèce de Guide des Egarés, ils le doivent à l'influence qu'a exercée sur eux le célèbre ouvrage de Maïmonide. Les Caraïtes d'Espagne paraissent avoir été forcés à renoncer à leur religion vers 1178 (Revue des études juives, t. XIX, n° 38); après Ibn Ezra et Abraham ibn Daud on n'en entend plus parler dans ce pays. Il y a aujourd'hui encore (1900) de petites communautés caraïtes à Istanbul, au Caire, à Jérusalem, à Hilléh, sur l'Euphrate, et même à Haliez, en Galicie. Leurs principales communautés, cependant, sont encore en Russie, surtout en Crimée et dans la Lituanie. En Crimée, ils ont demeuré à l'origine dans les villes de Kertch, Kaffa (Theodosia), Goslov (Eupatoria) et Tchufut Kalé (Kalé des Juifs). On a prétendu que, dans ce pays, ils descendaient des anciens Khazares (une population tartare), mais aucun document ne le prouve. On croit aussi qu'il y a des Caraïtes parmi les Juifs, de rite indécis, qui demeurent dans le Caucase, mais cela n'est pas certain du tout. En 1871, d'après Frankl, il y aurait eu, en tout (Crimée, nouvelle Russie, Caucase, Volynie, gouvernements de Vilna (Vilnius) et de Kovno et toutes les autres communautés caraïtes de tous pays), environ 6 000 Caraïtes. D'après les Mittheilungen de Petermann, année 1877, il y aurait eu vers cette époque, dans la Russie d'Europe, 3 147 Caraïtes, dont 2 027 en Crimée. Deinard (Revue Et. j., II, 308) estime qu'en 1878 il y avait, en Crimée, 645 familles caraïtes. (Isidore Loeb). | |