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La République, de Platon

De la République, ou du Juste, est un traité politique de Platon, composé vers 332 av. J.-C. - Cet ouvrage, qui comprend douze livres, a la forme d'un dialogue : le personnage principal est Socrate. Platon prétend réformer à la fois l'Etat et l'individu, d'après un même principe, la justice.

Il conçoit la cité comme une ville unique, entourée d'un territoire d'une étendue modérée. La cité comme l'individu, doit se nourrir, se défendre, se gouverner; donc l'intelligence, le courage, même les instincts inférieurs, doivent concourir au bien public. Platon maintient l'esclavage et répartit les citoyens en trois classes, qui correspondent aux trois parties de I'âme : la classe des artisans, des laboureurs et des marchands; la classe des soldats ou gardiens, chargés de défendre la cité; la classe des magistrats chargés de la gouverner. 

Hommes et femmes reçoivent la même éducation, sont astreints aux mêmes obligations et peuvent arriver aux mêmes charges. Pour détruire l'égoïsme personnel et l'esprit de famille, Platon veut établir la communauté des biens, des femmes et des enfants. 

La République  est un mélange de vues profondes, de rêveries et de théories étranges, qu'a raillées Aristophane, dans l'Assemblée des Femmes. Dans les Lois, Platon s'est efforcé d'accommoder son idéal aux nécessités d'ordre pratique. (NLI).

Le programme politique et moral de Platon.
On s'est par fois demandé quel est le véritable sujet de l'ouvrage; si l'intention de l'auteur a été simplement de tracer le plan d'une cité idéale, ou s'il a voulu résoudre une question de morale. A vrai dire, ces deux points de vue que nous sommes habitués à distinguer aujourd'hui n'étaient pas différents aux yeux de Platon. 

De nos jours on considère généralement l'État comme ayant des attributions nettement déterminées et enfermées dans de rigoureuses limites; il doit veiller aux intérêts communs, assurer à chacun le libre exercice de ses droits; mais la conduite privée des citoyens, tant qu'elle n'est pas contraire à l'intérêt échappe à son action; on n'admet pas qu'il puisse s'immiscer dans leurs affaires intimes, qu'il doive ou même qu'il puisse se substituer aux individus pour dire à leur place ce qu'ils entendent par vertu, et encore moins pour les rendre vertueux, de gré ou de force.

Toute autre est l'archaïque doctrine de Platon. Pour lui, la morale ne se distingue pas de la politique; l'état est le représentant de la morale, et s'il est institué pour assurer le bonheur des citoyens, il faut se souvenir que selon Platon, il ne peul y avoir de bonheur véritable en dehors de la vertu. L'État, n'a donc pas de fonction plus importante que de faire régner la vertu. Par suite, c'est une même chose de chercher ce que doit être l'État et ce qu'est la Justice, on répond à l'une de ces questions en résolvant l'autre; et c'est pourquoi la République de Platon est à la fois un livre politique et un traité de morale.

Le contenu de la République.

Bien que nous ne ne proposions analyser que le VIIe livre, il semble nécessaire d'indiquer sommairement les principaux points qui sont traités dans l'ensemble de l'ouvrage.

Les principaux personnages du dialogue sont Socrate, Glaucon, le sophiste Thrasymaque, Céphale et son fils Polémarque, dans la maison duquel les interlocuteurs se sont réunis. La conversation s'engage avec une simplicité et une bonne grâce charmantes, entre le vieux Céphale et Socrate, sur les inconvénients de la vieillesse. Ce début de la République est justement célèbre.

Platon, sous le nom de Socrate, trace le plan d'un État qu'il sait être irréalisable dans les conditions actuelles, qu'il croit possible pourtant et qu'il déclare parfait. Dans cette cité, les citoyens sont divisés en trois castes : les artisans, les guerriers, les magistrats ou les philosophes. On sait qu'il n'y a de place dans l'État rêvé par Platon, ni pour la famille, ni pour la propriété; il expose, avec de nombreux et étranges détails, sa doctrine de la communauté des femmes et des biens.

