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Caïn (hébreu : Qaïn) est, selon la Bible, le fils aîné d'Adam et d'Ève. Lorsque Ève l'eut mis au monde, elle dit : « J'ai acquis (qânîtî) un homme par Yahveh. » (Gen., IV, 1; Cf. Gen., XIV, 19; Prov., VIII, 22). Le nom de Caïn se retrouve avec le sens de « créature, rejeton », dans les inscriptions sabéennes de l'Arabie méridionale. En assyrien, il signifie « ce qu'on possède, un esclave », signification qui est peut-être un vestige du mythe de la malédiction du meurtrier d'Abel. Caïn s'adonna à la culture de la terre, tandis qu'Abel, son frère, gardait les brebis. L'agriculture et la vie pastorale nous apparaissent ainsi dès les premiers jours de l'humanité. Déjà Adam cultivait la terre dans le paradis; après qu'il en eut été chassé, il continua ce travail, devenu pénible par l'effet du péché; il est à croire qu'il y joignit l'élevage des brebis afin d'avoir de quoi se vêtir et afin de se procurer pour sa nourriture, outre les produits des champs, le lait et peut-être aussi la chair de ces animaux. Ses fils partagèrent naturellement ses travaux, et, soit par la volonté d'Adam, soit par goût personnel, chacun d'eux se livra à l'une de ces deux occupations, sauf à faire au besoin échange avec son frère des produits de leur travail respectif. Caïn, de Fernand Cormon, au musée d'Orsay (1880). L'artiste a puisé son sujet dans la Légende des siècles de Victor Hugo. La Bible ne cous dit rien des sentiments de Caïn pour son frère jusqu'au jour où il offrit au Seigneur des fruits de la terre. Yahveh ne regarda ni ses présents ni lui-même, tandis qu'il agréait les offrandes et la personne d'Abel. Cette préférence irrita profondément le fils aîné d'Adam, et l'abattement empreint sur son visage fit voir la colère et la haine qui venaient de s'allumer en lui contre son frère. (Gen., IV, 5). Cependant plusieurs Pères ont pensé que l'aversion de Caïn contre Abel existait déjà auparavant, et que c'est pour cela que Yahveh n'agréa pas son sacrifice. En ce qui regarde ce rejet des offrandes de Caïn, on peut en donner une autre raison plus profonde. Saint Paul, en disant (Hebr., XI, 4), que ce fut par sa foi qu'Abel présenta à Dieu des offrandes plus abondantes que celles de Caïn, nous suggère indirectement que Caïn manqua de cette foi et de la religion qui l'accompagne nécessairement. C'est aussi ce que donnerait à entendre la Genèse (IV, 3-4) : « Abel, dit-elle, offrit des premiers-nés de son troupeau et de leur graisse, » c'est-à-dire des plus gras et des plus beaux; mais, en ce qui touche Caïn, elle se borne à dire qu'il « fit une offrande des fruits du sol », les premiers venus sans doute; peut-être même garda-t-il à dessein pour lui ce qu'il y avait de meilleur, comme l'insinue la traduction des Septante, et comme le pensent beaucoup de commentateurs. Il faisait du moins un partage toujours abominable aux yeux de Dieu, « lui donnant quelque chose du sien, mais se gardant lui-même. » (S. Augustin, De Civit. Dei, XV, VII, t. XLI, col. 414). Caïn en voulut à son frère d'un résultat qu'il savait bien ne pouvoir imputer qu'à lui-même, et la colère contre Abel le « brûla » (Gen., IV, 5). Yahveh essaya de le ramener à de meilleurs sentiments; comme il était allé au-devant du père après son péché dans le paradis, il vint de même au-devant du fils coupable, montrant par là que sa miséricorde était toujours assurée à l'humain. Il v eut même, dans cette démarche divine envers Caïn, quelque chose de plus touchant : Dieu s'était borné à faire constater à Adam sa nudité corporelle comme témoignage du péché extérieur qu'il avait commis, tandis qu'il parla à Caïn de ses dispositions intimes et des projets fratricides qu'il tenait cachés au fond de son coeur. « Pourquoi, lui dit-il, es-tu irrité, et pourquoi ton visage est-il abattu? Est-ce que, quand tu as bien agi, tu ne le relèves pas, en signe de ta bonne conscience? Mais si tu ne fais pas bien, le péché se tient en embuscade à ta porte, et son désir est vers toi [pour que tu succombes]; mais toi, domine sur lui. » (Gen., IV, 6-7).Dieu avertit donc Caïn du danger auquel l'exposaient les mauvaises dispositions dans lesquelles il s'entretenait. En outre, Dieu ne se borna pas à révéler à Caïn son état intérieur; il lui rappela aussi