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La Charte aux Normands

Les derniers temps du règne de Philippe le Bel furent marqués par une révolte générale de la noblesse. Louis X, à son avènement, fut obligé de faire des concessions, mais il eut l'habileté, au lieu de rédiger une charte unique, qui aurait pu devenir pour la France ce que la Magna Carta de Jean sans Terre était pour l'Angleterre, d'accorder des privilèges à chaque province en particulier, à la Normandie, au Languedoc, à la Champagne, à la Bourgogne, à l'Auvergne. On appelle charte aux Normands la charte qu'il accorda, en juillet 1315, à Vincennes, aux mécontents de Normandie. Elle a vingt-quatre articles et stipule essentiellement : 
1° la souveraineté de la cour judiciaire ou Échiquier de Normandie; 

2° le principe que le roi ne pourrait imposer aucune aide extraordinaire, sauf dans le cas d'une évidente nécessité, sans le consentement gracieux des gens de la province; 

3° le principe qu'en Normandie prescription de quarante ans vaut titre, etc. 

Cette charte fut complétée en 1339 par Philippe de Valois qui, en la confirmant, la commenta. Philippe reconnut qu'il ne pouvait rien exiger arbitrairement des Normands, sauf dans le cas étroit d'arrière-ban; dans tous les autres cas, le consentement d'une assemblée serait nécessaire; c'est, là l'origine des Etats provinciaux de Normandie. La charte fut vidimée et garantie depuis par la plupart des rois de France : Charles VI (1380), Henri V d'Angleterre (1418), Charles VII (1458), Louis XI (1461), Charles VIII 1485), etc. La Normandie s'y attacha comme au symbole de son ancienne et glorieuse autonomie sous les Rollonides et sous les Plantagenets. Mais, à partir du XVe siècle, la plupart de ses prescriptions commencèrent à devenir surannées; la charte aux Normands ne fut plus qu'une arme traditionnelle qu'on tirait du fourreau chaque fois que, à propos de n'importe quoi, la province entrait en conflit avec l'arbitraire et la centralisation monarchiques. 

Aux Etats de 1585, elle fut jointe solennellement à la fin du manuscrit original de la coutume réformée comme « loi perpétuelle » du pays. Les va-nu-pieds de 1640 invoquèrent son nom populaire. Populaire en Normandie seulement, car les officiers du Châtelet de Paris, en 1684, se moquaient « des Normands qui opposent un titre imaginaire qu'ils appellent charte normande et qu'encore ils ne montrent point ». En 1740, l'arrêtiste normand Froland comparait le fameux privilège de Louis X « à ces drapeaux de régiment qui, par leur vétusté et par la multiplicité, des coups qu'on leur a portés, sont en morceaux et défigurés ». Cela n'empêcha pas que, sous Louis XVI, une foule de publicistes ne rédigeassent des pamphlets en l'honneur du « palladium de la province et de ses antiques libertés », dont la mention revint encore comme un refrain dans les cahiers des trois ordres en 1789. Mais la nuit du 4 août vit la disparition spontanée de tous les privilèges locaux; Thouret, à la tête des députés de Normandie, sacrifia, comme on disait alors, la carte, normande sur l'autel de la patrie. (Ch.-V. Langlois).
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