Il faut signaler encore le passage célèbre du IIe livre, où Platon, considérant la poésie et les arts comme des causes de corruption, déclare que si Homère paraissait dans sa République, il le couronnerait de fleurs, et, avec les plus grands honneurs, le conduirait à la frontière.

Dans le même livre se trouve l'admirable discussion où Socrate défend la justice contre le sophiste Thrasymaque. La justice, dit-il, doit étre respectée pour elle-même; le sage, eût-il l'anneau de Gygès qui pouvait rendre invisible celui qui le portait, se conduira toujours d'après les mêmes règles, et comme s'il était sous les yeux des hommes. Il obéira même à cette loi au péril de sa vie. Par un saisissant contraste, Platon oppose à l'homme injuste, riche, triomphant et tout-puissant , l'homme juste, méconnu, fouetté, torturé et mis aux fers; on lui brûlera les yeux avant de le mettre à mort. 

Même alors, conclut Platon, le sort de l'homme juste est préférable à celui du criminel.

Résumé de la République
Livre I.
La scène est au Pirée, où des amis se sont réunis chez Céphale, père de l'orateur Lysias. La conversation s'engage, entre Céphale et Socrate, sur la vieillesse, et, à l'occasion des craintes qu'amène l'approche de la mort, dérive sur la notion de justice. Céphale se retire pour sacrifier, et son fils Polémarque propose une définition empruntée à Simonide (rendre à chacun ce qui lui est dû), que Socrate critique à sa façon ironique. Le rhéteur Thrasymaque intervient pour soutenir que le juste n'est défini que par l'intérêt du plus fort, et ensuite que, pour chacun en particulier, l'injustice est plus avantageuse que la justice. Socrate le réfute et insiste surtout sur ce que, sans justice, aucune société n'est possible. 

Livre II. 
Glaucon et Adimante (les frères de Platon) demandent alors successivement à Socrate de montrer quelle est l'origine de la justice et de prouver qu'elle est un bien désirable pour elle-même; ils exposent longuement les opinions dont Thrasymaque a donné une formule exagérée, mais qu'ils constatent comme courantes; à savoir que la justice est conventionnelle et qu'elle n'est préférable que par les avantages qu'elle entraîne ou au moins devrait entraîner; que l'injustice est naturelle à l'humain, et qu'avec l'anneau de Gygès, on peut s'y livrer sans contrainte. Socrate, pour remplir le programme tracé, remonte à l'origine des sociétés. Elles sont amenées par le besoin qu'ont les humains les uns des autres pour satisfaire aux nécessités de la vie; la division du travail manuel s'impose entre eux et, à ce degré, la justice n'est relative qu'à l'échange des produits. Mais dès que la richesse et la civilisation se développent, il faut des gardiens pour assurer l'observation de la justice, comme aussi des guerriers pour défendre la société. La question se pose en premier lieu de savoir quelle éducation convient à ces deux classes. Le premier enseignement (musical) se donne nécessairement sous forme de fables poétiques; il importe que ces fables, dont les humains sont trop imparfaits pour se passer, soient conçues de façon à inculquer ces vérités; que la divinité est absolument bonne et n'est la cause d'aucun mal; que la divinité est essentiellement simple et immuable. 

Livre III.
Socrate passe aux mythes relatifs à l'autre vie. Il faut en bannir tout ce qui peut inspirer l'effroi de la mort, comme il faut proscrire tout usage funéraire tendant à la faire regarder comme un mal. D'ailleurs, le mensonge même, dans un but utile, est permis aux gouvernants; mais ils ne doivent nullement être exerces aux arts d'imitation. Le génie politique sera couronné de fleurs, mais reconduit hors des frontières de la cité. En musique, on se bornera aux airs doriens et phrygiens et aux instruments simples. Les arts plastiques seront surveillés dans le même ordre d'idées. En un mot, tout doit tendre à produire l'accord des opinions, la modération et l'amour du beau. Par la gymnastique, on développera la force du corps, mais sans viser à produire des athlètes. La nourriture sera simple; la médecine doit être ramenée à l'état primitif; soins pour les accidents ordinaires, abandon des invalides. La répartition des fonctions entre les gardiens proprement dits et leurs auxiliaires (les guerriers) se fera d'après l'âge et la capacité. Ils n'exerceront que celles qui leur sont dévolues et recevront un salaire suffisant pour les entretenir, mais n'auront aucun patrimoine. Leur autorité sera fondée sur le mérite et sur la croyance (exemple d'un mythe utile) qu'ils appartiennent à une race supérieure; ils devront avoir soin, pour la maintenir, d'élever jusqu'à eux les sujets exceptionnels parmi les enfants de la classe inférieure. 