la puissance de son libre arbitre pour résister aux tentations et vaincre cette bête féroce du péché. La version de ce passage dans la Vulgate offre un sens un peu différent : « Si tu fais bien, ne recevras-tu pas la récompense, » comme Abel a reçu la sienne? « Si tu fais mal, au contraire, le péché ne sera-t-il pas aussitôt à ta porte? mets sous toi ton désir, et tu le domineras. » Beaucoup entendent ici par le péché la peine qui le suit, le remords, le trouble, etc. Caïn ne fut ni touché par ce langage plein de bonté, ni effrayé de ce regard qui pénétrait dans les replis de son âme. Il exécuta le dessein qu'il avait formé de tuer Abel-: « Et Caïn dit à son frère : Allons dehors. »Ces deux derniers mots manquent dans l'hébreu. « Et lorsqu'ils furent dans la campagne, Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua. » (Gen., IV, 8).Il n'y a pas trace de lutte dans le récit, qui ne nous dit pas non plus si le meurtrier accomplit son crime par la seule force de son bras ou à l'aide de quelque arme. « Et le Seigneur dit à Caïn : Oii est ton frère Abel? » (Gen., IV, 9).C'est une chose remarquable que Yahveh procède par interrogation avec Caïn comme avec Adam après leur péché : « Où es-tu? » dit-il à Adam (Gen., III, 9); et à Caïn : « Où est ton frère? » et tout de suite après : « Qu'as-tu fait de ton frère? » (Gen., IV, 9, 10).Il lui avait déjà dit : « Pourquoi es-tu irrité? » (Gen., IV, 6).Selon les théologiens, Dieu prévient ainsi l'homme coupable, l'oblige à regarder en lui-même pour voir sa faute, et à disposer son coeur pour recevoir le pardon par le repentir. Cette bonté pour celui qui venait de commettre un si grand crime, au mépris des paternelles remontrances de Dieu, fait ressortir plus fortement l'insolente réponse de Caïn; au lieu de se cacher et de s'humilier devant le Seigneur, comme Adam son père, il tient tête à Dieu et semble le défier : « Je n'en sais rien, dit-il. Suis-je le gardien de mon frère? » (Gen., IV, 9).Il savait bien pourtant que Yahveh, qui avait lu naguère dans son coeur, ne pouvait ignorer son forfait. Par son impénitence orgueilleuse, il incita en quelque sorte Dieu à lui infliger un terrible châtiment : « Tu seras maudit sur la terre [...] tu la cultiveras, elle ne te donnera pas ses fruits : tu seras vagabond et fugitif sur la terre. » (Gen., IV, 10-12).Yahveh n'avait pas maudit Adam, mais seulement la terre, parce qu'Adam avait confessé sa faute; il maudit Caïn, comme il avait maudit le serpent, c'est-à-dire le démon, dont Caïn imitait l'envie et avait suivi les inspirations. En même temps il aggrava pour lui la malédiction de la terre, et tout cela parce que Caïn avait aggravé son péché par son impénitence et son arrogance. Caïn se livra alors au désespoir et déclara que « son iniquité était trop grande pour être pardonnée » (Gen., IV, 13). Beaucoup de commentateurs modernes préfèrent cette autre traduction, dont ce passage est susceptible : « Trop grande est ma punition pour être supportée. » Ce sens paraît mieux répondre à la conduite de Caïn et aux paroles qu'il ajoute; ces paroles montrent bien, en effet, qu'il était beaucoup moins affligé de son péché que des suites de ce péché; après avoir ôté la vie à son frère, il n'avait d'autre souci que de conserver la sienne : « Voilà, ajouta-t-il, que vous me rejetez aujourd'hui de dessus la face de la terre, et je me cacherai de devant votre face; [...] le premier qui me rencontrera me tuera. » (Gen., IV, 13-14).Ceux dont il redoutait la vengeance étaient ou les enfants d'Abel, si toutefois Abel était marié, ou bien les autres enfants ou descendants d'Adam, soit qu'il en existât déjà, soit que Caïn parlât en prévision de l'avenir (Cf. Gen., V; 4). Cependant Yahveh voulait laisser au coupable le temps de se repentir; il voulait aussi dés le commencement faire voir qu'il ne permet à personne d'ôter, de son autorité privée, la vie à son semblable (Cf. Gen., IV, 5.II) déclara donc que celui qui oserait tuer Cain « payerait sept fois la vengeance », c'est-à-dire serait très sévèrement puni, et « il posa sur Caïn un signe, afin que personne de ceux qui le rencontreraient ne le tuât » (Gen., IV, 15). Qu'était-ce que ce signe? D'après certains commentateurs, il aurait consisté en quelque phénomène extérieur qui devait rassurer