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La Grande Charte (Magna Carta)

La Grande Charte ou Grande charte des libertés anglaises (Magna Carta libertatum) est un traité imposé au roi Jean sans Terre, le 15 juin 1215, par le haut clergé et les barons anglais soulevés contre lui; c'est une victoire de la nation unie contre le pouvoir royal qui était devenu presque absolu avec Guillaume le Conquérant, Henri Ier et Henri II; tout à fait tyrannique avec Richard Ier et Jean. Ses clauses ne concernent cependant pas seulement la noblesse et le clergé; elles intéressent aussi la bourgeoisie, bien qu'elle ne figure pas encore comme un ordre de la nation; et même la nation en général sans distinction de classes. Ainsi l'on peut considérer dans la Grande Charte quatre catégories de stipulations : 
1° au clergé elle promet le maintien de ses privilèges et surtout la liberté des élections canoniques; 

2° pour la noblesse, elle fixe le droit en matière de succession féodale, de garde-noble et de mariage; elle précise la procédure en fait d'acquisition des biens-fonds, d'héritage et de présentation aux bénéfices ecclésiastiques; 

3° elle accorde aux marchands le droit de circuler librement avec leurs marchandises, décrète l'unité des poids et mesures dans tout le royaume, confirme les privilèges des villes, des bourgs, des ports et de Londres en particulier; 

4° elle protège la liberté individuelle en décidant que nul ne pourrait être arrêté ni détenu, lésé dans sa personne ou dans ses biens, sinon par la jugement de ses pairs et conformément à la loi; elle rend moins onéreuse l'administration de la justice en réservant les « plaids communs » à une section permanente de la cour du roi, en réglant la tenue trimestrielle des assises, en adoucissant le système des amendes et des « amerciaments » qui avait donné lieu aux plus gros abus; elle arrête l'extension des forêts royales et limite l'omnipotence des fonctionnaires publics. En matière financière, elle interdit aux seigneurs de lever aucune aide, sauf dans trois cas exceptionnels (quand le seigneur était fait prisonnier à la guerre, qu'il armait son fils aîné chevalier et qu'il mariait pour la première fois sa fille aînée); de même l'aide royale ou écuage ne pouvait être exigée que dans ces trois cas, sinon le roi devait demander l'assentiment du « commun conseil du royaume », c,-à-d, de l'assemblée formée des archevêques, des évêques et abbés, et des principaux chefs de la noblesse.

Les derniers articles contenaient une garantie prise par les barons contre le roi; ils instituaient une sorte de comité de vigilance de vingt-cinq barons élus par le commun conseil; quatre d'entre eux, choisis par leurs collègues, seraient chargés de surveiller les agissements du roi et de ses fonctionnaires; ils porteraient au roi les plaintes des personnes molestées, et, si le roi refusait de faire bonne justice, ils pourraient l'y contraindre par la force.

Il est difficile de savoir ce que la Grande Charte apportait de nouveau, ni même si elle ajoutait rien à la législation, aux institutions antérieures; mais elle précisait les points douteux, et, en fixant par écrit le texte des libertés nationales en matière de droit privé ou de droit public, elle restreignait le domaine de l'arbitraire royal. Aussi, pendant tout le XIIIe siècle les rois d'Angleterre ont-ils rusé ou combattu pour l'annuler; et d'autre part, la lutte pour la Grande Charte a tenu pendant cent ans la nation anglaise en haleine. Il suffira de dire que Henri III dut la confirmer ou la renouveler huit fois, et qu'Edouard Ier  ne l'approuva que pour empêcher un soulèvement d'éclater.
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Articles de la Magna Carta.
Articles de la Grande Charte (Magna Carta), 1215.