Livre IV. 
Après avoir réfuté à les objections de ses interlocuteurs, qui ont peine à trouver heureuse la condition de la classe supérieure, après avoir montré que le but à atteindre est que la cité toute entière soit heureuse, Socrate fait voir que les vertus existent dans l'Etat qu'il a décrit, que la sagesse est particulièrement l'apanage des gardiens, le courage celui des auxiliaires, la tempérance celai des artisans, qu'enfin la justice réside pour tous dans l'observation exacte de leurs rôles. Il s'ait maintenant de préciser la notion de justice dans l'individu; dans ce but, Socrate remarque qu'on doit distinguer dans lame trois parties : la cognitive, l'irascible, l'appétitive, qui correspondent chacune à l'une des trois classes de la cité et dont chacune a sa vertu propre. La justice consiste dans l'harmonie de ces trois parties, harmonie qui exige la subordination de la seconde partie à la première et de la troisième aux deux autres. L'injustice consiste au contraire dans le désaccord de ces parties, lorsque l'une d'elles sort des bornes qui lui sont imposées.

Livre V.
Avant d'aborder la seconde moitié du programme tracé (à savoir que la justice assure la félicité), Socrate revient à la cité qu'il a décrite. Il importe de montrer, en effet, d'une part, qu'elle est théoriquement possible, de faire voir d'un autre côté pourquoi elle n'a point été réalisée. Tout d'abord est exposée la façon dont on petit régler la communauté des femmes et les rapports sexuels, en sorte que la classe supérieure ne forme en réalité qu'une seule famille, absolument unie et échappant à la dégénératien. Puis Socrate avoue que son Etat ne peut exister que si des philosophes règnent ou si des rois deviennent philosophes, et il précise ce qu'il entend par philosophe. Ce qui existe véritablement, c'est l'idée, unique chacune en son genre ; l'idée seule est objet de la science et c'est à elle seule que s'attache le philosophe. Au-dessous de la science, au-dessus de l'ignorance qui se rapporte au non-être, est le domaine de l'opinion, à savoir le multiple ; elle peut être vraie ou fausse, mais ceux qui s'y arrêtent ne méritent que le nom de philodoxes.

Livre VI.
Le philosophe, ayant seul devant les yeux un modèle immuable, auquel il peut rapporter les objets de l'opinion, est seul capable de légiférer sur le beau, le juste et le bon ; il aime naturellement la vérité et possède de même toutes les vertus. Mais le philosophe complet ne peut exister que dans l'Etat parfait et être formé que par une éducation soigneusement appropriée à son but. Avant d'en aborder les détails, Socrate revient à la doctrine des idées pour laquelle il faut distinguer deux mondes fort différents le monde visible, composé des objets qui tombent sous nos sens, et le monde intelligible, composé d'essences immatérielles, éternelles, immuables. les idées que la raison pure peut seule connaître. L'idée du Bien éclaire et rend intelligibles pour nous ces Idées, connue le soleil éclaire et rend visibles les objets du monde sensible. De même que les choses visibles sont éclairées par le soleil, les idées le sont par une idée suprême, celle du bien, sur laquelle ceux qui veulent philosopher se trompent d'ordinaire en la confondant avec quelque notion inférieure. Il faut s'élever à cette idée suprême par la dialectique, en s'aidant d'hypothèses prises pour telles (induction platonicienne), puis en redescendre par division et déduction, en suivant la hiérarchie des idées, sans aucun appel au monde sensible; cette double marche est opposée à celle des mathématiques, où l'on part d'hypothèses prises immédiatement pour vraies et où l'on doit s'aider d'images empruntées au monde sensible, mais sur lesquelles ne porte pas en réalité la démonstration. Cette opposition correspond à celle de l'intellect (nous) et de la pensée discursive (dianoia), et, dans le domaine de l'opinion, elle se reflète dans l'opposition de la croyance et de la conjecture, qui portent, l'une sur les objets concrets, l'autre sur leurs images. 

