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Canon de l'Ancien Testament

Le mot canon (règle, norme) désigne dans l'usage théologique l'ensemble des livres qu'une confession religieuse tient pour inspirés, dont elle estime que le contenu présente un caractère régulateur pour la croyance et la conduite. Ainsi les Juifs ont arrêté le catalogue des livres qu'ils considèrent comme sacrés et dont la réunion forme la Bible, dite hébraïque, et ce catalogue, sauf les divergences qui seront indiquées tout à l'heure, a été accepté par les chrétiens, lesquels, pour distinguer ces écrits de ceux qui leur sont particuliers, désignent les premiers sous le nom de « livres de l'Ancien Testament », c.-à-d, de l' « Ancienne Alliance », par abréviation « Ancien Testament », et les seconds sous celui de « livres du Nouveau Testament », c.-à-d. de la « Nouvelle Alliance », par abréviation « Nouveau Testament ». Il est impossible de déterminer à quelle époque les Juifs dressèrent pour la première fois un catalogue d'écrits sacrés. Les règles concernant le culte et la morale ont pu se transmettre oralement avant d'être consignées par écrit, à plus forte raison avant d'être réunies dans une sorte de corpus. Ce qui nous importe, ce n'est pas de rechercher quels ont pu être les commencements du canon biblique, tout élément sérieusement historique faisant défaut pour une pareille enquête; c'est de nous rendre compte de la composition de ce même canon tel qu'il nous est parvenu. Le premier résultat que l'on atteint dans cette voie, et il est de la plus haute importance, est que les trois collections partielles dans lesquelles se résout l'ensemble du canon biblique, à savoir la Thorah ou Loi (livres dits de Moïse), les Nebyim ou Prophètes (livres historico-prophétiques) et les Kethoubim ou Hagiographes (écrits divers lyriques, sapientiaux, historiques, etc.) n'ont pas été considérées par les anciens Juifs comme possédant une égale autorité. Ainsi, l'autorité de la Thorah est absolue; c'est une oeuvre divine, devant laquelle le croyant s'incline en abdiquant toute velléité d'indépendance. La section prophétique n'a déjà plus le caractère d'une loi précise; son objet n'est pas d'ordonner, mais d'édifier et d'exhorter. Enfin, les écrits dont la réunion forme la troisième partie du canon sont encore d'un degré au-dessous, quel que puisse être le mérite particulier à chacun d'eux. 

Nous avons donc à nous demander à quelle époque les trois collections partielles ont été formées. Les conditions favorables à la rédaction de l'Hexateuque (la Thorah, plus Josué) semblaient s'être rencontrées entre 400 et 250, ou 200 avant notre ère; pour la collection historico-prophétique, nous pensons pouvoir dire que les différents livres qu'on y rencontre existaient en l'an 200 ou 150 avant notre ère et avaient à cette même date été réunis en un volume unique, sauf remaniements secondaires.

Cette opinion est confirmée par deux témoignages importants. L'un émane du traducteur grec de l'Ecclésiastique, dont on place les déclarations en 138 avant notre ère. Il nous apprend que ses coreligionnaires usaient de livres saints répartis en trois groupes : la Loi, les Prophètes et les « autres livres nationaux ». D'autre part, le livre de Daniel (IX, 2), qui est à peu près de la même date, parle de livres (sacrés) et en tire une citation qui se retrouve dans le prophète Jérémie. Deux siècles plus tard, l'historien juif Josèphe définit les trois parties du canon biblique d'une manière qui se rapporte très exactement à l'état sous lequel ils nous sont parvenus. Les livres du Nouveau Testament citent, à leur tour, la Bible tantôt sous l'appellation « la Loi et les Prophètes », tantôt en la désignant comme « la Loi, les Prophètes et les Psaumes ». Ainsi, il paraît établi que les divisions adoptées par les Juifs et conservées à ce jour remontent au IIe siècle avant notre ère. Voici cependant quelles réserves il convient de faire : 

1° La division logique des matières doit faire joindre le livre de Josué au Pentateuque. Cependant nous voyons que, pour la commodité de l'usage religieux, on l'en a détaché pour le joindre aux Nebyim (Prophètes). Nous ne saurions dire à quel moment remonte cette mesure. 

2° Nous ne saurions affirmer que la série des Prophetes posteriores (seconde série des Nebyim comprenant les prophéties proprement dites) ait de tout temps contenu les mêmes livres que nous y trouvons. Daniel n'y a-t-il jamais été compté? A quelle époque la collection a-t-elle été formée pour la première fois? Quel était alors son contenu? Quels morceaux d'ensemble ou quelles additions partielles a-t-elle reçus ultérieurement? Autant de questions auxquelles nous ne saurions donner de réponse. En revanche, l'ordre de ces mêmes livres a passablement varié, soit qu'on plaçât le rouleau des douze (petits) prophètes en tête des prophéties, soit qu'on mît Isaïe après Ezéchiel au lieu de le mettre avant Jérémie. 