Caïn, de même que l'arc-en-ciel fut donné à Noé comme le gage que les humains ne seraient jamais plus détruits par le déluge (Gen., IX, 13). Mais les expressions employées ici ne peuvent s'entendre que d'un signe placé sur la personne même de Caïn. Ce qui devait encore contribuer à rassurer Caïn, c'était qu'il allait être séparé de ceux dont il pouvait redouter la vengeance. Il allait s'éloigner « de la face de la terre », c'est-à-dire du pays où il avait jusque-là habité, tout près sans doute de l'Eden. Alors commença pour lui une vie errante et vagabonde. La Vulgate dit que Caïn habita le pays qui est à l'orient de l'Éden (Gen., IV, 16). L'hébreu porte : « Dans la terre de Nod, à l'est de l'Éden. » Nod signifie « fuite ». La Genèse ajoute encore deux traits à ce qu'elle nous a déjà appris sur Caïn; il eut un fils nommé Hénoch, et il bâtit une ville qu'il appela, de son nom, Hénoch (Gen., IV, 17). L'épouse qui donna ce fils à Caïn ne pouvait être qu'une de ses soeurs, fille d'Adam et d'Eve comme lui; cette sorte d'union s'imposait évidemment dans la première famille de l'humanité. A quelle époque naquit Hénoch? Certainement avant la fondation de la ville qui prit son nom; mais était-il déjà né avant le crime commis par son père? La Bible n'en dit rien, de même qu'elle passe sous silence bien d'autres points de ce mythe, tels que l'âge de Caïn et d'Abel au moment où celui-ci fut tué par celui-là; le nombre des enfants qu'eut Adam (Gen., V, 4); les enfants que Caïn lui-même pouvait avoir lorsqu'il commit son fratricide (on peut croire qu'il avait alors prés de cent trente ans (cf. Gen., V, 4-5), ou ceux qui lui naquirent dans la suite; l'époque où il construisit la ville; les années qu'il a vécu, etc. Ce silence suffit pour rendre vaines certaines objections que les croyants ont faites contre l'histoire du fils aîné d'Adam. Il faudrait, en effet, connaître tout cela pour mettre le récit biblique en contradiction avec lui-même, sous prétexte que la crainte de Caïn d'être tué par ceux qui le rencontreraient et la construction de la ville supposent l'existence d'un grand nombre d'humains. Cette absence de toute indication chronologique permettrait de trouver ce grand nombre d'humains, s'il était nécessaire pour expliquer les faits, puisque plusieurs siècles ont dit ou ont pu s'écouler entre ces différents faits, à une époque où la longévité humaine était si prodigieuse. D'ailleurs, en ce qui regarde la « ville », ce mot peut fort bien signifier ici simplement la réunion de quelques habitations; et, d'autre part, il est évident que fonder une ville, le mol seul le dit, c'est commencer de construire; or cela est loin de supposer déjà un grand nombre d'habitants. La Genèse nous fait voir Caïn à l'oeuvre : « Il bâtit une ville; » mais elle ne dit pas qu'il se soit fixé à Hénoch et qu'il ait ainsi échappé à son châtiment en cessant de mener une vie errante, comme quelques-uns le prétendent. Nous devons croire que la justice de Yahveh n'a pas été frustrée, quoique les auteurs bibliques ne nous parlent plus de Caïn depuis son départ pour la terre d'exil. Au dire de Josèphe, il se serait livré dans la suite à toute sorte de crimes (Ant. jud., I, II, 2). Plusieurs ont pensé qu'il fut tué par Lamech, un de ses arrière-petits-fils ( d'après Gen., IV, 23); mais c'est une interprétation tout à fait arbitraire de ce texte, et Théodoret la traite de futile. Caïn a été regardé par les Pères de l'Eglise comme le type des persécuteurs des justes; Jésusle dit assez clairement (Matth., XXIII, 32-35). Ce furent, en effet, la vie pure et la piété d'Abel, dont Dieu agréa le sacrifice, qui allumèrent dans le coeur de Caïn le feu de la jalousie et de la haine; et son crime n'eut point d'autre cause, d'après saint Jean (I Joa., III, 12). Aussi saint Augustin dit-il qu'il est le fondateur de la cité de Babylone, la cité des méchants, toujours eu lutte, dans le cours des siècles, contre la cité de Dieu, l'Église. Saint Basile appelle Caïn « le premier disciple du démon ». Il est question de Caïn dans trois passages du Nouveau Testament, Hebr., XI, 4; I Joa., III, 12, déjà cités, et Jude, 11, où l'auteur de l'Épître dit, en parlant des méchants, qu'ils suivent la voie de Cain. (E. Palis). |
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