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Girard de Roussillon / Girard de Viane

Girard de Roussillon (Giratz de Rossilho) est une chanson de geste provençale sur les démêlés du duc Girard (Girart ou Gérard) avec Charles le Chauve, que l'auteur confond avec Charles Martel. Gérard, vaincu et proscrit, est réduit à errer avec sa femme de forêt en forêt, d'ermitage en ermitage; bref, il se fait charbonnier, et la duchesse devient couturière. Enfin, il obtient son pardon, grâce aux prières de la reine. 

Le Girard du roman n'est pas un personnage imaginaire; il fut réellement, au IXe siècle, comte de Roussillon (près de Châtillon-sur-Seine) et duc de Bourgogne. Élevé dans le palais de Louis le Débonnaire, il fut toujours fidèle à ce prince, et reçut de lui le comté de Paris. Mais, ayant suivi le parti de Lothaire, il fut dépouillé de ce comté par Charles le Chauve. Lothaire, avant de mourir, désigna Girard pour être le tuteur du roi de Provence, l'un de ses fils. Ce fut alors que Girard s'établit à Vienne, d'où il fit plusieurs expéditions contre les Sarrasins établis dans le delta du Rhône. En 863, le royaume de Provence fut conquis par Charles le Chauve; alors Girard se retira dans son château de Roussillon, où il mourut en 878. Il avait fondé plusieurs abbayes, dont la plus célèbre est celle de Vézelay. Le poème de Girard de Roussillon paraît avoir été composé au XIIe siècle; il existe manuscrit à la Bibliothèque nationale de Paris.

Un poème en langue d'oil sur le même sujet a été publié en 1858 par Mignard, qui le rapporte à l'année 1316. Cf. Histoire littéraire de la France, tome XXII. (H. D.).

Girard de Viane est une chanson de geste, la 2e branche de la chanson de Guillaume-au-court-nez

Girard de Viane (c'est-à-dire de Vienne, en Dauphiné) est un des quatre fils de Garin de Monglane, chef de toute la geste; il est l'oncle d'Aimeri de Narbonne, et par conséquent le grand-oncle de Guillaume d'Orange.

Au début de la chanson qui lui est consacrée, le jeune Girard est fort pauvre et sans fief. Il se rend à la cour de Charlemagne pour tenter la fortune, et là, il s'attire l'inimitié de la duchesse de Bourgogne en refusant de l'épouser après la mort de son premier mari. Devenue la femme de Charlemagne, celle-ci jure de se venger. Pour le dédommager du duché de Bourgogne qu'il lui avait d'abord promis et qu'il gardait pour lui avec la duchesse, Charlemagne donne à Girard le fief et la cité de Vienne sur le Rhône, et Girard se dispose â rendre à l'empereur l'hommage féodal. Or, l'une des formalités de cet hommage, dans les temps les plus anciens, consistait à baiser le pied du suzerain. On connaît l'histoire de Rollon faisant hommage à Charles le Simple en qualité de duc de Normandie : le chef des Vikings refusa de se soumettre personnellement à la cérémonie du baise-pied; il se fit remplacer par un de ses soldats, qui, au lieu de s'agenouiller, éleva brusquement le pied de Charles le Simple jusqu'à sa bouche, et fit tomber le roi à la renverse. Dans l'hommage de Girard de Vienne à Charlemagne, il se produisit un incident d'une autre nature. Quand le vassal se présenta pour le baise-pied, l'empereur et l'impératrice étaient au lit; au moment solennel, l'impératrice eut une inspiration diabolique, elle tendit son pied, que Girard embrassa, le prenant pour celui de l'empereur.

Le seigneur de Vienne ignora longtemps quelle honte lui avait été infligée à son insu. Mais un jour, l'impératrice osa se vanter de son acte de vengeance devant Aimeri, neveu de Girard, et bientôt Girard, accompagné de son père et de ses frères, vint demander réparation à Charlemagne. Cette entrevue ne fit qu'envenimer les haines. Un chevalier de la cour ayant saisi le vieux Garin par la barbe, Girard et ses frères se précipitent sur l'insolent, le tuent, frappent à droite et à gauche sur l'entourage de Charles, puis ils prennent la fuite et gagnent Vienne, suivis de près par l'empereur qui vient mettre le siège devant la ville avec toute son année. Ce siège dura sept ans. Au premier rang des combattants on remarquait, du côté de Charlemagne, son neveu Roland, et du côté de Girard, son neveu Olivier. Olivier avait une soeur qui s'appelait Aude. Or, un jour que les dames de Vienne s'étaient aventurées imprudemment en dehors des murailles, pour voir de loin les joutes des chevaliers de l'armée impériale, Roland aperçoit Aude. Il la trouve belle, court vers elle et veut l'enlever; mais Olivier sort de Vienne à son secours, terrasse Roland et ramène sa soeur dans la ville. Depuis ce jour, Aude s'intéressa à Roland plus qu'à aucun autre chevalier.

