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Le bâton
paraît avoir été de toute antiquité l'insigne
du commandement. Les textes ainsi que les monuments parvenus jusqu'à
nous ne nous laissent aucun doute à cet égard. En Égypte
comme en Grèce et à Rome, des bâtons de commandement
sont portés par des autorités militaires ou administratives.
Sous sa forme la plus haute, on retrouve cet insigne dans le sceptre, symbole
de l'autorité souveraine. Renan nous parle
du
«
roi des Grecs homériques, le Basileus qui, comme son nom l'indique,
entraîne le peuple à la bataille, un bâton à
la main ».
Le bâton restera un signe de commandement
des autorités militaires, ecclésiastiques et civiles : ainsi
le baculus aureus des rois de France, le bâton des maréchaux,
le bâton pastoral ou crosse des évêques et abbés;
le bâton cantonal des grands chantres dans les églises cathédrales
et les collégiales; le bâton à deux bouts des gardes
des eaux et forêts; le bâton de la confrérie de Saint-Nicolas,
porté par le chef de l'ordre des avocats, d'où le nom de
bâtonnier qui s'est maintenu dans l'usage; le bâton de justice
des huissiers à verge (appelés baston dans le vieil
anglais à cause de la baguette qui est l'insigne de leurs fonctions);
enfin le bâton du juge dans les ventes judiciaires.
A cause du bâton de justice,
vendre avec le bâton signifie vendre aux enchères, par l'office
du juge. Dans la coutume de Mons il est dit (art. 12) que l'un des échevins
adjuge au tiers coup de baston. On sait que de nos jours les commissaires-priseurs
ne procèdent pas autrement.
Peut-être est-ce parce que le bâton
(baculus, virga) est un signe de puissance, que, dans le droit féodal,
il est choisi très usuellement comme symbole de tradition et d'investiture,
ainsi que le fust (festuca) avec lequel il se confond souvent
et qui remonte à la pratique de l'époque franque. Mettre
la main au bâton ou à la verge, signifie donc faire tradition,
donner l'investiture. Tant que la transmission des fiefs ne put s'accomplir
sans investiture seigneuriale, on dit que le vassal peut se jouer d'une
partie de son fief à l'insu du seigneur « sans s'en dessaisir
ou la main mettre au bâton » (Loisel, règl. 64).
Selon les pays, et suivant que l'investiture est regardée comme
un acte privé ou comme un acte public, le bâton est remis
directement de la main à la main par l'aliénateur à
l'acquéreur, ou au contraire transmis par l'intermédiaire
du seigneur féodal, seul ou assisté de ses hommes, ou par
l'autorité de l'échevinage. A Amiens,
c'est par-devant le seigneur féodal ou censuel que se fait le vest
et le devest par la remise du bâton. En Angleterre, dans les aliénations
à titre gratuit, le bâton est remis par le donateur au seigneur
ou au sénéchal, puis il passe des mains de celui-ci entré
celles du donataire : c'est l'une des formes de la livery of seisin
(Littleton, Tenures, sect. 78). Selon l'ancien coutumier d'Artois,
l'ensaisinement (ahiretance) se fait par rapport de l'héritage
en la main du seigneur, par raim (per ramum) et bâton
en présence des hommes du seigneur convoqués par lui pour
juger et certifier l'accomplissement des solennités de la transmission
(tit. XXIII, n° 3 à 6). A Lille (art. 80) et à Mons (ch.
XII) c'est le rapport à la justice de l'échevinage qui est
pratiqué. On le trouve aussi en Allemagne.
Bâton
de maréchal.
Le bâton de maréchal est
connu en France depuis Philippe-Auguste.
Il est toujours l'attribut du commandement en chef, et, quand il se trouve
plusieurs maréchaux dans une armée, nous voyons celui d'entre
eux qui exerce le commandement suprême faire seul usage de son bâton.
Au XVIIe siècle, on voit Condé
lancer son bâton de commandement dans les lignes ennemies pour entraîner
ses soldats à l'assaut des retranchements de Fribourg. Après
Louis XIV, le bâton de maréchal
n'est plus guère porté à la guerre et devient un emblème
à peu près décoratif. L'usage s'en perd à un
tel point au XVIIIe siècle, qu'au
commencement du XIXe, quand Napoléon
Ier, crée
ses maréchaux d'Empire, le ministre de la guerre, Clarke, est obligé,
en vue de la confection des bâtons de ces hauts dignitaires, de faire
prendre modèle sur celui que porte une statue du grand Condé.
