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Renaud de Montauban

Renaud de Montauban est une chanson de geste qui fait partie du cycle de Doon de Mayence

Renaud est l'aîné des quatre fils d'Aymon de Dordone ou d'Ardenne, qui est lui-même l'oncle d'Ogier le Danois. Forcés de fuir la cour de Charlemagne, à la suite d'un meurtre commis par Renaud pendant une partie d'échecs (comme le meurtre commis par Charlot dans Ogier le Danois), les « fils Aymon », poursuivis par toute l'armée de l'empereur, ont les plus étonnantes aventures en divers pays. Ils sont aidés par leur cousin, l'enchanteur Maugis, et par un excellent cheval, Bayard, qui, dans le danger, sait réveiller Renaud en frappant du sabot sur le bouclier de son maître, et qui, à l'occasion, reçoit sur son dos les quatre frères. Ils sont accueillis à Bordeaux par le roi de Gascogue, Yon, qu'ils défendent contre les Sarrasins, et qui, en récompense, leur permet de bâtir un château fort sur une montagne, à l'endroit où la Garonne prend le nom de Gironde c'est le château de Montauban. Ils sont bientôt assiégés par Charlemagne; Renaud se mesure successivement avec son cousin Ogier le Danois, avec Roland, avec l'empereur lui-même. De Montauban, les fils Aymon se réfugient à Trémoigne, où ils subissent un nouveau siège.

Charlemagne s'obstinait à ne pas traiter avec eux, mais ses barons l'y obligent enfin. Les conditions de la paix sont que le cheval Bayard sera livré à l'empereur, et que Renaud partira pour la Palestine. Sur l'ordre de Charlemagne, Bayard est jeté dans la Meuse, une meule au cou; mais il réussit à briser la meule avec ses pieds, gagne la rive, et se précipite dans la forêt des Ardennes, où il est encore. Quant à Renaud, il part pour les lieux saints, et arrache Jérusalem à l'émir de Perse, qui s'en était emparé. Puis il rentre dans ses domaines, et assiste à la victoire de ses fils sur les traîtres qui ont voulu les perdre.

C'est alors que Renaud prend la résolution de se séparer, pour l'amour de Dieu, de tous les siens; il quitte secrètement son château, vêtu comme un pauvre et pieds nus; il traverse ainsi toute la France, arrive à Cologne, s'engage parmi les maçons qui travaillaient à la construction de l'église Saint-Pierre, et vit de pain et d'eau. Un jour les autres maçons, jaloux de lui, le tuent à coups de marteau et jettent son cadavre dans le Rhin. Mais on vit le corps surnager miraculeusement, porté par les poissons du fleuve, et entouré d'une éblouissante lumière. L'archevêque et les clercs sont avertis; une procession se forme pour aller enterrer le martyr; mais, par un nouveau miracle, le corps se met en marche à la tête du cortège, qu'il conduit, à travers monts et vaux, jusqu'à Trémoigne. Là seulement, Renaud fut reconnu par ses parents et ses amis, qui l'honorèrent depuis comme un saint. 
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Combat de Renaud contre Charlemagne et contre Roland

