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Somme

Somme (du latin summa), titre de certains ouvrages qui traitent en abrégé de toutes les parties d'une science, d'une doctrine. Le plus célèbre est la Somme de St Thomas d'Aquin, sorte d'encyclopédie de théologie et de métaphysique. La Somme rurale de Jean Bouthillier est un traité de droit et de pratique à l'usage du Parlement de Paris.
La Somme du Pseudo-Geber. - Les ouvrages latins qui portent le nom de Geber n'ont, pour ainsi dire, rien de commun avec ses ouvrages arabes et ne portent pas le caractère de traductions. Ils sont inconnus des chimistes arabes; et même des traducteurs latins de livres attribués à Razhès et à Avicenne. Aucune mention précise de ces ouvrages n'est faite dans les auteurs latins authentiques du milieu du XIIIe siècle, tels que Albert le Grand et Vincent de Beauvais. Mais quelques-uns, tels que la Summa, apparaissent tout à coup dans les manuscrits vers l'an 1300; d'autres, dans le cours du XIVe siècle et plus tard encore. C'est à ces oeuvres apocryphes qu'est due la réputation dont Geber a joui dans le monde latin. Les principales ont pour titre Summa collectionis complementi secretorum naturae, autrement dit Summa perfections magisterii, ouvrage capital, qui se présente sous différents titres dans les manuscrits et dans les imprimés; De Investigatione perfectionis; De Inventione veritatis, et Liber fornacum (tous traités contenus dans le volume intitulé Artis chemicae principes; Bâle, 1572); enfin, Testamentum Geberi regis Indiae, et Alchimia, Geberi. Les deux derniers sont beaucoup plus modernes. Les préparations décrites dans l'Alchimie, notamment celles qui concernent l'acide nitrique, l'eau régale, le nitrate d'argent, sont inconnues des auteurs du XIIIe siècle et elles ne figurent même pas dans la Summa.

Les opuscules De Investigatione perfectionis, De lnventione veritatis et le Liber fornacum ne sont pas autre chose que des extraits et des résumés de la Summa, qui y est citée à plusieurs reprises. Ils reproduisent les mêmes préparations et opérations, avec addition de noms et de faits plus modernes, tels que les noms du salpêtre, du sel de tartre, de l'alun de roche et de plume, la mention des eaux dissolvantes obtenues en distillant un mélange de vitriol de Chypre, de salpêtre et d'alun - ce qui fournit (le l'acide nitrique - ou bien en ajoutant à ces sels du sel ammoniac - ce qui rend le produit apte à dissoudre l'or, le soufre et l'argent (eau régale). Tout cela manque dans la Summa. Ce sont en réalité des oeuvres du milieu du XIVe siècle. La Summa qui les a précédées est un ouvrage méthodique, fort bien composé. Il est partagé en deux livres. Le premier traite des empêchements de l'art et des conditions que doit remplir l'opérateur; il expose les raisonnements de ceux qui nient l'existence de l'alchimie et les réfute. C'est là un ordre d'idées inconnu des alchimistes grecs, ainsi que des alchimistes syriaques. On n'en trouve non plus aucune trace dans les opuscules arabes de Geber. Dans la Summa, l'argumentation est poussée à fond, et dans les deux sens contraires, suivant toutes les règles de la logique scolastique. On y relève cette objection terrible, qui a fini par tuer l'alchimie :