3° Si nous considérons le canon biblique comme arrêté dans ses lignes principales au IIe siècle avant notre ère en ce qui touche la Thorah et les livres Historico-prophétiques (Nebyim), nous ne saurions en dire autant des Hagiographes. On a vu que, dès cette date, l'on avait, en dehors des deux séries fixées par l'usage, ouvert une rubrique à l'usage de certains livres dignes d'une estime spéciale. Il est fort clair que les limites de cette troisième classe étaient des plus élastiques et que, en l'absence d'une autorité imposant ses arrêts, le catalogue des livres en question risquait de varier selon les temps et les lieux. C'est ce qui n'a pas manqué.

 « La troisième section de l'Ancien Testament hébreu, dit fort bien Michel Nicolas, ne se forma que lentement, peu à peu, par des additions successives. Il est difficile d'assigner une date à ses premiers commencements et plus difficile encore de déterminer l'époque à laquelle elle fut achevée. »
Pour fixer les idées, nous admettrons, comme termes extrêmes, 200 av. J.-C. et 100 ap. J.-C. En d'autres termes, nous croyons que, au temps de Jésus et des apôtres, la troisième et dernière partie du canon biblique n'était pas encore arrêtée. Vient enfin le Talmud, qui, dans le traité Babhâ-bathrâ établit définitivement la liste des livres bibliques rédigés en hébreu et en chaldéen, qui doivent être tenus pour des Ecritures saintes.

Jusqu'à présent, nous n'avons considéré que la Bible hébraïque; il faut maintenant parler de la Bible grecque, dont l'influence fut prépondérante aux environs de la naissance du christianisme. La Bible grecque bouleverse l'ordre adopté par le texte hébreu, saut en ce qui touche les cinq livres de Moïse et les prophetae priores (livres historiques de Josué, Juges, Samuel et Rois). Or, c'est cette Bible-là dont le judaïsme se servait de préférence au premier siècle de notre ère et qu'adopta le christianisme. La Bible grecque place, on le sait, Ruth après Juges, les Chroniques, Esdras, Néhémie et Esther après Rois. Puis viennent les principaux des Hagiographes, à savoir Job, les Psaumes, les Proverbes, l'Ecclésiaste, le Cantique. Les prophéties proprement dites ferment la marche avec ce double détail que les Lamentations sont placées après Jérémie et Daniel après Ezéchiel. Ce qui est beaucoup plus grave que cas interversions, c'est la présence d'une série de livres nouveaux : Tobie et Judith placés après Néhémie; la Sapience de Salomon et l'Ecclésiastique après le Cantique, Baruch après Jérémie; enfin les deux livres des Maccabées, comme clôture du volume sacré, après Malachie, le dernier des douze petits prophètes; mentionnons enfin d'importantes additions à Esther et Daniel, et le bouleversement bien connu introduit dans le livre de Jérémie.

 En présence de ces faits, on se sent fort perplexe et l'on se demande dans quelle mesure les résultats qu'on avait pensé atteindre tout à l'heure, peuvent être maintenus. Il est clair que les Juifs alexandrins, auteurs de l'édition grecque, n'ont pu prendre d'aussi grandes libertés avec la Bible dans le triple sens du choix des livres, de leur texte et de leur classement, qu'au cas où la notion de canon fut encore de leur temps singulièrement élastique. En d'autres termes, dans les deux siècles qui précèdent notre ère et, d'une façon plus générale, aux temps où naquit le christianisme, en dehors de la Thorah (livres de Moïse), il n'y avait pas de canon des Ecritures saintes au sens strict du mot, et l'édition la plus répandue, celle qui faisait foi dans l'ensemble du monde juif, était la Septante.

Les limites mêmes du catalogue d'écrits dont la réunion forme la Bible grecque étaient des plus flottantes. ll n'y avait point d'autorité chargée d'arrêter la liste et il ne semble point qu'on en réclamât de telle. On a vu à la page Apocryphes l'énumération des livres qui n'ont pas trouvé définitivement place dans le canon; tour à tour ils figuraient dans telle édition, étaient adoptés par telle église, comme par cette église d'Abyssinie dont la Bible nous a rendu le livre d'Hénoch et celui des Jubilés (Les Apocalypses juives). Ce n'est, selon toute apparence, que vers le IIe ou le IIIe siècle de notre ère que, par une sorte de consensus, la Bible grecque a reçu la forme qu'elle a gardée jusqu'à ce jour. 

Cependant le judaïsme de langue hébraïque, représenté par les docteurs de la dispersion, se repliait sur lui-même afin d'assurer la conservation de ses débris. Le texte hébreu reprit faveur dans les cercles savants, et les théologiens résolurent de n'admettre dans le canon que les livres qui avaient été conservés dans le texte national et se rattachaient à des personnages illustres du passé. Ainsi se trouvèrent écartés plusieurs livres qui auraient fait très bonne figure dans la Bible. A partir de ce moment, on peut dire que l'édition hébraïque de la Bible forme la Bible juive, et l'édition grecque la Bible chrétienne. Nous apprenons par saint Jérôme que la Bible juive était, antérieurement au IVe siècle de notre ère, constituée dans l'état et l'aspect qu'elle a gardés. Toutefois il ne faut jamais perdre de vue l'observation suivante :

« Le mot de canon, dans le sens auquel les chrétiens l'entendent depuis le IVe siècle, était étranger aux juifs alexandrins et n'avait pas de terme correspondant dans la langue des juifs de la Palestine. S'il avait été connu des premiers et s'il y avait eu un terme équivalent chez les seconds, ils l'auraient certainement appliqué les uns et les autres, non à tous les écrits de leur recueil, nais uniquement aux cinq livres mosaïques. » (Michel Nicolas.) 