Livre VII. 
Après la célèbre allégorie de la caverne, qui montre les obstacles que rencontre la révélation de la vérité aux hommes, Socrate insiste sur ce point que l'éducation doit former le philosophe, non seulement pour la vie contemplative, mais aussi pour la vie active. Cette éducation spéciale ne commencera donc qu'après l'éducation générale (musicale et gymnastique) et ne sera donnée qu'à des sujets soigneusement triés par éliminations successives. Elle portera d'abord sur les sciences mathématiques, qui sont examinées dans l'ordre suivant : arithmétique, géométrie (à compléter par l'étude des problèmes solides, pour laquelle Platon semble appeler l'aide d'un gouvernement), l'astronomie, la musique. Après un intervalle de deux ou trois ans, consacré aux exercices militaires, on reprendra l'étude des mathématiques pour les approfondir et en saisir l'unité. La dialectique ne sera pas abordée avant trente ans.

Livre VIII.
Revenant à la question différée depuis la fin du livre IV, Socrate expose que la forme parfaite de l'Etatdoit, malgré tous les efforts, finir parse corrompre; il classe celles qui existent réellement en quatre genres : timocratie, oligarchie, démocratie, tyrannie, et montre comment elles dégénèrent de l'une en l'autre. Cet exposé est une des parties capitales de l'oeuvre.

Livre IX.
La peinture des formes dégénérées de la cité est suivie de celle des caractères humains qui leur correspondent; la félicité, apanage du juste, leur fait défaut à proportion de leur degré de corruption ; il y a à cet égard parallélisme parfait entre les cités et les hommes. La démonstration demandée est donc achevée.

Livre X.
Pour couronner l'oeuvre, Socrate revient àla question del'imitation artistique; son infériorité résulte de ce qu'elle s'adresse aux parties inférieures de l'âme et do ce qu'elle prend pour modèles les objets réels, au lieu de s'élever à l'idée dont ces objets sont eux-mêmes une image (c'est à cette occasion qu'il est fait mention de l'idée de lit). Enfin, Socrate affirme l'immortalité de l'âme en insistant surtout sur ce que l'injustice, qui est sa maladie, ne porte aucune atteinte à sa vitalité, et il termine en racontant le mythe d'Er où, après une savante allégorie astronomique, est exposé un système de transmigration des âmes (ayant lieu tous les mille ans, après que chaque vie aura été récompensée ou punie par un séjour de l'âme dans le ciel on dans l'enfer).

Analyse  du VIIe livre de la République

Le mythe de la caverne.
La célèbre allégorie de la caverne nous présente d'abord sous une forme très simple un résumé de la doctrine de Platon.

Imaginons une caverne dans laquelle des hommes sont enfermés et enchaînés depuis leur enfance, de telle façon qu'ils ne puissent même pas tourner la tête. À une certaine hauteur, derrière eux, brûle un feu dont la lumière les éclaire; entre eux et le feu se trouve un chemin bordé par un petit mur; le long de ce chemin, dépassant le mur de telle sorte que leurs ombres apparaissent au fond de la caverne, circulent des hommes et des femmes portant des objets de toute espèce, des statues d'hommes et d'animaux en bois ou en pierre. Les prisonniers, n'apercevant jamais que les ombres de ces objets, les prennent naturellement pour des réalités. On les surprendrait fort,
et on s'exposerait à leurs railleries, si on leur disait qu'ils ne voient que des ombres, qu'il y a des choses plus réelles que ce qu'ils voient, et dont ce qu'ils voient n'est que l'image.

Supposons maintenant qu'on délie un de ces prisonniers et qu'on l'amène à la lumière; il commencera par éprouver de vives souffrances et par résister à ceux qui l'entraîneront. Ses yeux, habitués aux ténèbres, et éblouis par une clarté nouvelle, ne distingueront rien au début. ll faudra l'habituer progressivement à soutenir l'éclat du jour; on commencera par lui montrer les ombres des objets réfléchies dans l'eau, puis les objets eux-mêmes, jusqu'au moment où il pourra contempler le ciel.