Durant ce long conflit, la Grande Charte a changé de caractère et subi des remaniements dont il est nécessaire de parler. Elle a été promulguée deux fois dans la première année du règne de Henri III; la première le 12 novembre 1216, la seconde en septembre ou octobre 1217. Ces deux rédactions presque identiques se distinguent au contraire de la grande charte de Jean sur des points essentiels. Furent en effet supprimés les articles 12 et 14 relatifs au droit de percevoir les aides féodales et à l'assentiment du « commun conseil » en matière d'impôts extraordinaires; les articles 45 à 53 concernant les « mauvaises coutumes » des forêts et garennes; enfin les articles qui organisaient le comité de surveillance de vingt-cinq barons. De 63 articles, la Grande Charte se trouve ainsi réduite à 42 dans la charte de 1216 et à 47 dans celle de 1217. 

D'autre part les clauses relatives aux forêts et garennes royales, retranchées de la Grande Charte, furent reprises et développées dans un acte spécial appelé la charte de la forêt (carta forestae), qui fut promulgué le 6 novembre 1217 et qui fut désormais invoqué, annulé ou confirmé au même titre que la charte des libertés. La suppression la plus grave touchait donc la limite imposée au pouvoir souverain en matière d'aide et d'écuage; c.-à d. qu'elle rouvrait la porte à l'arbitraire royal. 

En 1225, la charte des libertés et celle de la forêt furent promulguées à nouveau. Cette rédaction de la Grande Charte ne diffère de celle de 1217 que sur deux points, mais essentiels : en premier lieu elle est promulguée, non plus, comme dans les rédactions antérieures, « d'après le conseil » des grands, mais uniquement par un acte de « la bonne et spontanée volonté » dit roi; c'est une concession que la royauté consent à faire et elle s'y résigne d'autant plus volontiers que les clauses d'importance politique ont disparu. En second lieu, la nation devait la payer en accordant au roi une aide extraordinaire, qui fut cette fois du quinzième des biens meubles, due par « tous ceux du royaume ». Dès lors, il faudra que la nation rachète ses libertés sans cesse violées, et les confirmations de la Grande Charte ne seront plus qu'une des nombreuses ressources fiscales de la royauté. 

La rédaction de 1225 (9e année du règne de Henri III) contient le texte définitif de la Grande Charte; il n'a plus été modifié depuis; mais il a été précisé et complété sous Edouard Ier, par d'autres actes qu'il est nécessaire d'indiquer. Comme son père, Edouard Ier ne subissait qu'avec répugnance les limites imposées à son autorité par la Grande Charte. De son côté, le parlement, nom nouveau qui, depuis le milieu du XIIIe siècle désigne le « commun conseil » de l'époque antérieure, reprit la lutte contre l'arbitraire royal.

Il saisit l'occasion favorable que lui offrirent les difficultés où se trouva jeté Edouard Ier, en lutte avec la France, l'Ecosse et le pape en 1296-1297 : non seulement le roi fut contraint de confirmer à nouveau la Grande Charte et la charte de la forêt, mais il dut accepter deux statuts additionnels. Le premier est du 5 novembre 1297; il ordonne que les chartes de liberté soient publiées de la manière la plus solennelle et observées à peine d'excommunication; surtout il déclare que le roi renonce à lever aucune « aide, mise ni prise » nouvelle sans l'assentiment du royaume, et à l'employer autrement que pour le « commun profit » du royaume. Le second, intitulé Articuli super cartas, est du 6 mars 1300; il décrète de nouvelles mesures à prendre pour que les chartes soient constamment rappelées au peuple dans les cours des comtés et pour en assurer l'observation rigoureuse.

Il est vrai qu'Edouard Ier se fit relever, par le pape Clément V, des serments tant de fois prêtés, comme son aïeul Jean sans Terre, par Innocent III; mais la faiblesse et les fautes d'Edouard II rendirent aux grands la prépondérance; à partir de la révolution aristocratique qui renversa ce pauvre roi, et depuis la confirmation des chartes par Edouard III à son avènement (1327), on peut dire que la Grande charte des libertés anglaises est devenue une réalité. Elle est, dès lors, le premier acte législatif sur lequel s'appuie l'autorité du parlement anglais, et elle en est restée l'indestructible fondement. (Ch. Bémont).

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