 « En ajoutant de nouveaux écrits au recueil qui leur était venu de la Judée et en remaniant quelques-uns de ceux qui en faisaient partie, dit le même savant, les juifs alexandrins usèrent tout simplement du même droit que ceux de leurs coreligionnaires de la Palestine qui avaient refait dans les Chroniques les livres de Samuel et des Rois, remanié Esdras et Néhémie et introduit dans la troisième section de leur Bible ces livres et probablement d'autres encore. Les juifs de la Palestine avaient jugé convenable de faire suivre le livre de la Loi d'un certain nombre d'ouvrages, dont les uns se rapportaient à l'histoire de leur nation et les autres [...] représentaient les sentiments, les croyances, les conceptions de leur génie national. Les juifs d'Alexandrie possédaient de leur côté un certain nombre d'écrits qui avaient été composés parmi eux ou qu'ils s'étaient appropriés en les traduisant en grec. Ces écrits leur semblaient de nature, les uns à instruire, les autres à édifier. Il leur sembla bon d'en enrichir leur bibliothèque nationale. »

Le christianisme, dont la clientèle se recruta d'abord presque exclusivement dans les cercles juifs, adopta la Bible sous la forme qui lui était le plus familière, c.-à-d. dans l'édition grecque, dite des Septante. L'hébreu était une langue morte connue seulement des érudits, tandis que la langue grecque était universellement répandue. D'ailleurs, le Nouveau Testament, alors à l'état de formation, ne comprenait que des livres écrits en grec, et l'on devait instinctivement donner la préférence à l'emploi du même idiome. Quand de savants théologiens attirèrent l'attention sur la différence des deux éditions et indiquèrent que les livres non compris au canon hébraïque devaient jouir d'une moindre estime, les Eglises attachèrent peu d'importance à cette distinction. L'on peut même dire que, jusqu'aux controverses soulevées par la Réforme du XVIee siècle, la question du canon biblique ne fut jamais tranchée d'une façon définitive dans l'Eglise chrétienne; tantôt on penchait du côté de l'Ancien Testament hébreu, tantôt on adoptait l'Ancien Testament grec. Le protestantisme cependant, pour lequel l'autorité des Ecritures et leur authenticité croissaient en importance par son rejet de l'autorité de l'Eglise, se prononçait pour le canon hébraïque; le concile de Trente (1546) se prononça en faveur de la Bible grecque en consacrant la Vulgate ou traduction latine usuelle qui en est, sauf différences secondaires, la reproduction. C'était, en réalité, la consécration de l'usage. Quant aux églises protestantes, leur embarras était visible; car le rejet de l'autorité ecclésiastique leur enlevait tout critérium décisif pour l'appréciation de la canonicité d'un livre ( Canon du Nouveau Testament). Plusieurs des églises protestantes continuèrent toutefois de recommander la lecture des livres deutérocanoniques ou apocryphes non pour la doctrine, mais en vue de l'édification. 
« Dès ce moment, la question, du canon devint un des points sur lesquels portèrent les controverses engagées entre les deux églises. Les catholiques n'ont plus cessé d'avoir reproché aux protestants d'avoir tronqué la Bible, et ceux-ci d'accuser les catholiques de l'avoir falsifiée en y mêlant une foule d'éléments étrangers et impurs. En réalité, ces accusations sont aussi mal fondées d'un côté que de l'autre : les protestants n'ont rien tronqué, les catholiques n'ont rien falsifié; seulement des circonstances historiques, en grande partie indépendantes de leur volonté, ont amené les uns à adopter l'Ancien Testament alexandrin, et les autres l'Ancien Testament palestinien. S'il y a lieu à controverse, elle doit porter uniquement sur ce point : lequel des deux recueils est préférable à l'autre ? » (Michel Nicolas).
Posée en ces termes, la question est aisée à résoudre. Pour quiconque ne se place pas dans les termes d'une notion étroite et exclusive de l'inspiration, il est clair que des livres tels que l'Ecclésiastique et la Sapience, Tobie et Judith, les Maccabées sont des monuments considérables de la littérature religieuse des Israélites, et que les écarter de la Bible c'est lui infliger un rerettable appauvrissement. Au point de vue de l'histoire des origines chrétiennes, la lacune est encore plus dommageable; en effet, ces livres nous renseignent de la façon lad plus utile sur les idées et les préoccupations les plus en cours dans les milieux qui virent naître et se propager les premières églises. C'est ce qu'a compris Reuss en introduisant dans sa magistrale édition de la Bible les écrits deutéro-canoniques, spéciaux à l'édition grecque. (Maurice Vernes).
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Dictionnaire Le monde des textes
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