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Gormont et Isembart

Gormont et Isembart est une chanson de geste du XIIe siècle. Le sujet se rapporte à la bataille de Saucour. Gormont, chef viking, envahit le Ponthieu, accompagné d'Isembart, seigneur de la Ferté, exilé pour ses crimes, et qui compte sur les Vikings pour reconquérir son domaine et se venger du roi Louis III, son oncle. Ici, les Vikings sont changés en Sarrasins.
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Eglise de Saint-Riquier (Somme).
Eglise de Saint-Riquier, bâtie sur l'emplacement d'une ancienne 
église carolingienne qui fut le foyer de la légende de Gormond.

L'Abbaye de Saint-Riquier, en Ponthieu, jadis fondée par Angilbert, neveu de Charlemagne, était, à l'époque féodale, riche et puissante entre les abbayes de France. On y célébrait au neuvième jour d'octobre une fête religieuse qui attirait grande affluence de marchands, de pèlerins, de chevaliers, de menu peuple; et la foire qui se tenait à cette occasion aux portes de l'abbaye étalait ses boutiques et ses tréteaux sur un champ où l'on voit encore de nos jours la « tombe d'Isembard ». 

Cet lsembard, selon une tradition répandue parmi les clercs anglais et certainement connue des moines de Saint-Riquier, qui possédaient des biens importants dans le Norfolk, avait été le compagnon du roi Gormond; et Gormond était le chef de ces Vikings envahisseurs qui, en 881, - comment les moines l'auraient-ils oublié? - avaient cinglé d'Angleterre en France, ravagé le Ponthieu et le Vimeu, et incendié le monastère, avant d'être battus à Saucourt par le roi de France Louis III. C'est sur ces souvenirs, livrés par l'histoire, qu'a été bâtie à Saint-Riquier, pour être racontée au peuple, la légende de Gormond et Isembard.

Le poème qui retrace cette légende est le plus ancien de la geste de Doon de Mayence. Il ne nous a pas été conservé en entier; mais des versions postérieures permettent d'en reconstituer le scénario. Isembard, jeune chevalier français, traité injustement par le roi Louis, et condamné à quitter le royaume, est passé en terre païenne, s'est attaché au roi Gormond, l'a suivi en Angleterre, a abjuré la foi chrétienne (d'où son surnom de Margari, le « renégat »), et a décidé son nouveau seigneur à envahir la France. Il guide la flotte et l'armée païennes vers les terres et les châteaux qui naguère étaient siens; le Ponthieu est saccagé, l'abbaye de Saint-Riquier incendiée. Mais une grande bataille est livrée par le roi Louis aux barbares, et c'est au récit de cette bataille que commence le fragment de la chanson qui est parvenu jusqu'à nous.

Gormond, après avoir semé la mort dans les rangs des Français, est abattu par Louis en personne : Isembard, ralliant les païens déconcertés par la mort de leur chef, se déchaîne et en vient, dans sa fureur, à combattre son propre père, le vieux Bernard, qu'il désarçonne; enfin, ses troupes épuisées cèdent et fuient; cruellement blessé, le renégat revient à Dieu, se recommande à Notre Dame et meurt sur le champ de bataille.

Les débris de ce poème - six cent soixante vers en un seul fragment - suffisent à donner une haute idée de l'édifice primitif. Assurément, celui qui l'a élevé connaissait des chansons antérieures : la Chanson de Roland, la Chanson de Guillaume, et il s'en est inspiré; mais, s'il avait des connaissances, il avait aussi une manière de génie. Par l'étroit conduit des petits vers de huit syllabes, dont sont faites ses laisses, son souffle s'enfle puissamment, et son personnage d'lsembard est d'une grandeur vraiment digne de l'épopée. La détresse de ce jeune baron que l'injustice du roi a poussé vers l'apostasie, sa rancune qui lui fait machiner une invasion sacrilège, son cruel destin une fois la guerre commencée, ses exploits au service d'une cause détestable, la rencontre horrible qui lui fait lever l'épée sur son père, le mélange tumultueux de ses sentiments qui lui inspirent tout ensemble l'ardeur de se battre et le secret désir d'être vaincu, sa fureur contre la terre de France et son amour pour ces mêmes contrées qu'il foule, sa haine du roi Louis et son admiration pour lui, sa mort enfin, qui le ramène à Dieu : c'est vraiment là une invention de poète, une légende d'orgueil et de pénitence, trop belle pour ne pas avoir ressuscité sous d'autres formes. (J. Bédier et P. Hazard).

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Dictionnaire Le monde des textes
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