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La Grande restauration des sciences, de F. Bacon

Grande Restauration des sciences (Instauratio magna), ouvrage du chancelier Francis Bacon, plan général pour l'étude méthodique, et, par suite, le progrès de toutes les sciences humaines. Il l'intitula ainsi, parce que les méthodes alors en usage lui paraissaient, avec raison, essentiellement vicieuses, manquer de fondement, et ne tendre qu'à une stérile satisfaction de notre curiosité. Bacon voulait une science active, c.-à-d. qui eût pour but et résultat le bien-être la prospérité, la grandeur de l'espèce humaine; enfin une science dont découleraient des axiomes qui, exprimant les lois mêmes de la nature des choses, permettraient à l'homme d'approcher le plus possible de cette nature, et de la soumettre à son empire. Les moyens qu'il propose d'employer sont l'observation, et l'expérimentation à laquelle il donne le nom d'induction. En un mot, il veut substituer la puissance de la méthode à celle du génie. Son ouvrage est conçu en six parties, dont il a tracé le sommaire suivant : 
I. Revue et répartition des sciences; de leur dignité et de leur accroissement. Il s'agit d'une revue générale, une sorte d'inventaire des sciences, au moment où l'auteur commençait son ouvrage; il y constate leur faiblesse, montre les rapports qui les unissent, les progrès dont elles sont susceptibles, et signale leurs lacunes.

II. Novum Organum, ou méthode pour l'interprétation de la Nature. C'est l'exposé la nouvelle méthode qu'il propose. Nous en avons parlé au mot Novum organum.

(Bacon n'a pu exécuter que ces deux premières parties; il n'a laissé des autres que des ébauches, ou même seulement l'idée.) 
III. Phénomènes du Monde, ou histoire naturelle et expérimentale propre à servir de base à la philosophie. Ce devait être une ample collection de faits, déduits de ses observations.

IV. Échelle de l'entendement. Ce devait être consacré à en indiquer les causes, en tirer les conséquences, comme pour préparer à des découvertes plus complètes : c'était, dans sa pensée, comme une initiation, et voilà pourquoi il l'appela Échelle de l'entendement.

V. Science provisoire, prodromes ou anticipations de philosophie. Cette partie aurait réuni les vérités déjà démontrées, et, en outre, les opinions les plus généralement admises et les plus répandues.

VI. Science définitive, ou philosophie seconde et science active, composée des vérités découvertes par la vraie méthode seule, et qui doit diriger l'homme dans l'action. On devait trouver ici le résultat général, les vérités démontrées par l'induction. II donnait à cette partie le nom caractéristique de philosophie seconde, en vue de l'opposer aux vues intuitives et aux hypothèses, procédés ordinaires de l'ancienne science, et qui sont, en fait, la philosophie primitive de l'esprit humain.

Ce plan de Bacon était toute une encyclopédie, et lui-même ne devait pas se dissimuler que son exécution complète était au-dessus des forces d'un seul homme, même quand cet homme n'aurait pas été, comme lui, distrait par les devoirs et tes travaux d'une carrière politique. Les deux parties qu'il a pu terminer suffisent à sa gloire. Le Traité de la Dignité et de l'Accroissement des sciences est en 9 livres; on y trouve toutes les qualités vraiment encyclopédiques de la belle intelligence du philosophe, et c'est un de ses ouvrages les plus parfaits. II débute par venger les sciences, en général, des mépris de leurs détracteurs, et fait voir leur grandeur et leur utilité. Il s'exprime en homme de génie convaincu et ému, et montre, dans ces espèces de prolégomènes, une éloquence presque sublime. Après avoir examiné ce qui a été fait pour les sciences et pour les savants, tant dans l'antiquité que dans les temps modernes, il présente un tableau de toutes les connaissances humaines : Nous l'avons donné ci-dessous.

La description dressée par Bacon ne contenait pas seulement toutes les sciences existant de son temps : fidèle à sa promesse de signaler les lacunes, il fit figurer dans son tableau synoptique plusieurs sciences dont il donna l'idée, telles que, par exemple, l'histoire littéraire, l'histoire de la philosophie, et d'autres. Il déclara la nécessité de les comprendre dans le tableau des destinées d'un peuple, en leur assignant la première place, car c'est l'histoire de l'esprit humain décrit par ses oeuvres, et il dit de l'histoire littéraire en particulier que, sans elle, l'histoire politique ressemblait à Polyphème privé de son oeil. Ces idées qui nous semblent st simples aujourd'hui, tant elles sont justes, ne furent pas acceptées de ses contemporains. Il voulait aussi rattacher à l'histoire ecclésiastique une histoire secrète des conseils de Dieu dans le gouvernement des affaires du monde, cette grande idée de Bossuet dans son Discours sur l'Histoire universelle. Bacon ne s'enferme pas toujours dans la forme purement philosophique : joignant quelquefois l'exemple au précepte, il donne des fragments pleins d'intérêt ou d'élévation sur le sujet qu'il traite, lorsque, dans ses recherches et ses méditations, une inspiration impromptue est venue lui dicter quelques belles pages. Le livre VIIIe se termine par un court traité de la rédaction des lois et des sources du Droit, véritable chef-d'oeuvre qui assure à Bacon un rang éminent parmi les meilleurs publicistes Il consacre le IXe livre, qui est très court, à la science de l'usage légitime de la raison humaine dans les choses divines, et, là encore, il montre beaucoup de sagesse.

La classification de Bacon n'est pas irréprochable; cependant elle parut assez bonne à D'Alembert qui l'adopta pour l'Encyclopédie, sauf quelques changements. Mais la Grande Restauration est tellement pleine d'idées neuves et pratiques, touchant des améliorations que le progrès des lumières a forcé les gouvernements à réaliser depuis, que la classification des connaissances humaines n'y est vraiment que d'un intérêt secondaire, bien qu'elle ait fait oublier toutes les autres. Un écrivain français, M. Riaux, juge ainsi l'oeuvre de Bacon : "Un pareil ouvrage, qui est presque une encyclopédie, et qui est lui-même une analyse des plus brillantes, ne s'analyse pas. II faut le lire pour apprécier cette raison vaste et profonde qui a tout vu, tout pesé, tout rapproché; qui marque à chaque chose sa place, à chaque connaissance son domaine; pour y sentir cet enthousiasme pénétrant pour la science, cet amour passionné pour l'humanité, ces élans d'une grande âme qui défend une grande cause, qui ont fait du livre De la Dignité et de l'Accroissement des sciences un des plus beaux monuments élevés à la gloire de l'esprit humain." (C. D-Y.).



Editions anciennes - Bacon publia d'abord son ouvrage en anglais en 1605, et en deux livres; vers la fin de sa carrière, il lui donna, les développements qu'il a maintenant, le traduisit en latin et le republia en 1623, in-fol. Lasalle a traduit en français les Oeuvres de Bacon, Dijon, 1799-1802, 15 vol, in-8°; M. Riaux a donné : Oeuvres de Bacon, traduction revue, corrigée (c'est celle de Lasalle), et précédée d'une Introduction, Paris, 1843, 2 séries gr. in-18; La Dignité et l'Accroissement des sciences est dans la 1re série.

En bibliothèque - Ch. de Rémusat, Bacon, sa vie, son temps, sa philosophie, et son influence jusqu'à nos jours, chap. 3, 2e édit. Paris, 1852, gr. in-18.


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