« Charles a trait Joiose, s'a l'escu acolé,
Et Renalz fut toz cois, tres en milieu del pré,
Et voit venir Charlon vers lui tot aïré.
« Hé Deus! » ce dist Renalz, « qui me fesistes né,
Je voi ci mon seignor venir tot abrivé.
Ja nel ferrai premiers, ains savrai sa bonté. »
Charles le va ferir parmi l'elme gemé;
De Joiose s'espée li a grant colp doné,
Que les flors et les piéres en a jus craventé,
Et l'escu de son col li a eschantelé;
Cent et cinquante mailles de son halberc safré
Li abatit a terre devant lui enz et pré.
Damedex le garit par la soë bonté,
Qu'il ne l'a en la char ne plaié ne navré.
L'esperon a fin or li a parmi colpé;
Entre ci que a l'helt la fait et pré coler.
Quant l'a veü Renalz, a poi n'est forsenez.
Airs nel volst de s'espée ferir ne adeser,
Ains est passez avant, par les flans l'a coubré,
A son col l'encharga, qu'il l'en voloit porter
Trestot droit a Baiart, qui la ert enselez.
A sa voiz halte et clére commença a crïer :
« Ou estes vos, mi frère, et vos, Maugis li ber? 
Un tel eschiec ai fait, se l'en poons porter,
Par lui serons en France paié et acordé. »
Cil n'entendirent mie de Renalt l'aduré.
Et Charles d'altre part se rest halt escriez :
« Ahi! Rollanz, bels niés, ou estes vos alez?
Oliviers de Vïane, é! car me secorez,
Et vos, sire dus Naimes et Turpins l'ordenez.
Ja vos ai je forment et chiéris et amez. »
Rollanz l'a entendu et Oliviers li ber,
Li dus Naimes de France, et Turpins l'ordenez,
Et Ogiers li Danois est cèle part alez...
De ci que a Renalt ne volrent arester.
D'altre part vint Guicharz sor Vairon ferarmez,
Aalarz et Richarz et Maugis l'adurez,
A quatre cenz Gascons, d'armes bien acesmez,
Et d'une part et d'altre i fut granz li barnez.
La peüssiez veoir un estor si mortel,
Tante lance froissiée, tant escu estroé, 
Tant gentil chevalier a la terre versé! 
Rollanz point Veillantif des esperons dorez, 
Et a trait Durendal, qui li pent al costé, 
Et vait ferir Renalt parmi l'elme gemé. 
Si grant colp li dona que tot l'a estoné :
« Mar enchargastes Charle, mon seignor naturel. 
Trop est pesanz Ii rois por ensement porter;
Je cuit c'est uns afaires qui molt iert comperez. » 
Molt est dolenz Renalz, quant il s'ot escrier, 
Et il se sent a colp parmi l'elme fraper.
Il a traite Froberge al poing d'or noielé,
Et tint bien Charlernaigne, nel laissa mie aler, 
Et a dit a Rollant : « Bels amis, ça venez. 
Ne vos emportez mie, mais encore recovrez. 
Come Rollanz l'oït, a poi n'est forsenez. 
Estes les vos ensemble as espées del  lez; 
Renalz guerpit le roi, ainc ne l'en sot on gré. 
Atant es Aallarz, qu'il les a escriez,
Et Richarz et Guicharz; a Rollant vont joster,
Tuit troi le vont ferir en son escu listé.
O Rollanz vueille o non, del col li ont porté,
Et Richarz le coita a l'espée del lez.
Rollanz, par estovoir, lor a le dos torné; 
Venus est a lost Charle, dont il estoit sevrez. 
Renalz, li filz Aimon, est en Baiart montez, 
Et a dit a ses fréres : « Bien somes engané!
Se fussiez avuec moi, bien nos fust encontré,
Charlon en eüssons, a Montalban mené.
- Sire, dient si frére, del bien faire pensez, 
Et si faites voz corz et voz graisles soner; 
Car la nuit est oscure, près est de l'avesprer 
Alons a Montalban, le chastel principel; 
Si en faisons noz gens arriére retorner. 
N'i avons rien perdu, ains avons conquesté. » 
Charles a fait ses corz graisloier et corner, 
Et Renalz fait ses graisles isnelement soner. 
Or rassemblent les oz qui s'en vuelent raler; 
Chascuns a fait sa gent entor lui assembler. 
Charles s'en vait arriére, s'a Balençon passé :
« Par mon chief, dist li rois, mal nos est encontré, 
Quant Renalz et si frére m'ont fors del champ jeté 
- Sire, ce dist Rollanz, ne vos desconfortez. 
Se perdu i avons, il n'ont pro conquesté. »

(Renaud de Montauban). 

On remarquera que les principaux héros des chansons de geste françaises ont été canonisés soit par le pape, soit par le peuple; la poésie épique a un saint officiel, Guillaume de Gellone, et plusieurs saints populaires, Ogier le Danois, Renaud de Montauban, et par-dessus tous Charlemagne.

Rajeunie et traduite en prose, comme l'ont été la plupart de des chansons de geste vers la fin du Moyen âge, la chanson de Renaud de Montauban est devenue, à la suite de transformations répétées, le roman populaire des Quatre fils Aymon, que les colporteurs continuaient à la fin du XIXe siècle à répandre dans les campagnes.

Quel peut être le fondement historique de cette légende? Longnon, qui s'était donné la tâche d'éclaircir les origines des légendes épiques, pensait que le roi de Gascogne Yon, dont il est question dans Renaud de Montauban, n'est autre qu'Eudon, duc, prince ou roi de Gascogne, non sous Charlemagne, mais sous Charles Martel. Eudon eut en effet plusieurs différends avec Charles Martel, particulièrement pour avoir donné asile à des ennemis de Charles, tels que le roi de Neustrie Chilpéric.. (L. Clédat).

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