« Voici bien longtemps que cette science est poursuivie par des gens instruits; s'il était possible d'en atteindre le but par quelque voie, on v serait parvenu déjà des milliers de fois. Nous ne trouvons pas la vérité, sur ce point, dans les livres des philosophes qui ont prétendu la transmettre. Bien des princes et des rois de ce monde, avant à leur disposition de grandes richesses et de nombreux philosophes, ont désiré réaliser cet art, sans jamais réussir à en obtenir les fruits précieux; c'est donc là un art frivole. » 
Parmi les arguments contraires, je transcris le suivant, qui est resté un principe de philosophie expérimentale:
« Ce n'est pas nous qui produisons ces effets, mais la nature; nous disposons les matériaux et les conditions et elle agit par elle-même : nous sommes ses ministres. »
L'auteur attribue aux anciens cette opinion que les principes sur lesquels la nature opère, sont : l'esprit fétide et l'eau vivante (soufre et mercure, auxquels il ajoute l'arsenic); chacun de ces principes doit être changé en une terre correspondante. Puis de ces deux terres, la chaleur développée dans les entrailles de la Terre extrait une double vapeur subtile, qui est la matière immédiate des métaux. Il expose une série de faits positifs, parfois défigurés par les interprétations de l'auteur. 
« Le soufre perd la majeure partie de sa substance par la calcination [...]. Tout métal calciné avec lui augmente de poids [...].  Uni au mercure, il produit du cinabre, etc. » 
Puis viennent les six métaux. L'auteur les énumère et les définit avec une grande netteté  :
« Le métal est un corps minéral, fusible, malléable, etc. »,
puis il traite de chacun d'eux, dans un chapitre séparé, en présentant d'abord la définition exacte : 
« L'or est un corps métallique, jaune, pesant, non sonore, brillant  [...], malléable, fusible, résistant à l'épreuve de la coupellation et de la cémentation. D'après cette définition, on peut établir qu'un corps n'est point de l'or s'il ne remplit pas les conditions positives de la définition et de ses différenciations. » 
Tout ceci est d'une fermeté de pensée et d'expression inconnue aux auteurs antérieurs, notamment au Geber arabe. Cependant l'auteur croit, comme tous les alchimistes, que le cuivre peut être changé en or, par la nature et par l'art. Il définit avec la même rigueur l'argent, le plomb et les autres métaux, et il retrace les traits caractéristiques de leur histoire chimique, telle qu'elle était connue de son temps, et décrit les principales opérations chimiques. Puis vient une portion purement alchimique, où il indique comment il faut corriger la nature des métaux imparfaits et quels remèdes ou médecines il convient de leur appliquer. 

La dernière partie reprend un caractère plus clair et plus réel pour les modernes; elle expose l'analyse et l'épreuve des métaux par coupellation (cineritium), cémentation, ignition, fusion, exposition aux vapeurs acides, mélange et chauffage avec le soufre, calcination, réduction, amalgamation. Tout cela représente, je le répète, une science véritable, qui poursuit un but réel, par des procédés sérieux, sans mélange d'illusion mystique et de charlatanisme. Tel est cet ouvrage, remarquable par l'esprit méthodique et rationnel qui a présidé à sa composition, et par la clarté avec laquelle sont exposés les faits chimiques relatifs à l'histoire des métaux et des autres composés. Mais cette méthode même, ces raisonnements nets, cette coordination logique des faits et des idées trahissent le lieu et l'époque où le livre a été composé. C'est là une oeuvre du XIIIe siècle latin, et on ne saurait, en aucune façon, l'attribuer à un auteur arabe du VIIIe ou IXe siècle. La Summa ne contient aucun indice d'une semblable origine, ni dans la méthode, ni dans les faits, ni dans les mots ou les personnages cités, ni dans les allusions à l'islam, qui y font complèlement défaut.

L'hypothèse la plus vraisemblable, c'est qu'un auteur latin, resté inconnu, a écrit ce livre dans la seconde moitié du XIIIe siècle, et l'a mis sous le patronage du nom vénéré de Geber; de même que les alchimistes gréco-égyptiens avaient emprunté le grand non de Démocrite pour en couvrir leurs élucubrations. En raison de sa clarté et de sa méthode, supérieure à celle des traités traduits réellement de l'arabe, l'ouvrage latin du pseudo-Geber a pris aussitôt une autorité considérable; mais son attribution aux Arabes a longtemps faussé toute l'histoire des sciences, en conduisant à attribuer à ceux-ci des connaissances positives qu'ils n'ont jamais possédées. (M. Berthelot).

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