Cependant Charlemagne et Girard s'entendent pour terminer la guerre par un grand duel : Roland et Olivier combattront l'un contre l'autre et décideront de la victoire. Les voici en présence dans une île du Rhône, sous Vienne : ils éperonnent leurs chevaux et se précipitent l'un contre l'autre. L'épée de Roland atteint le destrier d'Olivier et le tue : Olivier continue la lutte à pied et tue à son tour le destrier de Roland. D'une fenêtre, Aude assiste au combat : comme la Camille de Corneille, elle est partagée entre deux sentiments, entre son affection pour son frère et son amour naissant pour Roland; elle prie Dieu à la fois pour les deux champions. Girard et ses frères, sur les murs de Vienne, Charlemagne dans la plaine, suivent aussi avec anxiété les péripéties du duel :

« Sainte Marie, dit en pleurant le père d'Olivier, protégez mon fils! » 
- « Sainte Marie, protégez-moi Roland », dit Charlemagne. 
Les deux héros s'accordent parfois des moments de répit et causent entre eux : 
« Sire Olivier, dit Roland, je n'ai jamais rencontré un homme de votre valeur! Mais j'aperçois sur la rive, dans ce palais, deux dames qui poussent de grands cris et paraissent plaindre votre sort. - Vous dites vrai, répond Olivier, c'est Guibourc, ma dame au coeur sensé, et ma soeur, la belle Aude. Si Dieu permet que je sorte vivant d'ici, je compte dire à Aude que si elle ne vous a pour seigneur et mari, elle n'en aura point d'autre de toute sa vie. » 
Puis la lutte recommence, acharnée.

L'épée d'Olivier s'étant brisée, 

« Sire Olivier, lui dit Roland, je suis neveu du roi de France. Si je triomphais de toi ainsi désarmé, ma victoire me serait à toujours reprochée. Va chercher une autre épée et une bouteille de vin, car j'ai grand soif. » 
Olivier remercie Roland et envoie près de son oncle le batelier qui l'a amené dans l'île; celui-ci revient bientôt avec une belle arme, qui avait appartenu à l'illustre Closamont, et qui portait écrit sur sa lame le nom de Hauteclaire. Il rapportait aussi du vin; Olivier en remplit une coupe et l'offre à Roland. Ainsi reposés, ils reprennent le combat. Bientôt leurs écus et leurs cottes de maille sont en lambeaux. Alors Roland veut éprouver Olivier : 
« Je me sens malade, lui dit-il, je voudrais me coucher un peu. - J'en suis peiné, dit Olivier, j'aimerais mieux vous vaincre par l'épée que de vous voir ainsi malade. Allez donc vous coucher, je vous éventerai jusqu'à ce que vous vous sentiez mieux. »
Mais Roland : 
« Sire Olivier, je ne disais cela que pour vous éprouver, je puis combattre quatre jours entiers sans boire ni manger. - Et moi aussi, réplique Olivier; nous pouvons donc recommencer. »
Ils se battaient depuis si longtemps que déjà la nuit approchait, lorsqu'un nuage descendit entre eux et les cacha l'un à l'autre. Puis un ange sortit du nuage et leur dit : 
« Francs chevaliers, arrêtez-vous! Dieu vous defend de vous battre plus longtemps. Tournez vers l'Espagne, contre les mécréants, votre force éprouvée et votre valeur! »
Les deux héros vont alors se reposer de compagnie sous un arbre touffu, et s'engagent mutuellement leur foi : 
« Sire Olivier, dit Roland, je vous aime plus que nul homme vivant, à l'exception de Charlemagne. Je prendrai Aude pour femme si vous le voulez bien, et si je puis, avant quatre jours, j'aurai fait la paix entre le roi et vous. - Je vous donne volontiers ma soeur Aude, répond Olivier. Maintenant délacez votre heaume pour que nous puissions nous embrasser. » 
Peu de temps après, Girard et Charlemagne font aussi la paix, et on allait célébrer le mariage de Roland, lorsque la nouvelle arrive que les Sarrasins ont envahi la France; les Français quittent tout pour marcher contre eux, et Roland se sépare de sa fiancée qu'il ne reverra plus.

La chanson de Girard de Viane a été composée au commencement du XIIIe siècle, par Bertrand de Bar-sur-Aube. La Bibliothèque nationale en possède deux manuscrits du XIIIe siècle; le British Museum en a également deux du XIIIe siècle et un du XIVe. Une partie de ce roman a été publiée par J. Bekker à Berlin, 1829, en tête du Fierabras provençal. Le texte complet a été publié par Tarbé, Reims, 1829, In-8°. (l'Histoire littéraire de la France, t. XXII).

L'épisode du duel de Roland et d'Olivier (où un mythologue allemand a cru retrouver la lutte du dieu du printemps contre le dieu de l'hiver!) a été imité par Victor Hugo dans une des pièces de la Légende des siècles, « Le mariage de Roland. » En comparant cette pièce avec l'analyse détaillée que nous venons de donner et avec l'extrait ci-dessous, on se rendra compte des beautés que Victor Hugo a empruntées au vieux trouvère et de la part d'invention qui lui reste. On remarquera sans doute que les modifications introduites par Victor Hugo n'ont pas toujours été heureuses. (H. D. / L. C.).

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