Imaginons encore qu'après avoir vu la véritable réalité, notre prisonnier soit ramené dans la caverne; cette fois encore il commencera par ne rien distinguer dans les ténèbres. Ses anciens compagnons se moqueront de sa maladresse, et ils riront bien davantage s'il affirme qu'il y a d'autres réalités que les apparences de la caverne. On le prendra pour un fou s'il persiste, et s'il essaye d'instruire ces ignorants, de briser leurs chaînes et de les entraîner hors de la caverne, on voudra le mettre à mort.

ll y a entre le monde invisible des Idées, et le monde sensible le même rapport qu'entre les objets qui passent le long du mur, et leurs ombres qui se dessinent au fond de la caverne. La vraie réalité n'est pas, comme nous sommes tentés de le croire, dans les choses qui tombent sous les sens; elle est dans les Idées, dont les choses sensibles ne sont qu'une copie. 

ll y a entre le philosophe et le vulgaire le même rapport qu'entre le prisonnier amené à la lumière et les prisonniers qui n'ont pas quitté leurs chaînes. Le philosophe lui aussi, a, au prix des plus vives souffrances, appris à connaître la réalité. Quoi d'étonnant, si les autres hommes, toujours épris des mêmes illusions, obstinés dans leurs préjugés, se plaisent à le railler, n'écoutent pas ses conseils, et l'accusent de folie? 

Il n'en reste pas moins certain cependant que le philosophe est seul en possession de la vérité; il est certain aussi que malgré les mauvais traitements qui l'attendent, il doit, par amour pour ses compagnons d'esclavage, s'efforcer de les délivrer, c'est-à-dire de les instruire. C'est ce que Platon exprime en disant que le philosophe doit se dévouer aux autres hommes, et prendre en mains la direction de leurs affaires. Livré à lui-même, il ne serait que trop disposé à garder pour lui cette science que le vulgaire méprise, à vivre seul dans la contemplation des éternelles vérités. L'intérêt commun exige qu'il renonce à ce bonheur égoïste; l'État le forcera à se mêler aux hommes, à redescendre dans la caverne, à diriger les affaires publiques; car l'État ne peut être bien conduit que s'il est entre les mains de ces hommes capables de le gouverner d'après des principes immuables.

L'éducation des princes-philosophes.
Il reste maintenant à savoir par quelle éducation on formera ces hommes privilégiés, destinés à être les chefs du peuple. La musique et la gymnastique, qui sont les seules sciences qu'on enseigne aux autres citoyens, ne sauraient suffire à leur donner les qualités requises par leurs fonctions. Pour les élever jusqu'à la haute science qu'ils doivent atteindre, pour tourner leur âme vers la vérité qui l'éclairera, Platon estime qu'il faut leur faire connaître cinq sciences : l'arithmétique, la géométrie, la géométrie des solides ou stéréométrie, l'astronomie et la musique. Il donne deux raisons pour réclamer l'étude approfondie de ces sciences.

D'abord, elles ont toutes une utilité pratique, chose fort importante, si l'on songe que les philosophes, doivent tout diriger, être chefs de l'armée en même temps que magistrats. L'arithmétique est nécessaire en toute occasion : il faut être géomètre pour asseoir un camp, assiéger une ville, faire manoeuvrer des troupes; sans l'astronomie, on ne saurait conduire une flotte.

Mais outre leur côté pratique, ces différentes sciences sont bien plus utiles encore par la discipline qu'elles donnent à l'esprit, par l'habitude qu'elles lui font prendre de s'élever au-dessus des choses sensibles, de considérer les vérités abstraites, d'arriver enfin par degrés à la connaissance de l'absolu.

En effet, parmi les choses sensibles, les unes éveillent. les autres n'éveillent pas la réflexion. Par exemple, si nous regardons un doigt, la vue nous le montre simplement comme un doigt, blanc ou noir, gros ou menu; nous ne réclamons rien de plus, il n'est pas besoin de réfléchir.