A la fin du XIXe siècle, on a vu
le maréchal Canrobert commander ses troupes sur les champs de bataille
de Metz, son bâton de maréchal
à la main.
Cet insigne a eu différentes longueurs.
Ses dimensions, dit le général Bardin, étaient sous
la Restauration de 50 centimètres de long et 45 millimètres
de diamètre. Il était recouvert de velours bleu de roi parsemé
de fleurs de lys d'or. Sous le premier Empire, les fleurs de lys avaient
été remplacées par des abeilles;
en 1830 on y mit des étoiles et, sous Napoléon
III, des aigles. Les calottes d'or qui terminent le bâton
à ses deux extrémités portaient autrefois, l'une les
armes de France, l'autre les armoiries du dignitaire. Plus tard, ces emblèmes
ont été remplacés par ces deux inscriptions : Terror
belli, Decus pacis.
Bâton
pastoral.
Il semble qu'à une époque
ancienne les fidèles assistaient à l'office un bâton
à la main. Plusieurs écrivains liturgiques du Moyen âge
indiquent en effet qu'on doit déposer ces bâtons pour la lecture
de l'évangile. Cet usage s'explique surtout par la nécessité
de diminuer la fatigue des longs offices en accordant à ceux qui
les suivaient la faculté de cet appui. Mais l'usage liturgique du
bâton se restreignit bientôt aux dignitaires de l'Église,
c.-à-d. aux évêques et à certains abbés.
Il est le symbole de l'autorité que le pasteur doit exercer sur
les fidèles qui forment son troupeau. Dans les peintures des catacombes
on trouve le bâton recourbé du berger ou pedum, représenté
isolément avec le vase de lait. Un certain nombre de textes prouvent
que les évêques le portaient déjà au IVe
siècle. Au VIIe siècle, Isidore
de Séville et le quatrième concile de Tolède le
mentionnent comme un des insignes épiscopaux.
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Bâtons
pastoraux. - a, Crosse de saint Ehrard, évêque de Ratisbonne
(XIe s.).
b,
Crosse en ivoire de la collection Bouvier
(XIIe
s.). |
Au VIIIe siècle,
Charles le Chauve, dans une lettre au pape Nicolas, parle de l'anneau et
du bâton comme des signes de l'investiture épiscopale; les
suffragants les recevaient du métropolitain. On sait quelles luttes
ce mode d'investiture excita plus tard entre le sacerdoce et l'Empire qui
l'usurpait. Ces bâtons étaient d'abord de bois;
plus tard on les fit d'ivoire,
d'or, d'argent, de cristal. Plusieurs écrivains du Moyen âge,
notamment Pierre Damien
au XIe, siècle, blâment ce
luxe et observent que les évêques étaient plus vertueux
aux temps où les bâtons étaient de bois. De là
le dicton populaire que rapporte Coquille dans son Histoire du Nivernais
:
Au
temps passé du siècle d'or,
Crosse
de bois, evesque d'or,
Maintenant
changent les loix,
Crosse
d'or, evesque de bois.
Les abbés et même les abbesses
reçurent aussi l'investiture par le bâton. On en trouve des
exemples dès une époque assez ancienne. Par contre, les papes
renoncèrent à cet usage. Innocent
III en donne pour raison que saint Pierre avait envoyé son bâton
à Eucharius, premier évêque de Trèves,
et que ce bâton était encore conservé à Trèves.
Les bâtons pastoraux sont souvent désignés au Moyen
âge
par les mots cambuta, crocia, à partir du XIe
siècle, de crux. Ils conservèrent la forme recourbée
du pedum, Hugues de Saint-Victor,
au XIIe siècle, dit à ce
sujet :
«
Le bâton pastoral, par sa tige droite, indique la rectitude du gouvernement
ecclésiastique. Si l'une des extrémités est recourbée,
si l'autre se termine en pointe, c'est que le pasteur doit commander à
ses sujets et combattre les orgueilleux. »
On conserve un grand nombre de crosses épiscopales
ou abbatiales; les plus anciennes remontent au IXe et
au Xe siècle. Très souvent
ce sont des oeuvres d'art, décorées avec élégance
et richesse; beaucoup portent au centre un
motif ornemental, quelquefois une figure
ou même une scène avec plusieurs personnages. Les ateliers
d'émailleurs et notamment ceux de Limoges
ont exécuté un grand nombre d'oeuvres de ce genre. (Paul
Cauwès / C. Bayet). |
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