Au contraire, si la vue ou le toucher jugent de la grandeur ou de la petitesse d'un doigt, les sensations se contredisent ; l'annulaire est grand par rapport au petit doigt, petit par rapport au doigt du milieu. Mais il est impossible qu'une même chose soit à la fois grande et petite. Voilà donc l'entendement éveillé par les contradictions des sens, et obligé d'intervenir pour connaître la grandeur et la petitesse.

Or, les nombres présentent précisément le même caractère. La vue, ni aucun autre sens ne nous montre une unité véritable, car un objet sensible quelconque, étant toujours composé de parties, est à la fois un et multiple. L'entendement seul peut connaître l'unité véritable, et par suite les nombres. La science du calcul est donc utile par « la vertu qu'elle a d'élever l'âme en l'obligeant à raisonner sur les nombres tels qu'ils sont en eux-mêmes, sans jamais souffrir que ses calculsroulent sur des nombres visibles et palpables. »

On en peut dire autant de la géométrie et de cette autre science peu cultivée au temps de Platon, et qui a pour objet l'étude des solides, la stéréométrie. Ce ne sont pas en effet des choses sensibles, des lignes ayant une largeur, des surfaces ayant une épaisseur, mais des figures idéales, accessibles au seul entendement, qui sont l'objet de ces sciences.

Ainsi encore l'astronomie élève l'âme, non pas, comme le croit naïvement Glaucon, en ce sens qu'elle nous oblige à lever les yeux et la tête, mais en ce sens qu'elle nous force à considérer les rapports abstraits de vitesse et de lenteur qui sont entre les astres, et qu'elle nous fait comprendre l'harmonie de leurs mouvements.

De même la musique n'est pas seulement cet art empirique qui consiste à tendre l'oreille, comme pour saisir des sons au passage, et à tourmenter les cordes d'un instrument; elle est une science qui cherche de quels nombres résultent les accords qui frappent l'oreille; elle s'adresse moins aux sens qu'à l'entendement.

Cependant, si importantes qu'elles soient, ces sciences sont encore insuffisantes; elles ne sont qu'une préparation à la science suprême, la dialectique

L'homme de la caverne, dont il faut ici se souvenir, lorsqu'il est délivré de ses chaînes, doit s'habituer peu à peu à soutenir l'éclat dit jour; de même il faut passer par divers degrés avant d'arriver à la science parfaite; c'est à ces degrés que correspondent les diverses sciences. Platon rappelle les degrés de la connaissance qu'il a distingués dans le sixième livre. 

Au monde intelligible, correspond la science (épistèmè); au monde sensible, l'opinion (doxa). La science comprend la connaissance discursive (dianoia) et l'intelligence pure qui aperçoit directement l'Être en soi (noèsis). L'opinion enveloppe la conjecture (eikasia) et la foi (pistis).

On ne possède la véritable science que quand l'esprit, entièrement dégagé des apparences sensibles, délivré même des hypothèses que réclame toujours le raisonnement mathématique, saisit par une intuition immédiate l'Être en soi et entre pour ainsi dire en communication avec l'absolu.

Après avoir marqué le but qu'il faut atteindre, Platon indique les conditions que devront remplir ceux qui veulent l'atteindre. On choisira pour recruter les futurs dialecticiens, les jeunes gens les plus fermes, les plus vaillants, les plus beaux, ceux qui ont le plus de mémoire, le plus de volonté, le plus d'amour du travail. Longtemps on les soumettra à des exercices variés pour les éprouver. Ce n'est qu'à l'âge de trente ans qu'on commencera à les initier aux sciences supérieures, car il est dangereux d'admettre le premier venu aux exercices de la dialectique. Après cinq années consacrées à ces travaux, les sages, redescendant dans la caverne, acquerront de l'expérience en prenant part aux affaires publiques, et c'est seulement à l'âge de cinquante ans que leur éducation sera terminée. 

Telles sont les preuves par lesquelles l'aristocratie à laquelle Platon confie le suprême pouvoir doit établir et justifier sa supériorité. (V. B. / P. T.).

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